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04. Roman noir - Page 49

  • Benoît Séverac : Le Chien Arabe. Terrain miné.

    le chien arabe, Benoît Séverac, la manufacture de livres, toulouse, les izardsRésolument ancrée dans le monde criminel de la France contemporaine, la Manufacture de Livres présente la particularité d’aborder des thèmes dérangeants que bien peu d’autres maisons d’édition osent évoquer à l’instar du radicalisme islamiste qui prend parfois racine au cœur des cités de l’Hexagone. Ecrit après le sinistre parcours de Mohamed Merah et avant les tragédies qui ont secoué les villes de Paris et de Bruxelles, Le Chien Arabe de Benoît Séverac nous propose d’explorer les bas-fonds troubles d’une cité de la banlieue nord de Toulouse déchirée entre une économie souterraine de trafiquants et un réseau d’islamistes hostiles.

     

    Les Izards à Toulouse, cité sensible et plaque tournante du trafic de stupéfiants pour la région du sud-ouest. Tous les moyens sont bons pour faire transiter la marchandise. Désormais ce sont les chiens qui deviennent les mules discrètes des trafiquants de drogue. Enfermé dans une cave obscure, Samia choisi d’extirper l’un d’entre eux des griffes de son frère afin de le faire soigner. La jeune fille confie l’animal à Sergine Ollard, vétérinaire atypique, qui va se retrouver au cœur d’un règlement de compte entre des dealers sans scrupules et une cohorte d’islamistes qui semblent prêts à en découdre. Intrigues et complots visant à faire trébucher l’adversaire, c’est dans un contexte explosif que Sergine Ollard va tenter de dénouer les ramifications entre des criminels endurcis et des terroristes déterminés. En arbitre, quelque peu dépassée, l’adjudant-chef Nathalie Decrest aura bien du mal à contenir cette vague hostile qui va déferler sur le quartier.

     

    Ce qui surprend tout d’abord avec Le Chien Arabe c’est cette tonalité naturaliste qui imprègne ce roman noir prenant pour cadre une cité sensible de la banlieue de Toulouse. On sort ainsi de ces stéréotypes sensationnalistes dépeignant régulièrement les cités que l’on découvre dans de nombreuses intrigues manquant singulièrement de réalisme et préférant s’orienter vers une vision caricaturale à la « Banlieue 13 ». On perçoit notamment, au travers du récit, que l’auteur connaît parfaitement bien les lieux dans lesquels il met en scène ses personnages, en nous permettant ainsi de nous immerger dans le quotidien d’une ville que l’on arpente dans tous les sens, sans pour autant tomber dans la vacuité du fascicule touristique ne servant qu’à dépayser le lecteur d’une manière parfois bien trop superficielle. Outre l’aspect géographique, Benoît Séverac parvient à dresser une espèce de portrait sociologique en confrontant le quotidien du citoyen « ordinaire » avec cette économie souterraine qui ronge le cœur des cités.

     

    L’amorce de l’intrigue est à la fois simple et originale, permettant ainsi de mettre en scène Sergine Ollard, une vétérinaire plutôt singulière, qui va, parfois de manière très maladroite, tenter de venir en aide à cette jeune adolescente confrontée aux affres des traditions familiales et aux frasques de son frère aîné, impliqué dans un trafic de drogue d’une certaine ampleur. Elle incarne ce quotidien banal, presque ennuyeux, avant de se retrouver soudainement bousculée par l’imprévisibilité des événements. L’autre personnage fort du roman, c’est bien évidemment cette policière en uniforme, l’adjudante Nathalie Decrest, régulièrement tiraillée entre les injonctions paradoxales des différents services de police dépassés qui ne parviennent pas à prendre la pleine mesure de la fracture sociale secouant la cité.

     

    Emprunt de doutes mais définitivement aveuglé par les certitudes de son frère qu’il admire et par les prêches de l’imam qui le guide, Hamid Homane est un jeune homme à la fois poignant et terrifiant qui nous entraîne dans ce déferlement de violence qui va bouleverser toute la cité dans une scène finale absolument dantesque. On y décèle d’ailleurs quelques similitudes avec la confrontation entre Mohamed Merah et les forces de police lors de l’assaut final.

     

    Dénué de jugement, de sensationnalisme et de toute velléité hostile à l’encontre d’une communauté, Benoît Séverac expose, avec une grande justesse et beaucoup de subtilité, les problèmes d’une société contemporaine qui doit faire face aux grands défis du vivre ensemble dans un monde globalisé et multiculturel et ceci particulièrement dans un univers précarisé. Le Chien Arabe nous présente donc les conséquences tragiques de ces espaces urbains relégués au second plan et bien trop souvent stigmatisés d’où jaillissent des explosions de violence aux conséquences de plus en plus dramatiques.

     

    Epoustouflant, intelligent, Le Chien Arabe est un brillant roman noir, résolument ancré dans les problèmes sociaux de notre époque. Une réflexion romancée sur les sujets graves et sensibles d’aujourd’hui pour tenter de les comprendre, c’est peut-être en cela que la collection La Manufacture de Livres se distingue des autres maisons d’éditions consacrées aux polars.

     

    Benoît Séverac : Le Chien Arabe. La Manufacture de Livres 2016.

    A lire en écoutant : Au Quartier de IAM. Album : Saison 5. Polydor 2007.

  • BENOIT MINVILLE : RURAL NOIR. LE RETOUR DE LA HORSE.

    Capture d’écran 2016-04-10 à 23.25.41.pngLes selfies avec des auteurs adulés, des files d’attente interminables pour une dédicace, la rencontre des romanciers avec leurs lecteurs ; pas de doute, le printemps revient avec sa volée de salons et de hors-séries consacrés au polar à l’instar du magazine LIRE qui évoque, dans un article, le nouveau courant francophone du roman noir prenant pour décor les régions rurales du pays. On y évoque Franck Bouysse, Pierre Pélot, Patrick Delperdange et bien d’autres en les comparants aux auteurs américains issus du courant « nature writing » tels que Ron Rash, Jim Harrison ou Daniel Ray Pollock. Missoula versus le plateau de Millevaches. Une « découverte » donc que de nombreux blogs et sites, consacrés au polar, n’ont pas cessé de mettre en avant, depuis bien des années. Mais mieux vaut tard que jamais pour découvrir des romans se déroulant dans des contextes déroutants à l’instar de Benoît Minville qui plante son histoire dans le décor désenchanté de la Nièvre avec un premier roman noir au titre évocateur : Rural Noir.

     

    Tammay-en-Bazois, c’est le lieu de villégiature de cette bande d’ados composée de Romain, Vlad, Christophe et Julie. Il y a également Cédric, un môme plus inquiétant que Vlad décide de prendre sous son aile. Un bel été s’annonce pour ces gamins insouciants qu’un drame va pourtant esquinter à tout jamais en crevant cette jolie bulle d’amitié qu’ils entretenaient au gré de leurs pérégrinations dans ce beau coin de campagne paumée. Mais après plus de dix ans d’absence, Romain choisi de revenir dans sa région natale que la crise rurale a foudroyée et qui paraît désormais perfusée à coup de trafics de drogue. Il y retrouve son frère et les autres membres de la bande. Oscillant entre les réminiscences du passé et les évènements troubles du présent, il faudra bien se défaire de cette culpabilité, de ces secrets et de ces non-dit qui obscurcissent encore les relations entre les membres de la bande afin de retrouver l’amitié d’antan. Mais n’est-ce pas déjà trop tard ?

     

    Tout d’abord, il faut savoir que Benoît Minville est un libraire passionné que je croise au détour des réseaux sociaux. Un personnage atypique qui défend des romans qu’il est fortement recommandé d’apprécier au regard de son look et de sa mine patibulaire. Mais derrière cette dégaine de psychopathe, on devine le gars sensible qui doit pleurer devant un épisode de la petite maison dans la prairie.

     

    Avec Rural Noir, premier roman « adulte » de l’auteur, on dénote tout d’abord l’influence de Stephen King et de Dan Simmons, chantre des romans mettant en scène des intrigues liées à l’enfance. Alors bien évidemment, Rural Noir nous saisi pleinement par le biais de l’émotion que dégage cette bande d’adolescents unis par une amitié qui semble indéfectible. Bon nombre de lecteurs y retrouveront probablement leurs propres souvenirs de vacances à la campagne qu’ils pourront projeter sur ce récit.

     

    Mais au-delà de l’émotion latente, le récit peine à convaincre tant la trame narrative y est laborieuse. C’est tout d’abord dû au parti pris de l’auteur de dévoiler le drame du passé en toute fin de récit alors que la plupart des protagonistes en connaissent la teneur. On assiste donc à une succession de chapitres, évoquant ce passé, qui traînent en longueur et qui n’apportent pas grand chose hormis cette émotion qui paraît parfois quelque peu surfaite. C’est durant la période liée au présent que l’on retrouve les meilleurs moments, notamment lors des phases laissant place à une action parfois aussi cruelle que brutale. Néanmoins, la férocité de la confrontation finale nous laisse quelque peu perplexe. On peine ainsi à croire à ce remord qui ronge Romain depuis tant d’années au regard de l’attitude qu’il adopte vis à vis de certains personnages qu’il n’hésite pas à sacrifier durant une transaction nocturne extrêmement prenante.

     

    Ce qu’il manque dans Rural Noir, c’est le contexte social dans lequel évoluent les protagonistes. Le monde paysan y est à peine évoqué par l’entremise de quelques personnages secondaires que l’on aurait souhaité connaître d’avantage. Les exploitations qui font faillites, les révoltes de paysans acculés, les suicides ; rien de tout cela n’est vraiment abordé dans ce récit qui manque cruellement d’ampleur. Les dialogues sont également l’une des faiblesses de ce roman. Ils sont ampoulés et parfois terriblement laborieux avec une propension au pathos qui devient terriblement mièvre, comme lorsque les personnages évoquent leurs souffrances respectives comme s’il s’agissait d’une espèce de concours pour savoir qui a le plus morflé.

     

    On passera sur la problématique de la temporalité où les événements se mettent en place au moment même du retour de Romain, sans qu’il en soit le déclencheur, ainsi que sur ce laps de cinq ans où rien ne se passe, entre la tragédie et son départ. Puis, dix ans plus tard, on assiste donc à une espèce de « trop hasardeux » coup du sort qui permet au présent d’être le reflet du passé sans qu’il n’y ait aucun autre mécanisme permettant d’expliquer cette collision entre les deux périodes.

     

    Au final, Rural Noir c’est un roman tendre, bourré d’émotion mais qui manque terriblement de tenue et de cohérence et qui en font ainsi un récit bancal dans lequel on peine à s’immerger. Vraiment dommage.

     

    Benoît Minville : Rural Noir. Editions Gallimard - Série Noire 2016

    A lire en écoutant : Release (2008 Brendan O’Brian remix) de Pearl Jam. Album : Ten Redux. 2008 Epic Records.

     

     

     

  • Castle Freeman Jr. : Viens Avec Moi. Nulle part où aller.

    Capture d’écran 2016-03-15 à 17.08.09.pngJe ne sais pas ce que vaut un bourbon du Vermont, mais s’il possède la force des personnages qui habitent le roman de Castle Freeman Jr., j’en achète tout de suite une bouteille. Brut de décoffrage, Viens Avec Moi, premier roman de l’auteur, nous entraîne dans les régions forestières du Vermont où les comptes se règlent sur la durée d’une journée.

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    Ex shérif adjoint, truand local, Blackway a décidé de s’en prendre à la mauvaise personne en tentant d’impressionner Lillian. Mais la jeune femme est bien décidée à faire face à la menace, même si le shérif Wingate se révèle impuissant à la protéger. Sur les conseils de ce dernier, Lilian va se tourner vers Whizzer, ancien bûcheron en chaise roulante qui traîne dans sa scierie désaffectée avec un groupe d’amis loufoques. Parmi eux il y a Nate, un jeune colosse taciturne et Les, un vieillard rusé, qui vont aider Lilian à retrouver Blackway pour tenter de l’empêcher de mettre en œuvre ses noirs desseins. De clandés louches en repaires de toxicos, le trio s’enfonce dans les forêts sombres de la région à la recherche du campement de Blackway. Tandis qu’ils progressent, Whizzer et ses amis devisent tranquillement en buvant quelques bières tout en se remémorant quelques anecdotes locales. Mais malgré cette apparente décontraction, tous savent que la confrontation entre Blackway et le trio sera féroce. Mais qui des deux parties l’emportera ?

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    Viens Avec Moi, s’inscrit dans la lignée de cette ruralité américaine dépeinte par des auteurs comme Donald Ray Pollock ou Benjamin Whitmer. Il s’agit d’un roman court, assez atypique qui ne s’intéresse pas spécifiquement à la région dans laquelle il se déroule à la façon des stylistes « nature writing » mais plutôt au déroulement d’une intrigue qui se joue sur l’espace d’une journée. L’intrigue en elle-même est plutôt mince et la succession d’événements qui jalonnent le parcours de ce trio bancal se développent dans une tension presque ordinaire qui donne à l’ensemble du roman un certain réalisme parfois déconcertant, voire surprenant. Tout au long du récit on suit une alternance entre le périple du trio composé, de Lilian, Nate et Les et les conversations de Whizzer et de son groupe d’amis. C’est d’ailleurs par le biais de ces conversations que nous découvrons les personnalités des différents protagonistes ainsi que leurs motivations au travers de dialogues ponctués d’humour et de bon sens. Un procédé original qui nous permet d’entrevoir les caractères complexes des personnages qui se révèlent beaucoup moins stupides qu’il n’y paraît.

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    Sans s’appesantir sur le sujet, Castle Freeman Jr. évoque également tout le passé rural de la région au travers d’anecdotes sur les entreprises forestières qui fournissaient du travail aux habitants de la région qui semble désormais vouée au tourisme et aux activités plus ou moins inavouables. Les camps de bûcherons sont désormais squattés par les camés et les truands, tandis que les aciéries tombent en ruine. On y décèle le temps qui passe de manière inexorable en brisant des hommes tels que Les ou Whizzer qui hantent les lieux comme des fantômes. C’est au travers de la jeune Lilian qu’ils prennent encore un peu vie avant de sombrer définitivement dans l’oubli.

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    Une belle réussite donc pour ce premier roman publié en France qui restera une belle surprise de l’année 2016. Castle Freeman Jr. est un romancier talentueux que l’on suivra avec beaucoup d’attention. Viens Avec Moi est un roman noir, efficace et cinglant comme un coup fusil qui claque dans la forêt et l'on se réjouit déjà de découvrir les traductions des trois autres romans de l'auteur.

     

     

    Castle Freeman Jr. : Viens Avec Moi. Editions Sonatine 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Fabrice Pointeau.

    A lire en écoutant : I’am Gone de Shawn Colvin. Album : Shawn Colvin Live. WEA International 2009.

  • KIM UN-SU : LES PLANIFICATEURS. MA PETITE ENTREPRISE.

    Capture d’écran 2016-03-06 à 16.20.00.pngAvec la littérature asiatique il y a toujours cette surprenante garantie de dépaysement intense capable d’interpeller les lecteurs les plus blasés. C’est particulièrement le cas avec les auteurs coréens à l’instar de Kim Un-Su qui revisite par l’entremise de son premier polar, Les Planificateurs, la thématique du tueur à gage en empruntant des tonalités tout à la fois poétiques et décalées.

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    Les Planificateurs, personnages de l’ombre, sont les entremetteurs entre les commanditaires et les tueurs à gage. Et dans ce type de fonction, il s’agit de se montrer discret en organisant des assassinats en tout genre. C’est pour cette raison qu’en Corée du Sud, le père Raton-Laveur a fondé la bibliothèque des Chiens, un endroit discret et vénérable où les personnes fréquentant les lieux ne lisent pas le moindre ouvrage. Pour mener à bien ses funestes opérations, l’honorable bibliothécaire s’appuie notamment sur les compétences de son fils adoptif Laeseng qu’il a formé pour effectuer ce genre de tâche. Mais depuis la démocratisation et la libéralisation du pays, d’autres entreprises veulent obtenir des parts de marché pour concurrencer le père Raton-Laveur. Parmi ces entreprises, il y a celle de Hanja, autre fils adoptif du « respectable » bibliothécaire, qui souhaite prendre le pas sur cette officine vieillissante, ceci de gré ou de force. Et dans ce milieu, quand on parle de concurrence féroce, il ne s’agit pas forcément d’un point de vue imagé.

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    Premier polar de l’auteur, Les Planificateurs dépeint un univers très hiérarchisé et très organisé où se côtoient, assassins, planificateurs et logisticiens mettant sur pied des processus élaborés permettant de camoufler des exécutions en tout genre. Une espèce de petite entreprise où le savoir se transmet de pères en fils dans un certain respect de règles bien établies. On suit la destinée de Laeseng, un jeune tueur indolent qui vit dans l’ombre de cette bibliothèque fantomatique dont il est le seul adhérant à parcourir les rayonnages pour emprunter des livres. C'est avec l’Odyssée et autres ouvrages classiques qu’il apprend à lire au grand dam de son père adoptif Père Raton-Laveur qui a créé l’endroit dans le but unique de camoufler ses activités. Ainsi Laeseng côtoie tueurs à gage, exécuteur et assassins en tout genre dont son frère adoptif Hanja qui est l’aîné et s’est émancipé de la petite entreprise pour constituer une société plus moderne effectuant des activités similaires à celle de son père adoptif. On assiste donc à ce duel du monde libéral où l’entreprise artisanale, vieillissante et déclinante doit céder le pas à une entreprise moderne sous pression qui doit impérativement fournir du chiffre et du résultat. Une très belle allégorie du monde du travail permettant de cerner les défis auxquels doit faire face cette Corée du Sud industrialisée et démocratisée.

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    Même s’il a été trouvé dans une poubelle, le destin de Laesang paraît extrêmement banal, ceci en dépit de ses activités qu’il effectue comme s’il s’agissait d’un travail comme un autre. On y décèle une certaine nonchalance qui confine presque à l’ennui comme lorsqu’il livre les corps de ses victimes à Poilu qui possède un incinérateur pour animaux et qui se plaint continuellement des frais de fonctionnement de sa petite entreprise en demandant un lot plus important de morts. Une routine dans laquelle on distingue certaines similitudes avec le travail à la chaine lorsque le personnage principal, devant se faire oublier quelques temps, devient ouvrier qualifié dans une usine où il rencontre une jeune femme avec qui il se met en ménage. Une idylle étrange dans la vie de cet homme atypique. D’autres personnages originaux jalonnent le roman avec un groupe de femmes dont une planificatrice extrêmement manipulatrice qui donne d’avantage d’envergure à un univers généralement dédié à la gent masculine. Une bibliothécaire qui louche, un confrère tueur en sursis, une jeune femme adepte des figurines Disney complètent cette série de personnages hors normes qui croisent le destin de Laeseng.

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    Avec Les Planificateurs Kim Un-Su s’émancipe des stéréotypes du genre en nous décrivant des combats qui s’effectuent principalement au couteau de cuisine et où l’adversaire principal, surnommé Le Barbier, travaille comme coiffeur dans une banlieue. Un univers en décalage constant dont il se dégage, au fil des pages, un certain spleen poétique à l’exemple de cette première confrontation entre un tueur et sa victime qui l’accueille pour la nuit dans sa maison de campagne et lui raconte les péripéties de son grand-père, chasseur de baleine repenti.

    Un final assez classique achève de dérouter le lecteur qui découvrira avec Les Planificateurs un texte fort et original. Troublant.

     

    « Si tu lis des livres, ta vie sera pleine de peurs et de honte »

    Père Raton-Laveur

     

    Kim Un-Su : Les Planificateurs (The Plotters). Editions de l’Aube/L’aube Noire 2016. Traduit du coréen par Choi Kyungran et Pierre Bisiou.

    A lire en écoutant : Fifteen Floors de Balthazar. Album : Applause. 2010 Maarten Devoldere / Jinte Dprez, released Under exclusive License by (PIAS) Recording.

  • FRANCK BOUYSSE : PLATEAU. « A L’ENCYCLOPEDIE, LES MOTS ! »

    Capture d’écran 2016-02-07 à 15.33.12.pngRural Noir (titre emprunté à un roman à paraître de Benoit Minville), c’est ainsi que l’on pourrait nommer ce nouveau courant littéraire francophone qui alimente le roman noir. Après un succès comme Grossir le Ciel de Franck Bouysse qui en est devenu l’un des grands représentants, on attendait avec un certaine impatience son nouveau roman, Plateau qui nous entraîne à nouveau dans l’univers tragique de ce monde rural à l’agonie.

     

    Sur le plateau de Millevaches, il y a un hameau perdu où vivent Judith et Virgile. Le couple vieillissant a élevé leur neveu Georges qui habite désormais dans une caravane jouxtant la maison de ses parents morts dans un accident de voiture alors qu’il avait à peine cinq ans. Il y a aussi Karl, un ancien boxeur illuminé et tiraillé entre son passé violent et sa foi fanatique, presque délirante pour un Dieu qu’il invoque à grands coups de poing sur un sac de frappe. Dans cet univers d’oubli et de solitude, il y a la jeune Cory qui débarque en bousculant le fragile équilibre de ce petit monde. Malgré les silences et les non-dits, les secrets vont refaire surface d’autant plus que sur le plateau de Millevaches il y a désormais un mystérieux chasseur qui rôde et qui attend son heure pour solder les comptes.

     

    Encensé par la critique et les lecteurs, souvent comparé à Georges Bernanos pour l’amour du monde rural qu’il transcrit dans un langage opulent, Franck Bouysse semble avoir pris le pari de nous étourdir avec un texte où les mots, les phrases deviennent une espèce d’écume étincelante et assourdissante qui dessert un roman à l’intrigue alambiquée. Oui, Franck Bouysse maîtrise la langue en distillant, au fil des pages, des mots que l’on retrouveraient d’avantage dans les mots croisés que dans un roman censé mettre en scène un lieu sauvage et aride, peuplé des personnages plutôt rudes. Parce qu’il était mesuré, c’est un paradoxe qui fonctionnait avec Grossir le Ciel mais qui n’atteint pas du tout son objectif avec Plateau, ouvrage truffé d’une trop grande multitude de métaphores parfois totalement absconses. Il faut tout de même souligner que le procédé fonctionne lorsque l’auteur l’emploie pour l’introspection de ses personnages. C’est d’ailleurs dans ces passages que l’on retrouve tout le talent de Franck Bouysse. Ce talent on peut également le déceler dans la force et la pertinence des dialogues qui agrémentent tout le roman. On appréciera notamment les échanges entre Virgile et Karl mettant en scène le côté terrien du premier contrastant avec la part mystique du second.

     

    Avec Plateau, Franck Bouysse dresse de très beaux portraits à l’instar de Judith, personnage émouvant perdant peu à peu la mémoire et sombrant doucement dans la folie. La lutte contre la maladie, les derniers sursauts de lucidité et l’abîme de l’oubli marqueront les esprits. Les autres protagonistes sont du même acabit, mais c’est au niveau de leur âge respectif que cela ne fonctionne pas car en installant une partie de l’intrigue dans le contexte de la seconde guerre mondiale, les acteurs du roman deviennent singulièrement trop vieux au regard de l’énergie qu’ils dégagent. C’est particulièrement frappant pour Virgile, qui au vu de ses activités ne semble pas affecté par son handicap au niveau des yeux et son âge que l’on peut estimer proche des 80 ans. C’est également le cas pour Karl dont la force, l’énergie et la violence ne collent pas vraiment avec ses soixante ans. On peine également à croire à la relation qui s’installe bien trop rapidement entre Georges et Cory alors que celle-ci vient de fuir les affres de violences conjugales dont elle a été victime durant de très nombreuses années.

     

    Outre ces détails sur lesquels bon nombre de lecteurs vont passer, c’est au niveau de la multiplication des intrigues parallèles, dont certaines ne sont pas suffisamment développées, que l’on peine à suivre le fil du roman avec un final assez cinglant qui se base essentiellement sur des circonstances bien trop hasardeuses pour être suffisamment réaliste. Il n’empêche que les confrontations sont plutôt réussies et saisissantes. Mais c’est surtout au niveau de l’épilogue que l’on appréciera toute l’ambivalence d’un des personnages qui fait basculer tout le récit dans une perspective tout à fait inattendue. C’est probablement grâce à cette note finale, trait de génie de l’auteur, que Plateau parviendra à faire frissonner bon nombre de lecteurs en quête d’une histoire sortant de l’ordinaire.

     

    Trop de mots, trop d’intrigues, parfois clinquant, Plateau séduira un lectorat en quête d’excès. Mais au-delà de l’intrigue un peu trop tarabiscotée et débarrassé de ses fioritures, le roman dégage des fulgurances propres à un auteur talentueux qui doit maîtriser une certaine tendance à la démesure.

     

    Franck Bouysse : Plateau. La Manufacture de Livre/Territori 2015.

    A lire en écoutant : Tableau de Chasse de Claire Diterzi. Album : Tableau de Chasse. Naïve 2008.