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  • THIERRY JONQUET : MYGALE. ENGLUÉS DANS LA TOILE.

    Capture d’écran 2025-11-17 à 19.35.06.pngComme Pascal Garnier, il nous a quitté beaucoup trop tôt, à l'âge de 55 ans, en laissant derrière lui une oeuvre composée de 16 romans noirs dont certains demeurent emblématiques en faisant de lui l'une des grandes figures de la littérature noire engagée, plus particulièrement de ce fameux courant du néo-polar français, tout en cultivant une grande discrétion afin de mettre davantage en avant les thèmes sociaux qu'il évoquait dans ses livres s'articulant autour d'individus aux vies brisées et de faits divers âpres et angoissants. Né à Paris en 1954, Thierry Jonquet de par sa multitude de métiers qu'il va exercer dans des domaines tels que les unités de gériatries, les foyers ou les sections d'éducation spécialisée, est amené côtoyer une population marginalisée composée de laissés pour compte et même de délinquants qui vont devenir la source d'inspiration de l'ensemble de ses intrigues que ce soit en tant que romancier, mais également en tant que scénariste. Il mènera ainsi ces deux carrières de front avec un certain succès puisqu'on lui doit quelques romans noirs notables à l'instar des Orpailleurs (Série Noire 1993) et de Moloch (Série Noire 1998) mettant en scène le commandant Rovère  et la juge Lintz qui deviendront les personnages principaux de la série Boulevard du Palais pour laquelle Thierry Jonquet est crédité au scénario de deux épisodes, poste qu'occuperont également Pierre Lemaître et Cary Ferey. C'est avec Mygale, son troisième roman, qu'il intègre la Série Noire en contribuant à asseoir sa notoriété avec cette relation entre un chirurgien réputé et une femme qui semble vivre sous son emprise dans le jeu trouble de rapports destructeurs et dont on ignore qui est la victime et qui est le bourreau. Un roman chargé d'ambiguïté qui séduira le réalisateur espagnol Pedro Almodovar qui l'adaptera librement au cinéma en marquant ses retrouvailles avec Antonio Banderas endossant le rôle principal de La Piel que habito (La Peau que j'habite).

     

    thierry jonquet,mygale,folio policier,roman noir,chronique littéraire,blog mon roman noir et bien serré,littérature noire française,polar contemporain,néo polar français,avis de lecture,blog littéraireDans la région parisienne, Richard Lafargue est un chirurgien dont la réputation n'est plus à faire, et qui gravite dans les milieux les plus aisés en fréquentant les soirée mondaines au bras d'Ève, une jeune femme mutique d'une éblouissante beauté qui se retrouve chaque soir enfermée dans une vaste chambre d'un domaine magnifique niché au coeur d'un superbe parc. Quelles sont ces étranges rapports qu'ils entretiennent et dont on distingue la complexité dans le sourire énigmatique de cette femme contrebalançant avec cette colère permanente qui semble animer le praticien ? 
    Dans le sud de la France, Alex Barny a trouvé refuge dans une maison nichée dans la garrigue après avoir braqué une banque, abattu un policier et pris une balle dans la jambe. Détenteur d'un butin conséquent, il tente de se rétablir peu à peu en se sachant rechercher par toutes les forces de police. Pour quitter le pays, il lui faut donc changer de visage et surtout retrouver son ancien complice Vincent Moreau dont il est sans nouvelle.
    Et puis dans cette cave obscure, il y a cet homme enchaîné qui se demande ce que peut bien vouloir son geôlier avec qui il commence à entretenir une relation troublante d'amour-haine débouchant sur des rapports chargés d'ambiguïté. 

     

    Publié en 1984, à une époque où le genre du thriller français était encore inexistant, Mygale fait office de roman précurseur avec une trame narrative déroutante qui joue sur la temporalité afin de mettre en place un retournement de situation destiné surprendre le lecteur tout en distillant cette tension et ces interrogations qui imprègnent le récit. Mais que l'on ne s'y trompe pas, le récit s'articule autour des rapports troubles entre Richard Lafargue et cette mystérieuse Ève dont on se demande ce qui la pousse à rester auprès de cet individu qui la malmène de manière ignoble tout en faisant preuve d'égard et de prévenance. C'est d'ailleurs une interaction similaire qui s'instaure entre ce geôlier au comportement sadique et son prisonnier qui va développer une sorte de syndrome de Stockholm à mesure que les conditions de détentions semblent s'améliorer mais qui s'interroge toujours sur les raison de sa détention dans cette cave où il est reclus. Avec une peu moins de 160 pages, Thierry Jonquet distille sur un registre extrêmement sobre cette relation toxique entre bourreau et victime qui s'inscrit dans une économie de moyen afin de préserver le réalisme d'un récit cohérent et fascinant dont le schéma tout en tension va être repris par une multitude d'auteurs, dans le domaine du thriller psychologique notamment. Mais si le retournement de situation est bien au rendez-vous, Thierry Jonquet n'abuse jamais du procédé et fait en sorte de ne jamais céder à la grandiloquence des coups d'éclats ou du sadisme qui anime ses personnages pour se concentrer davantage sur le désarroi qui en découle tout en nous invitant à une réflexion quant à la douleur de la perte d'un être cher mais aussi de la quête d'identité que ce soit pour Vincent Moreau ou plus particulièrement pour Alex Barny dont on apprécie la simplicité avec laquelle l'auteur dépeint son parcours vers la délinquance qui en fait un modèle du genre dont bon nombre de romancier devrait s'inspirer. A partir de tous ces éléments de simplicité, de sobriété et d'efficacité, on parlera d'un style redoutable qui fait de Thierry Jonquet un auteur incontournable dont les textes demeurent d'actualité à l'instar de Mygale, roman mythique et machiavélique qui n'a pas vieilli d'un iota et qu'il convient de découvrir, même pour les amateurs éprouvés de thriller qui trouveront les fondements essentiels de ces intrigues parallèles et de leur convergence au terme d'une scène final aussi abrupte que saisissante. 

     

    Thierry Jonquet : Mygale. Folio Policier 1995.

    A lire en écoutant : The Man I Love d’Ella Fitzgerald. Album : Ella Fitzgerald Sings the George and Ira Gershwin Song Book. 2017 Verve Label Group.

  • Thierry Jonquet : Moloch. L’ogre est toujours affamé.

    thierry jonquet, moloch, folio policierDurant la pause littéraire, de bien trop courte durée, que procure la période estivale, c’est l’occasion de découvrir ou redécouvrir quelques romans en piochant sur les étalages des librairies qui croulent sous les assortiments d’ouvrages en format poche. Dans le domaine du roman noir et du polar, c’est également une opportunité pour remettre au goût du jour quelques auteurs ayant disparu précocement et dont l’œuvre a sombré bien trop rapidement dans l’oubli à l’instar de Jean-Claude Izzo ou de Thierry Jonquet qui ont marqué l’univers du polar durant toute la décennie précédent les années 2000. Avec Moloch, de Thierry Jonquet on aborde sous l’angle du fait divers sordide, une enquête mettant en scène l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui a inspiré les personnages de la série Boulevard du Palais.

     

    On découvre quatre petits cadavres partiellement carbonisés dans une maison abandonnée du côté de la porte de la Chapelle et c’est l’équipe de l’inspecteur divisionnaire Rovère qui est chargée de l’enquête sous la direction de la juge d’instruction Nadia Lintz.



    A l’hôpital Armand-Trousseau, la surveillante en chef Françoise Delcourt réclame depuis plusieurs jours le carnet de santé de la petite Valérie atteinte d’un cancer du pancréas. Heureusement, la fillette peut compter sur le soutien de ses adorables parents avec une mère exemplaire de courage qui suscite l’admiration. Mais la lecture du document recèle quelques surprises.
    Le psychiatre Vilsner reçoit depuis plusieurs mois la visite d’un étrange patient. Atteint d’une infection au niveau des yeux qui le rendra très prochainement aveugle, le peintre Haperman a annoncé qu’il mettrait fin à ses jours au terme de sa thérapie.

    Victimes, proies faciles, trois affaires convergentes où il est question de souffrance et d’innocence bafouée car sur l’autel du sacrifice, Moloch, divinité cruelle, réclame toujours sa part d’enfants à immoler.

     

    Issu du courant néo polar, comme bon nombre d’auteurs français, Thierry Jonquet a rédigé ses textes avec la volonté de dénoncer les carences sociales par l’entremise du roman noir qu’il a découvert notamment avec l’œuvre de Jean-Patrick Manchette. Engagé politiquement, mais également professionnellement que ce soit comme ergothérapeute en gériatrie ou professeur dans la zone périphérique du nord de Paris, l’auteur a donc puisé dans la somme de ses expériences pour enrichir des récits d’une terrible noirceur qui s’enracinent toujours dans un réalisme déconcertant. Ainsi Moloch ne déroge absolument pas à cette règle de naturalisme que ce soit lors des investigations policières et judiciaires, mais également durant toutes les phases se déroulant dans le milieu médical. L’abandon, le dénuement, mais également dans le deuil que l’on doit surmonter ou l’attachement tout en ambiguïté, Thierry Jonquet aborde la thématique de l’enfance malmenée et bousculée dans le contexte de trois intrigues très adroitement menées qui vont trouver leurs conclusions dans une finalité qui devient l’enjeu du roman. En effet, même si l’on perçoit très rapidement quelques ressorts des différentes péripéties qui alimentent le récit, le lecteur est plongé dans une perpétuelle perplexité quant à la découverte des éléments qui vont permettre de les mettre en lien dans la perspective d’un final troublant et forcément désespérant.

     

    Un texte précis équilibré, dépourvu d’effets de style ostentatoire où chaque mot semble avoir été pesé, permet d’appréhender avec une facilité déconcertante la multitude de personnages qui entrent en scène dans un roman somme toute assez court. Qu’ils soient principaux ou secondaires, l’ensemble des protagonistes est doté d’une épaisseur qui leurs donne un certain relief tout en nous permettant d’appréhender leurs divers états d’âme en rapport avec des faits douloureux qui ne sont pas forcément en lien avec l’intrigue. Dans une construction aussi subtile qu’implacable, Thierry Jonquet chronique un ensemble de faits divers à la fois cruels et abjects, sans pour autant sombrer dans une forme de voyeurisme pervers ou morbide. Car au-delà de l’ignominie des actes, l’auteur parvient toujours à insuffler cette petite part d’humanité que l’on peut même déceler dans le cœur des individus les plus monstrueux. Cela transparaît notamment avec Charlie, ce SDF paumé, ancien soldat affecté dans une unité du génie, victime d’un traumatisme après avoir été engagé au Rwanda dans le cadre de l’opération Turquoise ou avec Marianne, cette mère courage qui noie son enfant malade sous un déluge d’affection équivoque. Cette humanité elle transparaît également au travers des personnages tels que l’inspecteur divisionnaire Rovère qui doit surmonter le deuil de son enfant et la juge d’instruction Nadia Lintz qui doit accompagner sa meilleure amie pour une interruption volontaire de grossesse. Tout un ensemble de protagonistes confrontés à cet univers lourd de la maltraitance d’enfants et qui apparaissaient déjà dans un roman intitulé Les Orpailleurs (Folio Policier 1993) évoquant les premières investigations mettant en scène les membres de cette équipe d’enquêteurs.

     

    Moloch donne également l’occasion de découvrir Paris sous un aspect aussi attrayant qu’original, puisque l’auteur nous entraîne avec force de précisions dans le périmètre des entrepôts qui bordent le canal de l’Ourcq, les Puces de Saint-Ouen, les chantiers et autres terrains vagues qui jouxtent le périphérique du côté de la porte de la Chapelle. Un portrait sans fard, mais également sans misérabilisme où enquêteurs, délinquants, travailleurs, résidents et touristes se côtoient dans les méandres d’une ville que Thierry Jonquet dépeint avec beaucoup de justesse sans rien concéder au cliché de carte postal ou au sensationnalisme de bas étage tout en distillant une atmosphère à la fois trouble et pesante pour un roman policier original, tout en rigueur.

     

    Thierry Jonquet : Moloch. Folio Policier 1998.

    A lire en écoutant : Rive Gauche d’Alain Souchon. Album : Au Ras des Pâquerettes. Parlophone Music 1999.