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cadre noir

  • Mathilde Beaussault : Les Saules. Dans la coulée.

    Capture d’écran 2025-11-14 à 21.48.36.pngPrimo romancière récipiendaire du Grand Prix de la Littérature policière 2025, on est surpris par le fait que cette professeur de français ne se prédestinait pas, de prime abord, à écrire un roman policier ou même un roman noir, littérature de genre qu'elle ne lit qu'occasionnellement. Est-ce à dire que Les Saules de Mathilde Beaussault est un polar par accident et que l'autrice se prédestinait davantage à évoquer cette enfance passée sur les terres de la Côte d'Armor où les branches  tombantes des saules caressent la surface froide de cette rivière de l'Arguenon qui jouxte la ferme familiale qui l'a vue grandir ? La réponse se trouve sans doute au sein des pages de ce texte entamé dans la quarantaine où la romancière distille les fragments de cette jeunesse bretonne dans ce qui apparaît comme un roman policier aux connotations rurales débutant avec la mise à mort de ce cochon que l'on dépèce devant le hangar avant que l'on ne se penche sur une autre tuerie bien plus sordide. Mais outre l'inspiration qu'elle puise dans l'environnement rural de son enfance, il y a sans doute quelques éléments de son cursus dans la filière des lettres à la faculté de Rennes ainsi que son parcours en lettre moderne pour devenir professeur du second degré que l'on retrouve dans la maîtrise d'un premier texte saisissant qui a séduit bon nombre d'amateurs de littérature noire ainsi que le jury exigeant de ce Grand Prix de la Littérature policière qui n'est pas usurpé. On dira même, sans être présomptueux, qu'il s'agit là d'une des belles découvertes de l'année 2025 et que l'on se réjouit d'ores et déjà de retrouver Mathilde Beaussault très prochainement puisqu'elle annonce la parution, chez Seuil/Cadre Noir, d'un second roman noir se déroulant une nouvelle fois en Bretagne. 

     

    mathilde beaussault,les saules,éditions du seuil,cadre noir,roman noir,roman policier,chronique littéraire,littérature noire,blog mon roman noir et bien serré. grand prix de la littératureC’est l’émoi du côté de la Basse Motte, ce lieu-dit de la Bretagne où l’on a découvert le corps sans vie de Marie flottant dans la coulée, ce bras mort de la rivière bordée de saules. Qui pouvait bien vouloir à cette jeune fille de dix-sept ans dont le meurtre par strangulation ne fait aucun doute. Belle à couper le souffle suscitant autant de convoitise que de jalousie, le décès de Marie sème le trouble au sein de la communauté tandis que la gendarmerie s’emploie à identifier l’auteur de ce crime sordide en interrogeant l’entourage de la victime dont la personnalité se dévoile peu â peu en révélant un certain mal-être. Témoin de toute cette agitation, il y a Marguerite cette petite fille mutique que tout le monde pense simple d’esprit en subissant les quolibets de ses camarades. Délaissée par ses parents qui travaillent sans relâche pour maintenir, tant bien que mal, la ferme à flot. La fillette trimbale donc sa solitude du côté de la rivière où elle a bien vu quelque chose la nuit où Marie, qu’elle adorait, a été assassinée. Mais qui ferait attention à une petite fille débraillée, aux cheveux sales, qui ne s’exprime jamais et que l’in regarde de haut. Alors Marguerite observe ces femmes et ces hommes qui s’entredéchirent sur fond de rivalités, de rancoeurs et de rumeurs malsaines qui brouillent les cartes de cette quête de vérité. 


    Avec Les Saules, il est bien question de la terre mais dans tout ce qu’elle a de plus âpre et d’universelle, ce qui fait que l’on s’éloigne d’entrée de jeu d’une Bretagne caricaturale pour intégrer un environnement rural que Mathilde Beaussault magnifie sans effet ostentatoire au gré d’une langue subtile faite d’évocations aux entournures poétiques qui ne sont pas dépourvues de ce regard acéré d’une confondante justesse quant aux dynamiques sociales qui animent cette communauté villageoise. Et c’est d’entrée de jeu que l’on saisit cette puissance évocatrice dans tout ce qu’elle a de plus tragique alors que l’on observe ce corps immergé dans ce cours d’eau dans lequel se reflète la silhouette tombante des saules pleureurs, nous rappelant immanquablement Le dormeur du val de Rimbaud. Impossible donc de ne pas céder au charme de cette écriture d’une délicatesse d’orfèvre mettant en exergue ce bout de terre meurtrie par ce drame qui va bouleverser les castes de ce qui apparaît comme une lutte sociale sur fond d’enjeux écologiques que la romancière intègre subtilement dans le cours de l’intrigue. Et s’il s’agit bien d’une intrigue policière, on notera que Mathilde Beaussault s’est employée à disloquer les code du genre non par défi, mais dans une espèce de grâce naturelle qui se décline principalement dans le regard de Marguerite, cette petite fille au comportement décalé que personne ne comprend et que l’on rejette, Ainsi, les enquêteurs sont relégués aux second plan que ce soit André le capitaine de gendarmerie quelque peu dépassé par les événements ou Arlette officière de police judiciaire davantage aguerrie à ce type d’investigations sensibles. Là également, la dynamique de la narration prend une toute autre allure bien plus réaliste avec cette succession de convocations au poste de gendarmerie où les proches de Marie, plus ou moins suspects, vont se confier auprès des enquêteurs avec une bonne volonté toute relative dont on appréciera la retranscription fluide et originale nous permettant d’entrer dans la confidence de ces hommes et de ces femmes marqués par la disparition de l'adolescente. De cette manière, on distingue les contours de la personnalité de la victime ainsi que quelques traits de caractères des proches dévastés mais également de entourage au comportement ambivalent d'où émerge quelques opinions discutables tout en donnant une certaine profondeur à leur personnalité. Et c'est à la lecture de ses interrogatoires que certaines révélations affleurent tandis que, paradoxalement, l'enquête s'enlise avec ce sentiment d'incertitude qui devient de plus en plus prégnant quant à l'identité du meurtrier. A partir de là, Mathilde Beaussault s'écarte définitivement du schéma classique du roman policier pour nous entraîner sur un registre beaucoup plus sombre où les comptes se règlent en dehors du cadre régit par les autorités et en fonction des intérêts troubles de chacun des protagonistes révélant leur part d'ombre tout comme celle de l'assassin de Marie. Et que ce soit pour Marie ou Marguerite, c'est de la terrible perte d'innocence dont il est finalement question dans Les Saules au gré d'un roman d'une superbe ampleur et d'une originalité sans commune mesure qu'il convient de lire toute affaire cessante pour découvrir la richesse d'une écriture maîtrisée de bout en bout, tout comme l'intrigue surprenante à plus d'un titre. Sans nul doute, l’une des belles révélations de l’année.

     

    Mathilde Beaussault : Les Saules. Editions Seuil/Cadre Noir 2025.

    A lire en écoutant : Pendant que les Champs brûlent de Niagara. Album : Religion. 2010 Polydor.

  • Jacky Schwartzmann : Bastion. Fachosphère lyonnaise.

    bastion,jacky schwartzmann,editions du seuil,cadre noirBon, c'est vrai que l'on apprécie plus que jamais ses répliques hilarantes et décoiffantes qui ponctuent ses récit en faisant en sorte que la noirceur de l'intrigue prend une tournure encore plus acide s'inscrivant toujours dans cette logique de critique sociale qui prévaut dans l'ensemble de ses romans. Mais ce qui fait le succès de Jacky Schwartzmann, c'est cette capacité à mettre en scène cette marginalité du pays qu'il décline au détour d'intrigues singulières qui flinguent la bienséance et la bienveillance à coup de rafales cinglantes jalonnant des textes d'une grande tenue. Bref, autant vous dire que le bonhomme s'entend pour vous raconter une histoire avec l'efficacité qui le caractérise en le démontrant également en tant que scénariste pour Habemus Bastard (Dargaud 2024), titre sans équivoque d'une BD en deux parties, superbement illustrée par Sylvain Vallée, qui s'articule autour du parcours d'un tueur à gage qui endosse une soutane et la fonction qui en découle afin de s'extirper des difficultés en lien avec sa profession en se soustrayant ainsi à ses anciens commanditaires bien décidés à lui faire la peau et qui nous rappelle, à certains égards, la série BD Soda, diminutif de Solomon David, lieutenant au NYPD qui dissimule ses activités à sa mère trop émotive qui est persuadée qu'il est prêtre. S'il a écrit plusieurs romans avant, le style corrosif de Jacky Schwartzmann émerge avec Mauvais Coûts (Seuil/Cadre Noir 2016) se rapportant à son expérience de travail au sein d'une multinationale qu'il retranscrit au gré du parcours de Gaby Aspinall, employé misanthrope et cynique s'inscrivant résolument dans l'amoralité "ordinaire" de son entreprise.  On reste sur un registre similaire avec Demain C'est Loin (Seuil/Cadre Noir 2017) et Pension Complète (Seuil/Cadre Noir 2018) qui nous entraîne dans le milieu du camping, dernier enfer sur terre où Dino Scala y trouve refuge suite à des déconvenues financières le privant du faste luxueux de son environnement luxembourgeois. Et puis c'est du côté de ses terres d'origine de Besançon que l'on s'aventure avec Kasso (Seuil/Cadre Noir 2021) en partant à la rencontre de Jacky Toudic, escroc à la petite semaine, faisant du business en profitant du fait qu'il est le sosie parfait de Mathieu Kassowitz tandis que l'on explore dans Shit ! (Seuil/Cadre Noir 2023) le quartier sensible de Planoise où l'opportunité de la reprise "accidentelle" d'un trafic de drogue devient la planche de salut pour les multiples associations bénévoles au service d'une communauté précarisée. Mais si l'on observe cette radicalité outrancière et ce pragmatisme extrême qui définissent l'ensemble des personnages centraux des romans de Jacky Schwartzmann, il ne faut pas se leurrer et prendre conscience que les thèmes sociaux qu'il aborde avec cette redoutable clairvoyance, toujours imprégnée d'une humanité coupable, nous renvoie à nos propres travers au détour d'un quotidien qui se disloque dans la nébulosité de leurs démarches jusqu'au-boutistes qui frisent l'absurde. C'est tout cela que l'on retrouve dans Bastion, nouveau récit du romancier qui explore le milieu de l'extrême-droite lyonnaise avec autant de gravité que d'humour. Et autant dire que l'auteur n'a rien d'un rigolo de service.

     

    bastion,jacky schwartzmann,editions du seuil,cadre noirLe lundi, il écume les rayons avec cette aisance de l'habitué qui connaît les moindres recoins du supermarché ainsi que le prénom de chacune des caissières. Pas de doute, Jean-Marc Balzan, célibataire sans enfant, est en préretraite et profite de chaque instant de cette période d'oisiveté bien méritée. Une petite vie pépère sans aspérité où l'on savoure les bonnes petites bouffes au resto et les voyages sympas qui vous donnent ce sentiment de liberté. Mais il y a Bernard, son meilleur ami qu'il connaît depuis l'enfance, un véritable frère d'arme qu'il tire régulièrement des guêpiers dans lesquels il a l'habitude de se fourrer. Il faut dire que si Bernard est un gars intelligent, il peut se révéler extrêmement con. Pour preuve, cette idée saugrenue qu'il a de s'engager dans l'équipe de campagne d'Eric Zemmour pour la présidentielle 2027 suscitant l'inquiétude de Jean-Marc craignant le pire et qui décide, à son corps défendant, d'accompagner son pote de toujours afin de le protéger. Et voilà que Jean-Marc se retrouve à côtoyer toute la galaxie de l'extrême-droite lyonnaise, des skinheads bas du plafond aux entrepreneurs ambitieux et plus ou moins véreux et des ultras qui préparent un attentat qu'il va tenter de déjouer en devenant l'indic des gendarmes tout en rencontrant le fameux Eric Z, icône de cette mouvance politique foireuse.

     

    Bastion débute sur cette scène de mœurs et coutumes de retraités évoluant dans un supermarché qu'un sociologue, disciple de Bourdieu et sous protoxyde d'azote, n'aurait pas renié tant le regard y est à la fois drôle et pertinent. C'est de cette manière que nous faisons la connaissance de Jean-Marc Balzan, homme de la classe moyenne qui se complait dans un quotidien d'heureux retraité que rien ne saurait bousculer hormis les frasques de son ami Bernard qui s'est mis en tête de soutenir la campagne présidentielle d'un certain Eric Zemmour dont il décline tous les bienfaits qu'il pourra apporter à une France déliquescente. On perçoit ainsi le mécanisme pernicieux de celles et ceux qui se tournent vers l'extrémisme, ultime voie de recours pour faire face à leurs problèmes dont l'étranger est forcément la cause et que Jacky Schwartzmann décline dans le contexte de l'apéro où les deux amis se confrontent au gré de leurs convictions respectives avec quelques réflexions hilarantes, dignes d'une politique de comptoir où émerge un certain désarroi. A partir de là, infiltré dans cette mouvance d'extrême-droite, Jean-Marc nous donne à voir toutes les nuances de l'univers fasciste dans lequel on retrouve Didier riche entrepreneur qui met en avant un racisme pragmatique d'opportunité pour la conduite de ses affaires, tandis qu'un individu de basse extraction comme Kevin s'inscrit dans un racisme rageur dont il peine à saisir la portée, hormis d'aider son prochain, qu'il soit blanc comme lui, afin de lui offrir refuge au sein de Bastion, centre d'accueil pour SDF situé du côté de Gerland, repaire des ultras, tout en cassant la gueule des antifas qui se présentent à lui. On notera, à l'occasion de son apprentissage de solidarité fasciste, cette déconvenue lorsque Kevin découvre que les sdf tchétchènes, s'ils sont blancs, sont de confession musulmane et n'apprécient donc guère les repas à base de porc. Une scène hilarante parmi tant d'autres au détour de cette atmosphère lyonnaise électrique émanant d'un texte oscillant entre le polar et le thriller aux entournures politiques qui s'achève du côté de Paris. Avec Bastion on perçoit ainsi, dans ce passage en revue sans concession de l'extrême-droite française, une lueur d'humanité émergeant de certains protagonistes se révélant plus con que méchant, tandis que d'autres parmi les plus nantis font preuve d'un cynisme destructeur pour assouvir leur soif de pouvoir dont la finalité est de s'emparer des plus hautes instances gouvernementales et que le romancier décline sur le registre d'un complot tonitruant qui n'est pas dénué de tension. De l'instrumentalisation, des magouilles et des coups foireux se mettent donc en place dans une succession de scène, parfois véritablement cocasses, autour de l’entourage du fameux Z faisant une apparition furtive et pathétique dans le cours d'une intrigue décapante aux allures de comédie noire qui font de Bastion un roman au style unique où l'on se marre sérieusement, ce qui nous fait vraiment du bien.


    Jacky Schwartzmann : Bastion. Editions du Seuil/Collection Cadre noir 2025.

    A lire en écoutant : A Hero's Death de Fontaine D.C. Album : A Hero's Death. 2020 Partisan Records.

  • Jacky Schwartzmann : Shit ! La loi du plus faible.

    Jacky Schwartzmann, Shit !, cadre noir, éditions du seuilMême si l’ensemble de ses romans sont imprégnés d’un humour corsé, on aurait tort de considérer Jacky Schwartzmann comme le rigolo de service au sein de la littérature noire francophone. Bien au contraire, ses traits d’esprit au vitriol ne font que souligner, avec une belle justesse, les dysfonctionnements sociaux qu’il entend dénoncer autour d’intrigues d’une férocité sans faille à l’instar d’un ouvrage décapant comme Pension Complète  (Seuil/Cadre Noir 2019) ou de l’hilarant Kasso (Seuil/Cadre Noir 2021) dont l’action se déroulant à Besançon ne fait que mettre en exergue les difficultés quotidiennes des habitants d’une France dite périphérique, bien éloignée des considérations d’un pouvoir centralisé délaissant ces régions livrées à elles-mêmes avec des habitants qui se débrouillent comme ils le peuvent.  Avec Shit !, Jacky Schwartzmann décline un récit vachard de trafic de stupéfiants et de l'économie souterraine qui en découle, prenant ses aises dans une banlieue désenchantée de Besançon en intégrant tous les thèmes de la discrimination et des laissés-pour-compte qui se débrouillent comme ils le peuvent au sein d’un environnement délabré mais dans lequel se niche ce bel esprit de solidarité permettant de faire face aux aléas de la vie de tous les jours.

     

    Thibaud Morel est un jeune conseiller d'éducation au collège de Planoise, une banlieue de Besançon où il s'est installé afin de s'intégrer dans l'ensemble de la communauté. Une existence que l'on pourrait qualifier de banale. Néanmoins son allée sert de point de ralliement pour un trafic de stupéfiants florissant tenu par les frères Mehmeti qui ont même installé leur "four" dans l'appartement situé en face du sien. Personne ne moufte dans l'immeuble, car les trafiquants ont la particularité d'avoir la gifle facile. Mais lorsque ceux-ci se font descendre lors d'un règlement de compte plutôt radical, Thibaut et Myriam Samla, sa voisine comptable, découvrent un énorme stock de shit. Après quelques tergiversations et quelques considérations comptables sur le prix de la barrette qui donnent le vertige, ils prennent une décision qui va bousculer leur quotidien ainsi que la vie de nombreux habitants de Planoise. S'ensuit une véritable leçon de marché et d'économie teintée d'amateurisme et de pragmatisme pour survivre au sein d'un milieu plutôt impitoyable où l'on n'apprécie guère la concurrence. 

     

    Oui le bandeau ornant l'ouvrage n'est pas erroné. Il y a bien un petit quelque chose de Walter White chez Thibaud Morel, personnage central de Shit ! avec ce côté bien-pensant d'obédience de gauche, ceci même s'il conspue les trafiquants albanais et les initiatives véganes de sa collègue au comité de la cantine scolaire. Un gendre idéal que ce jeune homme s'investissant sans compter au sein de l'établissement scolaire où il officie en tant que conseiller et qui se voit soudainement projeté dans la gestion d'un trafic de haschich à son corps défendant. Le coup de génie de Jacky Schwartzmann, c'est de démontrer, avec cet humour mordant qui le caractérise, tout l'aspect de l'économie parallèle que génère un tel trafic dont les bénéfices vont financer des initiatives au profit des habitants de Planoise. Tel un Robin des Bois des stups, Thibaud Morel, accompagné de quelques complices, va donc basculer dans le crime avec un curieux sentiment d'ivresse qui l'anime en l'entraînant dans une succession de comportements de plus en plus ambivalents. C'est d'ailleurs là que réside toute l'intelligence d'un roman comme Shit ! où l'on observe cette perte de repère d'un individu estimant que la fin justifie les moyens avec toutes les conséquences qui en résultent au gré d'une intrigue des plus surprenantes. Avec Shit ! on appréciera également le portrait nuancé de cette banlieue de province s'éloignant radicalement de tous les clichés que l'on peut avoir sur un tel environnement, avec une galerie de personnages pittoresques qui s'investissent, parfois avec ingéniosité, dans le bon fonctionnement de cette cité à laquelle ils sont profondément attachés. Tout cela nous donne une succession de scènes désopilantes, parfois bien corsées, qui font de Shit ! un roman noir savoureux au caractère bien affirmé.

     

    Jacky Schwartzmann : Shit ! Editions du Seuil/Cadre Noir 2023.

    A lire en écoutant : That's My People de Suprême NTM. Album : Suprême NTM 1998.

  • Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Couleur sépia.

    Capture d’écran 2020-07-14 à 19.10.58.pngCe qu'il y a de réjouissant en évoquant le parcours de Cyril Herry c'est de voir l'influence de son environnement, de ses passions et de ses rencontres avec des auteurs autrefois méconnus qu'il a croisé alors qu'il dirigeait sa petite maison d'éditions Ecorce et la collection Territori de la Manufacture de Livre. Centré sur la région du Limousin où il vit, l'éditeur publiait les récits de Franck Bouysse et d'Antonin Varenne que l'on ne présente plus, ainsi que ceux de Patrick K Dewney (Crocs, Manufacture de livres 2016) et Séverine Chevalier (Clouer L'Ouest, Manufacture de livres 2015) que je vous recommande de découvrir si cela n'est pas déjà fait. Mais à force de parcourir les forêts et de bâtir des cabanes, il fallait bien un jour que Cyril Herry se lance dans l'écriture d'un roman, ce qu'il fit en 2018 en publiant Scalp (Seuil/Cadre Noir 2018) où il est justement question de forêts et de campements avec un récit lumineux qui prend tout de même quelques entournures noires comme on les apprécie dans ce contexte rural. De ruralité, il est encore question avec Nos Secrets Jamais qui fait la part belle à une autre passion de l'auteur, la photographie qui devient le point central d'un texte nous entrainant dans les méandres d'un petit village perdu dans la campagne qui recèle de bien trop lourds secrets.

     

    Elona connait bien cette vieille maison familiale qu'elle a dessinée tant de fois lorsqu'elle était enfant. Pourtant elle n'y a jamais mis les pieds jusqu'à ce jour où elle se découvre héritière de la demeure que sa grand-mère maternelle, qu'elle pensait disparue depuis bien longtemps, vient de lui léguer. La jeune femme s'installe donc dans cette vieille bâtisse qui ploie sous les secrets et dont le silence est troublé par quelques craquements, manifestations de vieux fantômes erratiques qui semblent prêts à livrer tous leurs secrets. Et c'est au travers des photographies de ses ancêtres qu'elle découvre dans les pièces de la maison, qu'Elona met à jour un drame familial tout en essayant de recueillir les témoignages de villageois plutôt méfiants et mutiques qui ne souhaitent pas évoquer les vieilles histoires d'autrefois.

     

    C'est avant tout dans l'écriture en tant que telle que l'on apprécie les romans de Cyril Herry, avec cette précision d'orfèvre qui nous offre un texte à la fois intense et marquant se focalisant sur cet ancien café abandonné devenant le point névralgique d'une intrigue délicate prenant la forme d'un labyrinthe à l'image du bâtiment recelant couloirs et pièce secrètes dans lesquels évolue Elona cette héroïne atypique qui s'imprègne de l'atmosphère des lieux. L'autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de la photographie, avec cette jeune femme qui a embrassé la profession tout comme l'un de ses aïeuls qui a laissé un nombre conséquent de clichés devenant les pièces d'un puzzle complexe dans lequel on évolue sans trop savoir où tout cela va bien nous mener. Il émane donc de l'ensemble une sensation de huis-clos assez inquiétant agrémenté d'une impression d'étrangeté avec les ancêtres d'Elona qui imprègnent cet endroit silencieux. Des ascendants qui semblent influencer le comportement d'une jeune héroïne plutôt solide mais révélant tout de même quelques fragilités au fil de l'intrigue à l'exemple de sa propension à consommer de l'alcool avec excès.

     

    Dans cette exploration du passé, Elona va s'interroger sur le comportement de sa mère qui n'a jamais voulu revenir dans son village natal et qui s'est suicidée en se tirant une balle dans la tête, mais également sur d'autres membres de sa famille comme sa grand-mère qu'elle n'a jamais connue. Mais outre l'exploration de la maison familiale, c'est en interrogeant les habitants du village qu'elle trouvera des réponses dans l'ensemble de mystères qui entourent les membres de sa famille. C'est l'occasion pour l'auteur de nous offrir une galerie de personnages mutiques comme Emilien ce vieux paysan renfrogné qui observe le comportement de sa nouvelle jeune voisine, ou John, un vieillard étrange, passionné de western, qui en sait plus long qu'il ne veut bien le dire sur les drames qui ont marqué le village, particulièrement durant la seconde guerre mondiale et bien évidemment Annie, la patronne de l'unique bar du village, possédant une télé étrange bloquée sur une chaîne musicale diffusant des clips des années 80.

     

    Oscillant entre le huis-clos d'une maison sombre et cette évasion dans une nature foisonnante entourant le village, on apprécie avec Nos Secrets Jamais, le juste équilibre d'un récit subtil, intelligemment mené nous conduisant vers la découverte de drames qui ont marqué cette famille qu'Elona apprend à connaître afin de s'émanciper d'un passé qui semble l'avoir marquée plus qu'elle ne saurait l'admettre.  Tout en délicatesse et en puissance, un récit envoûtant.

     

     

    Cyril Herry : Nos Secrets Jamais. Editions du Seuil/Cadre Noir 2020.

    A lire en écoutant : Les Nuits Blanches de Daran & Les Chaises. Album : Huit Barré. 1994 WEA Music.

  • Jacky Schwartzmann : Pension Complète. Sévices compris.

    jacky schwartzmann,pension complète,seuil,cadre noirSeule une actualité chargée en événements peut expliquer le fait que l’on ait quelque peu occulté la nouvelle littéraire de l’année avec l’attribution du prix des chroniqueurs 2019 Toulouse Polars du Sud pour Pension Complète de Jacky Schwartzmann célébrant ainsi cet humour mordant qui ponctue les récits d’un auteur maîtrisant parfaitement les codes du roman noir pour mieux les détourner avec quelques portraits sans complaisance de personnages qui n’en demeurent pas moins extrêmement attachants. Mais bien loin de la simple gaudriole, Jacky Schwartzmann s’emploie à dépeindre ce mélange explosif d’univers sociaux dissemblables dont les antagonismes vont alimenter une succession de situations à la fois rocambolesques et hilarantes qui viendront surprendre le lecteur au détour d’une comédie noire au mauvais esprit décapant qu’il faut prendre au deuxième ou voire même au troisième degré.

     

    Dino a trouvé le salut au Luxembourg en tombant amoureux de Lucienne, son aînée de 32 ans qui est en mesure de l’entretenir avec ses millions, même si pour cela, il faut supporter la mère acariâtre de sa dulcinée. Pour un gars issu d’un milieu modeste en ayant toujours vécu dans une triste banlieue lyonnaise, la situation pourrait être supportable si l’entourage de Lucienne ne lui rappelait pas sans arrêt sa condition de gigolo et sa nationalité française qui semble être un défaut majeur. Après avoir cassé la gueule au banquier belge de sa fiancée, qui lui a manqué de respect, Dino est contraint de s’exiler et de passer l’été sur un yacht amarré dans le sud de la France. Mais sur le chemin, une panne de voiture l'oblige à résider quelques jours dans un camping de La Ciotat. Entouré d’une masse de touristes anglais, hollandais et belges, Dino fait la connaissance de Charles, un auteur à succès goncourisé qui s’est mis en tête d’observer les vrais gens afin de nourrir l’intrigue de son prochain roman. Mais au camping de la Naïade, Dino va rapidement constater que les morts suspects s’accumulent et que les victimes ont la fâcheuse tendance à être celles qui l’insupportent.

     

    Qui n'a jamais rêvé parfois de trucider quelques abrutis odieux que l'on ne pouvait plus supporter ? Un rêve que Jacky Schwartzmann a couché sur papier dans ce qui apparaît comme un récit jubilatoire où l'on éprouve une certaine forme de sympathie pour des meurtriers œuvrant dans le cadre d'une mission salutaire de salubrité sociale. C'est bien là que réside toute la force de ce regard féroce et drôle à la fois avec ce terrible sentiment d'empathie qui vous submerge entre deux crises de fous rire en suivant l'exil de Dino, gigolo à son corps défendant, qui se lie d'amitié avec Charles Desservy, un célèbre romancier à succès, en attendant de retrouver les bonnes grâces de sa chère et tendre Lucienne. Un exil prenant rapidement la forme d'un périple meurtrier hilarant au cœur de cette atmosphère estivale d'une Côte d'Azur blindée de touristes avec cette promiscuité infernale propice à tous les excès qui donnent lieu à des scènes aussi cruelles que comiques.  

     

    Rythmé, mordant et très incisif, Pension Complète aborde, au-delà de l'aspect comique, tous les thèmes en lien avec l'apparence et les préjugés dont on ne peut se départir quoique l'on fasse comme Dino va s'en apercevoir, lui qui subit l'avanie d'un entourage suffisant et bouffit d'orgueil au détour de considérations déplacées qu'il ne peut plus supporter. Mais lui-même n'adopte-t-il pas une attitude similaire lorsqu'il se retrouve dans ce camping de la Naïade, bien éloigné de son standing habituel ? Désemparé, Dino trouvera donc une forme d'émancipation et de rédemption salutaire et joyeusement meurtrière en côtoyant cet écrivain dont l'attitude, à la fois décalée et décomplexée, ne manquera pas de nous interloquer au détour d'une succession de règlements de compte désopilants qui peuvent parfois se révéler extrêmement réjouissants.

     

    Méchante farce politiquement incorrecte, Jacky Schwatrzmann parvient à nous interpeller, entre deux éclats de rire, avec un roman noir délicieusement vachard teinté d’un soupçon de bienveillance pour des personnages qui se révèlent bien plus attendrissants qu’il n’y paraît.

     

    Jacky Schwartzmann : Pension Complète. Editions du Seuil/Cadre noir 2018. Points policiers 2019.

    A lire en écoutant : Comme Un Boomerang interprété par Dani & Etienne Daho. Album : La Nuit Ne Dure Pas. 2016 Mercury Music Group.