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Irlande

  • SEBASTIEN BARRY : AU BON VIEUX TEMPS DE DIEU. CRIMEN PESSIMUM.

    Capture d’écran 2023-10-15 à 17.58.25.pngAux éditions Joëlle Losfeld, on aborde parfois le genre policier avec un certain bonheur comme à la lecture des romans de Richard Morgiève nous entraînant du côté de l'Utah avec Le Cherokee (Joëlle Losfeld 2019) ou du Texas avec Cimetière D'Etoiles (Joëlle Losfeld 2021) au gré de récits d'une intensité peu commune qui pourront déconcerter certains lecteurs de polars qui n'apprécieraient pas d'être un peu bousculé. Cette intensité on la retrouve sans nul doute chez Sebastian Barry, romancier irlandais, mais également dramaturge et poète qui aborde dans son dernier roman Au Bon Vieux Temps De Dieu, le thème de la pédophilie des prêtes en Irlande avec un récit aux allures de roman policier se concentrant autour des souvenirs défaillants d'un policier retraité qui se voit contraint de se remémorer son passé à son corps défendant. Récipiendaire à deux reprises du Costa Book Award, prix prestigieux distinguant les grands auteurs du Royaume Uni comme Salman Rushdie ou Philipp Pullman, Sebastian Barry se distingue dans son écriture de haute volée avec un texte au lyrisme envoûtant, nécessitant une attention particulière pour appréhender la densité de la personnalité de Tom Kettle qui nous entraîne dans les méandres échevelés de ses pensées.

     

    C’est du côté de Dalkey, petit village côtier situé à la périphérie de Dublin, que Tom Kettle a choisi de passer sa retraite en emménageant dans la modeste annexe de Queenstown Castel que le propriétaire, Mr Tomelty, a divisé en plusieurs  logements. Ayant perdu sa femme June ainsi que ses deux enfants Winnie et Joseph et hormis ses voisins qu'il croise de temps à autre, cet ancien policier décline sa solitude en contemplant la mer et la faune depuis son fauteuil en rotin délavé. Engoncé dans ses souvenirs, Tom Kettle ne s'attendait pas à la visite de deux policiers venus lui demander son avis sur un ancien dossier d'abus sexuel au sein de l'Eglise en faisant ressurgir ainsi un passé douloureux qu'il tente d'occulter ce d’autant plus que l’affaire a été enterrée. Mais difficile d'effacer les années de maltraitance des prêtre de l'orphelinat et surtout les viols successifs dont June a été victime lorsqu'elle n'était qu'une enfant. Et ce nom du bourreau qui revient sans cesse : Le père Matthews dont on a retrouvé le corps dans les landes. Et tandis qu’un témoin affirme qu’il était présent aux abords des lieux du crime, Tom Kettle passe soudainement du statut de consultant au rôle de suspect.

     

    Avec Au Bon Vieux Temps De Dieu il n'y aura pas à proprement parler d'enquête policière mais une plongée assez immersive dans les pensées de Tom Kettle se remémorant, d'une manière quelque peu chaotique, le courant de sa vie déclinante au seuil de la vieillesse, en convoquant quelques fantômes qui semblent l'accompagner en permanence. Situé à la période des années 90, au moment où une commission d'enquête faisait la lumière sur la situation endémique des abus sexuels au sein des institution catholiques du pays, Sebastian Barry aborde donc ce sujet sensible avec une délicatesse saisissante, en évoquant plus particulièrement cette loi du silence qui protégea les diocèses durant tant d'années ainsi que les meurtrissures des victimes mais également des proches qui ne se sont jamais remis de ces événements tragiques. Il faudra donc tout d'abord dompter ce flot de souvenirs submergeant un Tom Kettle désarçonné dont la raison oscille entre sa projection de la réalité et les faits qu'on lui rapporte tandis qu'il se remémore les circonstances terribles de la disparition de ses proches dont il distingue portant la présence dans ce cadre magnifique de Dalkey que Sebastian Barry dépeint avec la pointe de nostalgie émanant d'un lieu qu'il a fréquenté durant son enfance. Une fois que l'on a dompté le mode de pensée de Tom Kettle, on se laisse littéralement emporter dans le courant de cette écriture au lyrisme envoûtant pour s'insinuer au coeur de la trajectoire de ce policier vieillissant qui remet à jour les fragments d'une mémoire défaillante. C'est ainsi que l'on prend la pleine mesure de ce scandale dont Sebastian Barry se garde bien de nous en faire l'étalage sordide pour se concentrer sur la douleur des victimes et de leur entourage en faisant également ressurgir cette colère sourde qui imprègne l'ensemble du texte avec cette certitude foudroyante que rien ne pourra jamais être réparé et dont il ne reste qu'à en faire le compte-rendu pour mettre à jour des décennies de souffrance. Et malgré cette douleur sous-jacente, il émane de ce roman une beauté indicible qui nous saisira tout au long de cette lecture éprouvante s’achevant de manière magistrale sur une scène aux contours surréalistes à l’image d’un récit à la fois flamboyant et mélancolique. Sebastian Barry incarne sans nul doute cette magie de l’écriture. 

     


    Sebastien Barry : Au bon Vieux Temps De Dieu ( Old God's Time). Joëlle Losfeld  Editions 2023. Traduit de l'anglais (Irlande) par Laetitia Devaux.

    A lire en écoutant : Kol Nidrei, Op. 47 de Max Bruch - Steven Isserlis, Olivia Jaggeurs et Connie Shih. Album : A Golden Cello Decade, 1878-1888: Dvorák, R. Strauss, Bruch, Le Beau. Steven Isserlis, Connie Shih. 2022 Hyperion Records Limited.

  • ADRIAN McKINTY : NE ME CHERCHE PAS DEMAIN. CHAMBRE CLOSE.

    ne me cherche pas demain,adrian mckinty,actes sud,actes noirs,sean duffyAvant qu'il ne connaisse le succès avec La Chaîne et qu'il rencontre enfin son public, Adrian McKinty, auteur natif de l'Irlande du Nord, a galéré pendant de nombreuses années en écrivant un nombre  considérable de romans policiers dont la série mettant en scène le sergent Sean Duffy affecté au sein de la police royal de l'Ulster. L'une des particularités de cette série réside dans le fait qu'elle marie l'enquête policière avec le contexte historique du pays durant la période des Troubles des années 80 où l'IRA luttait farouchement contre la présence des forces britanniques en Irlande du Nord. Premier titre de la série, Une Terre Si Froide nous présente donc cet inspecteur catholique travaillant dans une administration policière à majorité protestante, contraint de vérifier chaque matin s'il n'y a pas un engin explosif installé sous le châssis de sa voiture. Avec une tonalité chargée d'un certain humour noir, au gré de cette atmosphère particulière d'une guerre civile qui lamine le pays, on retrouvait l'inspecteur Sean Duffy dans un second opus intitulé Dans La Rue J'Entends Les Sirènes qui nous permet de saisir les affres de la situation économique d'une Irlande du Nord ravagée par le chômage, les émeutes et les attentats. Bien que de qualité, la série ne semble pas connaître le succès, raison pour laquelle la maison d'éditions Stock renonce à traduire les trois autres opus. Il aura donc fallut attendre près de sept ans pour connaître la suite des investigations du sergent Sean Duffy avec l'initiative d'Actes Sud qui nous propose, avec Ne Me Cherche Pas Demain, de retrouver cet enquêteur atypique qui vient de tomber en disgrâce et semble prêt à être renvoyé de l'institution policière qui l'emploie tandis que la guerre civile sévit de plus belle.

     

    En 1983, le sergent Sean Duffy est renvoyé du CID et patrouille désormais en uniforme dans la petite localité de Carrickfergus, non loin de Belfast. A la tête de son groupe, il doit progresser fusil au poing en évitant d'être la cible des tireurs d'élite de l'IRA. Mais Sean Duffy doit aussi affronter sa hiérarchie qui trouve finalement un prétexte fallacieux pour l'exclure des forces de l'ordre. Au même moment, à la prison de Maze où sont incarcérés les membres de l'IRA, c'est Dermot  McCann, ancien camarade de classe de Sean Duffy, devenu expert artificier pour l'IRA, qui parvient à s'évader et à déjouer les barrages de la police en devenant ainsi la cible prioritaire des services de renseignements britanniques. Afin de retrouver cet individu considéré comme dangereux, le MI5 décide d'extirper Sean Duffy de sa retraite forcée pour mettre tout en oeuvre afin de débusquer le fugitif. Pour cela, il devra résoudre une ancienne affaire de meurtre, classée comme un accident et qui a tous les aspects d'une énigme en chambre close. Une quête insidieuse qui le mènera du côté de Brighton afin de déjouer un attentat à l'encontre du Premier ministre britannique, Margaret Tatcher.

     

    Doté d'un solide sens de la répartie et d'un humour grinçant, on prend un réel plaisir à retrouver le sergent Sean Duffy, ceci d'autant plus qu'il possède également une grande et excellente culture littéraire et musicale qu'il nous fait partager au gré de ses nombreuses introspections. On apprécie d'autant plus la démarche que l'ensemble de la série se déroule durant la période faste des années 80 et qu'elle nous permet de nous remémorer quelques morceaux et albums populaires de l'époque. Homme solitaire, Sean Duffy se caractérise bien évidemment dans son positionnement atypique au cours de cette guerre civile où, bien que catholique, il a choisi de lutter contre l'IRA en s'engageant au sein du RUC (Royal Ulster Constabulary) une force de police à prédominance protestante. Si la démarche n'est pas indispensable, il est tout de même recommandé de lire les deux premiers romans afin de mieux saisir tous les aspects de la personnalité de Sean Duffy et surtout les raisons de sa disgrâce qui ont fait en sorte qu'il soit  renvoyé du service des enquêteurs (CID) pour être affecté aux patrouilles en uniforme, activité extrêmement risquée durant cette période de guerre civile. Ainsi Ne Me Chercher Pas Demain, dont le titre fait référence à une chanson de Tom Waits, comme d'ailleurs tous les romans de la série, débute en nous immergeant dans le nouveau travail de Sean Duffy qui consiste à patrouiller en véhicule blindé et à effectuer des sorties en formation de tirailleur afin de ne pas être pris pour cible par une population hostile et plus particulièrement par les tireurs embusqués de l'IRA. Adrian McKinty nous donne ainsi un impressionnant aperçu du quotidien de cette force de police dont le personnel vit retranché dans des commissariats qui font régulièrement l'objet d'attentats comme on le découvrira d'ailleurs au cours de ce récit.

     

    Ne Me Cherche Pas Demain débute également avec l'évasion de prisonniers de l'IRA de la tristement célèbre prison de Maze et va se focaliser autour de l'attentat de Brighton qui s'est réellement déroulé en 1984 en prenant pour cible Margaret Tatcher qui présidait un rassemblement de son parti politique de l'époque. L'enjeu du récit consiste donc dans une traque que doit effectuer Sean Duffy pour débusquer Dermot McCann, un ancien ami et camarade de classe qu'il appréciait. Sans trop abuser du procédé, Adrian McKinty illustre donc l'aspect tragique de ce conflit fratricide qui opposait les membres d'une communauté catholique qui apparaît plutôt divisée à l'instar de Mary Fitzpatrick qui n'hésite pas à balancer son ex gendre à la condition que l'on fasse l'éclairage sur la mort de sa fille Lizzie. C'est l'autre aspect du récit qui consiste pour Sean Duffy à résoudre une affaire mystérieuse avec un meurtre en chambre close qui va lui donner du fil à retordre. On suit donc ainsi un récit passionnant où investigations et suspense font bon ménage au gré d'une intrigue dont le dénouement va se révéler plutôt explosif avec une confrontation entre deux "frères ennemis" que tout oppose désormais.

     

    Troisième volume de la série, Ne Me Cherche Pas Demain comblera donc toutes les attentes d'un lectorat impatient de découvrir la suite des aventures du sergent Sean Duffy. Une attente de sept ans qui en valait bien la peine. 

     


    Adrian McKinty : Ne Me Cherche Pas Demain (In The Morning, I'll Be Gone). Editions Actes Sud/Actes noirs 2021. Traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Laure Manceau.

    A lire en écoutant : I'll Be Gone de Tom Waits. Album : Frank's Wild Years. 1987 The Islands Def Jam Music Group.

  • Adrian McKinty : La Chaîne. Ces liens qui nous unissent.

    Capture.PNGEncensé par ses pairs, récipiendaire de prix prestigieux, il s'en est pourtant fallut de peu pour qu'Adrian McKinty ne renonce à sa carrière de romancier afin de trouver un autre moyen que de travailler en tant que chauffeur Uber pour subvenir aux besoins de sa famille. Dans nos contrées francophones, on découvrait cet auteur avec la série consacrée au sergent Sean Duffy, éditée par la regrettée collection Cosmopolite noire chez Stock qui n'a traduit que deux des cinq ouvrages composant cette série prometteuse aux connotations historiques puisqu'elle se déroule en Irlande, dans les années 80, en pleine période des Troubles sévissant notamment dans le nord du pays. C'est avec Une Terre Si Froide (Cosmopolite noire 2013), que l'on fait la connaissance de cet enquêteur atypique, de confession catholique, travaillant à Belfast au sein de la très protestante police royale de l'Ulster alors que le récit débute peu après la mort du prisonnier politique Bobby Sands, suite à une longue grève de la fin, qui va enflammer les hostilités entre les deux communautés religieuses tandis que l'on perçoit avec Dans La Rue, J'Entends Les Sirènes (Cosmopolite noire 2013), toute la fermeté du gouvernement Tatcher qui ne fait qu'attiser l'intensité d'une guerre civile qui semble inextricable. Outre l'originalité des intrigues imprégnées du climat social de l'époque avec un personnage central composant avec l'hostilité de l'IRA et celle de ses propres partenaires, on apprécie le style mordant et cet humour acide qui ponctuent le récit ainsi que cette bande-son détonante dont on a un aperçu avec les titres de chaque roman faisant références aux chansons de Tom Waits. Malgré ces belles qualités, agrémentées d'un certain succès critique, on perdait de vue cet auteur prometteur qui n'a jamais rencontré son public, jusqu'à ce que l'agent littéraire de Don Winslow ne se penche sur sa carrière en lui demandant s'il n'aurait pas un thriller qui trainerait dans ses tiroirs. Un pitch, quelques pages envoyées suscitant l'enthousiasme ainsi qu'une avance confortable permettront de relancer la carrière d'Adrian McKinty qui obtient enfin la consécration avec La Chaîne, un best-seller dont la Paramount a acquis les droits en délivrant un chèque conséquent. Une success-story comme on les aime, le mettant à l'abri du besoin afin de poursuivre son travail d'écrivain, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Rachel semble voir le bout du tunnel alors qu'elle se remet d'un cancer et trouve un emploi dans l'enseignement lui permettant d'abandonner son travail précaire comme chauffeur Uber afin de subvenir décemment aux besoins de sa fille Kylie dont elle a la garde. Mais soudainement le téléphone sonne et bouleverse ce fragile équilibre. Un mystérieux interlocuteur lui annonce qu'elle fait désormais partie de La Chaîne et que sa fille vient d'être enlevée. Pour la récupérer, il lui faut verser une rançon, enlever un enfant et contraindre ses parents à commettre à leur tour un kidnapping pour perpétuer cet implacable système. Tout manquement aux règles de La Chaîne aura de funestes conséquences. Rachel n'a donc pas le choix et doit rassembler les fonds pour la rançon, chercher une victime et mettre en place tout le dispositif nécessaire pour séquestrer sa proie. Il n'y pas d'échappatoire, car La Chaîne à l'œil sur tous les faits et gestes de ses membres. Rachel pourra-t-elle surmonter une telle épreuve ?

     

    A la fois original et audacieux, il faut bien admettre qu’Adrian McKinty nous propose, avec ce qui apparaît comme un pur thriller, un excellent point de départ pour une intrigue tournant autour d’une organisation mystérieuse ayant mis en place depuis des années, une chaîne d’enlèvements d’enfants en contrôlant des parents victimes, qui deviennent, à leur corps défendant, bourreaux. Enlever un enfant pour sauver sa fille, on apprécie dès lors toute la dichotomie intérieure de Rachel, cette mère courage, bien sous tout rapport, qui doit basculer dans la criminalité pour avoir une chance de revoir Kylie tentant de son côté d’échapper à ses ravisseurs. Le récit débute donc avec toute la mise en place d’un kidnapping que Rachel organise à contrecoeur en étant secondée par son beau-frère Pete, vétéran de la guerre en Afghanistan qui a sombré dans la toxicomanie. Au fil des chapitres, on mesure toute la détresse de ces deux personnages, un peu paumés, tentant de faire face aux multiples difficultés qui se présentent à eux comme le fait de ne pas informer le père de Kylie de la situation alors que celui-ci vient sa fille pour le week-end. En faisant preuve d’un sens de la narration efficace, Adrian McKinty répond à tous les critères du genre sans pour autant sombrer dans l’excès de rebondissements outranciers ce qui fait que l’on s’achemine sur une intrigue solide ponctuée de tensions et d’actions qui tiennent la route mais qui sont parfois bien trop prévisibles. C’est particulièrement le cas pour la dernière partie du roman qui comportent un certain nombre de scènes dont on devine aisément où elles vont nous conduire comme cette confrontation finale évidente, suivie d’un épilogue extrêmement convenu qui ne bouleversera pas le genre. Mais malgré ces travers, il faut bien admettre qu’Adrian McKinty, en narrateur hors-pair, parvient à nous entraîner sans effort d’un bout à l’autre d’un récit tumultueux au rythme soutenu en suivant le parcours d’une femme bien déterminée à protéger sa fille à tout prix, mais également résolue à découvrir quelles sont les personnes qui se cachent derrière La Chaîne afin de mettre une terme à leurs terribles activités.

     

    Best-seller pleinement assumé, on prendra donc plaisir à découvrir avec La Chaîne, un redoutable thriller tout en tension qui se base sur la simplicité d’une intrigue au suspense bien maitrisé qui répondra aisément aux attentes les plus exigentes des aficionados du genre.

     

    Adrian McKinty : La Chaîne (The Chain). Editions Mazarine 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Reignier.

    A lire en écoutant : The Rhythm Of The Heat de Peter Gabriel. Album : Peter Gabriel 4/Security. 2015 Peter Gabriel Ltd.

  • ADRIAN MCKINTY : DANS LA RUE RUE J'ENTENDS LES SIRENES. RETOUR VERS LE FUTUR !

    Capture d’écran 2014-06-01 à 11.14.36.pngUne fois encore, un titre énigmatique, extrait d’une chanson de Tom Waits pour ce second opus initié avec Une Terre Si Froide (commenté ici). Un titre dont la force évoque avec une petite touche de lyrisme ce que pouvait être la ville de Belfast dans les années quatre-vingt, laminée par une guerre civile interminable.

     

    C’est dans ce contexte de terreur quotidienne, où l’on prend chaque matin l’habitude de vérifier si sa voiture n’a pas été piégée, qu’évolue le sergent Sean Duffy, flic de confession catholique qui travaille pour le RUC, une institution policière royaliste affrontant l’IRA.

     

    Un torse découvert dans une valise que l’on a balancée dans le container d’une usine désaffectée pourrait résonner comme le glas d’une enquête à peine amorcée. Mais pour Sean Duffy et son équipe, habitués à travailler avec des moyens dérisoires, il suffit parfois d’un maigre indice, comme un tatouage, pour que l’enquête se poursuive que ce soit dans les landes irlandaises ou au cœur des reliquats d’une industrie qui survit dans un pays économiquement exsangue.

     

    Avec Dans la Rue J’entends les Sirènes, l’auteur délaisse quelque peu les diverses factions armées qui occupaient les devants de la scène dans son premier roman. Il va  s’intéresser à la situation économique d’une nation qui, outre les rivalités armées,  est ravagée par le chômage, en évoquant, entre autre, les ennuis réels de l’usine automobile DeLoréane installée en Irlande du Nord. Cette entreprise créa, un unique modèle qui deviendra emblématique grâce à la trilogie des films Retour Vers le Futur où un professeur farfelu décrétait : « Quitte à voyager dans le temps au volant d'une voiture, autant en prendre une qui ait de la gueule ! ».

     

    Capture d’écran 2014-06-01 à 11.24.28.pngUne nouvelle fois, Adrian McKinty mêle habilement fiction et réalité en évoquant également la guerre des Malouines, la fermeté du gouvernement Tatcher et les chances de l’équipe d’Irlande du Nord lors de la coupe du Monde de 1982, le tout saupoudré d’une bande sonore détonante qui agrémente tous les chapitres du roman. Hormis la qualité narrative, c’est bien évidemment l’humour parfois corrosif du sergent Sean Duffy qui donne cette tonalité si particulière au récit. Un personnage attachant qui n’est pas sans rappeler le célèbre détective Philip Marlowe au regard de sa solitude, de sa loyauté tenace et de son penchant pour les boissons alcoolisées. Mais contrairement au personnage de Chandler, Adrian McKinty plonge son héro dans des situations si inextricables qu’elles ne peuvent pas être sans conséquence néfaste comme le démontrera l’ultime chapitre qui laisse peu d’espoir quant au devenir du sergent Sean Duffy. C’est avec ces dernières pages que l’on saisira tout le talent d’un auteur qui sait mettre en perspective la tragédie quotidienne d’habitants qui n’ont plus aucun espoir et la vaine action de policiers enchaînés dans une spirale de violence sans fin.

     

    Fermez les yeux. Ouvrez votre esprit. Ecoutez le vrombissement des pales des hélicos. Regardez la poussière qui tournoie comme un nuage maléfique. Sentez l’odeur de la fumée des incendies. Et dans le lointain vous distinguerez le chant des sirènes qui résonnent dans les rues de Belfast.

     

     

    Adrian McKinty : Dans la Rue J’entends les Sirènes. Edition Stock/Cosmopolite Noire 2013. Traduit de l’anglais (Irlande) par Eric Moureau.

    A lire en écoutant : Kickface de Little Foot Long Foot. Album : Oh, Hell. Little Foot Long Foot 2013.

  • Adrian McKinty : Une Terre Si Froide. Le brasier irlandais.

    Capture d’écran 2014-05-04 à 23.41.06.pngC’est parfois avec le polar que l’on parvient à comprendre les enjeux majeurs et les circonvolutions complexes d’une guerre civile comme celle qui s’est déroulée durant plusieurs décennies sur les territoires de l’Irlande du Nord.

     

    Une Terre Si Froide est le premier opus d’une trilogie consacrée à ce conflit qui nous relate les aventures du sergent Sean Duffy, personnage atypique ayant la particularité d’être un enquêteur de confession catholique au service d’une institution policière à majorité protestante qui combattait l’IRA.

     

    Un homme abattu que l’on retrouve sur un terrain vague avec la main coupée, n’a rien d’inhabituel pour Sean Duffy. C’est le sort que réserve habituellement l’IRA aux indics qui collaborent avec la police. Sauf que des sévices d’ordre sexuels tendent à orienter les policiers vers un tueur qui a décidé de s’en prendre à la communauté homosexuel d’autant plus qu’un deuxième cadavre ayant subit les mêmes sévices est découvert quelques jours plus tard. A-t-on à faire au premier serial killer opérant sur les terres irlandaises ? Une enquête extrêmement périlleuse pour Sean Duffy qui va devoir évoluer dans une région sous haute tension avec la mort de Bobby Sands, gréviste de la faim emprisonné à la prison de Maze. En 1981, les émeutes, attentats et exécutions sont le lot quotidien des policiers de l’Irlande du Nord !

     

    En mêlant la fiction aux faits historiques, Adrian McKinty nous entraine au cœur d’une enquête policière particulièrement palpitante tout en nous décrivant les différentes factions qui s’opposèrent durant ce conflit sans pour autant perdre le lecteur dans de laborieuses explications. Tout y est finement décrit sans aucune lourdeur et à la fin de ce récit IRA, Sinn Fein, RUC et autres groupuscules n’auront plus aucun secret pour vous. On y découvre, entre autre, les modes de financements occultes et peu glorieux qui permirent à ces différentes factions d’opérer durant des années en se partageant notamment les bénéfices de la vente de la drogue qui ravageait le pays. Des petits arrangements entre ennemis qui donnent une vision encore plus sombre du conflit. L’auteur évoque également les tabous que sont l’avortement et l’homosexualité dans une société gangrénée par la violence, le racket et la corruption. Pour parfaire le tout, il y a cet humour irlandais corrosif et grinçant qui pimente parfois l’histoire d’une façon saisissante.

     

    Capture d’écran 2014-05-04 à 23.45.29.pngEt puis il y a ce plaisir de retrouver le climat des années 80 que l’auteur a distillé par petites touches tout au long de son récit. Car outre l’actualité c’est avec les voitures (Ford Granada), les looks et le cinéma (Les Chariots de Feu) que vous allez découvrir cette époque. Pour s’y immerger encore d’avantage on ne peut que conseiller de se constituer une « bande originale du livre » en relevant le titre des albums qu’écoute l’attachant Sean Duffy dans sa petite maison de Coronation road. Un personnage qui n’est pas d’ailleurs pas sans rappeler le fameux policier écossais John Rebus également grand amateur de musique. 

     

    Capture d’écran 2014-05-04 à 23.46.54.png

    Tout en fluidité, bien maitrisé, Une Terres Si Froide est un récit aux intonations aussi rauques que la voix de Tom Waits auquel Adrian McKinty a emprunté le titre d’une de ses chansons A Cold Cold Ground.

     

    Adrian McKinty : Une Terre Si Froide. Stock/La Cosmopolite Noire 2013. Traduit de l’anglais (Irlande) par Florence Vuarnesson.

    A lire en écoutant : A Cold Cold Ground de Tom Waits. Album : Frank Wild Years. The Island Def Jam Music Group 1987.

     

  • KEN BRUEN : CALIBRE, LONDON CALLING

    ken bruen,calibre,londres,brantToujours réjouissant de se plonger dans un livre de Ken Bruen et particulièrement lorsqu'il remet le couvert avec la série Roberts & Brant (R&B, ça ne s'invente pas !). C'est comme de recevoir une bonne beigne en pleine gueule après s'être enfilé un bon whisky bien tassé dont la brûlure vous arrache les tripes. Ca vous secoue.

     

    Avec Calibre, Ken Bruen ne déroge pas à la règle en mettant en scène un serial-killer fan de Jim Thompson et particulièrement de son livre Le Démon dans la Peau. L'homme a décidé de trucider toutes les personnes mal élevées qu'il croise sur son chemin. Et à Londres, ce n'est pas le boulot qui manque.  L'inspecteur Roberts, flic gay en plein ascension, accompagné du sergent Brandt, un des flics le plus tordu du sud-ouest de Londres (et peut-être même d'Angleterre) sont chargés de l'affaire depuis que le tueur s'est décidé à relater ses « leçons de politesse » à la presse et à la police. Une grave erreur quand l'on sait que d'avoir le sergent Brant sur le dos équivaut à se coltiner la peste et le choléra réunis. Encore un truand qui va l'apprendre à ses dépends.

     

    Vous voulez une intrigue linéaire, logique, bourrée de rebondissements ! Passez votre chemin ! Avec Ken Bruen, on lit du pulp à l'état pur. Dialogues ciselés, flics déjantés et truands pittoresques. Vous voulez une description des quartiers populaires de Londres ! Payez-vous un guide et prenez un  billet d'avion. Pour ce genre de littérature, on passe à l'essentiel, avec des scènes rapides et condensées. Et si vous voulez de la morale, vous la trouverez sûrement au fond de la cuvette des toilettes d'un des pubs favoris que fréquente le sergent Brant.

     

    Dans ce nouvel opus de la série R&B, une pluie d'hommages pour Jim Thompson, Charles Willeford, Nick Tosh, Chandler et bien d'autres encore. Le livre est également bourré de référence aux  histoire d'Ed McBain et à son personnage fétiche du 87ème district : Steve Carella. Il faudra bien un jour que Ken Bruen se détache un peu de tout cela car ses personnages et ses romans n'ont rien à envier à ces grands auteurs. Ken Bruen est un écrivain de talent qui est encore bien trop méconnu en Suisse. Gageons que cela ne durera pas !

     

    Savourez ce récit complètement barré avec des histoires secondaires hautes en couleur qui donnent encore plus de sel à l'ensemble du roman. Un souffle d'animalité, de nervosité et d'irrévérence pour Calibre, à l'image de la chanson la plus célèbres des Clash : London Calling.

     

    Ken Bruen : Calibre. Editions Série Noire/Gallimard 2011. Traduit de l'anglais (Irlande) par Daniel Lemoine.

    A lire en écoutant : London Calling - The Clash - Album : London Calling/CBS Record 1979.