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USA - Page 24

  • Bruce Holbert : Animaux Solitaires. L'ouest impitoyable.

    bruce holbert,animaux sauvages,gallmeister,russel straw,clint eastwoodBlack Mask, principale revue de littérature policière des années 30, recelait toute une panoplie d’écrivains talentueux comme Dashiell Hammet et Raymond Chandler qui lui donnèrent ses lettres de noblesse et contribuèrent à forger le mythe du polar et du hardboiled. D’autres revues se spécialisaient dans des genres spécifiques comme le fantastique et le western. Néanmoins, le mélange des genres était soigneusement évité et on restait cantonné dans son domaine, même si quelques écrivains tentaient parfois l’aventure sous l’usage d’un pseudo. Il semble que ce cloisonnement se soit perpétué au fil des décennies et très franchement polar et western n’ont jamais fait bon ménage ensemble.  

     

    Les éditions Gallmeister semblent toutefois relever ce défi en publiant bon nombre de romans policiers qui se déroulent dans les contrées sauvages des USA avec , entre autre, la série phare du sheriff Longmire de Graig Johnson qui possède toutes les tonalités du western contemporain.

     

    Avec Animaux Solitaires de Bruce Holbert nous pénétrons cette fois-ci de plain-pied dans le western en découvrant les derniers bastions d’un monde qui ne peut résister à l’assaut de progrès et qui est donc condamné à disparaître. L’histoire se déroule en 1932 dans l’état de Washington et nous suivons le parcours de Russel Straw,  ancien officier de police travaillant pour le compte de l’armée, qui reprend du service pour traquer un tueur en série particulièrement sadique qui sème des cadavres d’indiens mutilés sur son chemin.

     

    Un western noir voilà comment l’on pourrait qualifier le premier roman de Bruce Holbert, car même si le résumé possède quelques relents de polar ou de thriller, il ne faut pas se leurrer, l’intrigue pêche un peu par son absence de surprise et le lecteur moyen découvrira d’ailleurs très rapidement qui est le responsable de ces meurtres odieux. Cette petite déception ne doit toutefois rien enlever à la qualité de ce roman où l’on se plait à suivre les pérégrinations d’un homme vieillissant dont les sursauts de violence font écho au tueur qu’il traque sauvagement. Straw traîne derrière lui tout le poids d’une force indomptée qu’il ne peut maîtriser et qui se traduit par des explosions épiques comme lorsqu’il s’en prend  aux policiers des Affaires Indiennes. Le personnage est désormais hors-cadre et semble inquiéter tout son entourage qui ne comprend plus cet homme issu d’une époque révolue.  Car même si la plupart des hommes qui l’entourent ont du sang sur les mains, même si la violence a fait partie de leur culture, il apparaît que les mirages du progrès les ont contraint à vêtir l’habit étriqué de la civilisation. Les voitures, l’apparition de l’éclairage publique et surtout la construction de barrages qui engloutissent des régions entières comme pour mieux effacer cette période sauvage dont plus personne ne veut entendre parler, voici le décors dans lequel évolue désormais Straw qui se plaît de plus en plus à bivouaquer dans les forêts montagneuses du comté de l’Okanogan, en compagnie de Stick, son fidèle cheval.

     

    Teintés de références bibliques et shakespeariennes, le récit se perd parfois dans des digressions qui alourdissent inutilement le texte comme ces références criminalistiques sur les tueurs en séries qui semblent complètement anachroniques à une époque où l’on ne se posait aucune question sur les motivations d’un assassin ou d’un voleur. Comparé à Cormac McCarthy, il manque à Bruce Holbert ce dépouillement qui donnerait plus d’ampleur à une histoire aussi âpre que tragique. Néanmoins il faut saluer un auteur qui signe avec Animaux Solitaires un premier roman riche en personnages intenses et pittoresques qui évoluent dans une superbe époque en pleine mutation.

     


    Capture d’écran 2013-11-03 à 20.52.35.pngEn compagnie de Russel Straw qui n’est pas sans rappeler William Munny, héros crépusculaire que campait Clint Eastwood dans Impitoyable, vous partirez sur les chemins de la perdition au travers d’un roman sans retour.

     

     

    Bruce Holbert : Animaux Sauvages. Editions Gallmeister 2013. Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

     

    A lire en écoutant : L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Nick Cave/ Warren Ellis. EMI/Mute Records 2007

     

     

  • James Lee Burke : L’Arc-en-Ciel de Verre. Les héros sont fatigués (suite et fin)


    james lee burke,l'arc-en-ciel de verre,robicheaux,purcell,louisianne,new iberiaIl est indéniable que James Lee Burke est un monument dans le paysage du polar et tout le monde se met au garde-à-vous lors de la sortie annuelle des aventures de son héros fétiche, l’innénarable Lieutenant de police de New Ibéria, Dave Robicheaux.

     

    Le talent principal de l’auteur réside dans le fil tortueux de ses longues phrases magiques qui traduisent tout l’amour qu’il porte à sa Louisianne chérie à un point tel que je suis parti il y a de cela quelques années visiter cet état extraordinaire. J’ai retrouvé les paysages, les odeurs, les saveurs et les endroits fréquentés par le célébrissime lieutenant de police et il se peut même que j’aie croisé, au détour des marais brumeux, la silhouette fantomatique de quelques personnages imaginés par l’auteur. Il y a donc une émotion particulière qui se dégage lors de chaque nouvelle lecture et une joie de retrouver des personnages qui nous ont accompagné pendant plus d’une décennie.

     

    Mais voilà après dix-sept volumes, il faut bien admettre que le filon s’épuise, même si personne ne semble vouloir le reconnaître. On ne touche pas aux monuments de la littérature ! Pour L’arc-en-Ciel de Verre, dernier roman de James Lee Burke, critiques et bloggeurs s’accordent à dire que l’auteur est au sommet de son art, même si l’on reconnaît parfois une espèce de répétion dans le nœud de l’intrigue. Dans cet ouvrage, nous retrouvons Dave Robicheaux et Clete Purcell confrontés à une famille nantie, avide de terres et d’argent, un serial killer qui œuvre dans l’ombre et un bâteau fantomatique qui hante les marais. Ce condensé simpliste vous pourriez le retrouver, à quelques nuances près, pour résumer plusieurs romans de l’auteur dont le fameux Dans la Brume Electrique avec les Morts Confédérés adapté avec maestria au cinéma  par Bertrand Tavernier. Hormis Swan Peak où l’auteur changeait de décor, et bien évidemment La Nuit la Plus Longue qui relatait avec beaucoup d’émotions les affres d’une Louisianne balayée par l’ouragan Katerina et abandonnée par le reste du pays, James Lee Burke ne parvient plus à sortir du schéma qui a fait son succès. Il y a donc comme une espèce de routine qui s’installe lorsque l’on lit ce dernier ouvrage qui finit par dégager une espèce de déception que l’on peine à accepter. Disons le tout net, même si l’on retrouve toute la ferveur des convictions de l’auteur et toute la mécanique relationnel de différents personnages récurrents de la série, c’est vraiment sur le plan de l’intrigue à mainte fois répétée et qui ne récèle donc plus aucune surprise, que l’on ressent un malaise que la fluidité du phrasé et la beauté des descriptions ne parviennent plus à masquer.

     

    C’est donc avec cet auteur monumental que j’achève cette série de héros fatigués qui trustent le paysage de la littérature policière, même si l’on pourrait en évoquer bien d’autres comme Harry Bosch de Michael Connelly, Lincoln Rhyme de Jeffery Daever, Alex Cross de James Patterson ou même Kurt Wallander de Henning Mankell qui a courageusement mis un terme à sa série. Une démarche téméraire qui a le mérite pour l’auteur de se remettre sur les rails de la créativité en tournant le dos aux sirènes du markéting.

     

    James Lee Burke : L’Arc-en-Ciel de Verre. Editions Rivages/Thriller 2013. Traduit de l’anglais (USA) par Chrsitophe Mercier.

    A lire en écoutant : Trème Song de John Boutté. Album : Jambalaya. CD Baby 2003.

     

  • DENNIS LEHANE : ILS VIVENT LA NUIT. L’ETHIQUE MYTHIQUE DES TRUANDS.

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    J’ai toujours eu un doute sur la qualité des œuvres auxquelles on attribuait des prix littéraires et cette règle n’échappe pas à l’univers du polar avec cet Edgar 2013 du meilleur roman décerné à Dennis Lehane pour son dernier roman Ils Vivent la Nuit. On est en droit de se demander si ce n’est pas pour ses ouvrages précédents comme Gone Baby Gone, Ténèbres Prenez-moi la Main, Shutther Island, Mystic River et Un Pays à l’Aube que Dennis Lehanne a été récompensé cette année. Mais alors n’aurait-il pas été plus judicieux de lui donner l’Edgar « Grand Maître » qui récompense l’ensemble d’une œuvre plutôt que lui octroyer une distinction pour un roman qui est certes assez bon, sans toutefois atteindre le niveau que l’on peut attendre de la part d’un des grands auteurs du polar américain.

     

    Avec Ils Vivent la Nuit, Dennis Lehane se penche à nouveau sur la fatrie Coughlin qu’il nous avait présenté dans Un Pays à l’Aube.  En 1926, période faste de la Prohibition, la ville de Boston est gangrénée par la corruption et les luttes de pouvoir intestine de la pègre. C’est dans ce milieu qu’évolue le plus jeune des frères Coughlin, prénommé Joe qui décide d’embrasser la carrière de gangster au grand dam de son père, officier de police respecté bien que corrompu. Après un séjour en prison où il fait ses classes auprès d’un vieux parrain de la Mafia, Joe va se rendre à Ybor en Floride pour mettre en place tout un empire clandestin qui prendra de plus en plus d’essort. Au gré des alliances, des trahisons Joe Coughlin va se faire une place dans ce monde interlope des trafiquants et découvrir, en toile de fond historique, par l’entremise de la belle Graciella, les prémices des remous révolutionnaire qui vont secouer l’île de Cuba.

     

    Avec l’annonce très rapide du rachat des droits du livre afin de l’adapter au cinéma on est en droit de se demander si ce roman, contrairement au trois adaptations précédentes (Mystic River, Gone Baby Gone et Shutter Island) n’a pas été rédigé en prenant en compte les canons d’Hollywood. Car Ils vivent la Nuit est  un roman extrèmement prenant sur le plan de l’intrigue et très percutant au niveau des dialogues admirablement bien ficelés qui se lit d’une traite sans que l’on ne s’en rende compte. Mais pour y parvenir, on ne peut s’empêcher d’avoir cette sensation de lissage qui se traduit notamment au niveau du personnage principal. Car Joe Coughlin est certes bien un truand, mais pour un gangster d’envergure le personnage est emprunt d’une morale et d’une éthique qui ne colle pas avec le cadre dans lequel il évolue. Joe bien trop noble, tue parfois des hommes, mais ceux-ci sont de tels véritables salauds que son honneur reste sauf et c’est bien dommage. Pas de dilemme ou de choix cornelien pour ce jeune héro qui n’aura donc pas l’envergure des nombreux personnages qui ont habité les histoires de Dennis Lehane. Où sont donc passés ces âmes torturées comme Jimmy Marcus ex-truand et père ravagé par la perte de sa petite fille dans Mystic River ou Teddy Daniels habité d’une sombre folie dans Shutter Island et même Patrick Kenzie contraint de prendre une décision douloureuse dans Gone Baby Gone ?

     

    Cette sensation de lissage on peut également la retrouver sur le plan historique où les heures sombres de la Prohibition sont abordées d’une manière plutôt édulcorée. Le récit y gagne peut-être en clarté au détriment de sa dimension dramaturgique. Tout y est trop simple, presque manichéen. Pour un peu l’auteur, plutôt que de déconstruire le mythe à la manière d’un James Ellroy, nous présenterait même les trafiquants d’alcool comme des gens ayant œuvrés pour la santé public du pays. Un roman plus simpliste donc qui tranche avec son précédent opus, Un Pays à l’Aube habité d’une part obscure et d’un souffle épique que l’on peine à retrouver dans ce dernier roman. On le ressent particulièrement lorsque l’auteur évoque les personnages réels qui peuplent son récit à l’instar d’un Lucky Luciano assez terne qui manque singulièrement d’envergure.

     

    De belles images de carte postal, de « braves » gentils et de « vilains » salopards, Ils Vivent la Nuit s’attache à respecter les codes des histoires de gangters et sera donc un roman facilement adaptable au cinéma, mais est-ce que cela sera suffisant pour en faire un bon film ? A force de côtoyer les sirènes d’Hollywood, Dennis Lehane n’est-il pas en passe de céder son âme au diable. Gageons qu’il n’en sera rien. Il ne reste plus à Ben Affleck, acquéreur des droits de Ils Vivent la Nuit, qu’à nous séduire comme il l’avait fait en réalisant Gone Baby Gone.

     

    Dennis Lehane : Ils vivent la nuit. Editions Rivages/Thriller 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet.

     

    A lire en écoutant : Chan Chan. Buena Vista Social Club. World Circuit 1997.

     

     

     

     

  • DONALD RAY POLLOCK : LE DIABLE, TOUT LE TEMPS. DANS L’OMBRE DU REVE AMERICAIN.

    donald ray pollock,le diable tout le temps,abin michel,ohio,rêve américainOuvrier pendant 32 ans dans une usine de pâte à papier et devenir un grand écrivain n’est-ce pas finalement  l’incarnation même du rêve américain ? C’est pourtant avec un roman cauchemardesque que Donald Ray Pollock est parvenu à ce statut comme pour mieux défier ces légendes qui pullulent dans l’inconscient collectif du peuple américain.

     

    C’est entre la fin des années 40 et le début des années 60, en plein âge d’or du mythe américain, que se déroule la trame de ce récit d’une noirceur terrifiante. Il n’y a pourtant rien de mythique dans cette région du Knocemstiff, au sud de l’Ohio où l’on croise le destin de Willard, rescapé de la seconde guerre mondiale, contraint avec son fils Arvin de dresser un autel sanguinolant pour accompagner ses prières dans l’espoir de guérir sa femme malade. Un autel composé de carcasses d’animaux, d’os séchés et de sang qui n’est pas sans rappeler les images traumatisantes qu’il a ramené du Pacifique. Rien de mythique non plus avec ce couple que forme Carl et Sandy qui écument les routes des USA prenant en charge des auto-stoppeurs qu’ils photographient et assassinent lors sanglantes bacchanales. Roy, prédicateur cinglé, persuadé de pouvoir ramener les morts à la vie accompagné de Théodore, musicien paralytique pédophile parcourent également la région au rythme des travaux saisonniers et des prêches. Des vies âpres et chaotiques qui vont s’entrecroiser en provoquant des fractures terribles dans un univers qui ne laisse entrevoir aucun espoir.

     

    Une écriture tout à la fois lyrique et très classique entraine le lecteur dans les méandres de ces destinées sordides qui provoquent en permanence un sentiment de malaise et d’écoeurement. Il y a aussi cette capacité de l’auteur à mettre en lumière la part d’humanité dans la monstruosité des actes de ses personnages qui troubleront le lecteur jusqu’à la conclusion finale du récit. On peut se prendre à éprouver une espèce d’empathie pour des monstres dont on suit l’évolution dans leur quotidien qui devient presque banal. C’est le talent de Donald Ray Pollock de mettre en juxstaposition la part d’humanité et la part du diable qui habite chacun des protagonistes de son roman. Comparé à Cormac McCarthy, Jim Thompson voir même à Norman Mailer, Donald Ray Pollock reste néanmoins en deça de ces grands auteurs. Dans Le Diable, Tout le Temps, il manque cette ampleur et cet engagement qui donnerait toute la luminosité à ce roman d’une noirceur absolue qui pêche par l’absence de motivation poussant les personnages à poursuivre leur destinée. C’est d’ailleurs dans un final en demi-teinte que l’on regrettera ces carences avec cette impression d’histoire tronquée comme si l’auteur ne parvenait pas à se dégager de la noirceur de ses personnages. Le Diable, Tout le Temps n’en reste pas moins un excellent roman noir d’un grand auteur en devenir qui doit encore faire ses preuves non pas sur un ouvrage mais sur l’ensemble d’une œuvre pour égaler les grands auteurs auxquels il est comparé.

     

    Donald Ray Pollock : Le Diable Tout le Temps. Editions Albin Michel 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Christophe Mercier.

    A lire en écoutant : Up Jumped the Devil de Nick Cave and the Bad Seeds. Album : Tender Prey. 1988 Mute Records Limited.

     

  • Benjamin Whitmer : Pike. Les écorchés de Cincinnati.

    pike_benjamin_whitmer_gallmeister.jpgLes villes industrielles ont toujours été des décors idéals pour les romans noirs et c’est à l’ombre des hauts-fourneaux de ces cités cauchemardesques, dans le berceau humide et inquiétant de ces docks malfamés, aux alentours de ces usines dantesques encadrées de sa cohortes d’immeubles miteux qu’ont évolué les plus beaux personnages du polar.

     

    Avec Pike, Benjamin Whitmer nous emmène dans les quartiers crépusculaires de la ville de Cincinnati pour patauger au milieu de ces ruelles crasseuses où camés et prostituées errent comme des fantômes sous le regard indifférent des petits dealers et malfrats qui s’entretuent pour quelques cristaux de meth.

     

    Douglas Pike est un ancien truand qui n’a épargné personne. Pas même sa femme qu’il battait comme plâtre et sa fille Sarah qu’il a abandonnée depuis bien longtemps. En apprenant que sa fille est morte d’une overdose il découvre que celle-ci avait une fillette de 12 ans prénommée Wendy dont il doit désormais s’occuper. Avec Rory, le jeune associé de Pike, le trio va tenter de s’apprivoiser. Pour faire le jour sur la mort tragique de Sarah, le vieux truand va rencontrer les différentes personnes qui l’ont côtoyée peu avant sa mort. Même dans ce milieu plutôt fermé Pike, précédé de sa réputation malfaisante, ne va pas avoir trop de mal à persuader les différents protagonistes de se confier ce qui va déplaire à Derrick Krieger, flic violent et corrompu qui commence à s’intéresser de trop près à la jeune Wendy. La confrontation ne peut que mal tourner.

     

    Durant tout le récit nous allons croiser le parcours chaotique de ces toxicomanes qui évoluent dans l’univers miteux  de ghettos constitués de squats et de maisons délabrées où l’espérance brille dans l’éclat d’un caillou de crack. Malmenés par la vie, tous les personnages font ce qu’ils peuvent avec ce qu’ils ont, c’est à dire pas grand-chose à un point tel qu’il est difficile d’avoir de l’empathie pour l’un d’entre eux. Même la jeune Wendy cache sa détresse derrière une façade d’insolence et de dureté qui la rend difficilement sympathique. Car finalement ce qui caractérise tout ce petit monde c’est ce luxe qu’ils ne peuvent plus se payer dans un univers urbain chaotique : le pardon.

     

    Dans le plus pur style des romans noirs, les phrases sont courtes et sèches. Elles rythment cette histoire comme des pulsations désordonnées à l’image du pacemaker déréglé de Derrick Krieger. De brefs chapitres emprunt d’un certain lyrisme donnent au récit cet aspect à la fois âpre et poétique malgré la rudesse des personnages et des décors dans lesquels ils évoluent. Les dialogues parsemés d’un humour grinçants et de répliques épiques achèvent de faire de Pike une petite perle du roman noir.

     

    Pike est le premier roman de Benjamin Whitmer qui est, j’en suis absolument certain, un écrivain à suivre attentivement.

     

    Un court extrait pour vous en convaincre :

    « Dehors, au-dessus des immeubles et cheminées de briques croulants de Cincinnati, un fin croissant de lune est là. Aérien, argenté, vibrant dans l’air nocturne. Il y a aussi des étoiles, mais elles sont invisibles derrière l’éclat des lampadaires et le smog qui pèse sur la ville, craquelé comme un puzzle aux multiples tons de gris. Elle pose un regard fixe vers la nuit, elle fume, ses paupières frémissent de tristesse. L’espace d’une minute, elle repense à Bogey et il lui manque horriblement.

    Avoir quelqu’un à ses côtés.

    Tenant sa cigarette dans sa petite griffe de main, elle l’éteint en se l’enfonçant dans l’avant-bras, juste pour avoir pensé ça.

    Sa peau frémit et brûle. 

    Dehors, rien ne change. Dedans non plus."

     

    Benjamin Whitmer : Pike. Editions Gallmeister 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Catch Yer Own Train. The Silver Seas. Album : High Society/Cheap Lullaby 2006.