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USA - Page 21

  • JAMES ELLROY : PERFIDIA. LA CINQUIEME COLONNE.

    Capture d’écran 2015-05-26 à 14.16.22.pngDésormais pour lire l’œuvre d’Ellroy, il faut prendre la peine de se débarrasser de l’emballage outrancier que l’écrivain déploie depuis un certain temps pour la promotion de ses romans. Une composition flamboyante, faite d’excès et de provocations, aussi criarde et consternante que les chemises hawaïennes dont il s’affuble. Il faut se souvenir de l’aura mystérieuse qui entourait l’auteur à l’époque où paraissait le fameux Dahlia Noir roman fondateur du premier quatuor de Los Angeles. Dans un paysage médiatique plus austère, dépourvu de web et de portables, l’emballement littéraire se concentrait principalement sur l’œuvre au détriment de l’auteur que l’on considérait comme une espèce de monstre raciste et fasciste au fur et à mesure de sa notoriété grandissante. Perfidia doit donc être abordé comme Le Dahlia Noir, en dehors du tumulte des interviews superficielles que l’on nous assène depuis quelques semaines et qui ressassent les mêmes assertions que l’auteur s’amuse à mettre en valeur dans un show parfois grotesque. Car que pourrait dire Ellroy de plus qui ne figure pas dans ses romans ? Encore faudrait-il que certains chroniqueurs qui l’abordent aient au moins pris le temps de lire ses romans ce qui est loin d’être garanti. Un selfie, une dédicace et un bon mot, c’est désormais tout ce qu’il faut pour certains d’entre eux. Et Ellroy, plus que tout autre s’en amuse en faisant sa tournée promotionnelle.

     

    C’est à la veille de Pearl Harbour que l’on découvre dans leur villa de Los Angeles, les quatre cadavres de la famille Watanabe, sauvagement assassinés à coups de poignards dans ce qui ressemble vaguement à un scène du rituel seppuku. Le sergent Dudley Smith du LAPD est chargé de l’enquête avec la recommandation expresse de faire en sorte que le coupable soit japonais car le pays, sur le point d’entrer en guerre, est désormais en proie à une hystérie collective sans précédent. La communauté américaine d’origine japonaise en est la première victime en subissant une série de rafles aussi massives qu’abusives en vue d’une déportation vers des camps d’internement. Dans ce contexte de manipulation et de paranoïa, le criminologue Hideo Ashida va tenter de ramener la vérité au premier plan tout en éprouvant des sentiments troubles à l’égard du machiavélique sergent. L’enquête est supervisée par le  capitaine Parker, jeune officier de police ambitieux, aussi croyant qu’alcoolique, d’avantage préoccupé par la menace communiste. Afin d’infiltrer les milieux bourgeois à tendance gauchiste, il fera appel à la sulfureuse Kay Lake, brillante jeune femme qui entretient une relation complexe avec le détective Lee Blanchard. Ce quatuor trouble va se mouvoir au cœur d’une troublante machination où la trahison et la compromission semblent être les règles majeures permettant de survivre dans le marigot sordide de cette cité corrompue.

     

    Avec Perfidia, James Ellroy rassemble les personnages qui ont hanté les romans du quatuor de Los Angeles et de la trilogie Underworld USA afin d’entamer une seconde tétralogie se situant à nouveau à Los Angeles, mais durant la période de la seconde guerre mondiale. Une espèce de préquel destiné à faire le lien avec les évènements relatés dans Le Dahlia Noir. Je laisserai à d’autre le soin de compter le nombre de pages ou de dénombrer la myriade de personnages que le roman contient. Ce qui importe c’est que l’écriture aux phrases concises et incisives est toujours bien présente, mais que l’on dénote, en plus, une certaine fluidité qui n’est pas du tout coutumière chez un auteur comme James Ellroy. Cela provient probablement du fait que l’auteur a choisi, pour la première fois, une narration en temps réel, sur une durée précise égrenant chaque journée située entre le 6 et le 29 décembre 1941. Avec cette rapidité dans le déroulement de l’histoire, on perçoit ainsi l’atmosphère frénétique qui émane de chacune des pages du livre. Car outre l’aspect journalier, le fil de l’histoire s’égrène au rythme des points de vue des quatre personnages principaux que sont Dudley Smith, Hideo Ashida, William Parker et Kay Lake. De cette manière, l’auteur nous entraine au cœur d’un maelstrom de rage, de haine et de turpitude beaucoup plus intense que ce que l’on avait l’habitude de lire notamment dans le premier quatuor de Los Angeles. Les intrigues et sous intrigues s’entremêlent dans une confusion savante que l’auteur maîtrise avec le talent qui lui est coutumier. Sur fond d’émeutes raciales, de cinquième colonne perfide,  d’enquêtes sabordées et de trahisons en tout genre, le tout dilué dans une crainte de bombardements destructeurs et d’invasions imminentes, vous allez découvrir une ville de Los Angeles détonante où les personnages les plus abjects monnaient déjà l’expulsion, l’expropriation et même l’internement des ressortissants américains d’origine japonaise. Car même s’il ne l’aborde pas de manière frontale, c’est ce pan méconnu  et peu reluisant de l’histoire américaine que l’auteur évoque tout au long du récit (Outre Ellroy, Alan Parker avec son film Bienvenue au Paradis et David Gustavson  avec son livre La Neige Tombait sur les Cèdres sont, à ma connaissance, les rares auteurs à relater ces tristes évènements). Avec ces déportations, ces internements et ces projets d’eugénisme que l’auteur expose par l’entremise d’hommes de loi, de médecins et de promoteurs véreux on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les desseins funestes du régime nazi, même si les conséquences n’ont pas été aussi tragiques.

     

    james ellroy,perfidia,rivages thriller,parker,dudley smith,kay lake,japon,little tokyo,los angelesSi Ellroy a pour habitude d’inclure dans ses romans des personnages réels, c’est la première fois qu’il met en scène l’un d’entre eux, parmi les protagonistes principaux. C’est ainsi qu’il romance la vie de William Parker, l’un des plus célèbres directeurs du LAPD dont le quartier général porte, aujourd’hui encore, son nom. Comme bon nombre de ses héros, Ellroy dresse un portrait sombre et ambivalent d’un homme d’une grande intelligence et d’une clairvoyance extrême le contraignant, presque à son corps défendant, à mettre en place de sombres machinations afin de satisfaire sa soif d’ambition que l’alcool n'arrive pas à étancher. Un personnage torturé qui ne parvient pas à s’aimer tout comme son alter égo féminin, Kay Lake.

     

    Avec Perfidia, on ne peut s’empêcher de frissonner à l’idée de recroiser le destin de l’un des personnages les plus emblématiques de l’œuvre d’Ellroy à savoir le sergent Dudley Smith. On retrouve un flic plus jeune, mais tout aussi dangereux et violent qui effectue avec son équipe les basses œuvres du LAPD pour le compte de cadres corrompus. Séduisant, machiavélique, on décèle chez cet homme quelques fêlures qui rendent le monstre plus présentable. En évoquant certains pans de sa jeunesse en Irlande, on peut deviner l’origine du mal qui a façonné un personnage qui recèle encore quelques brides d’humanité.

     

    Le principal défaut de Perfidia est qu’il s’agit d’un préquel et que, de ce fait, le lecteur connaît déjà la destinée de la plupart des personnages qui hantent cette histoire ce qui dessert parfois la tension narrative de certaines péripéties du roman. D’autre part, on peine à comprendre le sens de l’apparition d’Elisabeth Short accompagnée de son véritable géniteur, dont je tairai l’identité afin de vous en laisser la surprise. Néanmoins cette surprise s’avère plutôt embarrassante. En effet, il est difficile désormais de croire que ce personnage soit absent du fameux roman Le Dahlia Noir. Le fait de découvrir le point de vue de Kay Lake sous la forme d’un journal consigné au musée du LAPD reste également très déconcertant et peu crédible dans la forme où il est rédigé. Là aussi on peine à comprendre l’utilité d’un tel style de narration. Il faudra peut-être attendre la suite de cette tétralogie pour entrevoir le sens de ce qui apparaît à ce jour comme des défauts mineurs.

     

    Parce qu’il ne faut pas se leurrer, Perfidia considéré par l’auteur lui-même comme son meilleur roman prouve sans l’ombre d’un doute qu’Ellroy reste l’immense écrivain qu’il n’a d’ailleurs jamais cessé d’être n’en déplaise à ses détracteurs. Perfidia c’est un livre d’une force brute dégageant une telle intensité dramatique qu’il mettra à terre le plus blasé des lecteurs. Un véritable KO littéraire.

     

    James Ellroy : Perdifia. Editions Rivages/Thriller 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Sayonara Blues de The Bronx Horns. Album : Silver in the Horns. Savoy Jazz 1998.

     

  • DENNIS LEHANE : QUAND VIENT LA NUIT. UNE VIE DE CHIEN.

    Capture d’écran 2015-02-01 à 22.33.09.pngIl existe une loi littéraire qui dit que les romans tirés de scénarios ne donnent jamais de bons résultats et je ne connais pas de romans noirs ou de polars qui font exception à cette règle. Familier du milieu hollywoodien, Dennis Lehane a bénéficié d’excellentes adaptations de ses romans (Gone Baby Gone, Shutter Island et Mystic River), mais on sentait que l’auteur en voulait davantage en endossant notamment le rôle de scénariste chose qu’il n’avait jamais faite à l’exception de quelques épisodes des séries Sur Ecoute et Broadwalk Empire.

     

    Quand Vient la Nuit est donc à l’origine un scénario que l’auteur a développé à partir d’une de ses nouvelles Animal Rescue que l’on peut découvrir dans l’anthologie Boston Noir également publié aux éditions Rivages.

     

    Bob Saginowski est un barman taciturne et solitaire qui travaille pour son cousin Marv. Le bar est lui-même aux mains de la mafia tchétchène et sert de dépôt  ou de relais pour l’argent de la pègre. Malgré cela, l’établissement est braqué et les deux hommes doivent rendre des comptes ce qui suscitent convoitises et ressentiments tout en faisant ressurgir des souvenirs que Bob souhaiterait ne plus devoir revivre. Mais peut-être que ce chien retrouvé dans la poubelle du jardin de Nadia, une fille du quartier, l’aidera à surmonter des regrets  qui ne cessent de le hanter.

     

    Etre scénariste ou romancier il faut parfois choisir car il ne s’agit définitivement pas des mêmes métiers et un auteur comme Cormac Mc Carthy avec Trafic en a fait les frais à ses dépends. Il en va de même pour Dennis Lehane qui nous livre un roman d’une piètre qualité. Les deux auteurs possèdent la particularité commune de rédiger des histoires riches et intenses dont le talent des scénaristes consiste à extraire un matériel suffisamment harmonieux pour les besoins d’un film. Mais lorsqu’ils font le travail eux-mêmes, Denis Lehane tout comme Cormac Mc Carthy ne parviennent pas à cet équilibre fragile où le texte est au service de l’image.  C’est particulièrement flagrant  avec Quand Vient la Nuit où l’auteur s’est focalisé avant tout sur tous les aspects visuels de l’histoire au détriment de personnages qui se révèlent sans consistance et d’une intrigue très convenue qui manque de relief. Il n’y a guère que la relation entre le cousin Marv et sa sœur Dottie qui nous rappelle les belles scènes auxquels l’auteur nous avait habitué tout comme les liens qui se nouent entre le détective Torres et Bob qui fréquentent tous deux la même église sur le point de fermer ses portes. Mais ces instants sont rares et outre le manque d’épaisseur de certains protagonistes, on déplorera que les mafieux tchétchènes soient traités d’une manière si superficielle qu’ils donnent l’impression d’être aussi crédibles qu’une bande de croquemitaines.

     

    Avec la reproduction de l’affiche du film en couverture estampillée Fox Searchlight, les éditions Rivages se sont prêtées au jeu de marchandising pour mettre en avant leur tête d’affiche. Même le titre original de l’ouvrage intitulé The Drop a été galvaudé et on s’étonnera qu’une maison d’édition si soucieuse des traductions ait accepté ce titre français ridicule, Quand Vient la Nuit.

     

    Capture d’écran 2015-02-01 à 22.36.55.pngLe film réalisé par le belge Michael R Roskam qui nous avait ébloui avec son premier long-métrage Bullhead , ne suscitera que très peu d’intérêt hormis le fait qu’il s’agit de la dernière apparition de James Gandolfini qui nous gratifie dans son ultime scène de ce regard sombre et inquiétant si caractéristique de l’acteur. Une mise en scène très classique et sans surprise pour un twist final qui manque cruellement de panache. A voir en version originale tant la voix française de Tom Hardy est si insupportable.

     

    Capture d’écran 2015-02-01 à 22.41.06.png

    Il faut que Dennis Lehane se concentre sur ce qu’il sait faire de mieux, à savoir écrire de magnifiques livres que des scénaristes se chargeront d’adapter pour le cinéma. L’auteur a d’ailleurs publié un troisième opus de sa fresque historique des USA qu’il avait entamée en 2008 avec le magnifique Un Pays à l’Aube qui reste son dernier bon roman.

     

    Dennis Lehane : Quand Vient la Nuit. Editions Rivages/Thriller 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Isabelle Maillet.

    A lire en écoutant : O Caminho de Bebel Gilberto. Album : Bebel Gilberto. Crammed Disc 2004.

  • Nic Pizzolatto : Galveston. La cavale des paumés.

    nic pizzolatto, galveston, true detective, éditions 10/18Avant de connaître le succès avec sa série True Detective, Nic Pizzolatto avait écrit en 2011, un roman intitulé Galveston que la maison d’édition 10/18 s’est empressé de réimprimer en ornant l’ouvrage d’un bandeau rouge et blanc stipulant que l’auteur est le créateur de la série phare de l’année 2014. Ce genre de démarche peut s’avérer ambivalent tant l’on a subit à de trop nombreuses reprises les calvaires de fonds de tiroir en vue d'amasser quelques deniers supplémentaires en surfant sur une vague de succès commerciaux.

     

    Mais que l’on se rassure, Galveston est en fait une espèce de prélude confirmant le grand talent d’un auteur qui est parvenu à rassembler de manière plus que convaincante les amateurs de séries policières. Malgré ses qualités indéniables, l’ouvrage passa quasiment inaperçu lors de sa sortie à l’exception de quelques critiques, dont celle de Yan, animateur du blog Encore du Noir que vous retrouverez ici.

     

    Roy Caddy, petit gangster sans envergure, passe une sale journée en apprenant qu’il est atteint d’un cancer des poumons et en échappant à un traquenard orchestré par son boss qui a décidé de se débarrasser de lui. Contraint à prendre la fuite, Roy prend sous son aile, la jeune Rocky, prostituée complètement paumée et sa petite sœur Tiffany. En longeant les côtes du golfe du Mexique, ce trio bancal va apprendre à se connaître et à s’apprivoiser tout en essayant de semer les tueurs lancés à leurs trousses. Vingt ans plus tard, alors qu’il pense s’être débarrasser de ses poursuivants, Roy Caddy s’aperçoit qu’un homme mystérieux tente de se renseigner sur lui.

     

    Nic Pizzolato bâtit son récit sur une trame ultra classique de cavale et de gangster en quête de rédemption pour mieux s’écarter des schémas convenus de la road story afin de se concentrer sur la relation qui unit les trois protagonistes principaux. C’est à Galveston, station balnéaire du Texas, que le destin de Roy, Rocky et la petite Tiffany va se jouer sur l’espace de quelques jours que l’auteur évoque avec une intensité peu commune et qui se conclura vingt ans plus tard avec un chapitre final bouleversant chargé d’émotion.

     

    Dans Galveston comme dans True Detective c’est sur le plan de la temporalité que l’on retrouve la marque de fabrique déconcertante de Nic Pizzolato avec une histoire qui se déroule sur l’espace d’une vingtaine d’année. Outre l’absence d’alternance régulière entre les évènements de 1987 et de 2008, l’auteur retient des éléments du passé pour nous les restituer dans le présent et inversement, ce qui décontenancera plus d’un lecteur surpris par cet artifice narratif peu commun.

     

    Pour Roy Caddy, c’est l’heure des choix qui s’imposent car l’homme va devoir se pencher sur son passé pour tenter de trouver un sens à une vie qu’il n’est pas certain de maîtriser tout comme Rocky, sa compagne de cavale. Deux êtres cabossés par la vie qui essaient de prendre en main leur destinée par l’entremise de la petite Tiffany sur laquelle ils déposent tous leurs espoirs. Sur fond de paysages flamboyants et lumineux, Nic Pizzolato dresse le portrait sombre et saisissant de personnages entrainés vers une destinée dont les lecteurs les plus avertis seront bien en peine de deviner l’issue, ceci d’autant plus que l’auteur nous gratifie de quelques rebondissements violents qui apportent encore d’avantage de souffle à ce splendide roman qui se lit d’une traite comme la tempête qui s’abat sur Galveston.

     

    Nic Pizzolatto : Galveston. Editions 10/18 2011. Traduit de l’anglais (USA) par Pierre Furlan.

    A lire en écoutant : Eden de Hooverphonic. Album : Sit Down And Listen To Hooverphonic (The live theater recordings). Columbia 2003.

  • Glendon Swarthout : Homesman. Vers un monde meilleur.

    Capture d’écran 2014-11-26 à 00.10.29.pngSurprenant et poignant, ce sont les deux qualificatifs qui me viennent à l’esprit pour dépeindre Homesman, ultime roman de Glendon Swarthout qui s’est éteint en 1992, soit quatre ans après la publication de l’ouvrage. Après avoir publié le Tireur dans une nouvelle traduction intégrale, les éditions Gallmeister font à nouveau appel à Laura Derajinski, traductrice émérite, pour nous livrer ce roman en français, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Beaucoup de lâcheté et un coup du sort désigne Mary Bee Cuddy, un ancienne institutrice esseulée, pour rapatrier les quatre femmes qui, au sortir d’un impitoyable hiver qui a ravagé les Grandes Plaines, ont perdu la raison. Il faut dire qu’au milieu du XIXème siècle, la vie des colons est extrêmement dure sur cette partie de la Frontière qui n’épargnent ni les bêtes ni les hommes. La seule solution consiste donc à ramener ces femmes vers l’est afin que leur famille puisse les prendre en charge. Avec un étrange chariot aménagé pour transporter ces âmes meurtries, Marie Bee Cuddy va traverser le Territoire pour rallier le fleuve Missouri qui borde la partie civilisée des USA. Pour échapper à la pendaison, Briggs, odieux personnage voleur de concession, sera contraint, bon gré mal gré, d’escorter cet étrange convoi.

     

    Il est probable que les lecteurs resteront très longtemps marqués par le souvenir de ces quelques pages où l’auteur décrit le tragique quotidien de ces quatre familles de colons qui tentent d’exploiter une terre vierge que l’on morcelle en concession sans nom. Ce sont les loups affamés qui rôdent autour des frêles maisons de terre, la maladie qui ravage les troupeaux, les enfants qui meurent et des grossesses non désirées qui laminent le cœur de ces femmes courageuses qui ne peuvent en supporter d’avantage. Isolées, repliées sur elles-mêmes, Line, Hedda, Arabella et Gro perdent peu à peu la raison pour sombrer dans une folie muette, entrecoupée parfois de violents éclats meurtriers. Dépassés, démunis, leurs veules maris n’hésiteront pas bien longtemps à se séparer de leurs conjointes devenues désormais bien trop encombrantes.

     

    Le reste du roman tourne bien évidemment autour des deux protagonistes principaux que sont Mary Bee Cuddy et Briggs qui vont tout au long du voyage, tenter de s’apprivoiser tout en contenant les débordements de leurs quatre passagères. Mais l’on aurait tord de s’attendre à un récit convenu où deux personnages antinomiques trouvent enfin le moyen de s’entendre pour faire face aux défis qui se présentent à eux. Glendon Swarthout n’hésite pas à briser les règles pour mieux surprendre le lecteur et l’entraîner dans les tourments d’une histoire qui n’a rien de conventionnelle.

     

    De longues scènes contemplatives très visuelles sont entrecoupées de rebondissements dynamiques qui en font un roman à l’équilibre presque parfait, hormis quelques longueurs que l’on peut déplorer en fin de récit. Dans une contrée sauvage, les protagonistes du convoi maudit trouvent leur place dans une nature hostile mais respectueuse. Mais plus ils se rapprochent de la civilisation, plus ils se heurtent à l’hostilité des hommes qui ne trouvent rien d’autre à faire que de les repousser et les rejeter. En finalité le monde civilisé s’avérera bien plus cruel que le monde du Territoire et c’est peut-être l’un des grands messages que l’auteur tente de faire passer au travers des pages de ce roman.

     

    Parce qu’il fait la part belle aux femmes, on a qualifié Homesman de western féministe ce qui n’est pas vraiment adéquat car bien trop souvent le personnage de Mary Bee Cuddy se fait rabaisser par l’odieux Brigg auquel l’auteur semble vouloir lui accorder le dernier mot. Mais bien évidemment, dans un genre littéraire machiste à l’extrême, Homesman peut apparaître comme le roman qui tente de promouvoir, parfois de manière maladroite, le rôle essentiel des femmes dans la conquête de l’Ouest.

     

    Homesman a été récemment adapté au cinéma. Le film réalisé par Tommy Lee Jones qui interprète le rôle de Brigg, suit très (peut-être trop) fidèlement la trame du récit. C’est Hillary Swank qui lui donne la réplique en endossant le rôle de Mary Bee Cuddy dans une brillante interprétation pleine de sensibilité. Mais on appréciera surtout la sobriété du jeu des trois actrices qui campent les trois femmes de colon gagnées par la folie. Elles donnent ainsi toute l'intensité à ce film bien maîtrisé qui fait honneur au très bon roman de Glendon Swarthout.

     

    Glendon Swarthout : Homesman. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

    A lire en écoutant : Into the Unknown de Blackhord.  Album : A Thin Line. ABC Music/Universal 2013.

  • David Vann : Dernier Jour Sur Terre. La spirale infernale du tueur Amok.

    Capture d’écran 2014-11-04 à 00.34.57.pngDans le domaine littéraire et particulièrement en ce qui concerne le thriller, le personnage de tueur de masse que l’on nomme couramment Amok (1) dans le jargon policier, s’inscrit bien souvent, voire systématiquement, dans une trame narrative de manipulation ou de complot comme pour mieux justifier la monstruosité de ces tueries. Mais finalement, ces romanciers ne reflètent que l’incompréhension d’une société qui n’est pas en mesure d’expliquer les raisons qui poussent ces hommes, souvent très jeunes, à commettre un crime d’une telle abjection.

     

    Avec Dernier Jour Sur Terre, David Vann s’emploie à retracer le parcours d’un de ces jeunes hommes tout en mettant en perspective les affres de sa propre enfance. Il s’agit donc d’un récit qui évite toutefois tous les travers du sensationnalisme et la froideur d’un texte uniquement basé sur des faits cliniques.

     

    C’est le 14 février 2008 que Steve Kazmierczak, équipé d’un fusil et de trois pistolets automatiques, pénètre dans l’un des auditoriums de son université pour abattre cinq personnes et en blesser dix-huit avant de se donner la mort. Il avait 27 ans et était considéré comme un étudiant brillant. David Vann, lui, avait 13 ans lorsqu’il reçut en héritage les armes de son père qui venait de mettre fin à ses jours avec l’une d’entre elles. Deux trajectoires aux débuts similaires mais qui diffèrent ensuite totalement puisque l’un deviendra l’auteur d’un terrible massacre tandis que le second deviendra un romancier reconnu.

     

    Plus qu'un récit, Dernier Jour Sur Terre est un essai où David Vann relate les évènements de sa jeunesse qui auraient pu le conduire à commettre un acte similaire à celui de Steve Kazmierczak. C'est cette mise en abîme qui donne au livre une tonalité beaucoup moins froide que ce type d'ouvrage peut susciter avec une longue litanie de chiffres et de faits énumérés dans un soucis de précision qui, paradoxalement,  ne facilite pas forcément la lecture. Il n'en demeure pas moins que les souvenirs qu'évoque l'auteur font froid dans le dos, particulièrement lorsqu'il décrit ses pérégrinations dans le quartier avec l'un des fusils de son père qu'il utilise pour tirer sur des lampadaires ou pour observer ses voisins dans le viseur de la lunette de précision montée sur son arme.

     

    Pourtant on ne saurait résumer le phénomène à un simple problème de libre circulation des armes, même si cette liberté inscrite dans la constitution suscite débats et  inquiétudes que les pouvoirs politiques occultent complètement  à l'instar de ces candidats  démocrates et républicains qui n’hésitent pas à se mettre en scène avec des armes à feu lors de leurs campagnes publicitaires pour les diverses échéances électorales.

     

    Pour comprendre le parcours tragique de Steve Kazmierczak, Dernier Jour Sur Terre dresse le portrait féroce d’une Amérique en proie à une paranoïa qui ne cesse de grandir et où la démission parentale côtoie l’indigence médicale et sociale d’un pays qui a fait de la violence une icône cinématographique qui ne semble connaître aucune limite. Un cocktail détonnant qui façonne ces esprits perturbés jusqu’à ce qu’ils décompensent brutalement. Avec le témoignage des proches, l’auteur s’emploie donc à défaire le mythe qui consiste à faire passer soudainement ces individus pour des monstres, une explication simpliste qui permet ainsi de ne pas remettre en question les tares sociétales de rejet qui les façonnent pourtant petit à petit jusqu’à un dramatique point de non retour.

     

    Même s’il évoque d’autres tueries comme celles de Virginia Tech et de Columbine, on pourra reprocher à David Vann d’être peut-être trop prompt à fustiger les travers observés dans son propre pays donnant l’impression erronée que ces actes se dérouleraient exclusivement sur le territoire des USA ce qui est loin d’être exact puisque des cas similaires se sont produits dans d’autres parties du monde, notamment en Europe.

     

    En dépit de l’absence d’un contexte historique évoquant les débuts du phénomène que l’on observait déjà à la fin du 18ème siècle, Dernier Jour Sur Terre n’en demeure pas moins l’un des ouvrages les plus exhaustifs traitant du sujet des tueries de masse sans pour autant sombrer dans un sensationnalisme sordide que bon nombre de médias ne peuvent s’empêcher d’adopter afin de capter l’attention de leur public.

     

     

     

    (1) Amok provient du mot malais amuk, désignant des personnes atteintes d’une rage incontrôlable.

     

    David Vann : Dernier Jour Sur Terre. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

     

    A lire en écoutant : Mad World de Gary Jules & Michael Andrew. Album : BO Donny Darko. Enjoy/Everloving 2002.