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03. Roman policier - Page 28

  • Boris Quercia : Les Rues de Santiago. A feu et à sang.

    polar chili,éditions asphalte,boris quercia,les rues de santiagoBon d’accord, le roman noir rural. Ok, le polar nature writing. Mais tout de même, quel plaisir de retrouver cet environnement urbain qui sent bon le bitume surchauffé, le gaz d’échappement asphyxiant. Il y a le bruit, la foule et cette ambiance survoltée propice aux intrigues les plus violentes. Bref un bon bol de pollution pour se remettre de toute cette chlorophylle absorbée durant ces pérégrinations campagnardes. C’est d’autant plus agréable lorsque l’on se rend dans un pays comme le Chili pour arpenter Les Rues de Santiago de Boris Quercia qui est certainement l’une des très belles découvertes du polar hardboiled que l’on doit aux Editions Asphalte.

     

    L’inspecteur Santiago Quiñones n’a vraiment pas envie de tuer aujourd’hui. Il planque avec son équipe pour faire tomber des membres du gang des Guateros. Mais à Santiago du Chili les opérations policières ont une fâcheuse tendance à se conclure par une fusillade et c’est un gangster de 15 ans qui est abattu par Quiñones. Un peu de paperasse et une ballade dans les rues de la ville pour décompresser et se changer les idées en suivant une belle jeune femme sans se rendre compte qu’elle est également filée par un ex collègue devenu détective privé. De planques en filatures, le jeu tourne mal, lorsque le détective privé est poignardé en pleine rue, quasiment sous les yeux de Quiñones. Qui pouvait donc en vouloir ainsi à son ex partenaire ?

     

    On est tout d’abord surpris par ce personnage de flic magouilleur, qui tente de se fondre dans ce paysage de corruption institutionnalisée. Amateurs de belles femmes il se lance, parfois à son corps défendant, dans des combines véreuses et ne refuse pas, de temps à autre, un petit rail de coke pour se remonter le moral. Néanmoins derrière cette image peu reluisante, l’homme est souvent en proie au doute et se livre à des introspections d’une acuité saisissante sur son métier, sa relation avec la belle Marina mais également sur tout ce qui concerne sa jeunesse et notamment ses relations avec son père. Au final, Santiago Quiñones est un flic lambda, ni bon, ni mauvais, qui fait son métier du mieux qu’il peut dans un univers brutal et violent. Parfois veule, parfois courageux, souvent absorbé par ses réflexions, Santiago Quiñones incarne toute l’ambivalence d’un personnage profondément humain qui peut se révéler complètement démuni et terrorisé lorsqu’il doit faire face à un gang avide de vengeance.

     

    Avec Les Rues de Santiago le nœud de l’intrigue tourne autour d’une escroquerie immobilière qui illustre parfaitement l’ambiguïté de ces institutions corrompues par le biais de ces flics un peu véreux, mais pas foncièrement malhonnêtes qui vont apporter du soutien à une vieille dame tout en servant leurs propres intérêts lors d’une scène à la fois cocasse et morbide. Entre pragmatisme, débrouillardise et respect du règlement chacun fait rapidement son choix pour tirer son épingle d’un jeu qui est forcément biaisé au sein d’une société en pleine décomposition. Mais forcément, la corruption engendre son lot d’actes déloyaux et de magouilles peu reluisantes qui ne resteront pas sans conséquence et qui altéreront la confiance entre les différents protagonistes.

     

    Même si le fond est désespéré et décourageant, Boris Guerçia ne cède pas à cette noirceur exacerbée propre au genre et l’on est ainsi surpris par la tonalité optimiste et enjouée d’un texte vif qui livre par l’entremise de la voix de son personnage principal le fruit de réflexions et d’observations constamment teintées d’un humour parfois malicieux. L’ouvrage oscille entre la violence assez rude de certaines scènes qui n’épargne pas le lecteur et l’envoûtement des réminiscences d’une jeunesse perdue où l’émotion latente habille un personnage captivant.

     

    Et puis il y a cette ville trépidante, turbulente que l’on arpente à longueur de chapitres dans une déclinaison de petits instants quotidiens où l’auteur dépeint, par petites touches très visuelles, une cité que l’on se prend à apprécier au gré de ses cafés bruyants aux effluves enivrantes et de ses rues animées par une foule bigarrée. C’est dans ce décor urbain que Boris Quercia met en scène des règlements de compte entre avocats véreux et flic douteux qui doivent également faire face à la violence de gangs n’hésitant pas à faire usage de leurs armes. Et puis il y a les femmes qui sont forcément fatales en générant rivalités, jalousies dans un climat à la fois sensuel et malsain. Mais au delà du cliché machiste il y a également cette idylle naissante entre Quiñones et Marina générant de très belles scènes de tendresse qui ne sombrent jamais dans la mièvrerie.

     

    Rudes et fiévreuses Les Rues de Santiago déchaînent leurs lots de violences et de passions sur fond de corruption et de combines douteuses. Un polar percutant dont la force de l’impact n’a pas fini de vous faire frémir. Déroutant et séduisant.

     

    Boris Quercia : Les Rues de Santiago (Santiago Quiñones, Tira). Editions Asphalte 2014. Traduit de l’espagnol (Chili) par Baptiste Chardon.

    A lire en écoutant : Loca de Chico Trujilo. Album : Chico de Oro. Barbès Records 2010.

  • VALERIO VARESI : LE FLEUVE DES BRUMES. ET VOGUE LE NAVIRE.

    éditions agullo, le fleuve des brumes, valerio varesi, polar italienNouvelle venue dans le monde littéraire, Agullo Editions porte le nom de Nadège Agullo, ancienne cofondatrice de Mirobole Editions, une maison publiant des romans noirs issus de terres étrangères méconnues. Pour ce nouveau voyage elle est accompagnée de Sébastien Wespiser, libraire avisé, passionné et amateur de beaux textes qu’il n’a de cesse de faire partager et parmi lesquels figure le prodigieux roman Les Noirs et les Rouges d’Alberto Garlini. Une belle association donc pour cette maison d’éditions prometteuse qui s’embarque sur le registre des publications atypiques. Et puisque j’ai évoqué l’Italie et le fascisme par le biais du roman de Garlini, restons-y pour découvrir Le Fleuve des Brumes de Valerio Varesi qui inaugure une série mettant en scène le commissaire Soneri.

     

    Puisqu’il s’agit d’une nouvelle maison d’édition il faut tout d’abord dire un mot sur le superbe concept de la maquette du livre composée d’un couverture légèrement rugueuse et d’un bandeau mettant en exergue le titre du livre ainsi que les différents vins servis durant le récit dans l’auberge d’Il Surdo comme pour prolonger l’ambiance d’un roman où le plaisir de la table fait partie des instants chaleureux d’un récit se déroulant durant une période hivernale froide et humide.

     

    Rien ne va plus au cercle nautique. Le Pô est en crue et a emporté dans son sillage indolent une énorme barge antique, mystérieusement libérée de ses amarres. Dans la brume nocturne, l’embarcation vogue telle un navire fantôme avant de s’échouer à l’aube sur une berge sablonneuse. Son capitaine semble avoir disparu et le cas est d’autant plus troublant que son frère est retrouvé, le jour même, mort défenestré. En charge de la levée de corps, le commissaire Soneri va rapidement découvrir que les deux frères ont servi, cinquante ans plus tôt, dans une milice fasciste qui a sévi dans la région. Au rythme de la crue et de la décrue, le Pô met en scène les terribles révélations d’un passé s’étiolant inexorablement dans les brumes de l’oubli. Les rancœurs peuvent-elles survivre à l’usure du temps ?

     

    L’incarnation du fleuve donne tout son sens à ce roman dont l’intrigue se noue et se dénoue au lent rythme d’une crue et d’une décrue inexorable dévoilant des pans d’une histoire que l’on pensait enfouie dans les brumes de l’oubli. Des histoires anciennes qui refont surface au travers d’un texte envoûtant dégageant une atmosphère trouble et prenante dans laquelle le lecteur installera son imaginaire en arpentant une région mystérieuse empreinte d’une certaine générosité qui s’incarne par le biais des vins et des plats typiques servis dans l’auberge d'Il Sourdo où le commissaire Soneri installe ses quartiers afin de résoudre cette affaire tortueuse.

     

    Il y a cette brume qui s’insinue partout, tout comme l’eau qui ronge les berges d’un paysage hivernal qui, peu à peu, se fige sous l’assaut du givre. Deux éléments omniprésents qui rappellent la mémoire et le remord rongeant les cœurs de protagonistes figés dans un passé qui n’inspire plus qu’une mélancolie teintée de regrets. C’est dans ces décors sublimes, emprunts d’une troublante poésie nostalgique, que le commissaire Soreni explore le passé obscur de ces anciens qui se sont affrontés autrefois dans des combats sanglants évoquant ainsi cette période peu glorieuse de la République de Salò. L’auteur installe donc son personnage sur le registre de l’enquêteur solitaire à l’écoute des autres en s’immergeant dans le contexte du crime qu’il doit résoudre. Dans une atmosphère de méfiance, voire même de défiance le commissaire Soreni dénoue peu à peu les nœuds d’une intrigue sombre qui trouve sa résolution dans un passé historique qui secoue encore la conscience de ses habitants.

     

    Malgré son côté individualiste le commissaire Soneri s’adjoint la collaboration de plusieurs collègues tout en bénéficiant de toutes les ressources judiciaires nécessaires à la résolution d’une enquête qui pourrait aisément s’avérer insoluble et qui bénéficie parfois de hasards bien trop circonstanciés pour être tout à fait crédibles. Défauts mineurs qui ne nuisent nullement les qualités indéniables d’une intrigue bien ficelées, mettant en exergue les rivalités entre la police judiciaire et les carabiniers ainsi que les trafics d’êtres humains liés à l’immigration clandestine. Et puis il y a la belle Angela, compagne du commissaire, dont la sensualité quelque peu débridée donne droit à quelques scènes à la fois cocasses et surprenantes conférant au commissaire Soreni un supplément d’humanité.

     

    Avec Le Fleuve des Brumes, Valerio Varesi nous entraîne donc dans le cadre peu commun de cette belle région de Parme, endroit propice pour mettre en place quelques belles scènes se déroulant dans la zone d’inondation d’un fleuve impassible qui renferme au creux de son lit de troubles secrets inavouables. Mystérieux et envoûtant.

     

    Valerio Varesi : Le Fleuve des Brumes (Il Fiume Delle Nebbie). Editions Agullo Noir 2016. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Alle Prese Con Una Verde Milonga de Paolo Conte. Album : Concerti. CGD East West 1985.

     

     

  • Kris Nelscott : A Couper Au Couteau. Etat de siège.

    Capture d’écran 2016-05-08 à 21.38.34.pngEn librairie, lorsque vous ferez l’acquisition d’un roman de la série Smokey Dalton, vous aurez sans doute droit à un regard complice de la part du libraire qui vous classera immanquablement dans la catégorie des initiés. Il faut dire que cette série méconnue n’a pas connu le succès qu’elle serait pourtant en droit de mériter et que son auteur Kris Nelscott, pseudo de l’écrivaine Kristine Kathryn Rusch, semble avoir mis un terme aux aventures de son détective privé afro-américain évoluant dans le climat malsain des émeutes sociales qui secouaient les USA durant les années soixante.

     

    Après l’assassinat de Martin Luther King, Smokey Dalton a quitté précipitamment Memphis en compagnie du jeune Jimmy, témoin gênant du meurtre du charismatique révérend. Pourchassé par la police de Memphis et le FBI, Smokey Dalton et son petit protégé se sont installés, sous une fausse identité, dans la ville de Chicago où le détective a trouvé un emploi comme agent de sécurité au sein de l’hôtel Hilton. Mais avec la tenue de la convention des Démocrates et les rassemblements de mouvements contestataires menés par les Yippies, la ville sous pression, est truffée de policiers et d’agents gouvernementaux en tout genre. Une ville assiégée sous tension. Mais au cœur du ghetto, ce sont les petits garçons noirs qui meurent dans l’indifférence générale. Il ne reste alors que Smokey Dalton pour mener l’enquête, d’autant plus que ces enfants ont le même âge que Jimmy.

     

    Avant d’entamer ce second opus des enquêtes de Smokey Dalton, il est recommandé de lire le premier ouvrage, La Route de Tous les Dangers, tant les intrigues y sont étroitement liées. En installant son détective dans la ville de Chicago, l’auteure prend à nouveau le temps de nous immerger dans une ville des sixties qu’elle parvient à nous restituer d’une façon bluffante, au travers du quotidien des personnages qui traversent le récit. A la fois concise et précise, Kris Nelscott pose la trame historique d’une ville sous tension avec la convention des Démocrates et les rassemblements contestataires qui tournent finalement à l’émeute. Dans ce contexte où la nervosité est extrêmement palpable, l’auteure met en avant l’indifférence des autorités face aux disparitions et aux meurtres d’enfants issus des communautés afro-américaines.

     

    Des ghettos aux quartiers chics de Chicago, du Hilton où séjournent les Démocrates au parc Lincoln dans lequel se rassemblent les manifestants, Smokey Dalton arpente les rues de la ville en nous permettant de découvrir cette escalade infernale historique où la révolte et la contestation se heurtent aux enjeux sécuritaires d’un maire intransigeant. A la poursuite d’un tueur d’enfant, Smokey Dalton croise tout au long de son enquête les événements qui trouvent leur apogée au cœur des violentes confrontations entre les manifestants et les forces de l’ordre qui dégénèrent en émeutes. C’est dans ce contexte chaotique que son enquête trouvera son dénouement tragique dans un final dantesque et percutant.

     

    A Couper au Couteau, est un ouvrage charnière de la série Smokey Dalton car il prend pour cadre une nouvelle ville dans laquelle va évoluer notre héros en nous permettant de faire la connaissance de nouveaux personnages à l’instar de l’inspecteur Johnson, flic bourru mais intègre, que l’on va très certainement retrouver dans les prochaines enquêtes du détective Smokey Dalton.

     

    Tension narrative sur fond de tensions historiques, A Couper au Couteau est un récit explosif mené avec beaucoup de finesse et de sensibilité.

     

    Kris Nelscott : A Couper Au Couteau. Editions Points 2010. Traduit de l’anglais (USA) par Luc Baranger.

    A lire en écoutant : Sweet Home Chicago interprété par Eric Clapton. Album : Me and Mr. Johnson. WEA Internationale inc. 2004.

     

     

  • Benoît Séverac : Le Chien Arabe. Terrain miné.

    le chien arabe, Benoît Séverac, la manufacture de livres, toulouse, les izardsRésolument ancrée dans le monde criminel de la France contemporaine, la Manufacture de Livres présente la particularité d’aborder des thèmes dérangeants que bien peu d’autres maisons d’édition osent évoquer à l’instar du radicalisme islamiste qui prend parfois racine au cœur des cités de l’Hexagone. Ecrit après le sinistre parcours de Mohamed Merah et avant les tragédies qui ont secoué les villes de Paris et de Bruxelles, Le Chien Arabe de Benoît Séverac nous propose d’explorer les bas-fonds troubles d’une cité de la banlieue nord de Toulouse déchirée entre une économie souterraine de trafiquants et un réseau d’islamistes hostiles.

     

    Les Izards à Toulouse, cité sensible et plaque tournante du trafic de stupéfiants pour la région du sud-ouest. Tous les moyens sont bons pour faire transiter la marchandise. Désormais ce sont les chiens qui deviennent les mules discrètes des trafiquants de drogue. Enfermé dans une cave obscure, Samia choisi d’extirper l’un d’entre eux des griffes de son frère afin de le faire soigner. La jeune fille confie l’animal à Sergine Ollard, vétérinaire atypique, qui va se retrouver au cœur d’un règlement de compte entre des dealers sans scrupules et une cohorte d’islamistes qui semblent prêts à en découdre. Intrigues et complots visant à faire trébucher l’adversaire, c’est dans un contexte explosif que Sergine Ollard va tenter de dénouer les ramifications entre des criminels endurcis et des terroristes déterminés. En arbitre, quelque peu dépassée, l’adjudant-chef Nathalie Decrest aura bien du mal à contenir cette vague hostile qui va déferler sur le quartier.

     

    Ce qui surprend tout d’abord avec Le Chien Arabe c’est cette tonalité naturaliste qui imprègne ce roman noir prenant pour cadre une cité sensible de la banlieue de Toulouse. On sort ainsi de ces stéréotypes sensationnalistes dépeignant régulièrement les cités que l’on découvre dans de nombreuses intrigues manquant singulièrement de réalisme et préférant s’orienter vers une vision caricaturale à la « Banlieue 13 ». On perçoit notamment, au travers du récit, que l’auteur connaît parfaitement bien les lieux dans lesquels il met en scène ses personnages, en nous permettant ainsi de nous immerger dans le quotidien d’une ville que l’on arpente dans tous les sens, sans pour autant tomber dans la vacuité du fascicule touristique ne servant qu’à dépayser le lecteur d’une manière parfois bien trop superficielle. Outre l’aspect géographique, Benoît Séverac parvient à dresser une espèce de portrait sociologique en confrontant le quotidien du citoyen « ordinaire » avec cette économie souterraine qui ronge le cœur des cités.

     

    L’amorce de l’intrigue est à la fois simple et originale, permettant ainsi de mettre en scène Sergine Ollard, une vétérinaire plutôt singulière, qui va, parfois de manière très maladroite, tenter de venir en aide à cette jeune adolescente confrontée aux affres des traditions familiales et aux frasques de son frère aîné, impliqué dans un trafic de drogue d’une certaine ampleur. Elle incarne ce quotidien banal, presque ennuyeux, avant de se retrouver soudainement bousculée par l’imprévisibilité des événements. L’autre personnage fort du roman, c’est bien évidemment cette policière en uniforme, l’adjudante Nathalie Decrest, régulièrement tiraillée entre les injonctions paradoxales des différents services de police dépassés qui ne parviennent pas à prendre la pleine mesure de la fracture sociale secouant la cité.

     

    Emprunt de doutes mais définitivement aveuglé par les certitudes de son frère qu’il admire et par les prêches de l’imam qui le guide, Hamid Homane est un jeune homme à la fois poignant et terrifiant qui nous entraîne dans ce déferlement de violence qui va bouleverser toute la cité dans une scène finale absolument dantesque. On y décèle d’ailleurs quelques similitudes avec la confrontation entre Mohamed Merah et les forces de police lors de l’assaut final.

     

    Dénué de jugement, de sensationnalisme et de toute velléité hostile à l’encontre d’une communauté, Benoît Séverac expose, avec une grande justesse et beaucoup de subtilité, les problèmes d’une société contemporaine qui doit faire face aux grands défis du vivre ensemble dans un monde globalisé et multiculturel et ceci particulièrement dans un univers précarisé. Le Chien Arabe nous présente donc les conséquences tragiques de ces espaces urbains relégués au second plan et bien trop souvent stigmatisés d’où jaillissent des explosions de violence aux conséquences de plus en plus dramatiques.

     

    Epoustouflant, intelligent, Le Chien Arabe est un brillant roman noir, résolument ancré dans les problèmes sociaux de notre époque. Une réflexion romancée sur les sujets graves et sensibles d’aujourd’hui pour tenter de les comprendre, c’est peut-être en cela que la collection La Manufacture de Livres se distingue des autres maisons d’éditions consacrées aux polars.

     

    Benoît Séverac : Le Chien Arabe. La Manufacture de Livres 2016.

    A lire en écoutant : Au Quartier de IAM. Album : Saison 5. Polydor 2007.

  • Craig Johnson : Tous les Démons Sont Ici. Au plus haut de cieux.

    Capture d’écran 2016-02-19 à 17.56.18.pngRecommandés pourtant chaleureusement, je n’ai jamais été particulièrement séduit par les romans de Craig Johnson mettant en scène les aventures du shérif Walt Longmire dans le comté fictif d’Absaroka au Wyoming. S’il s’agit de la série emblématique de Gallmeister, elle est pourtant loin d’être représentative du catalogue de cette maison d’éditions, car au delà du fait qu’elle se situe dans les contrées sauvages des USA, l’aspect « nature writing » est quelque peu galvaudé sur fond d’intrigues assez convenues. Mettant en scène la communauté amérindienne, l’auteur effleure le sujet d’une manière superficielle qui ne supporte pas la comparaison avec l’œuvre de Tony Hillerman. Comparaison n’est pas raison répliqueront les nombreux fans du désormais fameux shérif du Wyoming que l’on retrouve dans une série télé qui ne fait que me conforter dans mon appréciation.

     

    Néanmoins on ne peut passer à côté des piles d’ouvrages de Craig Johnson sans jeter un œil curieux et le résumé figurant sur le quatrième de couverture de Tous les Démons Sont Ici a de quoi attirer le lecteur.

     

    Ce n’est pas une sinécure pour le shérif Walt Longmire d’escorter des prisonniers au beau milieu des Bighorn Mountains, d’autant plus que parmi les détenus figure Raynaud Shade, un indien Crow considéré comme l’un des plus dangereux psychopathes des USA. Tueur d’enfants, il avoue avoir enterré l’un d’entre eux dans la région, plus précisément dans le comté d’Absaroka. Il revient donc au shérif Walt Longmire d’accompagner ce meurtrier dans une région balayée par un blizzard hostile. Mais le policier sous-estime le pouvoir de nuisance de son odieux prisonnier et l’expédition tourne mal. Au cœur des éléments déchaînés, Walt Longmire va devoir faire face à la mort et à la folie. Un périple insensé ; toujours plus haut, toujours plus loin, dans cet enfer glacé avec La Divine Comédie de Dante pour unique soutien.

     

    Tous Les Démons Sont Ici répond au titre original de l’ouvrage The Hell Is Empty pour former la tirade complète figurant dans La Tempête de Shakespeare où Ariel rapporte à Prospero les péripéties de la terrible tempête que son maître lui a commandée. Petit intermède culturel qui entre dans le cadre du roman avec l’adjoint Saizarbitoria qui tente de combler ses lacunes littéraires avec un pile d’ouvrages, dont la Divine Comédie de Dante, recommandés par les personnages récurrents de la série. Ces derniers restent d’ailleurs en marge d’un récit plutôt sombre et prenant où Walt Longmire est désormais livré à lui-même dans un décor grandiose que l’auteur parvient à mettre en valeur avec une belle maîtrise. L’hostilité de la tempête dans laquelle évolue les acteurs du roman devient à elle seule un personnage démoniaque animé d’intentions furieuses qui ne sont pas sans rappeler les éléments tumultueux de La Tempête de l’illustre dramaturge anglais.

     

    Avec Tous Les Démons Sont Ici, Craig Johnson met en scène une traque saisissante où la proie devient le prédateur avec Raynaud Shade en quête d’une rédemption meurtrière pour apaiser les voix qui hantent son esprit. Un personnage tout à la fois inquiétant et charismatique qui hante les pages de ce roman saisissant avec une alternance d’instants quasiment oniriques et d’actions percutantes à l’instar de cette tempête de feu dantesque (le mot est faible) à laquelle le shérif légendaire doit faire face. Toujours effleurée la culture amérindienne devient un prétexte permettant de mettre en scène des légendes mystérieuses avec des esprits et des fantômes que seuls le tueur psychopathe et le policier sont à même de percevoir, créant ainsi un lien tenu entre ces deux antagonistes perdus au cœur d’un territoire aussi hostile qu’étrange.

     

    Septième roman narrant les aventures du sheriff Walt Longmire, Tous Les Démons Sont Ici met en veilleuse les intrigues parallèles formant une espèce d’arche qui alimente toute la série. Cette orientation salutaire permettra au lecteur d’appréhender le récit sans avoir la nécessité de lire les ouvrages précédents en découvrant un thriller sauvage et flamboyant. Me voilà réconcilié avec Craig Johnson.

     

    Craig Johnson : Tous Les Démons Sont Ici (Hell Is Empty). Editions Gallmeister/Collection Noire 2015. Traduit de l’anglais USA par Sophie Aslanides.

    A lire en écoutant : To Bring You My Love de PJ Harvey. Album : To Bring You My Love. Universal-Island Records Ltd 1995.