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France - Page 20

  • LUC CHOMARAT : LE DERNIER THRILLER NORVEGIEN. PARODIE NORDIQUE.

    Luc Chomarat, le dernier thriller norvégien, la manufacture de livresMode éditoriale propre aux thrillers, c’est bien souvent au terme de ce type de fictions que vous trouverez quelques remerciements où l’auteur s’ingénie à vous démontrer, avec une subtilité plus ou moins affichée, que son récit s’inscrit bien dans la réalité d’un univers qu’il a su capter au gré de connaissances et de références qu’il puise essentiellement sur internet en intégrant au mot près dans son texte, avec une conscience qui l’honore, quelques extraits de la fiche wikipédia qu’il a consultée. Il s’agit bien d’en rire et de traiter le sujet des dérives du monde de l'édition avec la dérision et l’humour qui s’impose comme l’a fait Luc Chomarat avec Le Dernier Thriller Norvégien, roman à la fois détonnant et subtil, nous entraînant dans le tourbillon d’une intrigue délirante où la fiction et la réalité se télescopent pour devenir des perceptions toutes relatives.

     

    A Copenhague, l’éditeur parisien Delafeuille s’apprête à rencontrer Olaf Grundozwkzson, grand maître du thriller nordique,  afin de le convaincre d’intégrer le catalogue de sa maison d’édition et de négocier les droits de traduction de son dernier roman à succès. Confortablement installé dans un luxueux hôtel de la capitale danoise, Delafeuille prend connaissance du manuscrit de l’auteur pour se rendre compte que la fiction devient réalité et qu’il est devenu la proie de l’Esquimau, machiavélique tueur en série sévissant dans la région en démembrant ses victimes qu’il abandonne dans les forêts des environs. Acculé, l’éditeur n’a pas d’autre choix que de poursuivre la lecture du manuscrit afin de connaître l’identité du meurtrier. Mais l’ouvrage disparaît mystérieusement et Delafeuille comprend que l’aide de Sherlock Holmes, séjournant dans le même hôtel, ne sera pas de trop afin de déjouer cet effroyable imbroglio qui prend une tournure inquiétante.

     

    Bien loin du simple pastiche où il se contenterait de démonter les codes qui régissent le genre du thriller, Luc Chomarat construit une intrigue étonnante en entraînant le lecteur dans la mise en abîme de personnages évoluant au gré de la fiction d’un ouvrage qui rythme désormais leur propre réalité avec l’apparition de Sherlock Holmes dont on ne sait plus s’il s’agit du célèbre héros sorti de l’imagination de Conan Doyle où tout simplement de l’incarnation de la réalité de Delafeuille protagoniste central d’un roman complètement loufoque qui nous interpelle sur notre propre perception de l’imaginaire. A partir de là, le récit s’oriente vers une franche partie de rigolade extrêmement rafraîchissante où les situations les plus ubuesques prennent une tournure délirante au gré de dialogues surréalistes. C’est donc au détour de l’absurdité de scènes parfois cocasses que Luc Chomarat égratigne avec cette plume corrosive qui le caractérise, les arcanes du monde littéraire et les travers du thriller. Et tout y passe que ce soit les poncifs les plus éculés que l’on peut imaginer en lien avec le polar nordique dont le titre du roman vous donne déjà un aperçu puisqu’il n’est nullement question de Norvège ou que ce soit les considérations d’éditeurs plus enclin à parler chiffres que lettres. Ainsi on s’amuse de tout avec une multitude de clins d’œil comme les éditions Mirages ou la rencontre des inspecteurs Bjonborg et Willander tout en accompagnant des personnages déboussolés s’étonnant de passer d’un chapitre à l’autre de manière brutale ou d’une scène à l’autre presque comme par magie pour mieux comprendre les mécanismes de l’ellipse. Il en va de même pour l’environnement et l’atmosphère d’un genre extrêmement convenu, que l’auteur s’amuse à décortiquer avec une sagacité pleine d’humour à l’exemple de cette ville de Copenhague prenant soudainement l’allure d’une ville africaine pour mettre en exergue la multitude de clichés que l’on peut trouver dans ce type de romans ou cette soudaine vulgarité dans les échanges entre Holmes et Delafeuille se retrouvant tout d’un coup dans un récit aux allures de hard-boiled.

     

    Avec la finesse d’un humour au service d’un texte d’une belle intelligence nous permettant d’avoir un regard acéré sur un monde de la littérature qui se prend parfois bien trop au sérieux , Luc Chomarat fait exploser, avec Le Dernier Thriller Norvégien, l’univers extrêmement convenu du thriller nordique pour nous entraîner dans la folie d’une intrigue qui ne manquera pas de vous laisser avec un grand sourire, ceci bien longtemps après avoir refermé cet ouvrage détonant. Salutaire et indispensable.

    Luc Chomarat : Le Dernier Thriller Norvégien. La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : Gravity de Hooverphonic. Album : Reflection. Sony Music Entertainment Belgium.

  • Pierre-François Moreau : White Spirit. Démon blanc.


    Capture d’écran 2019-08-23 à 00.06.59.pngSi l'engouement du polar en Suisse romande a suscité quelques vocations locales dont finalement nous nous serions bien passés pour certaines des plus remarquées d'entre elles, il importe de signaler les rares auteurs de la littérature noire, toutes contrées confondues, dont l'intrigue se déroule au cœur de la Romandie, tant l'événement est rarissime. Avec un cadre pourtant prometteur, sur les contreforts des Alpes vaudoises, on passera sous silence Avalanche Hôtel (Calmann-Lévy noir 2019) de Nicolas Takian, pâle ersatz de Shining (Le livre de poche 2007), qui alimentera la masse de thrillers insignifiants en contribuant ainsi à la cause perdue d'un genre dévoyé, pour s'intéresser à White Spirit, un étrange et surprenant roman noir de Pierre-François Moreau dont l'action nous entraîne sur les bords du lac Léman, entre Montreux et Lausanne.

     

    White Spirit, c'est le combustible avec lequel Gifty, une jeune prostituée nigériane, s'asperge afin de s'immoler sur les bords du lac Léman pour en finir avec cette vie de galère et échapper définitivement à l’emprise de ses proxénètes. Victime d’un réseau de traite d’êtres humains entre Bénin City et Lausanne, la jeune femme est contrainte de se livrer au commerce de son corps afin de s’acquitter d’une dette exorbitante et d’une malédiction qui peut s’abattre à tout moment sur les membres de sa famille. Mais White Spirit c’est peut-être aussi ce qu’incarne Bruce, ce jeune homme déjanté qui vient de sauver Gifty de la douleur des flammes s’apprêtant à la consumer. Scénariste de jeux vidéos fun-gore, figure montante de la Toile, Bruce trimbale son désenchantement d’hôtels de luxe en festivals du numérique, imbibé d’alcool et de drogue. La rencontre détonante de deux univers qui se fracassent pour former un mélange de délires occultes et virtuels donnant ainsi l'occasion à Gifty et Bruce d'affronter leurs chimères respectives dans un déferlement de confrontations chaotiques.

     

    Déroutant, c’est le moins que l’on puisse dire pour qualifier ce roman dont l’intrigue tourne autour d'une rencontre improbable entre deux personnages qui se situent à la marge de cette quiétude envoûtante de la Riviera vaudoise où ils évoluent chacun de leur côté avant que cette confrontation fatidique ne les entraîne dans une spirale d’événements aussi étranges qu’imprévisibles. D’emblée on apprécie cette écriture précise, chirurgicale, permettant d’esquisser en quelques mots l’atmosphère singulière émanant d’un décor opulent où la détresse de Gifty résonne dans le silence d’une aube mal définie tandis que Bruce exsude les miasmes de ses délires numériques dont il ne garde que quelques fragments épars. S'agit-il d'un songe ou des phantasmes respectifs de deux êtres égarés ? La question reste ouverte car Pierre-François Moreau parvient, avec maestria, à nous égarer dans cette conjonction de deux microcosmes dans lesquels ses personnages se retrouvent enfermés. Pour Gifty, traquée par ses souteneurs, ce sont les esprits, les fétiches et l’envoûtement des jujus tandis que Bruce doit faire face aux autorités numériques pour avoir endossé le rôle d’un lanceur d’alerte bidon afin de rebooster sa carrière de concepteur de jeux vidéos. Dangereux maquereaux, policiers fédéraux indolents et mystérieux mécène richissime, sur fond de règlements de compte sordides et de discussions déjantées, les rencontres s’enchaînent tandis que les univers s’entremêlent au détour d’une succession d’événements qui prennent parfois une tournure surprenante.

     

    Il faut dire que sur une alternance d'instants calmes, aux entournures poétiques, presque romanesques, et d'actions frénétiques et explosives, Pierre-François Moreau se garde bien d'entraîner le lecteur vers des schémas convenus. Ainsi l'ébauche d'une histoire d'amour entre Gifty et Bruce demeure incertaine, tandis que la confrontation avec la clique de souteneurs africains ne débouchera pas forcément sur le bain de sang escompté, propre au genre. 

     

    En se jouant ainsi des codes qu'il connaît parfaitement, Pierre-François Moreau nous livre donc un récit échevelé qui se révèle bien plus maîtrisé qu'il n'y paraît aux premiers abords, pour faire de White Spirit un roman noir Outchine cool.

     

    Pierre-François Moreau : White Spirit. La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : 7 Seconds de Youssou N'Dour (ft. Neneh Cherry). Album : The Guide (Wommat). Colombia Records 1994.

  • HERVE LE CORRE : DANS L’OMBRE DU BRASIER. SANGLANTE SEMAINE.

    hervé le corre, rivages noir, dans l'ombre du brasierOn peut bien évidemment consulter les livres d’histoire pour connaître les événements qui ont jalonné la période de la Commune et plus particulièrement, ceux qui ont émaillé cette fameuse Semaine sanglante durant laquelle communards et versaillais s’affrontèrent dans les rues de Paris. Mais pour s’imprégner de l’ambiance, pour prendre la pleine mesure de cette époque insurrectionnelle, rien ne saurait suppléer quelques romans de genre comme Le Cri Du Peuple de Jean Vautrin qui prend pour titre le quotidien éponyme créé par Jules Vallès et Pierre Denis. Et tant qu’à faire on ne saurait trop recommander la version BD, mise en image par Jaques Tardi et dont l’album intégral (Casterman 2005) contient également un CD reprenant quelques chansons populaires de la Commune. S’inscrivant dans la même veine, avec un récit oscillant entre le roman noir et le roman d’aventure prenant pour cadre cette tragique trame historique, Hervé Le Corre met en scène Dans L’Ombre Du Brasier l’inquiétant Henri Pujols que l’on avait déjà croisé dans L’Homme Aux Lèvres De Saphir (Rivages/noir 2004) et qui se livre désormais à un odieux trafic de femmes.

     

    Au mois de mai 1871, le peuple dresse des barricades dans les rues de Paris pour faire face aux versaillais qui s’apprêtent à investir la capitale afin de mettre un terme à cette parenthèse insurrectionnelle de la Commune. Une période trouble, extrêmement propice pour se livrer à toutes sortes de sévices comme la disparition de ces jeunes filles enlevées par un individu plutôt inquiétant qui a mis en place un terrible trafic d’êtres humains. Parmi ces jeunes femmes disparues, il y a Caroline qui a eu le malheur de croiser le chemin de ce ravisseur repoussant. Apprenant sa disparition, Nicolas Bellec, sergent au sein de la Garde Nationale, va se lancer à la recherche de sa bien-aimée tout comme Antoine Roques,  récemment promu « commissaire » par la Commune, et qui veut faire la lumière sur cette série d’enlèvements. Chacun de leur côté, les deux hommes vont tenter de retrouver Caroline en bravant les bombardements, les incendies, les fusillades et les exécutions sommaires tandis que la jeune femme tente de survivre dans une cave ensevelie sous les décombres d’un immeuble effondré. Une lutte contre le temps s’engage alors que la Commune vit ses derniers instants dans un déluge de feu et de sang.

     

    Chassé-croisé dans les rues dévastées de Paris, le lecteur ne manquera pas d’être subjugué par un texte d’une rare intensité prenant la forme d’une fresque historique bouleversante évoquant cette épopée héroïque d’un peuple oppressé en quête de liberté qui tente, dans un ultime sursaut, de faire face au choc des troupes versaillaises bien décidées à éradiquer jusqu’au dernier de ces insurgés. Un déferlement de sensations et d'impressions émane donc de ce récit qui nous rappelle les tableaux de ces grands maîtres impressionnistes auxquels l'auteur rend d'ailleurs hommage avec cette toile de Pissarro que l'un des protagonistes découvre sur la paroi d'un salon dans lequel il a trouvé refuge. Tout comme ces peintres de l'époque, Hervé Le Corre restitue, par petites touches subtiles, avec toute la richesse d'une palette chargée de mots, ce décor dantesque d'une guerre qui n'a rien de civile. On perçoit ainsi les remugles de la misère, l'odeur du sang et de la poudre, ces effluves de charognes balayées soudainement par le souffle dévastateur des combats et la fumée des incendies. Et puis il y a toute la gamme de sentiments et d'émotions qui habillent l'ensemble de personnages intenses, ballotés dans la fureur des événements qui s'enchainent en les contraignant parfois à renoncer à leurs idéaux ou à mourir pour eux dans un déchaînement de fureur et de violence.

     

    Sur fond de cavalcades effrénées, Dans L'Ombre Du Brasier s'articule principalement autour de l'enjeu des retrouvailles entre Caroline, officiant comme infirmière dans un des dispensaires de fortune de la Commune, et Nicolas Bellec qui s'est engagé dans les troupes de la Garde Nationale, tandis que le décompte de cette Semaine sanglante devient de plus en plus oppressant à mesure de l'avancée des versaillais progressant dans les rues de Paris en balayant les barricades qui se dressent devant eux. Au-delà des sentiments qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, c'est surtout cette soif de justice et de liberté qui plane sur l'ensemble de l'entourage venant à l'aide de ces deux jeunes gens traqués de toute part, quitte à y laisser leur vie. Le sacrifice de ce petit peuple de Paris qui voit peut-être une lueur d'espoir au détour de cet amour balbutiant tandis que les idéaux de la Commune vacille dans le tonnerre des canonnades et le crépitement des balles des lignards. Beaucoup plus ambivalents, on appréciera également des individus tels qu'Antoine Roques, communard convaincu, qui doit endosser presque à contrecœur la fonction de commissaire en s'efforçant d'exercer son nouveau métier du mieux qu'il le peut en appliquant les principes d'équité de ce gouvernement révolutionnaire. Plus énigmatique encore, on découvre Victor, ce mystérieux cocher, en quête de rédemption, après avoir été le complice d'un odieux ravisseur, en s’efforçant de venir en aide aux insurgés et en prenant fait et cause aux idéaux de la Commune. Toute une galerie de portraits nuancés évoluant dans la tourmente d'une époque aussi trouble que complexe que l'auteur parvient à saisir au détour d'un travail de documentation dont on devine l'importance et qu'il restitue au gré d'un récit ample et généreux qui se dispense d'explications pesantes et rébarbatives.

     

    Évoluant dans les méandres des rues de Paris, de la porte de Saint-Cloud jusqu’au cimetière de Belleville en passant par Le Luxembourg, où l’on fusille les insurgés, et le Panthéon, théâtre du massacre de bon nombre de communards, qu’Hervé Le Corre dépeint avec la puissance évocatrice de ses mots au service d’une intrigue prenante, Dans L’Ombre Du Brasier est avant tout un portrait social mettant en lumière cette révolte d’un peuple valeureux en quête de liberté, d’égalité et de fraternité. Un roman intense et bouleversant qui vous laissera sans voix. 

     

    Hervé Le Corre : Dans L’Ombre Du Brasier. Editions Rivages/Noir 2019.

    A lire en écoutant : Nocturnes, Les Nuages de Debussy. Album : Les Siècles François-Xavier Roth. 2018 Les Siècles.

  • Frédéric Paulin : Prémices De La Chute. Impact.

    Capture d’écran 2019-05-19 à 09.23.47.pngPremier romancier français à intégrer le catalogue de la maison d'éditions Agullo, on peut dire que Frédéric Paulin a marqué les esprits avec La Guerre Est Une Ruse (Agullo 2018), premier opus d'un triptyque annoncé s'attachant à dépeindre la trajectoire des mouvances de groupuscules terroristes djihadistes qui ont frappé les pays occidentaux  durant ces trois dernières décennies. Posant un regard éclairé sur la période trouble de la guerre civile en Algérie, durant les années 90, Frédéric Paulin mettait en lumière les curieuses accointances entre le GIA et les colonels "janvieristes" jusqu'au point de bascule où le combat s'exportait sur le territoire français en suivant la trajectoire d'un certain Kaled Khelkal alors que le roman s'achevait le 25 juillet 1995 avec  l'attentat du RER B à Saint-Michel. Encensé autant par la critique que les lecteurs qui ne se sont pas trompés en lui attribuant de nombreuses récompenses dont le prix des lecteur Quai du Polar ou le Grand Prix du Roman noir français du festival de Beaune, c'est peu dire que l'on attendait la suite d'un roman exceptionnel qui nous laissait sur le carreau. Deuxième tome qui peut se lire indépendamment du premier,  Prémices de la Chute débute en 1996 avec les attaques d'un curieux gang sévissant du côté de  Roubaix en braquant des supermarchés et des fourgons blindés à coup de Kalachnikov et de lance-roquettes.

     

    En janvier 1996, il ne fait pas bon se promener dans les rues de la banlieue de Roubaix où un bande de malfrats sévit en n’hésitant pas à tirer sur les forces de l’ordre au moyen d’armes longues automatiques. Journaliste local, Réif Arno va rapidement prendre conscience qu’il ne s’agit pas de braqueurs ordinaires en découvrant que certains d’entre eux ont combattu en ex-Yougoslavie au sein de la brigade El-Moujahidin, une milice extrémiste de l’armée bosniaque. Même si les autorités semblent minimiser l’importance du phénomène, la commandante Laureline Fell va s’intéresser à ce groupuscule djihadiste que l’on surnomme les « Ch’tis d’Allah » et trouvera pour cette quête solitaire un appui en la personne de Teij Benlazar, agent de la DGSE, stationné à Sarajevo. Dans les décombres de la capitale bosniaque Teij va rapidement mettre à jour les liens qui unissent les anciens combattants de la brigade avec Al-Qaïda, une organisation terroriste encore méconnue dirigée par un certain Ben-Laden qui se terre dans les montagnes d’Afghanistan. Pour le journaliste et les deux agents français, il ne fait aucun doute que quelque chose se trame dans les grottes de Tora Bora. Probablement un attentat d’une autre ampleur qui impactera le monde occidental de manière définitive.

     

    Puiser dans la masse de documentation pour décortiquer les pans de l’histoire contemporaine du terrorisme djihadiste afin de l’insérer dans une veine romanesque c’est tout le talent de Frédéric Paulin qui nous entraine dans les méandres de l’organisation Al-Qaïda qui prend de plus en plus d’importance tandis que le GIA continue à sévir en Algérie. En se focalisant sur l’enlèvement des moines de Tibhirine en 1996 et sur la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001, l’auteur s’attache surtout à dépeindre les rivalités entre les différents services secrets des pays occidentaux. Au gré des dissenssions et des défiances misent en exergue, on percoit ainsi le désarroi de ces agents de terrain à l’instar de Laureline Fell ou de Teij Benlazar dont les initiatives et autres prises de risque déplaisent à sa hiérarchie mais surtout aux instances politiques qui vont jusqu’à demander son exclusion de la DGSE. Fragilisé, marginalisé, ce personnage central du premier opus laisse davantage de place à d’autres protagonistes comme sa fille Vanessa entretenant une relation avec le journaliste Réif Arnotovic qui s’intéresse au profil des membres du gang de Roubaix pour ensuite entreprendre un reportage en Afghanistan du côté des grottes de Tora Bora, même si les médias ne manifeste encore que très peu d’intérêt pour le sujet. Du côté de la police, confrontée à cette violence d’une tout autre nature, on suit donc l’enquête menée par le lieutenant Riva Hocq et le commandant Joël Attia qui semblent dépassés par l’ampleur du phénomène. Ainsi, au gré des parcours de ces personnages s’intégrant dans une habile mise en scène mêlant fiction et faits d’actualité on croise quelques individus inquiétants comme Lionel Dumont et Christophe Caze formant le noyau dur du gang de Roubaix, ou Khalid Cheikh Mohammed l’un des leaders de l’organisation Al Qaïda. Mais comme Khaled Kelkal dans La Guerre Est Une Ruse, c’est autour de la trajectoire de Zararias Moussaoui que se met en place la trame de Prémices De La Chute où l’auteur nous présente ce jeune jeune homme plutôt intriguant qui prend des cours de pilotage aux Etats-Unis en négligeant tout ce qui à trait au décollage et à l’atterissage.

     

    S’inscrivant dans la même veine que le premier volet du tryptique, Prémices De La Chute égrène donc avec une redoutable efficacité toute une série d’événements annonciateurs du terrible cataclysme du 11 septembre 2001 qui va conclure le roman. Peu importe d’en connaître la finalité, puisque Frédéric Paulin s’attache surtout à décortiquer les faits d’actualité en les insérant dans la trame romancée du récit avec un texte captivant et dynamique qui ne peut fonctionner sans l’aide de quelques hasards circonstanciés que l’on ne saurait reprocher à l’auteur, tant l’ensemble fonctionne parfaitement pour nous entrainer dans ce sillage mortel et dramatique nous laissant le souffle coupé en attendant la suite qui concluera ce tryptique saisissant.

     

    Frédéric Paulin : Prémices De La Chute. Agullo Editions 2019.

    A lire en écoutant : Lazarus Man de Terry Callier. Album : Welcome Home (Live at the Jazz Cafe, London). 2008 Mr Bongo Worldwild Ltd.

  • Pierre Pelot : Braves Gens Du Purgatoire. Pour solde de tout compte.

    Capture d’écran 2019-04-29 à 21.00.56.pngDes histoires Pierre Pelot, l’air de rien, en a écrit plus deux cents dans les genres les plus variés en s’aventurant du côté de la science-fiction, du roman historique, du western et du roman noir bien évidemment, ceci avec l’aisance caractéristique des grands conteurs. Du fin fond de son petit village natal des Vosges qu’il n’a jamais quitté c’est toute une armada de personnages parfois déroutants qui ont peuplé notre imaginaire, ceci durant près de cinquante années. On se souvient encore de ce jeune gamin, prénommé Kid Jésus (J’ai Lu 1980), fouillant les décombres d’une civilisation perdue ou de Girek, l’auteur contestataire de Parabellum Tango (J’ai Lu 1980), ouvrages d’autant plus marquants que les couvertures sont ornées d’illustrations réalisées par Caza. Pour ce qui a trait à l‘œuvre de Pierre Pelot, dans le domaine du roman noir, beaucoup évoquent L’Eté En Pente Douce (Folio policier 2001), l’un des seuls ouvrages de l’auteur adapté au cinéma, mais je ne peux que vous recommander de découvrir Pauvres Zhéros (Rivages Noir2008) qui a fait l’objet d’une adaptation en BD illustrée par Baru (Rivages/Casterman/Noir 2008). Et puis il y a ces romans vosgiens amples et ambitieux, à la lisère des genres qu’il affectionne, dont la plupart sont publiés aux éditions Héloïse D’Ormesson à l’instar de Braves Gens Du Purgatoire, présenté comme l’ultime roman d’un auteur qui ne se reconnaît plus dans cette équation éditoriale où le marketing et l’aspect commercial semblent  prendre davantage le pas sur l’activité créatrice et artistique. Un romancier qui ne veut plus se raconter d’histoire en se refusant à écrire des romans qui correspondraient aux critères de ces commerciaux qu’il abhorre et qu’il fustige parfois sur les réseaux sociaux.

     

    Le glas résonne dans les rues désertes de Purgatoire tandis que les villageois se rassemblent pour l’enterrement de Maxime Bansher et de sa femme Anne-Lisa. Les braves gens aiment à se réunir ainsi pour causer des événements, tenter de comprendre les raisons qui auraient poussé ce vieillard à tuer sa femme avant de se suicider. Mais Lorena, la petite-fille de Maxime, n’entend pas se contenter de cette version et compte bien faire taire les rumeurs en prouvant que son grand-père aurait été incapable de commettre un tel geste. Pour cela il lui faudra fouiller dans le passé du village et déterrer les vieilles histoires entourant la famille Bansher. Lorena devra donc se tourner vers Simon Clavin, écrivain reconnu, dépositaire de la mémoire trop encombrante de celles et ceux qui veulent oublier les drames d’autrefois qui ont secoué la région. Des drames auxquels sont peut-être liés les deux hommes parcourant les forêts des environs du village. Des hommes armés de fusil qu’ils ne comptent pas utiliser pour la chasse.

     

    Fresque ambitieuse, portrait dense et minutieux de ce village des Vosges portant les stigmates d'un passé trouble, il est vraiment difficile d'évoquer un roman tel que Braves Gens Du Purgatoire tant l'auteur semble avoir eu pour volonté d'intégrer, pour un dernier tour de piste vertigineux, les thèmes qu'il a évoqué tout au long de sa carrière littéraire. Révolte, refus du conformisme et déliquescence sociale sont tour à tour abordés au détour d'un roman noir dont l'intrigue principale s'articule autour d'un fait divers atroce dont les entournure permettent de mettre à jour des histoires d'une autre époque que l'on souhaiterait pouvoir enterrer définitivement à l'instar des règlement de compte entre maquisards et collabos ou de la révolte d'ouvriers désespérés devant faire face au démantèlement des petites manufactures qui fleurissaient dans la région. Jeune femme de caractère, il incombe donc à Lorena de faire la lumière sur les circonstances du drame dont son grand-père Maxime, surnommé L'Homme aux loups, semble avoir été l'auteur. Autant de tragédies jalonnant des époques tourmentées que les habitants du village de Purgatoire ont traversé en s'exonérant du passé au détour du silence des uns et des compromissions des autres finissant par former une espèce de sédiment étouffant que seul, Simon Clavin, l'écrivain vieillissant du village, est en mesure de mettre à jour. Entre cet homme taciturne, portant comme un fardeau la mémoire du village, et la jeune femme impétueuse, s'instaure alors des rapports complexes où les non-dits font place aux confidences à mesure que ces deux protagonistes parviennent à s'apprivoiser afin de faire la lumière sur les grands mystères qui entourent toutes les générations de la famille Bansher.

     

    Avec la maestria qu'on lui connaît, cette expérience du conteur aguerri, Pierre Pelot nous propose ni plus ni moins qu'un impressionnant examen intergénérationnel d'un village des Vosges auquel il affuble, sans nul doute, de nombreux éléments en lien avec son vécu et qu'il distille par le prisme de l'ensemble de personnages pittoresques gravitant autour de Simon et de Lorena qui eux-mêmes projettent quelques traits de caractères ou quelques expériences propre à l'auteur. Explorateur de l’âme humaine qu’il sait parfaitement restituer, on appréciera l’épaisseur de ces personnages hors norme que Pierre Pelot a façonné pour mettre en scène un récit subtil où les interactions complexes ne font que renforcer l’épaisseur d’une intrigue qui se révèle toujours plus surprenante à mesure que l’on découvre les grands événements qui ont marqué les habitants du village. Les cris de Zébulon, parcourant la région au guidon de son vieux clou, la retenue de Justin Friard compagnon de Lorena, débarqué on ne sait trop comment des contrées du Haut-Jura, la détresse et la colère toute intériorisée de son père Adelin Bansher, nul doute que l’ensemble des protagonistes peuplant ce roman interpelleront le lecteur en se demandant quel est la part qui pourrait correspondre à Pierre Pelot tant cette sensation de présence de l’auteur est prégnante entre chacune des lignes d’un texte d’une rare intensité chargé d’émotion. Et puis l’on ne peut s’empêcher de se focaliser sur Simon, cet écrivain bourru, double de papier du romancier, évoquant son rapport à l’écriture et son aversion pour tout le cirque médiatique entourant la parution d’un ouvrage. Un homme blessé ruminant ses peines et ses douleurs avec pudeur dans une vieille tanière qui craque de partout.

     

    Mais au-delà de l'histoire, des intrigues qui prennent parfois la forme d'un western au détour de la rudesse de somptueux paysages forestiers que Pierre Pelot se plait à dépeindre minutieusement, il y a le plaisir de se plonger au cœur d'un texte intense malmenant le lecteur qui devra se plier à l'exigence d'une écriture envoutante qui l'entraînera dans le tourbillon de longues phrases distillant atmosphères et sensations que seul ce sorcier des mots est en mesure de maîtriser. On distingue ainsi le chatoiement des couleurs et de la lumière, le détail de l'écorce des arbres et de la mousse recouvrant les pierres, l'odeur du feu dans l'âtre ou celle des chevaux et de leurs cavaliers parcourant les sentiers des Vosges. Une écriture brut, dépourvue de toutes fioritures inutiles, où l'on perçoit surtout les sentiments et les émotions de ces femmes et de ces hommes qui constituent un patchwork social aussi singulier qu'explosif. A n'en pas douter Pierre Pelot est un grand conteur qui nous livre, avec Braves Gens Du Purgatoire, un roman bouleversant qu'il convient de découvrir impérativement.

     

    Pierre Pelot : Braves Gens Du Purgatoire. Editions Héloïse d’Ormesson 2019.

    A lire en écoutant : So Hard To Move de Dana Fuchs. Album : Brocken Down Accoustics Version. 2015 Antler King Records.