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LES AUTEURS - Page 47

  • GILLES SEBHAN : LA FOLIE TRISTAN. LE ROYAUME DES INSENSES.

    gilles seb han,la folie triste,rouergue noirCe qu’il y a de réjouissant avec la littérature noire c’est de se retrouver confronté parfois à des univers à la fois surprenants et dérangeants comme ceux que nous propose Gilles Sebhan, auteur notamment de deux biographies du très contreversé Tony Duvert et du peintre Stéphane Mandelbaum dont l’œuvre provocante réalisée, pour une grande partie, au stylo bille évoque un univers violent de souffrance, de mort et de sexe au détour de portraits et d’autoportraits dissonants et inquiétants. Vivant à la marge de la société, ces deux artistes marginaux ont en commun une mort tragique au terme d’un isolement volontaire pour l’un et d’un crime sordide pour l’autre. Au confin de la folie, Gilles Sebhan s’intéresse donc à cet environnement trouble de l’enfance meurtrie dont on percevait quelques éléments singuliers avec Cirque Mort (Rouergue 2018) mettant en scène le lieutenant Dapper que l’on retrouve dans La Folie Tristan, second opus qui débute là où s’achevait le livre précédent qu’il est d’ailleurs fortement recommandé de lire avant d’entamer ce récit tournant une nouvelle fois autour de ce mystérieux établissement psychiatrique pour enfants d’une petite ville du nord de la France.

     

    Le lieutenant Dapper se remet d’une blessure par balle que lui a infligé le ravisseur de son fils Théo. Après avoir abattu le criminel, l’officier de police est considéré comme un héro qui est parvenu à reconstituer le cadre familial idéal dans lequel il évolue. Mais suite à cet enlèvement, le père s’aperçoit qu’il est incapable de renouer les liens avec son fils qui fait preuve d’un comportement étrange, probablement en lien avec les trois mois de captivité qu’il a subit. Alors qu’il se réfugie dans le travail, le lieutenant Dapper est confronté à un nouvel enlèvement, celui d’une femme qui lui avait fait part de son inquiétude quant au comportement inquiétant d’un homme aux allures martiales, accompagné d’un enfant présentant des déficiences mentales. Un indice qui conduit le policier une nouvelle fois du côté de l’établissement psychiatrique du docteur Tristan pour tenter d’obtenir des réponses auprès du praticien et de ses jeunes internés comme Ilyas, cet enfant troublant qui l’a aidé à retrouver son fils. Des réponses qui vont rejaillir sur son propre passé et le conduire à découvrir les mystères qui entourent son enfance. Dérives et folies vont à nouveau s’abattre sur cette petite ville qui cultive les secrets enfouis des origines.

     

    On ne s’attendait pas vraiment à une suite au terme de Cirque Mort, premier roman policier de Gilles Sebhan qui s’articulait autour de la disparition de Théo et du massacre d’animaux d’un cirque itinérant. Alors que l’on considère souvent le roman policier comme une epèce de remise à l’ordre de la société au terme d’un crime résolu, il est intéressant de constater que tel n’est pas le cas avec un auteur qui nous invite à retrouver cet univers singulier où les retrouvailles d’un père et d’un fils n’ont rien du happy end que l’on s’imaginait au terme du premier opus. Avec La Folie Tristan, Gilles Sebhan s’emploie donc à décortiquer les rapports qui unissent les différents personnages d’un récit qui tourne autour d’une nouvelle affaire d’enlèvement qui n’a rien d’exceptionnel. On regrette même cette intrigue policière plutôt simpliste où apparaît Marlène, une quarantenaire séduisante, au prise avec deux terrifiants ravisseurs. Mais avec Gilles Sebhan, l’essentiel est ailleurs puisque le schéma narratif de cette intrigue policière n’est qu’un prétexte pour mettre en exergue les liens entre les divers protagonistes du récit en se focalisant plus particulièrement sur le lieutenant Dapper et le docteur Tristan qui règne toujours, tel un desposte, sur son petit royaume des insensés comme il se plaît à surnommer ces étranges pensionnaires de l’hôpital psychiatrique qu’il dirige. On retrouve donc avec une certaine délectation cette atmosphère dérangeante qui plane au-dessus de l’ensemble d’un roman qui nous apporte tout un lot de révélations dont on mesurera probablement toutes les conséquences dans un troisième ouvrage, Feu Le Royaume, qui vient de paraître.

     

    Enfance meurtrie tournant autour de la transmission et de la filiation au travers de l’héritage qu’il soit matériel, génétique et psychique, Gilles Sebhan met en avant toute la souffrance et la violence des secrets enfouis qui ne sont pas sans rappeler les parcours de l’écrivain Duvert ou du peintre Mandelbaum dont les allusions affleurent au fil des pages comme ce personnage qui trouve la mort dans des circonstances similaires à celle du dessinateur maudit. Il résulte finalement de La Folie Tristan une confrontation grinçante entre l’univers psychiatrique et le monde policier incarnés par le docteur Tristan pour l’un et le lieutenant Dapper pour l’autre. Et c’est au gré de ces téléscopages entre ces deux entités que l’on peut mesurer la fragilité des certitudes des uns et des autres alors que les enfants endossent paradoxalement un savoir et une sagesse mystérieuse qui dépassent le monde des adultes tentant vainement de décortiquer cette logique enfantine, telle une équation insoluble. C’est particulièrement le cas avec Ilyas, jeune garçon mutique, qui semble doté d’une perpection exacerbée lui permettant de déceler les secrets les plus intimes des individus qu’il croise sur son chemin. Ainsi l’enquête policière prend-t-elle parfois des allures de récit fantastique permettant quelques facilités au niveau de la résolution de l’affaire.

     

    Second opus de ce qui apparaît comme une trilogie qu’il convient de lire dans l’ordre de parution, La Folie Tristan poursuit donc l’exploration de cette enfance dévoyée rejaillissant tragiquement sur la psyché d’adultes qui ne cessent d’expier les fautes de leurs ascendants. Une somme de douleurs et de souffrances, baignant dans un climat dérangeant qui nous interpelle.

     

    Gilles Sebhan : La Folie Tristan. Editions du Rouergue/Noir 2019.

    A lire en écoutant : Tristan de William Sheller. Album : Avatar. 2017 Mercury Music Group.

  • Joseph Incardona : La Soustraction Des Possibles. Le fric c’est chic.

    joseph incarna, la soustraction des possibles, éditions finitudeEn examinant l’ensemble de l’œuvre de Joseph Incardona on observe tout d’abord le parcours de son alter ego de papier, André Pastrella dont on découvrait les aventures dans un premier roman intitulé Le Cul Entre Deux Chaises (BSN Press 2014) suivi de Banana Spleen (BSN Press 2018) pour s’achever avec Permis C(BSN Press 2016) prequel à la fois tragique et émouvant évoquant l’enfance de l’auteur. Un ensemble de personnages cabossés, vivant à la marge, qui nous rappelle l’univers désenchanté de John Fante ou même de Harry Crews au détour de péripéties déjantées prenant pour cadre la ville de Genève. Oscillant entre la tragédie et la critique sociale, les autres ouvrages de Joseph Incardona ont la particularité de s’aventurer sur le registre du roman noir tout en se déroulant bien loin de nos régions helvétiques. 220 Volts (Fayard Noir 2011) nous entraînait du côté des Alpes françaises tandis que Lonely Betty (Finitude 2010) et Les Poings (BSN Press 2016) nous présentait des coins reculés des USA. On échouait dans une station-service d’une autoroute du sud de la France avec Derrière Les Panneaux Il y a Des Hommes (Finitude 2015) alors que l’on séjournait sur une île perdue du Pacifique dans Aller Simple Pour Nomad Island (Seuil 2014) et que l’on suffoquait dans la touffeur d’un sauna surchauffé en suivant une compétition finlandaise déjantée dans Chaleur (Finitude 2018). Conjonction des lieux, conjonction des genres avec une intrigue se déroulant dans la Genève des eighties à une époque où l’évasion fiscale est considérée comme un art de vivre, Joseph Incardona revient sur le devant de l’actualité littéraire avec La Soustraction Des Possibles en nous proposant un roman à la fois complexe et ambitieux où il est question bien évidemment d’argent, mais également d’amour sur fond de magouilles financières qui vont forcément virer au tragique au détour d’un récit prenant la forme d’une comédie humaine à la fois sombre et féroce.

     

    Aldo Bianchi officie comme moniteur de tennis au luxueux club du parc des Eaux-Vives à Genève. Séduisant, vaguement gigolo, il trouve dans ce magnifique écrin, quelques bourgeoises esseulées en quête d’aventures extraconjugales comme la séduisante Odile Langlois. Au-delà de leur relation, Odile propose à son amant de convoyer entre la France et la Suisse quelques valises pour le compte d’un banquier, relation d’affaire de son mari. Hautes sphères financières sur fond d’évasions fiscales, Aldo côtoie ainsi toute une diaspora de privilégiés et rencontre Sveltlana Novák, une jeune et belle financière ambitieuse dont il tombe follement amoureux. Une passion dévorante conjuguée à cette envie d’obtenir toujours plus, le couple met au point un stratagème pour écrémer une partie de ces fortunes qui transitent dans les coffres de la banque où travaille Sveltana. Mais ils vont découvrir qu’il y a plus vorace qu’eux. Une histoire d’amour, une histoire de fric, une histoire de trahison, les composantes implacables de l’équation de la tragédie.

     

    L’une des caractéristiques du style Incardona ce sont ces fulgurantes digressions qui fusent avant d'éclater comme des feux d'artifice pour retomber sur le fil de l'histoire en définissant deux éléments essentiels de l’intrigue que sont le contexte social et le territoire. Avec La Soustraction Des Possibles c’est donc l’occasion de découvrir Genève, au terme des années 80 alors que la cité calviniste baigne paradoxalement dans un océan d’argent provenant d’une évasion fiscale outrancière qui, sous le couvert du secret bancaire inscrit dans la Constitution helvétique, se présente sous la forme d’une optimisation financière décomplexée. Et à l’aune d’une ère informatique encore balbutiante, on transfère les fonds d’un pays à l’autre dans des valises bourrées d’espèce, que l’on confie à des individus comme Aldo Bianchi qui se chargent du transport contre rémunération. Transactions financières douteuses, blanchiment d’argent, on découvre derrière les façades d’une ville austère toute une série de lieux emblématiques de Genève où se côtoient banquiers avides et entrepreneurs fortunés autour desquels gravitent toute une kyrielle d’individus souhaitant obtenir leur part du gâteau. Que ce soit le quartier des banques, les bars et autres endroits de villégiature d’une diaspora fortunée, les luxueuses résidences du bord du lac ou une périphérie plus modeste se situant en France voisine, Joseph Incardona restitue avec une redoutable précision tout un environnement vicié par l’argent, le pouvoir et une avidité sans fin. Dès lors, on ressent une certaine forme d’amour haine pour cette agglomération où l’on croise quelques personnalités comme Griselidis Réal, Mary Shelley quand ce n’est pas l’auteur lui-même qui interpelle le lecteur tout au long d’un récit rythmé qui ne cesse de bousculer nos convictions quant à l’image de cet univers de la finance s’apprêtant à basculer dans un monde globalisé où les algorithmes et les investissements dans les OGM n’en sont alors qu’à leurs balbutiements. Outre le fait de dépeindre, avec un regard éclairé, une période impitoyable où tout bascule en décrivant au vitriol tout un environnement financier complètement dévoyé, Joseph Incardona n’a pas décidé au hasard de situer son roman à la fin des années 80, puisque cela coïncide également avec le fameux casse de l’UBS, un fait divers qui a défrayé la chronique judiciaire genevoise en 1990 et dont l’auteur a choisi de s’inspirer librement en évoquant l’ombre de la mafia corse commanditaire de ce braquage rapportant un butin de 31 millions francs suisses qui n’a jamais été retrouvé.

     

    Cette mafia corse il en est justement question avec Mimi Leone, un des personnages saisissants de La Soustraction Des Possibles qui découvre l’œuvre de Ramuz et de Hodler ce qui l’incite à parcourir le pays pour retrouver dans les paysages helvétiques cette émotion qui inspira ces deux artistes, tout en profitant de son séjour pour faire fructifier sa fortune. C’est l’autre particularité du style Incardona qui insuffle à chacun de ses personnages cette part d’humanité qui transparaît même chez les individus les plus abjects en leur conférant une vulnérabilité qui se décline sur toute une palette d’émotions qui ne les rends d’ailleurs pas plus sympathiques à l’instar du banquier Horst Ridle, atteint d’un cancer et de Christian Noir comblant sa solitude à coup de lignes de coke et de partenaires tarifiées. Mais le dénominateur commun qui lie l’ensemble des acteurs de La Soustraction Des Possibles c’est bien évidemment cette voracité qui va alimenter une intrigue prenant la forme d’une tragédie impitoyable. Et que ce soit dans les rapports à l’argent, à l’amour et même, de manière plus triviale, au sexe, on retrouve bien cette notion de voracité au cœur de ce triangle relationnel que forme Aldo Bianchi, gigolo pathétique, Odile Langlois, bourgeoise désœuvrés et Sveltana Novák, employée bancaire arriviste, personnages centraux d’un roman s’articulant autour de cette volonté d’en vouloir toujours plus en les conduisant ainsi à leur perte au détour d’une mécanique précise où les destins se dessinent autour de l’âpreté au gain et du crime qui en découle. Ainsi derrière l’opulence du milieu qu’il décrit, des paysages somptueux qu’il dépeint et de l’étude de caractère des personnages qu’il crée, Joseph Incardona nous offre une remarquable et ambitieuse fresque humaine qui flirte avec les codes du roman noir dont il cite un des maître du genre avec un extrait de Fatale (Gallimard 1977) l’un des derniers opus de Jean-Patrick Manchette qui s’intègre parfaitement à un récit nous offrant une multitude de références que les lecteurs, et plus particulièrement ceux ayant séjourné en Suisse et notamment à Genève, se plairont à déceler.

     

    Symbole d’un intrigue parfaite avec cette fine mécanique ornant une couverture dorée tel un lingot clinquant, La Soustraction Des Possibles souligne incontestablement la somme de travail colossal d’un écrivain talentueux nous offrant un roman cinglant d’une rare intensité dont l’impact nous fait encore vaciller une fois l’intrigue digérée. Joseph Incardona est un auteur saisissant.

     

    Joseph Incardona : La Soustraction Des Possibles. Editions Finitude 2020.

    A lire en écoutant : Ordinary People de John Legend. Album : Get Lifted. 2004 Getting Out Our Dreams and Sony Music Entertainment Inc.

  • B. MICHAEL RADBURN : L’ARBRE AUX FEES. DISPARITIONS ET EXTINCTIONS.

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    Service de presse

     

    Toujours une belle occasion d’explorer de nouvelles contrées par l’entremise de la littérature noire, ceci d’autant plus lorsque l’on s’aventure du côté de l’Océanie. Peter Temple pour Rivages Noir, Jane Harper pour Calmann-Lévy, Paul Cleave et Tony Cavanaugh chez Sonatine, les auteurs australiens sont de plus en plus nombreux à débarquer dans nos régions francophones avec polars, romans noirs et thrillers dont la majeure partie se déroule dans les environs de Melbourne. Mais c’est plus au sud, sur l’état insulaire de Tasmanie que B. Michael Radburn nous invite à découvrir L’Arbre Aux Fée, premier roman d’une série mettant en scène le ranger australien Taylor Bridges qui a choisi de s’exiler dans le parc national Ben Lomond, suite à la disparition de sa fille Claire dont il ne peut se remettre.

     

    Muté à sa demande, Taylor Bridges débarque en Tasmanie en tant que ranger où il a la charge de gérer le parc national Ben Lomond. Hanté par le souvenir de Claire, sa petite fille qui a disparu dans des circonstances tragiques, Taylor réside désormais à proximité de la petite localité de Glorys Crossing en comptant bien trouver une certaine quiétude dans la solitude des lieux. Mais avec les cauchemars et les crises de somnambulisme dont il est sujet, le ranger reste un homme tourmenté, ceci d’autant plus lorsqu’il apprend la disparition de Drew, une fillette du même âge que Claire. Impliqué plus que de raison dans les recherches, Taylor Bridges mène une enquête qui n’est pas du goût du chef de la police locale et des habitants qui se montrent hostiles. Mais rien n’arrêtera le ranger obstiné qui est persuadé que Drew est encore vivante tout en découvrant au gré de ses investigations que d’autres fillettes ont disparu avant elle. L’enquête va prendre davantage d’ampleur avec l’arrivée d’un inspecteur du continent qui va déterrer quelques secrets bien enfouis.

     

    Un long voyage aux antipodes de nos contrées, B. Michael Radburn nous emmène donc du côté de cette île méconnue, ancienne colonie pénitentiaire, située à près de 250 kilomètres au large de Melbourne. D’entrée de jeu, il est question de paysages montagneux figés par le froid avec des forêts de cèdres saupoudrées de neige et un lac artificiel qui ronge la petite localité fictive de Glorys Crossing s’apprêtant à être engloutie par l’inexorable montée des eaux. Il émane ainsi une atmosphère de désolation inquiétante, quelque peu gothique que l’auteur exploite à fond à l’exemple de ces cercueils du cimetière inondé remontant à la surface pour livrer quelques macabres révélations, de cette étrange tour à plomb qui servait à la fabrication de balles de fusil et de ce vieux poivrier sauvage dont la silhouette insolite donne son titre au roman. C’est dans ce décor à la fois sauvage et menaçant qu’évolue Taylor Bridges, garde forestier en quête de rédemption après la disparition de sa fille Claire. Hasard extraordinaire, c’est une autre fillette qui disparaît dès l’arrivée de Taylor. Ainsi, tout le récit s’articule autour de l’enlèvement de la jeune Drew avec une intrigue plutôt convenue pour ce genre de thèmes maintes fois rabâchés. Le récit est d’autant plus décevant que B. Michael Radburn ne se fatigue pas, en nous proposant des ressorts narratifs simplistes qui fonctionnent sur la base de coïncidences peu probables quand ce ne sont pas tout simplement des rêves prémonitoires qui permettent au ranger tourmenté, en proie à des crises de somnambulisme, de progresser dans son enquête.

     

    Comme s’il voulait aborder tous les thèmes en lien avec la Tasmanie, tout en se focalisant sur les aspects d’un thriller convenu avec le sempiternelle tueur en série rôdant dans les parages, ponctué d’éléments fantastiques, B. Michael Radburn nous donne l’impression de s’être égaré au gré d’une intrigue manquant singulièrement de tenue où bien trop de thèmes ont été effleurés à l’instar de la disparition des tigres de Tasmanie qu’il aborde de manière bien trop superficielle quand il ne s’autorise pas quelques entorses avec la réalité de la situation. On regrettera également cette galerie de personnages caricaturaux qui compose la petite communauté de Glorys Crossing en nous donnant l’impression d’avoir à faire à des bouseux ignares complètement déconnectés de la réalité, seule explication valable pour expliquer cet abandon des recherches d’une fillette, au bout de quelques heures, ou le fait de ne pas exploiter l’existence d’une faune que l’on croyait disparue qui empêcherait la mise en place d’un barrage auquel l’ensemble des habitants est opposé.

     

    Inaugurant une série à venir, L’Arbre Aux Fées, roman plein de promesses, se révèle au final plutôt décevant avec un auteur qui a pris le parti de rester sur des registres extrêmement convenus en dépit d’un cadre qui sort de l’ordinaire mais qui est fort mal exploité.

     

    Michael Radburn : L’Arbre Aux Fées (The Crossing, 2011). Editions Seuil/Cadre noir. Traduit de l’anglais (Australie) par Isabelle Troin.

    A lire en écoutant : Artic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. 1987 Midnight Oil Ents Pty Ltd.

  • Dorothy B. Hugues : Un Homme Dans La Brume. Voile déchiré.

    dorothy b. hugues,un homme dans la brume,rivages noirMême si l’on n’est pas forcément un adepte de mouvements sociaux comme #MeeToo, il importe tout de même de se questionner sur la représentativité des femmes, ceci notamment dans le domaine de la littérature noire pour débuter cette année 2020 en évoquant l’œuvre de Dorothy B. Hugues, romancière méconnue dans nos contrée francophones, qui fut une contemporaine d’auteurs tels que Hammett, Chandler et Goodis. A une époque où le pulp était une affaire exclusivement d’hommes et où l’on célèbrait les détectives privés désabusés, Dorothy B. Hugues se distingue avec des récits centrés sur des individus tourmentés dont la destinée vire au tragique comme c’est le cas avec Un Homme Dans La Brume qui fait l’objet d’une nouvelle traduction nous permettant de découvrir ce qui apparaît comme l’un des premiers thriller psychologique en nous confrontant aux réflexions d’un tueur psychopathe sévissant dans les rues de Los Angeles, alors que la seconde guerre mondiale est à peine achevée.

     

    Ancien pilote de chasse démobilisé au terme de la seconde guerre mondiale, Dix Steele est un homme solitaire qui arpente les rues de Los Angeles. En quête d’inspiration pour l’élaboration d’un roman policier, l’homme apparaît comme désœuvré en profitant de l’appartement de Berverly Hills que son ami Mel lui a prêté avant d’entamer un long séjour au Brésil. Au cours de ses pérégrinations nocturnes, Dix se rend à Santa Monica pour retrouver son ancien camarade de combat Brub Nicolai qui a intégré le LAPD en tant qu’inspecteur à la brigade criminelle et qui semble avoir trouvé le bonheur en épousant Sylvia. Mais avec un prédateur rôdant dans les rues de la ville en étranglant des jeunes femmes, Dix perçoit l’inquiétude qui ronge le couple. Les victimes se succèdent sans que l’on ne parvienne à identifier le tueur. Des victimes que Dix a croisées sur son chemin.


    Porté à l’écran en 1950 par Nicholas Ray, avec Humphrey Bogart en vedette, Le Violent est une adaptation du roman de Dorothy B. Hugues qui s'intéresse davantage sur l’envers du décor des studios hollywoodiens avec un scénariste en proie à des accès de violence incontrôlable. Le récit de la romancière s’articule sur un tout autre registre en se focalisant sur la confrontation des genres à une période où l’homme, après des années de conflit, doit retrouver sa place au sein d’une société où les femmes se sont émancipées en occupant des emplois habituellement destinés à la gent masculine. Personnage central de l’intrigue, Dix Steele incarne ce ressentiment larvé à l’égard des femmes qui vire à la folie furieuse au gré de réflexions et de préjugés misogynes. Alors qu’il côtoie Sylvia, l’épouse de son ami Brub Nicolai ou sa voisine Laurel qu’il veut séduire à tout prix, on perçoit cette colère et cette frustration vis à vis de femmes émancipées qui n’entrent clairement pas dans l’idée qu’il se fait d’une caste féminine qu’il juge forcément à un niveau inférieur. Il faut dire que Dix Steele apparaît comme un individu égocentrique et antipathique qui devient franchement inquiétant tandis que l’on retrouve des jeunes femmes étranglées dans les rues de Los Angeles. Mais tout en suggestion, notamment pour tout ce qui a trait aux meurtres, Dorothy B. Hugues prend soin d’entretenir le doute avec cet individu ambivalent dont on perçoit les fêlures et même le désarroi à mesure que les soupçons convergent vers lui. C’est une espèce de voile qui se déchire lentement pour distinguer la véritable personnalité d’un homme solitaire qui a perdu tous ses repères sans vouloir réellement l’admettre en se complaisant dans le costume d’un personnage idéal qu’il a façonné de toute pièce.

     

    Ainsi, dans cette inquiétante comédie de mœurs hollywoodienne, le lecteur découvre donc un individu qui entretient les apparences derrière une façade de faux-semblant au delà de laquelle on distingue les affres de la solitude et de la rancœur dans une ville de Los Angeles rutilante qui prend la forme d’un labyrinthe dantesque et étouffant où proies et bourreaux se rencontrent dans la lumière des néons des dîners et autres clubs selects pour disparaître dans cette brume qui emporte tout.

     

    Bénéficiant d’une nouvelle traduction de Simon Baril, on ne peut que saluer l’initiative des éditions Rivages qui ont su mettre au goût du jour Un Homme Dans la Brume, un roman à la fois saisissant et subtil qui n’a pas pris une ride et qui résonne même curieusement dans l’actualité évoquant la parité entre hommes et femmes.

      

    Dorothy B. Hugues : Un Homme Dans La Brume (In A Lonely Place, 1947). Rivages/Noir 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Simon Baril.

    A lire en écoutant : Ruby My Dear de Thelonius Monk. Album : Thelonius Monk with John Coltrane. 2016 Concord Music Group, Inc.

  • Nicolas Mathieu : Rose Royal. Point de rupture.

    nicolas mathieu,rose royal,éditions in8"Le feu passe au vert et elle redémarre lentement. La silhouette de la Saab devient comme une bande noire sur les vitrines sans lumière. Un matin comme celui-là, à l’aube, elle a cru voir Martel. C’est impossible bien sûr. Elle rentre chez elle, elle va dormir, demain c’est lundi, une grosse journée. Un accident dans une papeterie, un mec presque mort. Tout le monde est désolé. Elle monte le son. Elle n’est pas triste. Elle persévère."

     

    Nicolas Mathieu. Aux Animaux La Guerre.

     

     

    Qu’est qu’on avait aimé ce portrait sans fard de Rita, cette inspectrice du travail opiniâtre qui tente de faire en sorte que les conditions des ouvriers soient respectées dans un environnement paradoxal où les usines ferment les unes après les autres en assistant impuissant au lent déclin d’une désindustrialisation programmée qui devient la toile de fond sociale de Aux Animaux La Guerre (Actes Noirs 2014), premier roman noir de Nicolas Mathieu. Avec son second livre, Leurs Enfants Après Eux (Acte Sud 2018), auréolé du prix Goncourt 2018, toujours ancré dans le même contexte de marasme économique, on appréciait également le personnage de Stéphanie, cette jeune fille qui tente d’échapper à la monotonie d’une bourgeoisie provinciale étriquée en s’engouffrant dans l’enfer du parcours des filières scolaires, un véritable tamis social sans concession, où seule l’élite est admise, au rythme d’un « marche ou crève » hallucinant. Après la digestion des fastes d’un Goncourt, Nicolas Mathieu, fait un retour plutôt discret au sein de la littérature noire en intégrant la maison d’éditions In8 et plus particulièrement la collection Polaroïd dirigée par Marc Villard et qui compte quelques grands noms du roman noir qui se sont essayés à l’exercice du récit sous forme de nouvelle ou de novella comme on l’appelle aujourd’hui. Brièveté du récit, quintessence de ce qu’il fait de mieux, à savoir la capture de l’âme d’un personnage, Nicolas Mathieu nous invite donc à découvrir, avec Rose Royal, l'instantané, le polaroïd tragique de Rose qui s’inscrit dans ce quotidien ordinaire d’une femme cinquantenaire qui n’a guère été épargnée par la vie.

     

    La cinquantaine énergique, divorcée, des enfants qui se sont éloignés, Rose a collectionné les déboires sentimentaux avec des gars qui lui ont davantage fait de mal que de bien. Aussi après le boulot, elle soigne ses désillusions en éclusant quelques verres au Royal où elle a ses habitudes avec sa meilleure amie Marie-Jeanne. Des soirées de rires, de confidences et de complicités qui s'enchaînent jusqu'à ce que Luc débarque un soir dans le rade et que Rose ne se laisse entraîner dans une nouvelle histoire d'amour qui ne lui fera pas de mal car elle s’est jurée de ne plus jamais se laisser avoir. Et dans son sac à main, Rose a un flingue.

     

    Les petites péripéties de la vie, des attouchements d’adolescents maladroits et parfois quelques beignes, préliminaires d’accouplements expéditifs, voici la jeunesse de Rose, le prix à payer en refusant d’admettre la notion de viol ou de contrainte dans une société où les filles ne récoltent que ce qu’elles méritent comme l’évoque d’ailleurs la mère de Rose en parlant d’une de ses camarade. C’est toute une mécanique du quotidien d’une jeune femme malmenée que Nicolas Mathieu dépeint avec un réalisme qui fait froid dans le dos. Tout s’inscrit dans une certaine acceptation, une certaine banalité qui nous donne envie de hurler tandis que l’horreur indicible s’estompe dans le silence et les larmes, même s'il en reste un lourd passif qui va interférer dans ses relations comme l’achat de ce petit pistolet calibre .38 qui va devenir le point névralgique de l’intrigue. Comme une menace, on se demande tout au long du récit ce qu’il va advenir de cette arme et qui va finalement s’en servir.

     

    Du bar Royal à l’hôtel Royal d’Evian, on assiste donc à cette ascension sociale du couple que forme Rose et Luc qui s’aiment malgré quelques petites dissonances dont Rose semble accepter la sale petite musique qui s’installe au gré d’un enfermement dont elle ne prend pas pleinement conscience. Nicolas Mathieu décortique ainsi, dans le quotidien du couple, la terrible mécanique de l’isolement et de la dépendance de Rose vis-à-vis de Luc avec l’abandon de son travail, l’éloignement de ses amies et l’installation dans sa résidence. On s’achemine ainsi vers la tragédie sans trop vraiment savoir ce qu’il va advenir de ces deux personnages tout en imaginant un final aussi terrible que percutant.

     

    Magnifique portrait d’une femme meurtrie, on apprécie le retour de Nicolas Mathieu qui parvient à transcender, avec Rose Royal, le quotidien de cette cinquantenaire dont on découvre toute la complexité au gré de ces petits moments de joie et de ces instants dramatiques qui résonnent durement pour nous livrer la conclusion d’un drame programmé. Une nouvelle d’une noirceur implacable.

     

    Nicolas Mathieu : Rose Royal. Editions In8/Collection Polaroïd 2019.

    A lire en écoutant : Dormir Dehors de Daran et les Chaises. Album : Huit Barré. 1994 WEA Music.