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ERNEST J. GAINES : DITES-LEUR QUE JE SUIS UN HOMME. LA CHAISE ET LE PORC.

ernest j gaines,dites-leur que je suis un homme,éditions liana levi« Enfin, autant placer un porc sur la chaise électrique ! »

 

A l'aune de l’ensemble de son œuvre, il a été pressenti en 2004 pour l’obtention du Prix Nobel de littérature soulignant son engagement quant à la description de l’évolution des conditions de vie de la communauté afro-américaine du sud des Etats-Unis pour les nouvelles générations se confrontant à leurs pairs, tout en étant en quête d’une dignité dans un contexte de discrimination institutionnelle. Né en 1933 dans une plantation de la Louisiane et après avoir travaillé très jeune dans des exploitations agricoles, Ernest J. Gaines a pu effectuer des études en Californie lui permettant de découvrir la littérature pour laquelle il se passionne avant de se lancer dans l’écriture afin de dépeindre l’environnement dans lequel il a toujours vécu et qu’il ne retrouvait pas dans ses nombreuses lectures. Il devient ainsi l’une des grandes voix majeures du « roman du Sud » qui met en exergue cet univers âpre de ces régions du sud des Etats-Unis en proie à cette ségrégation larvée et destructrice qui lamine les communautés noires du pays. La particularité des textes d’Ernest J. Gaines réside dans le fait qu’il s’emploie à exposer cette quête de la dignité dans un registre extrêmement sobre qu’il décline au gré d’intrigues aux ressorts tragiques d'où émergent, en dépit du désarroi et de l’injustice, quelques lueurs d’espoir dans ce qui apparaît comme une véritable étude de mœurs de ces contrées, dont il est un véritable précurseur représentatif des congrégations afro-américaines. Et c’est encore une fois cette quête de la dignité dont il est question dans Dites-Leur Que Je Suis Un Homme, œuvre majeure du romancier qui fut récompensé du National Book Critic Circle et qui s'inscrit dans une dimension assez sombre où l’on observe les parcours d’un enseignant et d’un condamné à mort amenés à se rencontrer dans des circonstances qui les opposent et qui les dépassent parfois.

 

ernest j gaines,dites-leur que je suis un homme,éditions liana leviDans la Louisiane des années quarante, Jefferson, un jeune noir indigent et quasiment illettré se retrouve au mauvais endroit, au mauvais moment en compagnie des mauvaises personnes ce qui fait qu’il est le seul survivant du braquage d’une épicerie, dont une des victimes n’est autre que le propriétaire blanc du négoce. Accusé à tord d’être l’un des responsables de cette tragédie, le jeune homme est condamné à mort au terme d’un procès expéditif où son avocat commis d’office fait valoir sa condition de « porc » lors d’une plaidoirie soulignant toute son incompétence. Témoin de la scène, il est hors de question pour sa marraine que l’on considère son filleul comme un animal et supplie Grant Wiggins, l’instituteur du village, de faire en sorte que Jefferson recouvre sa dignité en prenant en charge son éducation au sein de la prison où il attend l’exécution de sa sentence. Dérouté par une telle demande, s’ensuit une confrontation entre deux hommes aux opinions et aux certitudes divergentes tandis que l'échéance fatidique approche.

 

Il y a bien évidemment quelque chose de déconcertant quant à la requête de la marraine du condamné à mort et de la tante de Grant Wiggins qui souhaitent que Jefferson puisse affronter l’immuable sentence avec une certaine grandeur pouvant paraître dérisoire au regard de cette injustice émanant d’une société discriminatoire en quête d’une vengeance institutionnalisée afin de dissuader des hommes noirs de s’en prendre à un individu blanc. A partir de là, on pourra observer l’influence paradoxale que ces deux matrones afro-américaines peuvent exercer sur des notables tels que le shérif du comté ou le propriétaire de la grande plantation de la région qu’elles ont servis avec une certaine déférence ce qui nous permet de distinguer d’autres rapports de force régissant cette région du Sud des Etats-Unis qui vont leur permettre d’accéder à leur étrange requête. Il faut dire que derrière ce masque de certitude de la communauté blanche quant à la culpabilité du condamné, Ernest J. Gaines met en évidence toute l’hypocrisie de cette fureur vengeresse qui s’abrite désormais derrière le bras armé de la justice. Il n’est donc plus question de lyncher un homme noir au premier arbre venu, mais de le faire griller sur la chaise que l’on transporte de comté en comté afin d’exécuter les sentences prononcées par les tribunaux de l’Etat de la Louisiane. Mais qu’est-ce que peut apporter un instituteur à un homme qui se sait condamné et qui n’attend donc plus rien de son entourage et qui intègre les caractéristiques de l’animal auquel on l’a comparé ? C’est bien autour de cette question que l’on va suivre les réflexions Grant Wiggins et plus particulièrement son désespoir qu’il trimbale quant au manque de perspective au sein d’un environnement qui prend finalement l’allure d’une prison assez similaire à celle dans laquelle on a enfermé Jefferson. On parle d’un carcan social pesant sur les épaules de cet afro-américain qui a pu accéder aux bancs de l’université pour bénéficier d’une éducation dont il peut se targuer au grand dam d’un shérif plus que méfiant qui voit tout de même d’un mauvais œil cette démarche dont il ne saisi pas le sens, tout comme Grant d’ailleurs. Mais dans un registre extrêmement sobre, on prendra la mesure de l’évolution des rapports entre l’enseignant et le prisonnier tout en s’intéressant à toute une galerie de personnages secondaires tels que le shérif adjoint Paul qui se distancie de ces normes discriminatoires alors que l’on abordera le thème de la spiritualité avec le révérend Ambrose aspirant à ce que la brebis égarée retrouve la foi que Grant Wiggins rejette en bloc. Tout ces enjeux contradictoires, Ernest J. Gaines les distille au rythme d’une narration toute en pudeur et en nuance d’où émerge une émotion contenue qui s’articule donc autour de l’évolution de la personnalité de Jefferson tandis qu’il croupit dans ce couloir de la mort dont il sort grandi afin d’affronter le sort funeste qui l’attend et que le romancier se garde bien de dépeindre ce qui fait que l'on ne tombe jamais dans une espèce de voyeurisme malsain ou de surenchère émotionnelle pour se concentrer sur l'essentiel à savoir cette dignité retrouvée qui fait de vous un homme en dépit d'une discrimination raciale qui broie le destin des plus vulnérables.

 

Ernest J. Gaines : Dites-leur que je suis un homme (A Lesson Before Dying). Editions Liana Levi. Collection Piccolo 2004. Traduction de l'anglais (Etat-Unis) par Michelle Herpe-Volinsky.

A lire en écoutant : Cry Again de Henrik Freischlader. Album : Recording By Martin Meinschäfer. 2010 Cable Car Records.

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