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Jim Thompson : Pottsville, 1280 Habitants. Noir c'est noir.

Capture d’écran 2025-10-26 à 13.19.37.pngToutes les occasions sont bonnes pour parler de ce roman noir légendaire, ce d’autant plus lorsque le romancier Jean-Jacques Busino vous offre l’ouvrage dans sa version originale, publié en 1964 et affichant un prix de vente de l’époque s’élevant à 40 cents. Pop. 1280 de Jim Thompson figurera dans la mythique Série Noire en 1966, en endossant le prestigieux numéro 1000 de la collection, avec une traduction quelque peu tronquée du directeur de la maison d’éditions, Marcel Duhamel himself, ainsi qu’une soustraction de cinq habitants puisque l’on passe à 1275 Âmes (Série Noire 1969). On s’écharpera sans doute à définir qu’elle est le meilleurs roman de l’oeuvre magistrale de ce romancier iconique dont les textes figurent, aujourd’hui encore, au Panthéon de la littérature noire, avec cette saisissante capacité à capter les sombres tréfonds de l’âme humaine dont il nous dévoile les tourments obscurs et abjects avec des personnages emblématiques telles que le shérif Nick Corey, incarnation du nihilisme extrême. Le paradoxe de ce talent fou, c’est que Jim Thompson n’a jamais véritablement connu la consécration de son vivant et qu’il a effectué une kyrielle de jobs alimentaires afin de subvenir à ses besoins, en passant de groom dans un hôtel où il fournit la clientèle en drogue et en alcool, pour ensuite travailler avec son père dans les champs de pétrole du Texas, puis rédiger des articles pour de la presse à scandale ainsi que des textes pour les pulps avant de se lancer finalement dans l’écriture de romans suscitant l’intérêt de Stanley Kubrick avec qui il collaborera en tant que scénariste sur L’Ultime Razzia et Les Sentiers De La Gloire, même si sa carrière au sein de l’industrie hollywoodienne se révélera peu fructueuse. C’est donc tout le chaos de ce parcours de vie que l’on retrouve dans l’oeuvre de Jim Thompson suscitant un regain d’intérêt, avec la publication de l’ensemble de ses textes dans une autre collection prestigieuse, Rivages/Noir sous la houlette de Capture d’écran 2025-10-26 à 22.00.55.pngFrançois Guérif qui fait en sorte de retraduire ses romans dans leurs versions intégrales. Dès lors, on bénéficiera en 2016 d’une excellente traduction de Jean-Paul Gratias restituant l’intégralité de l’atmosphère âpre de Pop. 1280 dont le titre en français retrouve ses cinq habitants disparus avec Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) où figure sur la couverture granuleuse de l'ouvrage, la silhouette de cet homme endormi sur une chaise, posté devant le bureau du shérif. On ne compte plus vraiment toutes les réimpressions en français de ce chef-d'oeuvre qui sera adapté à une seule reprise au cinéma en 1981 par Bertrand Tavernier qui transposera l'action dans l'Afrique coloniale française avec Capture d’écran 2025-10-26 à 22.07.42.pngCoup De Torchon en restituant avec beaucoup de justesse tout l'aspect du racisme ambiant que Jim Thompson dénonçait sous la forme de cette ironie grinçante qui imprègne son texte. Ainsi, pour cette année 2025, on notera une nouvelle édition avec une superbe illustration de Miles Hyman ornant la couverture du livre et d'où émerge la tension latente de cette somptueuse incarnation du mal dans un dépouillement de moyen absolument magistral et qui demeure ce qui se fait encore de mieux dans le genre du roman noir. Un véritable classique, bien au-delà des genres d'ailleurs. 

 

IMG_2618.jpegEn 1917, Nick Corey officie comme shérif du comté de Pottsville, petite bourgade du Texas, comptant à peine 1280 administrés qu’il fait en sorte de laisser tranquille au grand dam de certains d’entre eux qui envisagent de voter pour le candidat rival qui semble beaucoup plus impliqué que celui qu’ils jugent comme un véritable fainéant, peu impliqué dans son travail. Il faut dire qu’il apparait plutôt placide, un brin stupide ce d’autant plus qu’il se fait humilier par deux souteneurs qui tiennent le bordel de l’agglomération ainsi que son homologue de la ville voisine qui n’hésite pas à lui botter le cul. Et pour couronner le tout, Nick Corey doit composer avec sa femme Myra qui lui mène la vie dure et son beau-frère Lennie, véritable voyeur, qui entretient une relation trouble avec sa « soeur » au vu et au su de toute la communauté qui se moque de ce mari cocu. Mais plus malin qu’il ne laisse paraître, Nick Corey est bien décidé à faire le ménage dans sa vie. Et tant pis s’il y a de la casse avec une succession de morts qui s’accumulent.

 

Capture d'écran 2025-10-27 104454.pngSi Nick Corey est la figure emblématique de la noirceur humaine, il incarne sans nul doute certains aspects de la figure tutélaire paternelle, puisque le père de Jim Thompson officia comme shérif à la même époque où se déroule l’intrigue. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’auteur emprunte cette double personnalité du sociopathe  officiant au sein des forces de l’ordre, en se référant notamment à Lou Ford, adjoint du shérif tourmenté dans L’Assassin Qui Est En Moi (Rivages/Noir 2025), autre chef-d'œuvre du roman noir qui contribua à assoir la réputation du romancier. Mais Pottsville, 1280 Habitants se distingue de par sa tonalité grinçante et mordante qui imprègne l’ensemble de l’intrigue, véritable réquisitoire féroce, prenant l’allure d’une étude de mœurs de la société de ces petites localités du sud des Etats-Unis de l’époque, mais dont certains aspects restent d’actualité. S’il apparait complètement stupide, parfois dépassé, c’est pourtant avec la terrible acuité du discernement de Nick Corey que l’on perçoit, sous la forme d’une ironie tragique, les dysfonctionnements de la communauté qu’il administre et plus particulièrement la discrimination raciale et les discordances de caste qui prévalent dans tout le pays. Mais que l'on ne s'y trompe pas, derrière cette naïveté et cette bêtise de façade, le shérif n'a rien du défenseur des faibles et des opprimés qu'il exploite sans vergogne tout comme les notables et les membres de son entourage qu'il manipule pour parvenir à ses fins quitte à les éliminer en faisant endosser la faute sur d'autres personnes. Et à mesure que progresse le récit, on pénètre véritablement dans la psyché de cet individu redoutable dont la monstruosité confine à la folie tandis qu'il joue sur le registre de la séduction, mais également de la menace à peine voilée pour composer avec Rose Hauck sa maîtresse ainsi qu'Amy Mason, une femme charmante qu'il souhaitait épouser avant de tomber dans les griffes de l'odieuse Myra avec qui il s'est finalement marié, ce qui ne va pas l'empêcher de la séduire à nouveau. Les rapport sont également biaisés avec Ken Lacey, officiant comme shérif du comté voisin qui se montre odieux envers lui, tout comme les deux proxénètes qui ne se gênent pas pour l'humilier en public, tout en lui remettant son enveloppe afin qu'il ferme les yeux sur leurs activités. Il en découle une atmosphère fiévreuse, voire poisseuse que Jim Thompson décline sur un registre licencieux renforçant le malaise qui émane d'un texte sobre et percutant à l'équilibre redoutable où les crimes de Nick Corey s'enchaînent de manière abrupte, souvent très surprenante, sur une déclinaison de plans machiavéliques d'une efficacité à toute épreuve qui font de Pottsville, 1280 Habitants, un modèle du genre.

 

 

Jim Thompson : Pottsville, 1280 Habitants (Pop. 1280). Editions Rivages/Noir 2025. Traduit de l'anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

A lire en écoutant : Little Red Rooster de The Rolling Stones. Album : Flashpoint. 2012 Promotion B.V.

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