Jim Thompson : Pottsville, 1280 Habitants. Noir c'est noir.
Toutes les occasions sont bonnes pour parler de ce roman noir légendaire, ce d’autant plus lorsque le romancier Jean-Jacques Busino vous offre l’ouvrage dans sa version originale, publié en 1964 et affichant un prix de vente de l’époque s’élevant à 40 cents. Pop. 1280 de Jim Thompson figurera dans la mythique Série Noire en 1966, en endossant le prestigieux numéro 1000 de la collection, avec une traduction quelque peu tronquée du directeur de la maison d’éditions, Marcel Duhamel himself, ainsi qu’une soustraction de cinq habitants puisque l’on passe à 1275 Âmes (Série Noire 1969). On s’écharpera sans doute à définir qu’elle est le meilleurs roman de l’oeuvre magistrale de ce romancier iconique dont les textes figurent, aujourd’hui encore, au Panthéon de la littérature noire, avec cette saisissante capacité à capter les sombres tréfonds de l’âme humaine dont il nous dévoile les tourments obscurs et abjects avec des personnages emblématiques telles que le shérif Nick Corey, incarnation du nihilisme extrême. Le paradoxe de ce talent fou, c’est que Jim Thompson n’a jamais véritablement connu la consécration de son vivant et qu’il a effectué une kyrielle de jobs alimentaires afin de subvenir à ses besoins, en passant de groom dans un hôtel où il fournit la clientèle en drogue et en alcool, pour ensuite travailler avec son père dans les champs de pétrole du Texas, puis rédiger des articles pour de la presse à scandale ainsi que des textes pour les pulps avant de se lancer finalement dans l’écriture de romans suscitant l’intérêt de Stanley Kubrick avec qui il collaborera en tant que scénariste sur L’Ultime Razzia et Les Sentiers De La Gloire, même si sa carrière au sein de l’industrie hollywoodienne se révélera peu fructueuse. C’est donc tout le chaos de ce parcours de vie que l’on retrouve dans l’oeuvre de Jim Thompson suscitant un regain d’intérêt, avec la publication de l’ensemble de ses textes dans une autre collection prestigieuse, Rivages/Noir sous la houlette de
François Guérif qui fait en sorte de retraduire ses romans dans leurs versions intégrales. Dès lors, on bénéficiera en 2016 d’une excellente traduction de Jean-Paul Gratias restituant l’intégralité de l’atmosphère âpre de Pop. 1280 dont le titre en français retrouve ses cinq habitants disparus avec Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) où figure sur la couverture granuleuse de l'ouvrage, la silhouette de cet homme endormi sur une chaise, posté devant le bureau du shérif. On ne compte plus vraiment toutes les réimpressions en français de ce chef-d'oeuvre qui sera adapté à une seule reprise au cinéma en 1981 par Bertrand Tavernier qui transposera l'action dans l'Afrique coloniale française avec
Coup De Torchon en restituant avec beaucoup de justesse tout l'aspect du racisme ambiant que Jim Thompson dénonçait sous la forme de cette ironie grinçante qui imprègne son texte. Ainsi, pour cette année 2025, on notera une nouvelle édition avec une superbe illustration de Miles Hyman ornant la couverture du livre et d'où émerge la tension latente de cette somptueuse incarnation du mal dans un dépouillement de moyen absolument magistral et qui demeure ce qui se fait encore de mieux dans le genre du roman noir. Un véritable classique, bien au-delà des genres d'ailleurs.
En 1917, Nick Corey officie comme shérif du comté de Pottsville, petite bourgade du Texas, comptant à peine 1280 administrés qu’il fait en sorte de laisser tranquille au grand dam de certains d’entre eux qui envisagent de voter pour le candidat rival qui semble beaucoup plus impliqué que celui qu’ils jugent comme un véritable fainéant, peu impliqué dans son travail. Il faut dire qu’il apparait plutôt placide, un brin stupide ce d’autant plus qu’il se fait humilier par deux souteneurs qui tiennent le bordel de l’agglomération ainsi que son homologue de la ville voisine qui n’hésite pas à lui botter le cul. Et pour couronner le tout, Nick Corey doit composer avec sa femme Myra qui lui mène la vie dure et son beau-frère Lennie, véritable voyeur, qui entretient une relation trouble avec sa « soeur » au vu et au su de toute la communauté qui se moque de ce mari cocu. Mais plus malin qu’il ne laisse paraître, Nick Corey est bien décidé à faire le ménage dans sa vie. Et tant pis s’il y a de la casse avec une succession de morts qui s’accumulent.
Si Nick Corey est la figure emblématique de la noirceur humaine, il incarne sans nul doute certains aspects de la figure tutélaire paternelle, puisque le père de Jim Thompson officia comme shérif à la même époque où se déroule l’intrigue. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’auteur emprunte cette double personnalité du sociopathe officiant au sein des forces de l’ordre, en se référant notamment à Lou Ford, adjoint du shérif tourmenté dans L’Assassin Qui Est En Moi (Rivages/Noir 2025), autre chef-d'œuvre du roman noir qui contribua à assoir la réputation du romancier. Mais Pottsville, 1280 Habitants se distingue de par sa tonalité grinçante et mordante qui imprègne l’ensemble de l’intrigue, véritable réquisitoire féroce, prenant l’allure d’une étude de mœurs de la société de ces petites localités du sud des Etats-Unis de l’époque, mais dont certains aspects restent d’actualité. S’il apparait complètement stupide, parfois dépassé, c’est pourtant avec la terrible acuité du discernement de Nick Corey que l’on perçoit, sous la forme d’une ironie tragique, les dysfonctionnements de la communauté qu’il administre et plus particulièrement la discrimination raciale et les discordances de caste qui prévalent dans tout le pays. Mais que l'on ne s'y trompe pas, derrière cette naïveté et cette bêtise de façade, le shérif n'a rien du défenseur des faibles et des opprimés qu'il exploite sans vergogne tout comme les notables et les membres de son entourage qu'il manipule pour parvenir à ses fins quitte à les éliminer en faisant endosser la faute sur d'autres personnes. Et à mesure que progresse le récit, on pénètre véritablement dans la psyché de cet individu redoutable dont la monstruosité confine à la folie tandis qu'il joue sur le registre de la séduction, mais également de la menace à peine voilée pour composer avec Rose Hauck sa maîtresse ainsi qu'Amy Mason, une femme charmante qu'il souhaitait épouser avant de tomber dans les griffes de l'odieuse Myra avec qui il s'est finalement marié, ce qui ne va pas l'empêcher de la séduire à nouveau. Les rapport sont également biaisés avec Ken Lacey, officiant comme shérif du comté voisin qui se montre odieux envers lui, tout comme les deux proxénètes qui ne se gênent pas pour l'humilier en public, tout en lui remettant son enveloppe afin qu'il ferme les yeux sur leurs activités. Il en découle une atmosphère fiévreuse, voire poisseuse que Jim Thompson décline sur un registre licencieux renforçant le malaise qui émane d'un texte sobre et percutant à l'équilibre redoutable où les crimes de Nick Corey s'enchaînent de manière abrupte, souvent très surprenante, sur une déclinaison de plans machiavéliques d'une efficacité à toute épreuve qui font de Pottsville, 1280 Habitants, un modèle du genre.
Jim Thompson : Pottsville, 1280 Habitants (Pop. 1280). Editions Rivages/Noir 2025. Traduit de l'anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.
A lire en écoutant : Little Red Rooster de The Rolling Stones. Album : Flashpoint. 2012 Promotion B.V.

Résumé : Stella
Résumé : La Librairie Des Chats Noirs
Résumé : Si Les Chats Pouvaient Parler
D’entrée de jeu on décèle l’immense plaisir de Piergiorgio Pulixi à partager avec nous cette nouvelle enquête de Marzio Montecristo dont il décrit une nouvelle fois le caractère irrascible, pour notre plus grand bohneur, notamment durant ces instants de colères mémorables où il fustige la rare clientèle qui ose encore s’aventurer dans sa librairie des Chats Noirs au charme indéniable. On perçoit derrière ces échanges féroces, l’expérience de l’ancien libraire, sans pour autant avoir agi de la même manière pour faire face aux exigences de clients aux comportements déroutants dont il critique, à certains égards, la propension à se tourner vers une littérature commerciale dans ce qui apparaît parfois comme une véritable mise en abîme, à l’instar de ce moment extraordinaire où son personnage central exprime tout le désarroi qu’il ressent sur cette propension à exploiter, de manière outrancière, l’image des chats dans les genres littéraires afin d’attirer grossièrement le lectorat. Une sorte de défouloir jouissif en quelque sorte dans ce qui s’apparente à une intrigue similaire à celle de Mort Sur Le Nil d’Agatha Christie à laquelle il rend encore une fois hommage au cours de ce récit prenant pour cadre le Mise en Abyme, un petit navire de luxe au charme rétro. Si l’enjeu de l’intrigue se décline autour des investigations pour identifier l’auteur du crime, il s’agit pour Piergiorgio Pulixi de dresser un portrait au vitriol, du monde de l’édition dont il décline toute une galerie de portraits féroces lui permettant d’évoquer, sans fard, toute une multitude de dérives en lien avec l’exploitation d’un auteur à succès grotesque se prenant pour Georges Simenon dont il mentionne la journée brumeuse qu’il a passée en arpentant les rues de Milan à l’occasion d’un reportage photo de l’époque. Parce que derrière cette critique implacable du monde du livre, on distingue cette admiration pour les auteurs qu’il affectionne à l’instar de Benjamin Whitmer, de Jean-Claude Izzo, de Pierre Lemaître et de William McIlvanney pourtant bien éloignés du genre crime mystery, ce qui constitue là, une nouvelle fois, un paradoxe savoureux dans ce qui peut se révéler comme un excellent guide de la littérature noire. Et c’est bien dans ce domaine de la dérision que réside la réussite de ce second volet de la série La Librairie Des Chats Noirs dont on savoure chacune des pages d’un récit plein d’attraits mettant également en exergue l’atmosphère attrayante de cette île de la Sardaigne dont on ne se lasse jamais.
Il est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas, entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec
C'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.
Dans le cadre de la préparation de sa thèse, Isherwood Williams, que tout monde surnomme Ish, s’est isolé dans les hauteurs des montagnes californiennes. Mais après avoir été mordu par un serpent, il est contraint de retourner dans la cabane qu’il a louée afin d’extraire le venin de sa main déjà enflée. Désormais alité, en proie à un accès de fièvre, il reste donc cloîtré plusieurs jours avant de retourner vers la civilisation. Mais bien vite, Ish s’aperçoit qu’une maladie mystérieuse semble avoir décimé toute la population. Afin de s’en assurer, il entame une expédition en traversant l’entièreté du pays avec ce constat amer que tout s’est effondré et qu’il ne reste que quelques survivants comme lui. Avec cet effroyable constat, il retourne en Californie où il a toujours vécu, non loin du du Golden Gate Bridge qui apparaît désormais comme un monument du passé. C’est là qu’il parviendra à fonder une famille à laquelle s’agrège quelques femmes et hommes qui formeront une petite communauté qui tente de survivre tant bien que mal sur le reliquat d’un monde où il désormais nécessaire de se réinventer au rythme des aléas auxquels il faut faire face
Ce qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman
Du côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?