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04. Roman noir - Page 7

  • AMY JO BURNS : LES FEMMES N'ONT PAS D'HISTOIRE. MOONSHINE.

    Capture d’écran 2021-07-11 à 21.57.12.pngMême si l'ensemble du pays n'est pas en reste, c'est dans la région des Appalaches que l'on trouvera cette Amérique de la marge que dépeint de nombreux auteurs issus de la dizaine d'Etats qu'englobe cette immense chaîne montagneuse. La plupart de ces romanciers ont la particularité d'emprunter les codes du roman noir afin d'évoquer les ravages de la drogue et de l'alcool qui pèsent sur ces étendues sauvages où la population subit les affres d'une déshérence économique  sans fin tandis que les quelques industries lourdes restantes achèvent de polluer les sols et cours d'eau de la région. Du côté de la Georgie, on découvrira avec Bull Mountain (Actes Sud 2016) de Brian Panowich, la confrontation entre deux frères, l'un shérif et l'autre trafiquant de drogue, que tout oppose. En Caroline du Sud, c'est Ron Rash qui dresse un portrait social sans fard évoluant dans un environnement somptueux qu'il dépeint à la perfection tout comme David Joy qui nous entraîne dans sa région de la Caroline du Nord avec des récits conjuguant noirceur et verve poétique dans un époustouflant mélange des genres. Il en va de même pour Chris Offutt qui nous invite à découvrir le Kentucky au détour de romans où la tragédie s'inscrit dans le cadre d'une nature indomptée à couper le souffle. Des récits âpres, imprégnés d'une violence sourde qui éclate soudainement en vous empoignant le coeur et les tripes avec, à la clé, ces terribles confrontations entre des hommes rudes que la vie n'a pas épargné. Toujours dans les Appalaches, native de Pennsylvanie, c'est pourtant dans l'état voisin de la Virginie-Occidentale qu'Amy Jo Burns choisit de planter le décor de son premier roman traduit en français, Les Femmes N'ont Pas D'histoire, titre que le récit va démentir, en mettant en scène, sur fond d'alcool de contrebande et de religion, des femmes admirables évoluant dans un environnement brutal où les hommes déchus règnent en maitre au sein de cette région désolée de la Rust Belt.

     

    Du côté de Trap, en Virginie-Occidentale, Wren a entendu beaucoup d'histoires au sujet de son père, Briar Bird, un manipulateur de serpents prêchant la parole de Dieu dans une station-service désaffectée. Elle en sait beaucoup moins sur sa mère Ruby dont l'histoire s'est effacée derrière celle de son mari charismatique. Mais à la suite d'un drame qui touche Ivy, la meilleure amie de Ruby, la jeune fille va découvrir ce qui se cache derrière les légendes de la région et entendre la voix de ces femmes qui se sont tues depuis trop longtemps. En quête d'émancipation, Wren va mettre ainsi à jour les secrets qui lient Ruby à Ivy et découvrir les dissensions qui opposent Briar Bird à Flynn Sherrod le fabriquant de moonshine, ce whisky de contrebande qu'il distille dans la montagne. Dans cette région reculée des Appalaches, il est difficile de tracer son propre destin, surtout lorsque l'on est une femme qui veut s'affirmer au sein de cette communauté d'hommes déchus. 

     

    Les Femmes N'ont Pas D'histoire nous donne  l'occasion de découvrir la voix des femmes au sein de ces régions désolées des Appalaches. Ravages de la drogue et de l'alcool, chômage endémique, mines de charbon désaffectées dont les rejets imprègnent les terres et les rivières, Amy Jo Burn dépeint avec une grande justesse les difficultés auxquelles Ruby et Ivy doivent faire face en tentant d'élever leurs enfants tant bien que mal. Au cours de la lecture de ce texte, on saluera l'équilibre qui rejaillit de l'ensemble d'un récit ne cédant jamais à la caricature ou au pamphlet pour laisser place à une intrigue où la beauté sauvage de la région se conjugue avec les aléas de la vie de personnages simples mais extrêmement attachants à l'instar de Flynn Sherrod, ce moonshiner taiseux dont Wren va découvrir l'histoire en lien avec sa famille. Débutant avec le témoignage de cette jeune fille en quête d'émancipation, qui dépeint les contours de sa famille vivant dans une cabane vétuste soigneusement éloignée de la ville, comme si son père voulait entretenir dans cet éloignement l'aura de sa légende qui fascine encore ses fidèles. Pour compléter le tableau, on adoptera le point de vue de Ruby et d'Ivy, de leur serment de jeunesse qui n'aboutira pas et de leurs mariages respectifs qui sonnent le glas du renoncement. Il faudra adopter également le point de vue de Flynn Sherrod qui va achever de lever les contours de la légende de Briar Bird s'estompant peu à peu pour laisser place à un homme profondément attaché à sa femme Ruby qui devient, avec ses serpents, son unique possession que nul autre que lui ne devrait approcher pas même sa fille Wren.

     

    Derrière cette somme de secrets et de non-dits, au-delà de cette volonté d'émancipation pour échapper à cet environnement brutal, Amy Jo Burns décline la rudesse d'une vie simple oscillant entre attachement des lieux et crainte de cette absence d'avenir au gré d'un texte abouti et sensible qui nous permet d'entrevoir la dure réalité de la condition des femmes à l'exemple de ce droit de cuissage qu'avait les cadres des entreprises minières sur les épouses ou les filles des mineurs lorsque ceux-ci ne pouvaient pas travailler suite à un accident, en échange de provisions pour nourrir la famille. Le paradoxe réside dans la forte personnalité qu'incarne Ruby qui, malgré les aléas d'une vie ne faisant pas de cadeaux, s'attache à faire en sorte que sa fille Wren devienne autre chose que "la fille du prêcheur et manipulateur de serpents". 

     

    Entre trafic d'alcool et profession de foi aux contours inquiétants, on navigue avec Les Femmes N'ont Pas D'histoire dans un monde obscur qu'Ami Jo Burns éclaire avec un texte éclatant de sincérité et de sobriété qui nous entraine dans les méandres d'une belle histoire de femmes. 

     


    Amy Jo Burns : Les Femmes N'ont Pas D'histoire (Shiner). Editions Sonatine 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Héloïse Esquié.

    A lire en écoutant : Tennessee Whisky de Chris Stapleton. Album : Traveller. 2015 Mercury Records.

  • Marin Ledun : Leur Ame Au Diable. Fumer tue.

    Capture d’écran 2021-05-23 à 18.38.46.pngDurant cette période de pandémie on a pu lire quelques articles de presse faisant état d'une étude scientifique soutenant le fait que les fumeurs étaient moins affectés par le SARS Cov2 sans en expliquer d'ailleurs les raisons. Désormais, ce n'est pas tant le contenu de cette étude qui est sujet à caution mais le fait que les chercheurs qui l'ont rédigée aient des lien étroits avec l'industrie du tabac et qu'ils se sont bien gardés de signaler, raison pour laquelle ces publications ont été retirées alors même que les résultats étaient remis en cause. On mesure ainsi toute l'ampleur de la sphère d'influence des cigarettiers afin d'écouler sans vergogne leurs produits, un sujet que Marin Ledun aborde avec son dernier ouvrage, Leur Ame Au Diable, qui évoque, sur l'espace de deux décennies, les dérives de l'industrie du tabac en abordant également les thèmes de la contrebande et du trafic d'influence au détour d'une époustouflante fresque noire.

     

    28 juillet 1986, région du Havre. Le braquage spectaculaire de deux camions-citernes tourne au massacre avec la mort de sept hommes et la disparition de 24'000 litres d'ammoniac destinés à une usine de cigarettes. Si l'enquête échoit à la brigade criminelle, l'inspecteur Simon Nora, affecté à la brigade financière, va investiguer dans le milieu des cigarettiers et de leurs fournisseurs pour analyser les données comptables de ces entreprises. L'OPJ Patrick Brun, lui est chargé d'enquêter sur la disparition d'une jeune femme, Hélène Thomas, dont les parents n'ont plus de nouvelles depuis plusieurs semaines. Deux enquêtes en apparence sans lien convergeant vers l'inquiétant lobbyiste David Bartels qui assoit son influence sur les politiciens et hauts fonctionnaires de la République pour le compte d'European G. Tobacco. Sur fond de trafic d'influence, de proxénétisme et de contrebande entre les luxueux cabinets de consulting parisiens, la mafia italienne et les pays des Balkans, les deux policiers vont mettre à jour la corruption, la manipulation ainsi que la violence qui s'exerce au sein d'une inquiétante industrie du tabac dénuée de tout scrupule.

     

    D'entrée de jeu, il importe de souligner la scène de braquage magistrale qui fait office d'ouverture du roman en devenant le catalyseur d'un récit dantesque et foisonnant où l'auteur dézingue tout azimut les dérives du business de la nicotine. Précis, glaçant et extrêmement cruel, ce braquage n'est pas sans rappeler le prologue de l'attaque du fourgon blindé d'Underworld USA de James Ellroy. Cette référence n'a rien d'un hasard puisque l'on retrouve l'influence de l'oeuvre d'Ellroy aussi bien dans le style que dans la construction narrative et surtout dans l'intensité des personnages qui traversent l'intrigue. Digéré, assimilé, Marin Ledun transcende son modèle avec une rare maîtrise. Il nous livre ainsi une fresque noire à la fois  équilibrée et digeste que l'on lit d'une traite tant le roman tient toutes ses promesses en matière d'intrigues croisées qui nous bousculent au gré des événements réels qui ont marqué la lutte contre le tabac et que cette industrie dévoyée tente de contourner par tous les moyens que ce soit par le biais d'études scientifiques douteuses ou par un lobbyisme effréné que l'auteur décortique avec une rare minutie. L'intérêt du roman réside également dans l'incarnation des frasques d'entreprises peu scrupuleuses conjuguant leurs intérêts financiers sur le dos de la santé publique, ceci au travers d'une galerie de personnages se caractérisant tous par l'excès de leurs traits de caractère. L'histoire s'articule donc autour du lobbyiste mégalomane David Bartels et de son homme de main Anton Muller s'occupant de l'élimination physique des obstacles qui peuvent survenir. En matière d'excès, nous ne sommes pas en reste avec les enquêteurs Patrick Brun et Simon Nora sacrifiant leurs vies privées respectives sur l'autel des investigations qu'ils mènent pour confondre   leurs adversaires qui s'ingénient à mettre en place des marchés parallèles de la cigarette pour augmenter leurs profits ou des agences de "modèles" qui vont exercer leurs charmes aussi bien sur les circuits sportifs que dans les "salons cosys" où gravitent politiciens et fonctionnaires de haut rang prenant des décisions en matière de santé publique. C'est l'occasion pour Marin Ledun de dresser de très beaux portraits de femmes qui vont précipiter le destin funeste de certains protagonistes de l'intrigue. 

     

    Ainsi Leur Ame Au Diable devient le pavé dans la mare de l'industrie du tabac avec un récit génial, tout en nuance qui nous livre les arcanes d'entreprises bien implantées dans notre société restant peu regardantes en matière d'éthique pour maximiser des profits colossaux sur fond d'accoutumances et de maladies mortelles. Un massacre orchestré et douloureusement silencieux, malgré toutes les mises en garde, que Marin Ledun décline avec une rare justesse.

     

    Marin Ledun : Leur Ame Au Diable. Editions Série Noire 2021.

    A lire en écoutant : Whispering de Alex Clare. Album : The Lateness Of The Hour.  2011 Island Records.

  • Gilles Sebhan : Feu Le Royaume. Le royaume des insensés.

    gilles sebhan,feu le royaume,éditions du rouergueRomans, essais, biographies, après une dizaine d'ouvrages où Gilles Sebhan aborde les thèmes de la transgression, de la marginalité et de la criminalité c'est désormais par le prisme de la littérature noire qu'il évoque ces sujets autour d'une série policière mettant en scène le lieutenant de police Dapper plongé dans l'univers étrange d'un établissement psychiatrique pour enfants. C'est tout d'abord avec Cirque Mort que l'on faisait connaissance avec cet enquêteur désemparé tentant par tous les moyens de retrouver Théo, son fils kidnappé, et qui va recevoir l'aide inattendue d'Ilyas, enfant ambivalent et mutique qui semble doté d'une perception hors norme lui permettant de régner sur les jeunes patients internés au sein de l'unité psychiatrique. Il sera encore une fois question d'enlèvements avec La Folie Tristan, second ouvrage de la série, nous permettant d'en savoir davantage sur les liens qui régissent les petits patients du docteur Tristan, psychiatre controversé, régnant sans partage sur son petit royaume des insensés, expression équivoque qui donne désormais son titre à la série. Comme pour clôturer cet univers oppressant et énigmatique, Feu Le Royaume s'articule autour d'un tueur en série en cavale qui souhaite régler ses comptes avec le lieutenant Dapper, responsable de son incarcération.

     

    Après avoir été séquestrée et violée par ses ravisseurs avant d'être sauvée par le lieutenant Dapper, Marlène tente de se remettre de ces terribles événements lorsqu'elle découvre qu'elle est enceinte. Elle souhaite donc se tourner vers son sauveur pour lui faire part de son désarroi. Mais Dapper lui aussi se remet difficilement de cette éprouvante affaire d'enlèvement et essaie de se rapprocher de sa famille et plus particulièrement de Théo qui adopte un comportement distant. Le policier est d'autant plus désemparé qu'il vient de découvrir l'identité de son père qui s'est donné la mort en faisant de Théo son unique légataire. Chacun essaie donc de panser ses plaies et d'enterrer les morts afin de surmonter l'épreuve du chagrin. Mais de l'autre côté de la frontière toute proche, Marcus Baumann, l'homme des tueries du Brabant, parvient à s'évader de prison au terme d'un terrible massacre. Recherché activement par la police, Marcus Baumann n'a qu'une idée en tête : régler ses comptes avec les responsables de son arrestation dont fait partie le lieutenant Dapper.

     

    L'intérêt d'une série comme celle du lieutenant Dapper réside dans le fait que Gilles Sebhan ne cesse d'explorer les conséquences des événements frappant les différents protagonistes à l'instar du cadre familial de cet enquêteur qui semble toujours remis en question. On découvre ainsi la trajectoire de l'épouse de Dapper tombant amoureuse de la maîtresse d'école de son fils Théo qui lui-même entretient des rapports troublants avec Ilyas, ce jeune garçon autiste dont la sensibilité hors norme lui permet de percevoir des visions prémonitoires. De cette manière, Gilles Sebhan remet en question les normes de ce cadre familial constamment bousculé par les échos des investigations d'un policier distinguant, sans vraiment bien les comprendre, les écueils qui l'affectent ainsi que son fils et sa femme. Pour en saisir toutes les nuances, il importe donc de lire dans l'ordre les deux ouvrages précédents avant d'aborder Feu Le Royaume dont le tire fait référence à l'établissement psychiatrique et à ses patients en plein désarroi suite au décès tragique de son directeur. On retrouve donc ainsi, avec un certain plaisir, Ilyas qui va intervenir une nouvelle fois dans le cadre de l'enquête du lieutenant Dapper, chargé de retrouver un tueur en série qui vient de s'évader. Si l'enquête prend tout d'abord la forme d'une traque assez conventionnelle où l'on découvre un individu sans pitié et particulièrement sadique qui s'est mis en tête d'éliminer tous les responsables de sa détention, la tournure des événements devient de plus en plus étrange avec une confrontation aux connotations fantastiques qui troublera une nouvelle fois les convictions d'un enquêteur dont les certitudes se désagrègent peu à peu. Dans un autre registre, on s'intéressera également au devenir de Marlène, que l'on avait rencontrée dans La Folie Tristan alors qu'elle était au prise d'un sadique et d'un déficient mental qui, après l'avoir enlevée, ont entrepris de la violer tour à tour. Ayant découvert qu'elle est désormais enceinte de ses bourreaux, on prend la pleine mesure de son désarroi et du dilemme qui se pose à elle quant au devenir de cet enfant à naître. Comme toujours, au gré d'une écriture immersive, on apprécie cet univers à la fois troublant et inquiétant que Gilles Sebhan distille avec beaucoup d'intelligence et de pudeur, nous permettant de nous focaliser davantage sur le devenir de ses protagonistes confrontés aux doutes et à la douleur des événements qui bouleversent définitivement leurs destins respectifs.

     

    Avec Feu Le Royaume, on observe cette permanente remise en question des normes permettant à Gilles Sebhan de nous interpeller un nouvelle fois sur le vaste sujet de la transgression au gré d'une succession d'intrigues qui bouleversent la certitude de protagonistes confrontés aux aléas d'événements terrifiants qui affectent leur quotidien. Troublant et dérangeant.

     

     

    Gilles Sebhan : Feu Le Royaume. Editions du Rouergue Noir 2020.

    A lire en écoutant : Sour Times de Portishead. Album : Dummy. 1994 GO! Dics Ltd.

  • Hervé Le Corre : Traverser La Nuit. Dernier souffle.

    hervé le corre,éditions rivages,traverser la nuitEn guise de référence, lorsqu'il s'agit d'évoquer des auteur de romans noirs qui n'ont rien à envier aux grands romanciers de la littérature blanche, c'est le nom d'Hervé Le Corre qui me vient immédiatement à l'esprit, autant séduit par une écriture équilibrée que par l'intrigue soignée qui met en avant les fêlures tragiques d'hommes et de femmes irrémédiablement entraînés dans les méandres d'une noirceur s'articulant autour du fait divers qu'il soit contemporain ou historique. Pour le côté historique, on suivra un tueur en série sévissant durant la période trouble de la Commune avec L'Homme Aux Lèvres De Saphir suivit de Dans L'Ombre Du Brasier deux romans au souffle épique tout comme Après La Guerre se déroulant à Bordeaux à une drôle d'époque où collabos et résistants se côtoient sur fond d'une guerre d'Algérie qui résonne dans le lointain. Drames plus intimistes pour ce qui concerne la période contemporaine ce sera Du Sable Plein La Bouche, Dernier Retranchement, un terrible recueil de nouvelles noires ou Prendre Les Loups Pour Des Chiens se déroulant également dans la région de Bordeaux tout comme Traverser La Nuit, dernier roman publié par un auteur qui ne fait que confirmer son immense talent au gré d'une écriture nuancée d'où jaillit le destin de trois individus laminés par une douleur les enveloppant comme une seconde peau dont ils ne peuvent pas s'extraire. 

     

    Louise travaille comme aide à domicile en côtoyant des personnes âgées dont la vie bascule dans la détresse sociale et la solitude. Elle connaît bien ce désespoir latent, elle qui a dérivé dans les méandres de la drogue et de l'alcool après la mort accidentelle de ses parents. Mais depuis la naissance de son fils Sam, âgé de 8 ans, Louise s'accroche à la vie tant bien que mal en dépit de son ancien compagnon qui continue à la harceler en la brutalisant psychiquement et physiquement. C'est à la suite d'une nouvelle agression dont elle est victime qu'elle rencontre le commandant Jourdan qui dirige un groupe de la brigade criminelle à Bordeaux. Un lien, un espoir peut-être ? Mais Jourdan est un flic fatigué qui trimbale le souvenir des scènes de crime comme un fardeau qu'il ne peut plus supporter et qui l'éloigne de sa femme et de sa fille avec lesquelles il n'est plus en mesure de communiquer. Et puis il y a ce tueur de femmes qui sévit dans la région. Un homme qui ne se contrôle plus, qui assouvit ses pulsions pour ne pas tuer une mère qu'il aime et qu'il déteste tout à la fois. Trois destinées chaotiques s'entremêlant dans la dérive du quotidien où chacun tente de traverser la nuit qui lui est propre.

     

    Il y a tout d'abord cette pluie omniprésente inondant cette région de Bordeaux qu'Hervé Le Corre évoque par petites touches subtiles afin de donner corps à une atmosphère plombée par la noirceur de trois personnages à la dérive dont on perçoit cette analogie à la nuit qu'ils doivent traverser. On découvre ensuite cette actualité du pays, voire même du monde, qu'Hervé Le Corre distille également par petites touches tout au long de l'intrigue en soulignant ainsi la déliquescence d'une société en décomposition qui ne fait que renforcer cette noirceur omniprésente qui imprègne le récit à l'image de ces manifestations de gilets jaunes (qu'il ne nomme jamais) et de ces flics de la BAC se réjouissant déjà de la confrontation à venir au grand dam de Jourdan, personnage central du roman. Commandant dirigeant un groupe de la brigade criminelle, Jourdan est un policier usé par le métier dont il ne perçoit plus le sens et qui l'éloigne ainsi de ses proches avec qui il n'est plus en mesure de communiquer, mais également de ses collègues avec lesquels il se confie de moins en moins en faisant cavalier seul ou en prenant des initiatives qui le mettent en danger à l'instar de ce forcené qu'il déloge seul de la maison dans lequel il a trouvé refuge. Loin de jouer avec les clichés d'un tel personnage que l'on a rencontré dans bon nombre de récits, Hervé Le Corre met à jour, avec un naturalisme éprouvant, le quotidien morbide d'un flic de la criminelle perdant peu peu tous ses repères et qui trouve une lueur d'espoir presque improbable dans le regard de Louise, cette femme battue qui survit pour l'amour de son fils qu'elle chérit plus que tout. Là aussi, Hervé Le Corre décline un quotidien oppressant avec l'entourage professionnelle de cette femme officiant comme aide-ménagère auprès de personnes âgées dont l'état de santé se dégrade peu à peu en mettant en exergue le caractère inexorable de ce déclin. A tout cela s'ajoute le destin de Christian, tueur en série, qui poignarde sauvagement prostituées ou rencontres d'un soir et dont on découvre les rapports ambigus avec une mère, sèche et dure, au comportement à la fois ambigu et castrateur. Bien éloigné également des clichés que l'on a pu rencontrer dans les thrillers, Hervé Le Corre souligne le caractère sordide de ce parcours destructeur qui nous fait frémir. 

     

    Trois destins, trois solitudes, Traverser La Nuit se construit ainsi autour de ces trajectoires disparates dont l'enjeu réside dans la rencontre ou plutôt la collision entre ces individus ayant perdu leurs repères au coeur de cette nuit qui semble les engloutir inexorablement. Un roman dur et prenant où la lueur d'espoir se dilue dans les larmes et la pluie qui emportent tout.

     

     

    Hervé Le Corre : Traverser La Nuit. Editions Rivages/Noir 2021.

    A lire en écoutant : Noir De Monde de Bashung. Album : L'Imprudence. 2002 Barclay.

  • Yan Lespoux : Presqu'îles. Médoc noir.

    Capture d’écran 2021-01-24 à 18.38.22.pngPour débuter l'année, les éditions Agullo ont décidé de varier leur catalogue en intégrant une nouvelle collection au format court où ils  accueillent Yan Lespoux, un nouveau romancier qui inaugure cette collection en nous proposant avec Presqu'îles un recueil de nouvelles tournant autour d'une région du Médoc bien éloignée des châteaux prestigieux et des chais opulents entourés de vignobles plusieurs fois centenaires pour nous entrainer du côté d'une terre plutôt pauvre, composée de forêts de pins, de marécages et bordée de dunes se désagrégeant dans l'écume des vagues de l'océan. Pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la littérature noire, Yan Lespoux n'a rien d'un inconnu puisqu'il anime avec Encore Du  Noir, un blog de référence dont les brillantes chroniques vous invitent à découvrir polars et romans noirs qu'il commente depuis plus de dix ans et dont certains articles sont publiés dans des revues telles que Marianne, Alibi et 813. Et lorsqu'il n'écrit pas, Yan Lespoux trouve le temps pour animer des rencontres d'auteurs dans des librairies ou des salons dédiés au genre ce qui fait que l'on ne s'étonnera pas de trouver au gré de la trentaine de nouvelles composant Presqu'îles toute une variation d'histoires aux nuances plus ou moins sombres dans lesquelles évoluent des individus qui façonnent ce territoire au gré de leurs péripéties insolites.

     

    Dans ce coin du Médoc, même le Bordelais est un étranger qui doit fermer sa gueule. On ne parle même pas du Charentais. Quant aux parisiens on les croise parfois en lisière de forêt à la recherche de leur chien tout aussi paumé que leur maître. Dans ce coin du Médoc on garde jalousement secret ses coins à ceps et tout le monde semble affubler d'un surnom. Dans ce coin du Médoc on fait de drôles de rencontres la nuit lorsque l'on va pêcher clandestinement ou que l'on part en expédition pour piquer la marijuana d'un cultivateur. Gare aux coups de fusil. Sur les plages de ce coin du Médoc on contemple à marée basse l'épave du navire échoué qui vous a amené dans la région pour fuir la guerre civile en Espagne et on attend le premier noyé qui marque le début de la saison comme l'ouverture des cabanes à chichis. Dans ce coin du Médoc on désaile les canards et les mecs qui en veulent à vos économies. On règle les problèmes de cambriolage à sa manière. Gare aux crises cardiaques. Dans ce coin du Médoc on drague les filles, on va à un concert improbable des Pogues et on se balade dans la région en enjambeur. Dans ce coin du Médoc, on boit plus de Ricard que de pinard et on se raconte des histoires qui s'estompent dans la fumée du grill et le murmure sourd des hommes qui se rassemblent.

     

    On le dira avec d'autant plus d'assurance et de fierté qu'il s'agit d'un ami, Presqu'îles est un formidable recueil de nouvelles qui célèbre la terre d'enfance d'un auteur possédant un indéniable talent de conteur qu'il restitue par le biais d'une écriture à la fois sobre et pudique. Avec plus d'une trentaine d'intrigues, Yan Lespoux nous invite donc à découvrir ce Médoc méconnu qu'il affectionne par le prisme d'une galerie de personnages hauts en couleur qui vous feront tantôt sourire, parfois frémir et souvent grincer des dents avec cette propension à la chute caustique qui caractérise bon nombre de ses récits. Immanquablement on retrouvera une forme de noirceur dans la plupart de ces nouvelles qui se manifeste plus particulièrement dans Moisson où l'on suit les péripéties de deux voleurs de plants de marijuana poursuivis par un cultivateur particulièrement psychotique ou dans Cambriolage avec un quincailler qui fait sa propre justice et surtout dans Sécurité Routière où deux autonomistes basques font preuve d'un excès de prudence qui se révélera particulièrement dramatique. Outre la noirceur, on appréciera le mordant d'une ironie grinçante qui saisit immanquablement le lecteur touché par la fine mécanique subtile de récits extrêmement concis et par l'atmosphère remarquable émanant d'un territoire à la saisissante beauté que Yan Lespoux sait dépeindre à la perfection à l'instar de cette introduction figurant dans Rencontre  : "Les pins ont été éclaircis et la lumière du fin croissant de lune suffit à faire ressortir les deux lignes de sable blanc qui traversent les dunes en direction de l'océan dont on entend le grondement au loin." Mais outre la noirceur, outre les rires grinçants, il transparait également une certaine émotion que l'on perçoit dans Une Vie où l'on suit ce vieillard qui va sur la plage pour voir une dernière fois l'épave du navire échoué qui l'a conduit dans la région alors qu'il fuyait la guerre civile en Espagne. Et puis ce sont ces souvenirs d'enfance chargés d'émotion tels que Concert Fantôme évoquant ce groupe de copains qui vont voir un concert des Pogues se déroulant dans un patelin perdu de la région ou Le Couteau avec un récit tout en pudeur où l'on perçoit, au lendemain du jour de l'an, l'affection entre un grand-père et son petit-fils s'apprêtant  à quitter tout prochainement le monde de l'enfance et qui reste pour moi la plus belle des nouvelles du recueil. 

    Avec une magnifique préface d'Hervé Le Corre, Presqu'îles nous invite donc à découvrir toute une mosaïque de personnages atypiques et attachants évoluant sur un territoire à la fois sauvage et mystérieux que Yan Lespoux décrit avec la saisissante beauté du mot juste qui touche parfois au sublime. Un romancier est né.

     

    Yan Lespoux : Presqu'îles. Editions Agullo Court 2021. 

     

    A lire en écoutant : Dirty Old Town de The Pogues. Album : Rum Sodomy & Lash. 2006 Warner Music UK Ltd.

  • LOUISE ANNE BOUCHARD : ECCE HOMO. EN DEHORS DU CADRE.

    louise Anne Bouchard, ecce homo, éditions l'âge d'homme

    Les corps étaient repêchés tard au printemps, lorsque le dégel libérait puis rejetait ce que l'hiver avait de cruel : le froid et la solitude.

    Tommy - Ecce Homo

     

    L'art de la nouvelle est un exercice difficile, ceci d'autant plus dans le domaine de la littérature noire où l'on se focalise davantage sur le choc de la conclusion, au détriment de l'atmosphère du récit et du caractère des personnages que l'on doit pourtant concilier dans un format extrêmement bref. C'est probablement dans ce domaine bien trop méconnu dans nos contrée francophones que l'on peut pourtant apprécier le talent de celles et ceux qui savent jouer avec les codes du genre et qui peuvent donc les intégrer au sein de ce format particulier de la nouvelle à l'instar de Louise Anne Bouchard qui nous propose avec Ecce Homo, pas moins de dix portraits aux nuances du noir le plus varié. Dix portraits, dix esquisses de personnages dont on entrevoit l'âme humaine et sa subtile noirceur que la romancière décline avec un mordant à la fois impitoyable et sarcastique tout en distillant ce sentiment de malaise permanent qui imprègne l'ensemble des intrigues de ce sombre recueil. 

     

    Tommy est le pseudo d'un jeune homme gay dont on découvre le cadavre affreusement mutilé dans un quartier sordide de Montréal.

    Florence est infirmière et navigue entre Thonon et Vevey où elle travaille jusqu'à ce qu'elle perde son emploi et bascule peu à peu dans les méandres d'une folie meurtrière.

    Bob Demper, cadre bancaire explosant de fureur, se remet de sa dépression avant de se lancer dans la peinture. Eloigné de sa femme et de ses enfants, il rumine de sombres pensées dans son atelier à mesure qu'il prend du poids. Mais s'est-il vraiment bien remis de sa dépression ?

    Les jumeaux Erdmann n'ont jamais eu de chance dans leur vie. Abandonné par leur mère ils ont été élevés à la dure dans des institutions. A l'adolescence, leur beauté attire l'attention d'une parent d'élève qui succombe à leur charme.

    Anna, Thomas, Big Maggie. Que l'on fasse de l'équitation, de la course à pied ou de la natation, il n'y a pour eux que des gagnants et des perdants. Une dualité aussi malsaine qu'impitoyable qui lamine les coeurs et broie les esprits. Et gare aux perdants.

    Gaspard suscite leș quolibets de ses camarades et le mépris de son père qui refuse de le défendre. Il trouve refuge dans la solitude et effectue de petits boulots comme la tonte de gazon lui permettant de fouiller les tiroirs de ses clientes tout en rêvant d'Emma Peel à qui il veut ressembler à tout prix.

    Clélia et Lula sont deux soeurs aux caractère dissemblables que tout oppose et dont les trajectoires sont tout aussi différentes.

    Coco : Une enseignante solitaire, un peu amère a d'ores et déjà réservé son emplacement au cimetière de Lausanne, à proximité de la tombe de Gabrielle Chanel. Et puis soudain, lorsqu'elle croise les trois étudiantes qui se sont moquées d'elle, tout bascule.

    Madame de Sève est le nom des ateliers où elle travaille comme styliste au milieu de ses mannequins immobiles qui prennent une allure inquiétante dans la pénombre des lieux tandis que résonne Le Boléro de Ravel. Elle attend son correspondant en repensant à son père qu'elle a perdu si jeune. Pourvu qu'il ne se moque pas de son désespoir. 

    Alex in London c'est le chauffeur que lui a attribué Monsieur Murray pour toute la durée de son engagement en tant que biographe. Une virée dans les rues de l'East London, des réminiscence de Jack L'Eventreur, les textes de Shakespeare et Alex qui souhaite devenir comédien. Elle se prend à rêver. Mais il y a la solitude et l'absence de l'autre.

     

    Avec Ecce Homo, Louise Anne Bouchard nous donne un aperçu de l'humain et de sa propension à basculer dans les méandres d'une noirceur plus ou moins intense en décomposant la photographie du mal être qui enveloppe les individus parcourant l'ensemble des récits troublants de ce recueil de nouvelles noires. Parfois l'horreur se matérialise en plein cadre comme c'est le cas pour Tommy et Florence, deux terrifiantes intrigues où la romancière insuffle tout le talent de son écriture pour dépeindre l'abjection des actes commis. C'est plus particulièrement le cas pour Tommy qui reste la plus belle des nouvelles du recueil avec cette capacité saisissante à dépeindre un cadavre atrocement mutilé tout en insufflant une atmosphère chargée d'une espèce de mélancolie poétique qui imprègne cette nouvelle chargée d'une grande force émotionnelle en nous rappelant les plus terrifiants romans de l'auteur britannique Robin Cook. Mais avec la majeure partie des nouvelles de Ecce Homo, Louise Anne Bouchard nous invite à découvrir le point de bascule en dehors du cadre de la photographie, au delà du terme du récit où elle parie sur l'intelligence mais également sur l'interprétation du lecteur pour imaginer l'éventuelle tragédie qui risque de survenir. Cette incertitude est particulièrement latente avec Bob Demper dont on ne sait ce qu'il va advenir de sa rencontre avec la gérante de son atelier tout comme celle de cette styliste dans Madame de Sève qui attend son mystérieux correspondant. On se situe également dans le doute quant au destin des Jumeaux Erdmann et du bien-fondé de la compassion du policier chargé de la traque de ces deux frères qui n'ont jamais vraiment eu beaucoup de chance dans leur vie. Autant d'interrogations qui donnent davantage d'ampleur à ces récits grinçants et dont le fragile édifice est prêt à basculer à chaque instant. Et puis la noirceur de l'intrigue se situe parfois dans le malaise que Louise Anne Bouchard distille avec maestria dans des récits tels que Gaspard ou Anna, Thomas, Big Maggie où l'on prend la pleine mesure de la situation sur la dernière phrase du récit qui résonne comme un choc inquiétant dont il nous reste à imaginer la force de l'impact. C'est probablement là que l'on savoure toute la force de l'intrigue de Louise Anne Bouchard qui nous malmène dans la noirceur de l'incertitude et du doute au rythme de textes parsemés d'une ironie mordante et d'un regard à la fois cinglant et impertinent mais parfois chargé d'émotion comme elle nous le démontre avec Alex in London qui souligne les affres de la solitude au terme d'un récit tout en subtilité.

    Au final, Louise Anne Bouchard nous offre avec Ecce Homo, dix textes tout en finesse, d'une rare beauté qui explorent toute les nuances de la noirceur de l'âme humaine. 

     

    Louise Anne Bouchard : Ecce Homo. Editions L'Age d'Homme 2020.

    A lire en écoutant : 2 Wicky de Hooverphonic. Album : With Orchestra Live. 2012 Sony Music Entertainment Belgium NV/SA.

  • NAOMI AZUMA : LE DETECTIVE EST AU BAR. SERVICE COMPRIS.

    atelier akatombo, le détective est au bar, Naomi azuraDes clichés que l’on importe du Japon émane un curieux sentiment de dignité et d’ordre associé à une culture où l’harmonie et l’équilibre seraient les maîtres-mots à l’image de ces jardin zens à la fois structurés et dépouillés qui contribuent à alimenter ce sentiment. Mais le pays prend une toute autre allure en parcourant les artères de Tokyo et autres métropoles avec leur pluie de néons et de décibels provenant des commerces, des arcades de jeu, des discothèques et autres bars à hôtesse. Cette déferlante de bruit et de fureur imprégnée d’une certaine désinhibition, on peut la trouver bien évidemment dans la culture manga mais également au détour de la littérature noire explorant notamment le monde de la nuit à l’instar du roman de Naomi Azuma, Le Détective Est Au Bar, dont l’action se déroule à Susukino, le red light district de la ville de Sapporo davantage connue pour ses stations de ski qui ont accueilli les jeux olympiques de 1972.

     

    Dans le quartier chaud de Sapporo, tout le monde connaît le détective de Susukino, dont le quartier général se situe au comptoir du Keller Ôhata où il a ses habitudes. Entre deux parties de carte et une consommation surabondante de cocktails corsés, il rend quelques services aux belles de nuit du quartier ainsi qu’aux patrons de bars des alentours contre un pourcentage des dettes récupérées. Travaillant en dilettante, il lui arrive parfois d’effectuer quelques recherches le contraignant à sortir de son établissement favori, ce qui déplait fortement à ce détective fainéant et gouailleur qui n’a d’autre envie que d’échanger ses considérations avec les barmans et clients du bar. Pourtant lorsqu’un jeune étudiant débarque pour faire part de son inquiétude au sujet de la disparition de sa petite amie, le détective au grand coeur va fournir quelques efforts. Croyant à une simple fugue sans conséquence, il va parcourir les rues enneigées du quartier afin de retrouver la jeune femme dont il découvre rapidement le lien avec le meurtre d’un client d’un love hôtel qui travaillait comme serveur. La situation se corse lorsque le détective se fait prendre à partie par une bande de jeunes délinquants qui auraient des liens avec la pègre locale. A mesure qu’il progresse dans ses investigations, il se rend compte que l’affaire tourne autour de yakuzas qui ne plaisantent pas lorsque l’on fourre son nez dans leurs affaires.

     

    Avec Le Détective Est Au Bar, Naomi Azuma nous propose d’explorer le monde interlope du quartier chaud de Sapporo en découvrant toute une galerie de personnages plus ou moins troubles qui le compose à l’exemple des barmans, des rabatteurs, des patrons de bar et des hôtesses croisant le chemin de ce détective atypique dont l’atout principal est de posséder un carnet d’adresse conséquent lui permettant de nager dans les eaux troubles de ce cloaque qu’il connaît parfaitement. Au fil d’une enquête assez classique sur la disparition d’une jeune femme et du meurtre d’un serveur dont on retrouve le cadavre dans un love hôtel, ce détective dont on ne connaît ni le nom, ni même le prénom va également croiser le chemin de petits truands névrosés que l’on désigne sous le nom de chimpira ainsi que des gangsters, d’une plus grande envergure toute relative, affiliés aux yakuzas qu’il abhorre, même s’il adopte un look vestimentaire assez similaire. On accompagne donc cet enquêteur dans ses investigations en parcourant les rues enneigées de ce quartier chaud où de petites lanternes signalent les bars à hôtesse afin d’attirer les clients en goguette désirant s’encanailler. Dans cette atmosphère particulière que l’auteur restitue avec beaucoup de réalisme et une certaine affection on apprend à connaître ce personnage attachant qui abuse du whisky japonais et ingurgite les cocktails comme du sirop en enchaînant les rencontres dans d’étranges bars où gravite toute la faune locale du quartier. Outre sa connaissance des lieux et sa propension à consommer de l’alcool plus que de raison on appréciera le regard caustique que le narrateur/enquêteur porte sur son entourage ainsi que son humour parfois sombre dont on ne saisit pas toujours la portée et les particularismes. Et puis il y a ces rencontres plus viriles où le détective encaisse les coups dans une succession de bagarres endiablées où il rend coup pour coup.

     

    Polar détonant dans le paysage de la littérature noire japonaise, Le Détective Est Au Bar est un curieux roman à l’intrigue à la fois classique et échevelée qui nous permet d’entrevoir un autre aspect méconnu du Japon et de sa vie nocturne.

     

    Naomi Azuma : Le détective Est Au Bar (Tantei Wa Bar Ni Iru). Atelier Akatombo 2020. Traduit du japonais par Alice Hureau.

     

    A lire en écoutant : Amazon de Earl Klugh. Album : Dream Come True. 1980 Capitol Record, LLC.

  • KRIS NELSCOTT : BLANC SUR NOIR. SUR LE FIL DU RASOIR.

    Capture d’écran 2020-12-18 à 12.19.58.pngLes éditions de l’Aube ont eu l’excellente idée de remettre au goût du jour la série de romans policiers mettant en scène le détective privé Smokey Dalton dont on ne trouvait les ouvrages qu’en format poche. C’est donc l’occasion de découvrir cet enquêteur afro-américain dont les enquêtes se déroulent à Chicago durant la période des années soixante alors que les Etats-Unis entament de profondes réformes issues de l’intense lutte pour l’obtention des droits civiques au bénéfice de la communauté afro américaine, mouvement dont plusieurs leaders trouvèrent la mort qui déclenchèrent des émeutes sanglantes. C’est d’ailleurs autour des événements entourant l’assassinat de Martin Luther King que débute la série avec La Route De Tous Les Dangers où Smokey Dalton prend en charge Jimmy, un petit garçon témoin du meurtre de l’emblématique pasteur. Fuyant le FBI et trouvant refuge à Chicago, on retrouve Smokey Dalton dans A Couper Au Couteau dont l’intrigue se focalise autour de la période de la fameuse convention des Démocrates de 1968 qui fut le théâtre d’une émeute sévèrement réprimée par la police de Chicago. Tout comme les deux romans précédents qu’il est recommandé de lire avant d’entamer ce troisième opus, on croise donc, dans Blanc Sur Noir, quelques personnages historiques à l’instar de Fred Hampton, responsable du Black Panther Party à Chicago, alors que Smokey Dalton enquête sur la mort d’un dentiste dont on a retrouvé le cadavre dans un parc public de la ville.

     

    Désormais installé à Chicago, Smokey Dalton se fait connaître en rendant de multiples services à la communauté noire de son quartier. Détective privé à son compte, sa réputation est arrivée aux oreilles de Madame Foster qui veut savoir ce qu’il s’est réellement produit dans le parc Washington où son mari a trouvé la mort, victime d’un coup de poignard. Pour la police, l’affaire est passée aux oubliettes en estimant qu’il ‘s’agit tout simplement d’un règlement de compte entre bandes rivales et que la mort d’un afro américain ne vaut pas la peine que l’on fournisse des efforts afin d'identifier le meurtrier. Mais Smokey Dalton doute fortement que ce dentiste à la vie rangée puisse avoir fait l’objet d’une agression liée à un gang, ceci d’autant plus lorsqu’il découvre des similarités dans plusieurs affaires de meurtres qui n’ont jamais été résolues. Se pourrait-il qu’il y ait un lien avec ce nouveau phénomène où des personnes de couleur nouvellement enrichies s’installent dans des quartiers plus aisés et plus sûrs dont la plupart des résident sont blancs ? Se pourrait-il que l’un ou plusieurs de ces résidents aient fixés des limites qu’il ne faut pas franchir ? Smokey Dalton va avoir bien du mal à enquêter dans un quartier où un noir rôdant dans les environs n'est pas le bienvenu, surtout lorsqu’il est détective et qu’il se mêle de ce qui ne le regarde pas.

     

    Avec Blanc Sur Noir, Kris Nelscott s’éloigne des événements majeurs qui ont entouré le mouvement afro-américain des droits civiques pour se focaliser sur le quotidien d’un ghetto noir gangréné par les gangs. On observe ainsi la difficulté des rapports entre parents désemparés et jeunes qui intègrent, plus ou moins de gré ou de force, des gangs prenant le prétexte de la lutte pour les droits civiques pour s’adonner à des activités illicites comme le racket ou le trafic de drogue à l’instar des Blackstone Rangers. C’est donc autour des rapports entre Smokey Dalton et son fils adoptif Jimmy que l’on prend la pleine mesure des problèmes qui touchent une jeunesse qui ne trouverait d’avenir que dans l’intégration d’un gang qui fréquente les alentours des écoles afin de recruter de nouveaux membres. A partir de là on comprend la démarche de certains membres les plus aisés de la communauté qui décident de déménager vers des quartiers beaucoup plus favorisés mais majoritairement occupés par des blancs. C’est donc au travers du crime que Kris Nelscott souligne ainsi la difficulté que présente la cohabitation entre deux communautés avec cette inquiétude des blancs qui voient d’un mauvais oeil l’arrivée de nouveaux voisins noirs qui risquent de dévaluer la valeur de leur bien immobilier. On constate ainsi les discriminations qui s’opèrent au quotidien à l’exemple de ce supermarché où Smokey Dalton effectue ses achats en dépit de l’hostilité des employés et de son directeur qui cherchent tous les prétextes pour l’en empêcher. 

    Blanc Sur Noir nous donne également l’occasion de retrouver quelques personnages récurrents comme Truman Johnson, le flic noir sur lequel Smokey Dalton peut s’appuyer dans le cadre de ses enquêtes et Laura Hathaway, une femme d’affaire blanche, décidée à reprendre la direction de la société de son défunt père. C’est par le prisme de cette femme que l’on observe également les discriminations faites aux femmes avec un comité de direction qui n’entend pas céder ses prérogatives à une personne de la gente féminine qui serait incapable d'assumer une telle charge. Discrimination raciale, discrimination de genre et cohabitation entre deux communautés, on appréciera l’intrication de ces trois thèmes autour d’une série de meurtres que Smokey Dalton va tenter de résoudre au gré d’un récit qui souffre parfois de quelques longueurs et d’un épilogue au happy-end un peu surfait. Néanmoins on ne manquera pas de savourer la finesse et la justesse d’un récit qui fait écho aux événements en lien avec le mouvement Black Lives Matter qui fait la démonstration des discriminations qui subsistent encore de nos jours.

     

    Rigoureux roman policier historique restituant l'atmosphère d'un ghetto afro américain de Chicago durant la période des années soixante, Blanc Sur Noir conjugue avec brio l'intrigue policière au climat social de l'époque pour nous livrer un récit saisissant qui ne fait que confirmer tout le bien que l'on pense de la série mettant en scène le charismatique détective privé Smokey Dalton.

     

    Kris Nelscott : Blanc Sur Noir (Thin Walls). Editions de l’aube/L’aube noire 2018. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Luc Baranger.

     

    A lire en écoutant : Misterioso par Thelonius Monk. Album : Misterioso/Thelonius Monk Quartet. 2012 Concord Music Group. 

  • JEANINE CUMMINS : AMERICAN DIRT. SANG FRONTIERE.

    Capture d’écran 2020-11-29 à 17.35.40.pngC’était portant réglé comme sur du papier à musique. L’annonce d’un contrat à sept chiffres pour l’achat du manuscrit, des auteurs en vue comme John Grisham ou Stephen King qui encensent l'ouvrage, nul doute que American Dirt, nouveau roman de Jeanine Cummins, allait connaître le parcours fulgurant du best-seller à l’américaine. Mais peut-on parler d’immigration clandestine, et plus particulièrement de celle provenant de la frontière avec le Mexique, lorsque l’on n’est pas soi-même issue de cette communauté ? Aux Etats-Unis où le communautarisme est désormais bien ancré, la question a suscité une polémique au point tel que la romancière a dû interrompre sa tournée pour des raisons de sécurité tandis qu’une pétition signée par une centaine d’auteurs demandait le retrait de l’ouvrage des recommandations de la papesse de la télévision, Oprah Winfrey. A l’heure d’un thème sulfureux comme l’appropriation culturelle qui porte désormais des connotations négatives, une grande partie de la diaspora latino a donc estimé que même si Jeanine Cummins a une grand-mère portoricaine et un mari européen qui fut un temps sans papier, elle n’était pas autorisée à évoquer un sujet si sensible que l’immigration clandestine à une période où un président parlait de bâtir un mur pour régler le problème. Voilà où nous en sommes aux Etats-Unis, lorsqu’il s’agit de choisir le thème d’un roman. Pourtant, même s’il est imparfait ou comporte quelques inexactitudes comme le mentionne certains écrivains, doit-on se priver d’un roman qui évoque le drame quotidien de migrants qui tentent de franchir la frontière américaine, en quête d’un monde meilleurs ? La réponse est assurément non quand bien même pourrait-on éprouver quelques déceptions tant les promesses sont grandes à l’instar d’un bandeau racoleur de Don Winslow évoquant « les raisins de la colère de notre temps ».

     

    Libraire à Acapulco, Lydia est mariée à Sebastián, un journaliste qui traite du sujet délicat des narcotrafiquants qui sévissent dans la région. Alors qu’il publie un portrait du chef d’un des cartels, Lydia découvre qu’il s’agit de Javier un étrange client érudit, fan comme elle de Gabriel Garcia Marques, et avec qui elle s’est liée d’amitié. La parution de l’article bouleverse la vie de Lydia qui doit prendre la fuite avec son fils de huit ans, prénommé Luca et désormais seul survivant du massacre qui a décimé l’ensemble de sa famille. Traqués par les membres du cartel, Lydia et Luca entame le périple des migrants en provenance du sud du continent qui font route vers les Etats-Unis. Un périple dantesque, sur le toit de la Bestia, dénomination des trains de marchandises qui roulent vers le nord. Une route semée d’embûches où il faut affronter policiers corrompus et sicarios déterminés pour franchir cette frontière hostile où le désert devient un piège mortel.

     

    American Dirt débute assurément comme un roman noir avec une mise en scène à la fois subtile  et bouleversante où la romancière décline le massacre d’une famille par le prisme de son héroïne et de son fils trouvant refuge dans une salle de bain tandis que les coups de feu résonnent tout autour d’eux. Dès lors il ne s’agit plus que de sensations terribles  avec cette mise en exergue de la frayeur latente d’être découvert par les sicarios qui achèvent tous les membres de la famille réunis autour d’un barbecue qui vire à la tragédie. A partir de là, on observe la fuite de Lydia et de son fils Luca qui n’ont pas d’autre choix que prendre la route qu'empruntent tous les migrants du sud du continent américain, afin de trouver refuge aux Etats-Unis. Durant ce parcours dantesque, Lydia se remémore ses liens avec Javier, le commanditaire du massacre, avec qui elle s’était liée d’amitié sans savoir qu’il s’agissait du chef du Cartel de Jadineros sévissant dans l’état de Guerrero. S’attendant à une confrontation avec ce personnage ambivalent qui semblait assez prometteur, on regrettera son absence au fur et à mesure d’un périple qui manque singulièrement d’ampleur pour se concentrer sur la fuite de Lydia et de Luca, deux personnages attachants qui se fraient un chemin dont les embûches semblent se régler miraculeusement, un peu à l’américaine, à l’instar de la manière dont ils trouvent le moyen de combler le manque d’argent qu’ils doivent remettre à leur passeur. On assiste ainsi à une succession de rencontres comme celles de Rebeca et Soledad, deux soeurs au parcours terrible qui viennent du Honduras ou de Beto, une jeune garçon asthmatique que Lydia prend sous son aile. Une manière comme une autre de découvrir des parcours différents de migrants qui semblent pourtant sonner assez faux en se demandant, entre autre, comment ces individus ont pu amasser une somme si importante pour franchir la frontière. Parce qu’en se concentrant sur la fuite de Lydia et de Luca, Jammie Cummins semble oublier l’ensemble de la situation des migrants avec une vision assez étriquée du problème occultant ainsi une vision globale de la situation qui n'en fera donc pas « les raisins de la colère de notre temps ». Toutefois, même si le récit est effectivement truffé d’inexactitudes ou d’approximations quand ce ne sont pas tout simplement des stéréotypes à l’image d’un Mexique qui semble uniquement gouverné par les trafiquants, on appréciera cette aventure qui a tout de même le mérite de nous donner l’image de ce que peut être l’enfer que vivent ces migrants en tentant de franchir la frontière en quête d’une vie meilleure.

     

    Parfois traité sur un mode un peu trop sensationnaliste, American Dirt devient un thriller assez convenu dont on devine un épilogue à l’américaine, assez commun, qui décevra quelque peu des lecteurs qui attendaient, tout comme moi, beaucoup de ce roman que l’on disait pourtant prometteur. Décevant au final.

     

    Jeanine Cummins : American Dirt (American Dirt). Editions Philippe Rey 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché. 

     

    A lire en écoutant : La Pistola Y El Corazón de Los Lobos. Album : La Pistola Y El Corazón. 1988 Slash Records Inc.

  • Abir Mukherjee : L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling. Indian connection.

    Abir Mukherjee, l'attaque du Calcutta Darjeeling, éditions liana leviComme son nom ne l’indique pas, Abir Mukherjee est un romancier britannique qui a vécu une majeure partie de sa vie en Ecosse et plus particulièrement à Glascow, une ville qui a connu gloire et déclin tout comme Calcutta, cité de l’état du Bengale, où se déroule les aventures du capitaine Sam Wyndham, ancien agent de Scotland Yard et vétéran de la première guerre mondiale qui choisit d’intégrer la police impériale du Bengale. Secondé du sergent Satyendra Barnejee, natif de cette Inde colonisée par les britanniques, les deux personnages incarnent finalement les deux facettes d’un auteur qui a baigné entre la culture anglaise et la culture indienne dont ses parents sont originaires. Premier opus d’une série qui compte déjà quatre ouvrages, L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling se présente sous la forme d’un récit policier aux consonances historiques, non dénué d’humour, qui débute en 1919 alors qu’une vague d’agitation secoue l’ensemble du pays déjà en quête de son indépendance qui n’est pas au goût d’un occupant britannique bien décidé à conserver l’un des plus grands joyaux de son empire.

     

    Calcutta, 9 avril 1919. A peine débarqué en Inde et investi de sa fonction de capitaine au sein de la police impériale du Bengale, le capitaine Sam Wyndham doit enquêter sur le meurtre d’un haut fonctionnaire de la colonie dont on a retrouvé le corps dans les bas-fonds de la ville, à proximité d’un bordel offrant ses services aux notables de la cité. Avec l’appui du sergent Satyendra Barnejee, le capitaine Wyndham va mener ses investigations au coeur d’une ville complexe dont la chaleur moite et frelatée semble susciter quelques vocations de révolte à l’encontre des occupants britanniques. Grèves et émeutes secouent la cité ainsi que les régions avoisinantes avant de se propager dans tout le pays, rendant les investigations d’autant plus compliquées que ce sont les services secrets militaires qui s’en mêlent en trouvant au sein des groupuscules terroristes, le coupable idéal. Mais Wyndham est bientôt convaincu que la solution est loin d’être aussi simpliste et va poursuivre ses investigations en dépit des conseils avisés de ses supérieurs.

     

    Tournant autour d’une trame historique qui prend pour cadre l’indépendance de l’Inde, L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling se focalise sur le massacre d’Amritsar où des soldats britanniques tirèrent sur des manifestants indiens qui protestaient contre le Rowlatt Act, un décret autorisant le gouvernement à emprisonner arbitrairement les agitateurs qui avaient des velléités d’indépendance. On croise donc ainsi le brigadier-général Dryer, responsable du massacre qui fit plusieurs centaines de morts et plus d’un millier de blessés. Outre ce sinistre personnage historique, on découvre également tout ce qui se trame autour du vice-gouverneur du Bengale avec l'influence des différents services gouvernementaux et des.notables du pays qui cherchent tous à obtenir ses bonnes grâces afin de mener à bien leurs affaires respectives. C'est dans un tel contexte qu'évolue le capitaine Sam Wyndham, personnage central de la série, au sein d'une ville de Calcutta sous tension que l'auteur décrit avec force de détails afin de nous immerger dans cet environnement exotique plutôt suffoquant. L'esprit ravagé par les souvenirs de la Grande Guerre, accroc aux drogues opiacées, le capitaine Wyndham est un homme de devoir qui sait pourtant se remettre en question en trouvant parfois l'inspiration dans les fumeries d'opium qu'il fréquente assidument en parcourant ainsi les bas-fonds de la ville pour ensuite nous entrainer dans les grands salons que fréquentent le gotha britannique. L'auteur nous permet ainsi d'avoir une vue d'ensemble de cette ville de Calcutta qui oscille entre le charme des quartiers de la bourgeoisie anglaise et le cauchemar des bas quartiers peuplés et miséreux qu'occupent la population indienne dont on perçoit les difficultés par l'entremise du sergent Satyendra Barnejee dont la loyauté vis à vis de l'occupant est mise à mal par les excès que commettent l'armée britannique qui tente de mater la révolte qui gronde dans le pays. Sur fond d'émeutes et de complots pour court-circuiter une enquête aux entournures politiques, l'intrigue qui débute sous la forme d'une enquête policière se poursuit sur le registre d'un récit d'aventure aux contours surprenants qui ne manqueront pas de bousculer le lecteur qui ne découvrira qu'en toute fin de récit le dénouement d'une enquête passionnante. 

     

    Sur fond d'un humour grinçant qui met en exergue la dichotomie entre deux cultures intrinsèquement opposées, L'Attaque Du Calcutta-Darjeeling, nous permet de faire la connaissance de ce duo atypique que forme le capitaine Wyndham et le sergent Barnejee dans le contexte exotique de l'Inde dont on découvre les débuts d'une quête vers l'indépendance qui va durer plusieurs années. Passionnant. 

     

     

    Abir Mukherjee : L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling (A Rising Man). Editions Liana Levi 2019. Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle.

     

    A lire en écoutant : Sampooran de Meekal Hasan Band. Album : Sampooran. 2004 MHB Music.