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  • ERNEST J. GAINES : DITES-LEUR QUE JE SUIS UN HOMME. LA CHAISE ET LE PORC.

    ernest j gaines,dites-leur que je suis un homme,éditions liana levi« Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! »

     

    A l'aune de l’ensemble de son œuvre, il a été pressenti en 2004 pour l’obtention du Prix Nobel de littérature soulignant son engagement quant à la description de l’évolution des conditions de vie de la communauté afro-américaine du sud des Etats-Unis pour les nouvelles générations se confrontant à leurs pairs, tout en étant en quête d’une dignité dans un contexte de discrimination institutionnelle. Né en 1933 dans une plantation de la Louisiane et après avoir travaillé très jeune dans des exploitations agricoles, Ernest J. Gaines a pu effectuer des études en Californie lui permettant de découvrir la littérature pour laquelle il se passionne avant de se lancer dans l’écriture afin de dépeindre l’environnement dans lequel il a toujours vécu et qu’il ne retrouvait pas dans ses nombreuses lectures. Il devient ainsi l’une des grandes voix majeures du « roman du Sud » qui met en exergue cet univers âpre de ces régions du sud des Etats-Unis en proie à cette ségrégation larvée et destructrice qui lamine les communautés noires du pays. La particularité des textes d’Ernest J. Gaines réside dans le fait qu’il s’emploie à exposer cette quête de la dignité dans un registre extrêmement sobre qu’il décline au gré d’intrigues aux ressorts tragiques d'où émergent, en dépit du désarroi et de l’injustice, quelques lueurs d’espoir dans ce qui apparaît comme une véritable étude de mœurs de ces contrées, dont il est un véritable précurseur représentatif des congrégations afro-américaines. Et c’est encore une fois cette quête de la dignité dont il est question dans Dites-Leur Que Je Suis Un Homme, œuvre majeure du romancier qui fut récompensé du National Book Critic Circle et qui s'inscrit dans une dimension assez sombre où l’on observe les parcours d’un enseignant et d’un condamné à mort amenés à se rencontrer dans des circonstances qui les opposent et qui les dépassent parfois.

     

    ernest j gaines,dites-leur que je suis un homme,éditions liana leviDans la Louisiane des années quarante, Jefferson, un jeune noir indigent et quasiment illettré se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment en compagnie des mauvaises personnes ce qui fait qu’il est le seul survivant du braquage d’une épicerie, dont une des victimes n’est autre que le propriétaire blanc du négoce. Accusé à tord d’être l’un des responsables de cette tragédie, le jeune homme est condamné à mort au terme d’un procès expéditif où son avocat commis d’office fait valoir sa condition de « porc » lors d’une plaidoirie soulignant toute son incompétence. Témoin de la scène, il est hors de question pour sa marraine que l’on considère son filleul comme un animal et supplie Grant Wiggins, l’instituteur du village, de faire en sorte que Jefferson recouvre sa dignité en prenant en charge son éducation au sein de la prison où il attend l’exécution de sa sentence. Dérouté par une telle demande, s’ensuit une confrontation entre deux hommes aux opinions et aux certitudes divergentes tandis que l'échéance fatidique approche.

     

    Il y a bien évidemment quelque chose de déconcertant quant à la requête de la marraine du condamné à mort et de la tante de Grant Wiggins qui souhaitent que Jefferson puisse affronter l’immuable sentence avec une certaine grandeur pouvant paraître dérisoire au regard de cette injustice émanant d’une société discriminatoire en quête d’une vengeance institutionnalisée afin de dissuader des hommes noirs de s’en prendre à un individu blanc. A partir de là, on pourra observer l’influence paradoxale que ces deux matrones afro-américaines peuvent exercer sur des notables tels que le shérif du comté ou le propriétaire de la grande plantation de la région qu’elles ont servis avec une certaine déférence ce qui nous permet de distinguer d’autres rapports de force régissant cette région du Sud des Etats-Unis qui vont leur permettre d’accéder à leur étrange requête. Il faut dire que derrière ce masque de certitude de la communauté blanche quant à la culpabilité du condamné, Ernest J. Gaines met en évidence toute l’hypocrisie de cette fureur vengeresse qui s’abrite désormais derrière le bras armé de la justice. Il n’est donc plus question de lyncher un homme noir au premier arbre venu, mais de le faire griller sur la chaise que l’on transporte de comté en comté afin d’exécuter les sentences prononcées par les tribunaux de l’Etat de la Louisiane. Mais qu’est-ce que peut apporter un instituteur à un homme qui se sait condamné et qui n’attend donc plus rien de son entourage et qui intègre les caractéristiques de l’animal auquel on l’a comparé ? C’est bien autour de cette question que l’on va suivre les réflexions Grant Wiggins et plus particulièrement son désespoir qu’il trimbale quant au manque de perspective au sein d’un environnement qui prend finalement l’allure d’une prison assez similaire à celle dans laquelle on a enfermé Jefferson. On parle d’un carcan social pesant sur les épaules de cet afro-américain qui a pu accéder aux bancs de l’université pour bénéficier d’une éducation dont il peut se targuer au grand dam d’un shérif plus que méfiant qui voit tout de même d’un mauvais œil cette démarche dont il ne saisi pas le sens, tout comme Grant d’ailleurs. Mais dans un registre extrêmement sobre, on prendra la mesure de l’évolution des rapports entre l’enseignant et le prisonnier tout en s’intéressant à toute une galerie de personnages secondaires tels que le shérif adjoint Paul qui se distancie de ces normes discriminatoires alors que l’on abordera le thème de la spiritualité avec le révérend Ambrose aspirant à ce que la brebis égarée retrouve la foi que Grant Wiggins rejette en bloc. Tous ces enjeux contradictoires, Ernest J. Gaines les distille au rythme d’une narration toute en pudeur et en nuance d’où émerge une émotion contenue qui s’articule donc autour de l’évolution de la personnalité de Jefferson tandis qu’il croupit dans ce couloir de la mort dont il sort grandi afin d’affronter le sort funeste qui l’attend et que le romancier se garde bien de dépeindre ce qui fait que l'on ne tombe jamais dans une espèce de voyeurisme malsain ou de surenchère émotionnelle pour se concentrer sur l'essentiel à savoir cette dignité retrouvée qui fait de vous un homme en dépit d'une discrimination raciale qui broie le destin des plus vulnérables.

     

    Ernest J. Gaines : Dites-leur que je suis un homme (A Lesson Before Dying). Editions Liana Levi. Collection Piccolo 2004. Traduction de l'anglais (Etat-Unis) par Michelle Herpe-Volinsky.

    A lire en écoutant : Cry Again de Henrik Freischlader. Album : Recording By Martin Meinschäfer. 2010 Cable Car Records.

  • PEDRO GARCIA ROSADO : LE CLUB DE MACAO. JUNGLE SOCIALE.

    le club de macao,éditions chandeigne,pedro garcia rosadoMême si elle s'est diversifiée depuis, la maison indépendante Chandeigne s'est spécialisée dans tout ce qui a trait aux récits de voyage et au monde lusophone en publiant toute une diversité d'ouvrages allant des essais aux recueils de poésie, en passant par de beaux-livres grands formats, aux romans bien sûr et aux récits historiques souvent agrémentés d'illustrations et de cartes de l'époque qui font le bonheur tant du grand public que des spécialistes. L'autre particularité de l'entreprise, c'est la qualité apportée à chacune des publications que ce soit dans le choix du papier et le soin de la typographie ainsi que dans la beauté sobre des couvertures au toucher légèrement rugueux que l'on apprécie tant et qui se fait de plus en plus rare. Les quelques romans policiers du catalogue ne font pas exception comme on peut le constater avec Le Club De Macao du romancier et journaliste portugais Pedro Garcia Rosedo qui s'inspire des grandes affaires qui ont défrayé la chronique judiciaire de son pays dont il a décliné une dizaine de fictions en adoptant le registre du roman noir lui permettant de se livrer à une critique sociale cinglante de la bonne société lisboète. Ainsi pour ce qui concerne Le Club De Macao, l'auteur fait allusion au retentissant procès de la "Casa Pia", du nom de cette institution étatique pour enfants défavorisés qui ont été abusés durant des décennies dans ce qui apparaît comme le plus grand scandale pédophile du Portugal impliquant les plus hautes instances de la politique et du show-business. 

     

    le club de macao,éditions chandeigne,pedro garcia rosadoEn 1986, désireux de pimenter leur vie et de tromper la routine au sein de cette colonie portugaise de Macao, le juge Carlos de Sousa Ribeiro s'associe avec trois fonctionnaires de police, un présentateur de télévision et un médecin afin de mettre sur pied le Club de Macao qui n'est rien d'autre qu'une maison de passe où ils peuvent assouvir leurs bas instincts avec de jeunes adolescentes chinoises qui sont prêtes à tout pour s'extraire de leur misérable condition. Mais lorsque l'une d'entre elles est retrouvée éventrée dans l'appartement de son souteneur, le club est dissous et chacun des membres quitte précipitamment la ville pour retourner au Portugal.

    Vingt ans plus tard, lorsque le juge Carlos de Sousa Ribeiro, devenu procureur général, manifeste son ambition de devenir candidat à l'élection présidentielle les affaires du passé ressurgissent ce qui le pousse à entrer en contact avec certains anciens membres du club qu'il a perdu de vue et qui lui témoignent une certaine rancoeur. Mais l'essentiel c'est de faire en sorte que les fantômes restent à leur place, calfeutrés dans l'oubli, et que rien ne trouble la vie de ces notables désireux de conserver leurs privilèges et éviter le moindre scandale qui semble pourtant devenir l'enjeu de cette élection à venir où des forces occultes s'opposent dans ce qui apparaît comme une véritable partie d'échec aux entournures mortelles. 

     

    Se déroulant à Macao pour une partie de l’intrigue, et principalement du côté de Lisbonne et de ses environs, Le Club de Macao n'a rien d'un récit exotique et s'inscrit dans un registre extrêmement sombre où l'on prend conscience de la perfidie de chacun des protagonistes, anciens membres de ce cercle abject, et plus spécifiquement du policier Carlos Vasques et du procureur général Carlos de Sousa Ribeiro qui s'affrontent dans une déclinaison de manœuvres d'une habilité tortueuse afin d'assouvir sa soif de vengeance pour l'un et ses ambitions politiques pour l'autre, tout en essayant de se soustraire tous deux au scandale qui risque de rejaillir sur eux. De l'ensemble des personnages émane cet entre-soi de la bourgeoisie portugaise ainsi que ce sentiment d'impunité et d'arrogance que Pedro Garcia Rocade diffuse tout au long d'une intrigue subtile et complexe se déclinant sous la forme d'une espèce de partie d'échec redoutable où tous les coups sont permis et dont certains aspects symboliques émergent au gré des péripéties des différents adversaires qui se défient en permanence. On perçoit ainsi les accointances entre les diverses officines privées et étatiques, mais également les rivalités et les ambitions que l’on tente de museler à coup d’intimidations et de chantages prenant de plus en plus d’ampleur à mesure que l’on progresse dans le cours d’un récit débutant sur un rythme paisible soudainement ponctué d'éclats d'une violence brutale avant de nous entrainer sur un mode beaucoup plus trépident révélant les travers d'individus dénués de scrupule. Et puis en toile de fond, on distingue les méandres d'un procès biaisé sur un réseau pédophile dont certains éléments vont rester dans l’ombre afin de servir les intérêts de ce procureur général désireux d’assouvir ses ambitions afin d’accéder à la plus haute instance du pouvoir exécutif du Portugal. Autant dire que l'on glisse peu à peu dans une atmosphère lourde en frayant avec toute une galerie d'individus peu recommandables n'hésitant pas à retourner leur veste ou à prendre de la distance avec les alliés en perte de vitesse qu'ils trahiront sans aucun remord. Véritable critique sociale des hautes sphères de la société portugaise engluée dans des scandales défrayant l'actualité, Le Club de Macao se distingue par son écriture à la fois érudite et subtile mettant en exergue une narration extrêmement bien orchestrée, toute en tension, s'achevant sur une dernière scène à l'impact dévastateur. Une belle découverte.  
       

    Pedro Garcia Rosado : Le Club De Macao. Editions Chandeigne 2020. Traduit du portugais par Myriam Benarroch & Nathalie Meyroune. Livre de Poche 2021. 

    A lire en écoutant : On & On de Erykah Badu. Album : Baduizm. 2016 Universal Records.

  • KIMBERLY GARZA : LES DERNIERES KARANKAWAS. LES RACINES.

    IMG_2471.jpegIl y a une certaine force de caractère qui émane des textes de la maison d’éditions Asphalte nous embarquant principalement vers des contrée méconnues comme les pays d’Amérique du Sud où l’on a rencontré l’auteur chilien Boris Quercia qui nous a entraîné dans le sillage du déjanté inspecteur Quinones Santiago ainsi que le brésilien Edyr Augusto nous permettant de découvrir la part sombre de la ville de Belem et de la région environnante. On y a croisé également l’Argentin Ricardo Romero et sa verve à la fois sombre et poétique que l’on découvrait avec l’envoûtant et insolite roman Je Suis L’Hiver (Asphalte 2020).  Mais l’Espagne avec Carlos Zanon et son iconique J’ai Été Johnny Thunder (Asphalte 2016) et la France avec Timothée Demeillers et son époustouflant Jusqu’à La Bête (Asphalte 2017) ne sont pas en reste au gré de récits oscillant sur les limites du genre noir pour explorer d’autres registres que ce soit les quartiers populaires de Barcelone pour l’un et les entrailles d’un abattoir pour l’autre. La noirceur chez Asphalte se décline également avec des recueils de nouvelles d’auteurs emblématiques du genre qui se rassemblent autour de leurs villes respectives pour narrer les revers de la médaille et qui comptent désormais une vingtaine d’agglomérations dont Paris bien sûr, mais également Marseille, Bruxelles, Londres, New Delhi et tout dernièrement Toulouse pour n’en citer que quelques unes. Les incursions aux Etats-Unis sont moins fréquentes, aussi se réjouit-on de la découverte de Kimberly Garza une primo-romancière native de Galveston au Texas qui en dépeint, avec Les Dernières Karankawas, l’histoire tragique en lien avec les ouragans qui ont ravagé le Golfe du Mexique, tout en se focalisant sur le quartier des travailleurs du Fish Village rassemblant les communautés originaires du Mexique, des Philippines et du Vietnam qui font vivre cette localité touristique.

     

    A Galveston les touristes se rendent sur le Pleasure Pier ou dans le quartier historique de Strand sans jamais s'aventurer du côté du Fish Village abritant une main-d'oeuvre de condition modeste officiant dans le domaine de la pêche, de la santé, de la restauration et des transports. Carly Castillo y a toujours vécu, élevée par sa grand-mère affirmant qu'elles descendent des Karankawas, peuple autochtone de l'île qui a désormais disparu, victime des génocides de la conquête des colons. Mais Carly sait très bien que son père était originaire du Mexique et que sa mère venait des Philippines. Ce qu'elle ignore, c'est la raison qui a poussé ses parents à l'abandonner lorsqu'elle était enfant. C'est peut-être cette absence de racine qui la pousse parfois à vouloir quitter l'île en dépit de son poste d'infirmière et surtout contre l'avis de son petit ami Jess, excellent joueur de baseball promis à un carrière professionnel qui s'intéresse depuis toujours à l'histoire tumultueuse de la région et qui ne se verrait pas vivre ailleurs qu'à cet endroit qu'il affectionne. Partir ou rester, c’est la question qui taraude l’entourage de Carly avec ce sentiment de déracinement qui plane sur leur existence. 

    Pour un premier roman aux tonalités clair-obscurs, Les Dernières Karankawas se distingue avec une narration se déclinant au gré des différents portraits de l’entourage de Carly Castillo mais également de ceux de sa grand-mère Magdalena Castillo et de son fiancé Jess Rivera permettant d’aborder les sujets de la migration, du mal du pays et bien évidemment de la quête de ses origines tout en évoquant également l’histoire de Galveston, ville pour laquelle on ressent l’attachement viscéral de la romancière et plus particulièrement à l’égard de ce quartier de Fish Village où elle a vécu. À partir de là, Carly apparaît comme le fil conducteur de ce récit où l’on croise toute une communauté d’individus ordinaires aux origines variées dont les Philippines et le Mexique ainsi que le Vietnam et qui se sont acclimatés tant bien que mal à leur environnement. Mais bien évidemment les questions restent nombreuses quant à leurs racines, ceci qu’elle que soit les générations en effectuant les démarches les plus variées à l’instar de Jess compulsant les ouvrages d’histoire pour connaître le passé de Galveston ou de Magdalena Castillo se lançant dans des invocations pour contrer l’ouragan qui va s’abattre sur la ville, en étant persuadée d’être la descendante d’un peuple amérindien disparu. Tout cela se met en place sur une variation très subtile entre le passé et le présent tout en croisant également quelques individus de passage comme Schafer, ce vétéran de la guerre d’Irak qui ne trouve de l’apaisement qu’en s’éloignant de sa famille et de sa fiancée qui ne comprennent pas la démarche. Et puis en arrière plan, il y a cet ouragan Ike qui va s’abattre sur la région où, comme pour les origines de ses protagonistes, Kimberly Garza va relater les événements à hauteur d’homme, sans grandiloquence quant à la fureur des éléments pour s’intéresser davantage à la résilience de celles et ceux qui y vivent en dépit des difficultés qu’il faut surmonter. On soulignera également l’originalité de l’épilogue qui s’inscrit dans un glossaire où l’on découvre, sur une tonalité moins académique, les spécificités de la ville de Galveston qui se conjuguent avec le devenir de certains protagonistes à l’exemple de Carly contemplant le mémorial dédié aux 8000 victimes de l’ouragan qui a ravagé la région en 1900 et qui conclut le récit avec une sensibilité poignante qui caractérise d’ailleurs l’ensemble d’un roman d’une envergure peu commune reflétant, sans emphase, le portrait d’une Amérique métissée et finalement beaucoup plus méconnue qu’il n’y paraît.

     

    Kimberly Garza : Les Dernières Karankawas (The Last Karankawas). Editions Asphalte 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Marthe Picard.

     

    A lire en écoutant : Fast Car de Tracy Chapman. Album : Tracy Chapman. Music. 1988 WEA International.

  • Nouvelles du front : Jean-Jacques Busino - Emmanuelle Robert - Olivier Beetschen - Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio - Séverine Chevalier - Jérémy Bouquin - Sébastien Gendron - Michèle Pedinielli.


    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilAvec Léman Noir, recueil rassemblant des nouvelles d'auteurs romands confirmés, Marius Daniel Popescu est sans doute l'un des acteurs qui a contribué à l'essor de la littérature noire en Suisse Romande. Ecrivain et poète, il est également le fondateur en 2004 du journal littéraire Le Persil, lui permettant de diffuser ses textes, mais qui devient rapidement la tribune libre des auteur novices et confirmés de la Suisse romande. 

     

    Pour l'édition de février 2024, c'est Jean-Jacques Busino qui figure en première page avec Ego Te Absolvo, sublime texte sensible abordant le thème de la fin de vie et de l'euthanasie avec un narrateur passant en revue sa vie de couple, tandis que sa compagne agonise. Comme séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persiltoujours pour l'auteur de Un Café, Une Cigarette (Rivages/Noir 2017) et de Le Ciel Se Couvre (BSN Press 2022), on décèle dans cette nouvelle la
    quintessence de l'humanité de ses personnages extravagants entre ombre et lumière, autour de l'élaboration d'un monde enchanteur qui scelle la complicité d'un couple avec un vieux charpentier quelque peu bourru. 

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilDans ce même numéro, on appréciera Le Cortège d'Olivier Beetschen, fulgurante nouvelle évoquant l'enterrement du Général Guisan où l'événement rassemblant tout un peuple oscille subtilement entre faits historiques, souvenirs d'enfance et critique sociale d'un pays où l'on est amené, l'air de rien, à courber l'échine. Auteur d'une trilogie policière aux accents surnaturels se déclinant avec La Dame Rousse (L'âge d'Homme 2017), L’Oracle Des Loups (L'âge d'Homme 2019) et La Nuit Montre Le Chemin (Editions Bernard Campiche 2024), Olivier Beetschen est un romancier aussi audacieux que pertinent qui dépeint avec l'acuité qui le caractérise, le monde qui nous entoure.  

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilNouvelle venue au sein du journal Le Persil, on découvre également Le Chien, un récit d'Emmanuelle Robert, l'une des révélation de la littérature noire helvétique avec Malatraix (Editions Slatkine 2021) et Dormez En Peilz (Editions Slatkine 2023). La nouvelle s'articule autour d'une jeune fille composant avec la garde partagée de ses parents divorcés et qui intègre un nouveau quartier tout en soupçonnant ses voisins de maltraitance animale. A noter qu'Emmanuelle Robert sera l'une des invitées du 27ème Festival International du Roman Noir à Frontignan plus communément désigné sous l'appellation emblématique de FIRN désignant l'un des grands événements du polar en France.

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilEt puisque l'on parle du FIRN, vous y croiserez peut-être la silhouette massive d'Yves Ours Koskas en quête d'auteurs et de romancières à ramener dans le giron de sa maisonnette d'éditions Ours Editions qui publie des textes courts sous forme de livres fait maison, cousu-main, avec une impression en reprographie et dont les cahiers sont pliés et repliés soigneusement à la main. L'autre particularité d'Ours Editions est de privilégier les écrivains qui conservent la propriété de leur texte dès la publication, tout en obtenant la moitié du montant de la vente de leur ouvrage. Dernier point important, et non des moindres, les récits qu'Ours publie sont tous formidables et vous pouvez les découvrir sur son site https://www.ours-editions.fr, vous permettant de les commander aisément et de les recevoir accompagnés d'un carte de l'éditeur vous souhaitant une bonne lecture.

     

    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilAu sein de la maison d'éditions vous trouverez Les Fatals En Concert, le récit Tête-Bêche de Stéphanie Glassey, romancière du remarquable Confidences Assassines (Plaisir de lire 2019) qui s'est associée avec Chrysotomo Gourio, auteur d'un épisode du Poulpe, Le Dolmen Des Dieux (Editions Baleine 2010) et de livres pour la jeunesse tout comme Stéphanie. Les Fatals En Concert, dépeint cette rencontre manquée entre un père et un fils dont les deux textes adoptant leur point de vue respectif se rencontrent au centre du livre pour exprimer avec justesse et émotion cette collision tragique de leur antagonisme. 

     

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    séverine chevalier,jérémy bouquin,sébastien gendron,jean-jacques busino,emmanuelle robert,olivier beetschen,stéphanie glassey,chrysotome gourio,michèle pedinielli,a l’envers,les fatals en concert,1976,tu m’as bien vu !,une campagne,ego te absolvo,le cortège,le chien,ours éditions,le journal le persilSi cela ne suffit pas, vous trouverez également chez Ours Editions un texte de Michèle Pedinielli revisitant brillamment Kafka d'une manière singulière avec A L'Envers où un cafard se rend compte de bon matin, à son grand désarroi, qu'il a intégré le corps de Gregor Samsa, propriétaire de la chambre. Critique sociale par excellence, le récit vire au fait divers sanguinolent avec un ultime clin d'oeil à un autre ouvrage du romancier austro-hongrois. Comme toujours, il y a cette tonalité mordante que l'on retrouve dans l'ensemble des romans de Michèle Pedinielli, se déclinant autour des enquêtes de l'emblématique détective privée niçoise, Ghjulia Boccanera avec laquelle on fait connaissance dans Boccanera (Editions de l'Aube/Noir 2018), alors qu'Après Les Chiens (Editions de l'Aube/Noir 2019) évoque la dureté de l'immigration clandestine, tandis que La Patience De L'Immortelle (Editions de l'Aube/Noir 2021)aborde le thème des violences conjugales et que Sans Collier (Editions de l'Aube/Noir 2023) se penche sur le passé d'activistes italiens durant les années de plomb.

     

    Jean-Jacques Busino : Ego Te Absolvo. Journal Le Persil. Février 2024.

    Olivier Beetschen : Le Cortège. Journal Le Persil. Février 2024.

    Emmanuelle Robert : Le Chien. Journal Le Persil. Février 2024.

    Stéphanie Glassey/Chrysotome Gourio : Les Fatals En Concert. Ours Éditions. Collection Tête/Bêche 2024.

    Séverine Chevalier : Une Campagne. Ours Editions. Cousu-Main 2024.

    Jérémy Bouquin : Tu M'As Bien Vu ! Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Sébastien Gendron : 1976. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    Michèle Pedinielli : A L'Envers. Ours Editions. Cousu-Main 2023.

    A lire en écoutant : Pendant Que Les Champs Brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor

  • Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. L'opium du peuple.

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    Service de presse.

     

    Il fait partie des 137 autrices et auteurs que vous allez pouvoir côtoyer si vous vous rendez au festival Quais Du Polar à Lyon qui célèbre ses 20 ans d'existence. Il faut dire que Laurent Guillaume est l'une des belles figures de la littérature noire que l'on prend plaisir à écouter lorsqu'il nous livre ses anecdotes sur les années qu'il a passées au sein de la Police nationale en tant qu'officier pour diriger des unités spécialisées que ce soit en lien avec l'anti criminalité ou la lutte contre les stupéfiants. Il émane d'ailleurs du personnage un certain charisme se conjuguant avec une soif d'aventure qui le conduit à se rendre notamment au Mali dans le cadre d'une coopération policière qu'il poursuit après avoir quitté l'institution en exerçant désormais une activité de consultant international en lutte contre le crime organisé et en s'intéressant plus particulièrement aux région de l'Afrique de l'ouest. On retrouve un peu de tout cela dans l'ensemble de son œuvre que ce soit avec la trilogie Mako du nom de cet officier travaillant à la BAC dans la région parisienne, ou avec Là Où Vivent Les Loups (Denoël 2018)nous permettant de croiser Priam Monet, ce flic de l'IGPN en mission dans les confins des Alpes française tandis qu'avec Un Coin De Ciel Brûlait (Michel Lafon 2021) on se retrouvait en Sierra Leone durant la tragique guerre civile qui a dévasté le pays. Il ne s'agit là que d'un échantillon de la dizaine de romans qu'il a écrit tout en travaillant également comme scénariste en collaborant notamment avec Olivier Marchal que l'on ne présente plus. A la conjonction de ces deux activités de scénariste et de romancier, on retrouve donc Laurent Guillaume à l'occasion de la sortie de son dernier roman Les Dames De Guerre/Saïgon s'inscrivant dans une trilogie à venir qui devrait être prochainement adaptée par Alex Berger, producteur de la fameuse série Le Bureau Des Légendes.

     

    En septembre 1953, à la frontière du Laos et de la Birmanie, le reporter Robert Kovacs trouve la mort alors qu'il accompagnait un commando dans le cadre d'un reportage sur la guerre d'Indochine. A New-York, l'ensemble de la rédaction du magazine LIFE est consternée à l'annonce de ce décès tragique. Mais en récupérant dans les affaires personnelles de Kovacs un rouleau de pellicule qu'il a dissimulé dans la doublure de sa veste, Elizabeth Cole, photographe mondaine de la page culturelle du magazine, prend conscience que sa mort n'a rien d'accidentelle. C'est l'occasion pour cette jeune femme intrépide de réaliser son grand rêve en devenant correspondante de guerre pour couvrir les événements de cette guerre oubliée tout en cherchant à comprendre ce qu'il est vraiment arrivé à son collègue. Mais en débarquant à Saïgon, Elizabeth se retrouve au cœur d'un enchevêtrement d'intérêts complexes où s'affrontent espions de tout bord, tueurs à gages déterminés, aventuriers et trafiquants d'armes sans scrupule et militaires désabusés qui savent déjà que cette guerre est perdue. Cela ne l'empêchera pas de se rendre à Hanoï et de parcourir les hauts plateaux du Laos tout en faisant face à ceux qui ne souhaitent pas que la lumière soit faite sur les circonstances de la mort de Robert Kovacs.

     

    Pour situer le contexte historique de la première partie de cette saga, il faut mentionner quelques références comme La 317e Section du réalisateur français Pierre  Schoendoerffer ou Un Américain Bien Tranquille du romancier britannique Graham Greene auquel Laurent Guillaume rend d’ailleurs un hommage appuyé qu’il évoque dans la postface de son roman. C’est donc à la lisière de ces deux œuvres emblématiques abordant le thème de la guerre plutôt méconnue d’Indochine que se situe Les Dames De Guerre/Saïgon en se concentrant plus particulièrement sur l’aspect historique de l’Opération X désignant un trafic d’opium mis en place par l’armée française afin de financer ses opérations spéciales visant à lutter contre les combattants Việt Minh. Sur cette trame historique, à la lisière du roman policier et d’espionnage tout en empruntant quelques caractéristiques propre au récit d’aventure, Laurent Guillaume met en place une redoutable intrigue s’articulant autour de la perception d’Elizabeth Cole, cette jeune reporter de guerre audacieuse au caractère bien affirmé qui va donc nous entraîner dans la nébuleuse diaspora d’espions sévissant notamment dans ce Saïgon d’autrefois au charme suranné que l’auteur restitue avec une impressionnante précision au gré d’une atmosphère exotique et envoûtante. On ne manquera pas d’être impressionné par cette habilité consistant à mélanger toute une  galerie de personnages tant fictifs qu’historiques que l’on croise bien évidemment à Saïgon maïs également sur les hauts plateaux du Laos, dans la région du fameux Triangle d’Or où Elizabeth Cole évolue en compagnie de membres d’un commando français et des combattants Meos qu’ils encadrent en nous donnant l’occasion d’assister à quelques scènes de combat épiques et percutantes. Alors que la reporter côtoie le capitaine Bremond, officier aussi désabusé que chevaleresque, on devine l’inévitable glissement vers un registre romanesque qui reste, fort heureusement, extrêmement sobre pour se concentrer sur les rapports de force idéologiques qui prennent tous leurs sens dans une série de rebondissements contenant quelques longueurs explicatives qui demeurent néanmoins nécessaires pour la bonne compréhension de l’ensemble du texte. Ainsi, en arrière-plan brièvement évoqué, se dessine la défaite de Diên Biên Phu ainsi que les prémisses de l’emprise américaine et de la guerre du Vietnam qui va bientôt débuter. Au final, Les Dames De Guerre/Saïgon se révèle être un superbe roman ponctué d’hommages à cette époque extraordinaire de la décolonisation de l’Indochine particulièrement bien restituée que l’on découvre au travers du regard de cette reporter de guerre que l’on se réjouit de retrouver très prochainement ainsi que son entourage à l’instar du personnage de Graham Fowler dont la personnalité est particulièrement réussie.

     

    Laurent Guillaume : Les Dames De Guerre/Saïgon. Editions Robert Laffont/Collection La Bête Noire 2023.

    A lire en écoutant : Heaven and Earth de Kitaro. Album : Heaven & Earth (Motion Picture Soudtrack). 1993 Universal Music Classical.