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  • Ron Rash: Un Silence Brutal. L’écho des larmes.

    ron cash, un silence brutal, la noire, gallimardA une époque où les clivages littéraires étaient bien marqués, Patrick Raynal, alors directeur de la Série Noire, créait en 1992 La Noire, pendant de l’emblématique collection Blanche de Gallimard en empruntant la maquette, version négative, de la fameuse couverture épurée au double liseré rouge, estampillée du sigle nrf. Outre l’habillage, c’est bien évidemment dans le contenu littéraire, se situant à la lisère des genres, que réside la volonté de nous faire découvrir des textes dont l’ambition est de transgresser aussi bien les codes de l’écriture que ceux de l’intrigue qui se situe parfois bien au-delà de la résolution d’une enquête ou de la critique sociale pour nous entraîner sur des thématiques plus vastes que peuvent offrir les littératures de genre avec un rapport plus ou moins marqué avec la violence, reflet d’un monde déliquescent. Succédant à Harry Crews, James Crumley, Manchette, Larry Brown ou Jérôme Charyn, pour n’en citer que quelques uns, c’est Ron Rash qui incarne, avec son nouveau roman Un Silence Brutal,  le retour de La Noire dont l’aventure éditoriale s’éteignait il y a de cela quatorze ans avec le départ de Patrick Reynal et dont la renaissance ne peut que nous réjouir.

     

    Shérif d’un comté reculé de la Caroline du Nord, dans les Appalaches, Les aspire à clôturer ses dossiers alors qu’il ne lui reste plus que trois semaines avant la retraite. Mais il lui faut encore effectuer une descente dans une de ces caravanes croulantes abritant un laboratoire de méthamphétamine et régler un conflit entre Gérald, un vieux fermier irascible et son voisin Tucker, riche propriétaire d’un relais de pêche destiné aux citadins fortunés en quête de nature. Mais la rupture est consommée lorsque l’on découvre que du kérosène a été déversé dans la rivière et que tout accuse Gérald d’avoir commis le forfait. Les n’en demeure pas moins sceptique tout comme Becky, directrice du Locart Creek Park, qui croit en l’innocence du vieillard. Imprégnée par la nature qui l’entoure, éprise de poésie et appréciant le caractère brut de Gérald, la garde-faune ne peut concevoir le geste malintentionné du vieillard qui ne peut faire de mal aux truites qu’il apprécie tant. Dans cette région perdue, la confrontation avec cette volonté du profit se heurtant à la préservation de l’héritage d’une faune qu’il faut respecter ne peut que tourner court. Une confrontation qui devient l’incarnation de deux univers que tout oppose.

     

    Capter l’instant de la lumière d’un soleil couchant nimbant une prairie au pied des montagnes ou saisir les ravages de cette violence sociale incarnée par la consommation de crystal meth qui touche les membres des communautés les plus reculées, Ron Rash possède cette capacité à restituer la beauté et les douleurs d’une nation avec des textes sensibles, imprégnés d’émotions et de poésie. L’importance des mots choisis, la subtilité des phrases soignées, il faut donc saluer la rigueur du travail de traduction qu’a effectué Isabelle Reinharez en traduisant l’ensemble de l’œuvre de Ron Rash pour restituer toute la quintessence d’une écriture au style épuré qui se concentre sur l’essentiel.

     

    Avec Un Silence Brutal, Ron Rash décline sur le mode de l’intrigue policière les intrications entre les différents membres d’une petite communauté des Appalaches en se concentrant sur la posture de Les ce shérif ambivalent, doté d’une certaine sagesse, qui arrondit ses fins de mois en fermant les yeux sur les trafics des cultivateurs de marijuana mais qui a à cœur de préserver la quiétude des habitants en œuvrant avec circonspection. Un portrait tout en nuance comme celui de Becky cette garde-faune qui porte en elle le souvenir d’une tuerie de masse dont son institutrice et ses camarades ont été victimes et que l’auteur évoque avec une belle retenue qui ne fait que renforcer la tension et l’horreur de la situation. Il en va de même pour cette descente dans une caravane sordide abritant un laboratoire de méthamphétamine qui aura des répercussions sur certains membres de l’équipe du shérif. Ainsi donc Ron Rash décline toute une galerie de personnages faillibles surmontant du mieux qu’ils le peuvent les épreuves auxquelles ils doivent faire face avec en ligne de mire cette soif de rédemption ou de pardon pour les uns ou plus simplement ce droit à l’oubli ou cette velléité de passer à autre chose pour les autres afin de se débarrasser de cette culpabilité qui les encombre.

     

    Un Silence Brutal, c’est également l’occasion pour l’auteur de mettre en scène cette confrontation brutale avec cette Amérique clinquante incarnée par Tucker, propriétaire d’un lodge destiné aux pêcheurs fortunés, qui se frotte à un voisinage modeste personnifié par Gérald qui n’entend pas subir le dictat des plus riches n’aspirant qu’au profit. Ainsi, même dans la quiétude de ces grands espaces sauvages, Ron Rash met en exergue le tumulte du conflit des classes sociales qui atteignent l’ensemble de protagonistes en révélant la face sombre de certains d’entre eux prêts à tout pour obtenir une part des bénéfices. Roman noir, imprégné d’une force poétique fascinante, Un Silence Brutal évoque avec une rare intensité toute la beauté d’une région où la communauté doit subir les avanies d’une nation qui l'a reléguée à la marge de la société.

     

    Ron Rash : Un Silence Brutal (Above The Waterfall). Editions Gallimard/La Noir 2019. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Reinharez.

    A lire en écoutant : Sullen Girl de Fiona Apple. Album : Tidal. 1996 Sony Entertainment Inc.

  • Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Dernier retranchement.

    jean-bernard pour, Ma Zad, gallimard, série noireRien ne saurait empêcher la venue de ce phénomène saisonnier, pas même les dérèglements climatiques, où l’on observe durant cette période printanière l’apparition des magazines hors-série consacrés à la littérature noire. On saluera l’effort même si l’actualité du polar ne s’arrête pas à cette période de l’année dont on pourra évaluer toute son ampleur annuelle avec des revues spécialisées dans le domaine, comme l’Indic ou 813 qui vous épargneront les sempiternelles réflexions sur un genre qu’il faudrait considérer à part entière dans le monde littéraire. C’est par le biais de ces publications que vous découvrirez tout au long de l’année des nouveautés qui ne bénéficient pas toujours d’un éclairage médiatique aussi important qu’elles seraient en droit de mériter, mais également des personnalités qui ont contribuées, bien avant son avènement, au rayonnement du roman policier à l’instar d’une figure comme Jean-Bernard Pouy créateur, avec Serge Quadrupanni et Patrick Raynal, de la série Le Poulpe qui a la particularité d’être rédigée pour chaque épisode par un auteur différent. Mais outre ce personnage emblématique du polar français, Jean-Bernard Pouy, conteur hors-pair, est l’auteur d’une cinquantaine de romans et d’un nombre incalculable de nouvelles et d’essais qui revient sur le devant de la scène avec Ma ZAD, un roman noir qui colle à l’actualité du moment dans le contexte de l’abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes et des évacuations qui s’ensuivent.

     

    Ca ne va pas fort pour Camille Destroit, responsable des achats du rayon frais d’un grand supermarché, qui a trop fricoté avec les zadistes occupant le site de Zavenghem où se situe la ferme héritée de ses parents. Lors de l’évacuation de la ZAD, ce quadragénaire, plutôt rangé, est interpellé par les forces de l’ordre pour être placé en garde à vue. Et comme si cela ne suffisait, pas, Camille constate, à sa sortie de détention, que sa grange où il sotckait du matériel, destiné aux activistes a été incendiée, que son employeur l’a licencié et que sa copine l’a quitté. Pour couronner le tout, il est agressé par une équipe de crânes rasés n’appréciant guère son engagement. Blessé, le moral en berne, Camille peut compter sur les sympathisants qui logent chez lui. Parmi eux, Claire, une fille superbe qui le persuade peu à peu de reprendre la lutte et de faire face aux Valter, initiateurs du projet industriel de Zavenghem. Mais les intérêts de Claire sont-ils bien similaires aux convictions de Camille ?

     

    Roman libertaire à l’image de son auteur, Ma ZAD prend l’apparence d’un récit foutraque, émaillé de traits d’humour, où les digressions en tout genre côtoient quelques répliques saillantes et jeux de mots plus ou moins foireux, finissant même par devenir parfois un peu agaçants. Emprunt d’une grande culture au sens populaire du terme, Jean-Bernard Pouy peut intégrer dans son texte des références telles que Philipe K Dick, Manet, les Rolling Stone, et même de Daniel de Roulet, puisqu'une partie l’intrigue, dont quelques péripéties se déroulent d’ailleurs en Suisse, s’inspire du parcours de l’écrivain genevois, responsable de l’incendie d’un chalet inhabité, appartenant à un magnat de la presse allemand, et dont il a révélé les circonstances dans un roman intitulé Un Dimanche A La Montagne (Buchet-Castel 2006). Voici donc un bel inventaire à la Prévert auquel l’auteur rend également hommage.  Mais il ne faut pas s’y tromper, car au-delà de cette apparence chaotique, Jean-Bernard Pouy possède un solide sens de la narration nous permettant de suivre, au gré d’un texte vif et acéré, la fuite en avant de Camille, un homme aveuglé par une sourde colère qu’alimente une femme qui va se révéler fatale, mais également un environnement qui se disloque peu à peu sous les coups de boutoir d’une société de plus en plus avide. Mais loin d’être pompeux ou moraliste, Ma ZAD se révèle être un pur roman noir qui emprunte les codes classiques du genre pour le transposer à la périphérie du thème qu’il aborde, car acculé, dans ses derniers retranchements, la ZAD de Camille Destroit va s’incarner dans sa personnalité et ses convictions qu’il tente de préserver à tout prix.

     

    Magnifique roman déjanté et fulgurant, à la fois grave et joyeux, Ma ZAD nous offre, sans jamais se prendre trop au sérieux, une vision aiguisée et pertinente d’une société alternative que les gaz lacrymogènes ne sauraient faire disparaître.

     

    Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Editions Galimard/Serie Noire 2018.

    A lire en écoutant : One Way Or Another de Blondie. Album : Parallel Lines. Capitol Records 1978.

  • BENOIT MINVILLE : RURAL NOIR. LE RETOUR DE LA HORSE.

    Capture d’écran 2016-04-10 à 23.25.41.pngLes selfies avec des auteurs adulés, des files d’attente interminables pour une dédicace, la rencontre des romanciers avec leurs lecteurs ; pas de doute, le printemps revient avec sa volée de salons et de hors-séries consacrés au polar à l’instar du magazine LIRE qui évoque, dans un article, le nouveau courant francophone du roman noir prenant pour décor les régions rurales du pays. On y évoque Franck Bouysse, Pierre Pélot, Patrick Delperdange et bien d’autres en les comparants aux auteurs américains issus du courant « nature writing » tels que Ron Rash, Jim Harrison ou Daniel Ray Pollock. Missoula versus le plateau de Millevaches. Une « découverte » donc que de nombreux blogs et sites, consacrés au polar, n’ont pas cessé de mettre en avant, depuis bien des années. Mais mieux vaut tard que jamais pour découvrir des romans se déroulant dans des contextes déroutants à l’instar de Benoît Minville qui plante son histoire dans le décor désenchanté de la Nièvre avec un premier roman noir au titre évocateur : Rural Noir.

     

    Tammay-en-Bazois, c’est le lieu de villégiature de cette bande d’ados composée de Romain, Vlad, Christophe et Julie. Il y a également Cédric, un môme plus inquiétant que Vlad décide de prendre sous son aile. Un bel été s’annonce pour ces gamins insouciants qu’un drame va pourtant esquinter à tout jamais en crevant cette jolie bulle d’amitié qu’ils entretenaient au gré de leurs pérégrinations dans ce beau coin de campagne paumée. Mais après plus de dix ans d’absence, Romain choisi de revenir dans sa région natale que la crise rurale a foudroyée et qui paraît désormais perfusée à coup de trafics de drogue. Il y retrouve son frère et les autres membres de la bande. Oscillant entre les réminiscences du passé et les évènements troubles du présent, il faudra bien se défaire de cette culpabilité, de ces secrets et de ces non-dit qui obscurcissent encore les relations entre les membres de la bande afin de retrouver l’amitié d’antan. Mais n’est-ce pas déjà trop tard ?

     

    Tout d’abord, il faut savoir que Benoît Minville est un libraire passionné que je croise au détour des réseaux sociaux. Un personnage atypique qui défend des romans qu’il est fortement recommandé d’apprécier au regard de son look et de sa mine patibulaire. Mais derrière cette dégaine de psychopathe, on devine le gars sensible qui doit pleurer devant un épisode de la petite maison dans la prairie.

     

    Avec Rural Noir, premier roman « adulte » de l’auteur, on dénote tout d’abord l’influence de Stephen King et de Dan Simmons, chantre des romans mettant en scène des intrigues liées à l’enfance. Alors bien évidemment, Rural Noir nous saisi pleinement par le biais de l’émotion que dégage cette bande d’adolescents unis par une amitié qui semble indéfectible. Bon nombre de lecteurs y retrouveront probablement leurs propres souvenirs de vacances à la campagne qu’ils pourront projeter sur ce récit.

     

    Mais au-delà de l’émotion latente, le récit peine à convaincre tant la trame narrative y est laborieuse. C’est tout d’abord dû au parti pris de l’auteur de dévoiler le drame du passé en toute fin de récit alors que la plupart des protagonistes en connaissent la teneur. On assiste donc à une succession de chapitres, évoquant ce passé, qui traînent en longueur et qui n’apportent pas grand chose hormis cette émotion qui paraît parfois quelque peu surfaite. C’est durant la période liée au présent que l’on retrouve les meilleurs moments, notamment lors des phases laissant place à une action parfois aussi cruelle que brutale. Néanmoins, la férocité de la confrontation finale nous laisse quelque peu perplexe. On peine ainsi à croire à ce remord qui ronge Romain depuis tant d’années au regard de l’attitude qu’il adopte vis à vis de certains personnages qu’il n’hésite pas à sacrifier durant une transaction nocturne extrêmement prenante.

     

    Ce qu’il manque dans Rural Noir, c’est le contexte social dans lequel évoluent les protagonistes. Le monde paysan y est à peine évoqué par l’entremise de quelques personnages secondaires que l’on aurait souhaité connaître d’avantage. Les exploitations qui font faillites, les révoltes de paysans acculés, les suicides ; rien de tout cela n’est vraiment abordé dans ce récit qui manque cruellement d’ampleur. Les dialogues sont également l’une des faiblesses de ce roman. Ils sont ampoulés et parfois terriblement laborieux avec une propension au pathos qui devient terriblement mièvre, comme lorsque les personnages évoquent leurs souffrances respectives comme s’il s’agissait d’une espèce de concours pour savoir qui a le plus morflé.

     

    On passera sur la problématique de la temporalité où les événements se mettent en place au moment même du retour de Romain, sans qu’il en soit le déclencheur, ainsi que sur ce laps de cinq ans où rien ne se passe, entre la tragédie et son départ. Puis, dix ans plus tard, on assiste donc à une espèce de « trop hasardeux » coup du sort qui permet au présent d’être le reflet du passé sans qu’il n’y ait aucun autre mécanisme permettant d’expliquer cette collision entre les deux périodes.

     

    Au final, Rural Noir c’est un roman tendre, bourré d’émotion mais qui manque terriblement de tenue et de cohérence et qui en font ainsi un récit bancal dans lequel on peine à s’immerger. Vraiment dommage.

     

    Benoît Minville : Rural Noir. Editions Gallimard - Série Noire 2016

    A lire en écoutant : Release (2008 Brendan O’Brian remix) de Pearl Jam. Album : Ten Redux. 2008 Epic Records.

     

     

     

  • Jo Nesbo : Police. La fuite en avant !

    Jo Nesbo, harry hole, police, serie noire, gallimardLa mondialisation et la surenchère sont les deux phénomènes qui desservent bien trop souvent le thriller qui devient un genre de plus en plus dévoyé par les impératifs commerciaux du nombre d’exemplaires vendus. On ne se préoccupe plus de la qualité de l’histoire ou de l’écriture qui devient d’ailleurs de plus en plus standardisée pour le confort du lecteur qui n’aura plus d’effort à faire pour intégrer le style particulier des auteurs. On lit le même livre … encore et encore … Bien souvent, l’auteur piégé dans la spirale du volume de tirages de son œuvre, se croit contraint d’inventer des histoires de plus en plus ahurissantes pour continuer à capter son lectorat. C’est encore pire avec le techno-thriller où certains écrivains (Thilliez – Crichton) vont même jusqu’à prétendre que leurs élucubrations sont tirées de faits réels ou d’observations scientifiques avérées.

     

    J’avais soulevé cette problématique du thriller avec Kaïken de Jean-Christophe Grangé que vous retrouverez ici. Mais il est bien évidemment loin d’être le seul. L’exemple le plus dramatique on le constate avec l’œuvre de Thomas Harris qui avait tout d’abord publié l’excellent Dragon Rouge où l’on découvrait dans un rôle secondaire le fameux Dr Hannibal Lecter suivit du très convaincant Silence des Agneaux. Mais il faudra bien admettre que Hannibal et Hannibal, les Origines du mal malgré leurs records de vente se sont révélés être des livres absolument grotesques  nous révélant un Hannibal Lecter en couple avec Clarice Sterling où avoir été, dans sa jeunesse, un « gentil » serial killer. Soyons sérieux !

     

    Avec Police, dernier opus de la série Harry Hole, nous sommes confrontés au même problème. Nous retrouvons notre héros bien en vie alors qu’il avait été laissé pour mort à la fin du très médiocre Fantôme qui résonne comme un artifice plus que douteux pour maintenir un lectorat en haleine. Parce que quand même, de vous à moi, on pouvait bien se douter que l’auteur n’allait pas laisser périr ainsi son personnage fétiche.

     

    Un cadavre est découvert dans une forêt en bordure d’Oslo. Il s’agit d’un policier assassiné sur les lieux d’un crime qui n’a jamais été résolu. Une série de crimes similaires décimant les forces de police va contraindre Harry Hole, retiré comme enseignant à l’école de police, à reprendre du service pour traquer ce tueur mystérieux.

     

    Dans ce récit, Jo Nesbo usera et abusera des artifices narratifs pour que le lecteur puisse tourner les pages en se demandant par exemple qui est le mystérieux personnage plongé dans un coma artificiel et maintenu sous surveillance policière. Mais si l’on a, tant soit peu, une étincelle de lucidité on pourra bien deviner qu’il ne s’agit pas du personnage principal tout comme l’on se doutera bien que la cérémonie finale n’est pas celle que l’auteur entend nous faire croire, ceci sur plusieurs dizaines de pages. Hormis cela, il y a cette manie abbérante qui consiste à équiper un serial killer particulièrement retord avec un matériel que l’on peinerait à faire entrer dans un semi-remorque mais que le type trimbale d’un bout à l’autre de la ville sans que cela pose le moindre problème. J’exagère un peu, mais à peine. Par contre je n’exagère pas en évoquant cet épisode plus que douteux (voir sexiste) où une inspectrice doit se triturer les seins, ceci sans contrainte, pour que le pervers qu’elle interroge lui livre des informations ! Rien que ça ! Ces mêmes informations virent à la farce en expliquant ainsi l’évasion rocambolesque d’un prisonnier qui en tue un autre et le planque durant trois jours dans une malle sans que personne dans la prison ne se rende compte de rien. Franchement !

     

    Ce ne sont là que quelques exemples et la liste est loin d’être exhaustive. Je passe sur le tueur qui n'est pas celui que l'on croit mais qui reste quand même un tueur, le conflit entre le personnage principal et le chef de la police qui commandite des meurtres avec l'appui d'une conseillère administrative perverse, le flic homophobe amoureux de son chef et le final rocambolesque qui nous contraindra tout de même à nous demander si l'auteur ne nous prend pas pour des abrutis.

     

    On aurait pu au moins s’attendre à une description particulièrement intéressante de l’institution policière comme le promettait le titre du roman, mais toute la thématique est galvaudée par des poncifs et des raccourcis qui frisent la caricature. Schémas simplistes, flics stéréotypés c’est tout ce que vous trouverez dans ce roman.

    Il nous reste à analyser les relations qu’entretiennent Harry Hole, Rakel, (la femme qu’il aime) et Oleg, (le fils de cette dernière) qui virent à la farce.  On va nous faire croire que Harry Hole a pardonné son beau-fils d’avoir tenté de l’abattre de trois balles sans d’ailleurs que Rakel ne soit au courant. Une bonne petite cure de désintoxication pour le gamin et c’est reparti pour Oleg et Harry Hole qui s’adorent à nouveau comme si rien ne s’était passé. Un petit mariage pour conclure ce récit et on oubliera rapidement ce piètre épisode de la série. Mais tout cela n’est pas possible puisque plusieurs aspects de l’histoire restent encore en suspens et trouveront  leurs conclusions dans un prochain épisode (il faut bien entretenir la poule aux oeufs d'or) ce qui contraindra les pauvres lecteurs que nous sommes à se remémorer les divagations d’un auteur qui se révèle de plus en plus décevant au fur et à mesure de sa notoriété grandissante.

     

     

    Jo Nesbo : Police. Editions Gallimard/Série Noire 2014. Traduit du norvégien par Alain Gnaedig.

    A lire en écoutant : Whispering d’Alex Clare. Album : The Lateness of the Hour. Universal Island Records 2011.

     

  • FRANK BILL : DONNYBROOK. FAIS MOI MAL JOHNNY !


    frank bill,donnybrook,gallimard,série noireIssu de la lignée des Daniel Ray Pollock, Benjamin Westhler et consort, voici Frank Bill qui nous plonge dans l’univers brutal des pugilistes avec Donnybrook. Le titre de l’ouvrage porte le nom d’un tournoi de combat à poing nu qui se déroule au cœur de l’Indiana où la particularité réside dans le fait qu’il n’y a aucune règle et aucun arbitre. Deux séries de combat où l’on met en scène 20 concurrents sur un ring entouré de fil de fer barbelé. Les deux survivants de chaque série doivent ensuite s’affronter au milieu d’un public défoncé à l’alcool et à la méthamphétamine.

     

    C’est sur une série de portraits de types féroces que se concentre le récit avec Marine, le père désespéré qui braque une armurerie (seul commerce qui n’a pas encore péricliter dans une région ravagée par le chômage) pour s’emparer de la somme nécessaire pour s’inscrire au tournoi. Il y a également Angus, l’ex combattant légendaire et invaincu qui s’est reconverti dans la fabrication de meth. C’est l’explosion de son labo et la trahison de Liz, sa nymphomane de sœur, aussi cinglée que lui qui contraindra Angus à retourner au Donnybrook. D’autres protagonistes vont venir des quatre coins des Etats-Unis pour se mesurer les uns aux autres dans un enfer de violence et de perdition.

     

    Pour vous faire une idée du roman, on peut évidemment penser à Doux, Dur et Dingue ou Ca Va Cogner avec Clint Eastwood dans le rôle de Philo. Mais la vague d’une crise  sans fin et la déferlante toxique du cristal meth ont assombri le tableau  d’une Amérique du Midwest que Frank Bill a su parfaitement nous dépeindre par le biais de ses personnages aux caractères abrasifs qui ne sont porteur que de leur propre désespoir.

     

    Frank Bill, Donnybrook, gallimard, série noire, Avec Donnybrook, ne cherchez pas de messages sous-jacent ou universels sur le bien ou le mal. Il n’y a que noirceur et violence au travers de scènes dantesques qui transporteront le lecteur d’un bout à l’autre d’une histoire dépourvue de la moindre lueur d’espoir. Le récit est âpre et brûlant sans aucune pause que ce soit durant les parcours de chaque protagoniste ou durant le combat qui clôturera l’intrigue dans une suite de confrontations qui paraissent sans fin.

     

    Le parti pris de Frank Bill c’est l’action et rien d’autre, il laisse les considérations philosophiques et autres réflexions humanistes sur les bords de ces routes sombres de l’Indiana et du Kentucky pour porter une espèce de conte funeste uniquement centré sur les actes désespérés de ses personnages qui ont depuis bien longtemps mis de côté toutes les considérations morales en évoluant dans univers qui en est totalement dépourvu.

     

    Méchant, sale et violent, Donnybrook de Frank Bill est un roman tout aussi déroutant que percutant qui saura surprendre le lecteur peu habitué à cette vision amorale d’une Amérique perdue dont le chapitre final laisse présager une suite. Finalement Donnybrook c’est un bon direct du droit bien assaisonné dans la mâchoire qui n’a pas fini de vous faire grincer des dents.

     

    Frank Bill : Donnybrook. Gallimard/Série Noire 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Antoine Chainas.

    A lire en écoutant : Yong Men Dead de The Black Angels. Album : Passover. Light in the attic Records/2006.

  • Jo Nesbo : Fantôme. Les héros sont fatigués.

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    Avec "Fantôme", dernier opus des enquêtes de Harry Hole, Jo Nesbo est peut-être en train de nous faire la démonstration d’une équation littéraire qui consiste à dire que plus grand est le nombre de lecteur plus médiocre est le récit. C’est probablement pour satisfaire ce lectorat grandissant que l’on observe une certain conformisme déjà décelable avec le « Bonhomme de Neige » et confirmé avec le « Léopard »  et si l’on  analyse plus finement  la série Harry Hole, on peut mettre ce déclin en corrélation avec le final de l’arche narrative qui reliait les romans précédents jusqu’à sa conclusion dans les dernières pages du « Sauveur ». Avec la disparition de plusieurs protagonistes c’est un peu comme si l’on enlevait du relief au personnage principal qui devient désormais un énième flic alcoolique en quête de rédemption et les artifices opérés par l’auteur n’y changent désormais pas grand chose.

     

    Il faut bien le dire, Harry Hole, n’a jamais été un personnage très riche et très épais dans les trames narratives de Jo Nesbo. C’était les situations et les personnages secondaires qui animaient l’inspecteur dont la vie personnelle paraissait quelque peu vide de sens hormis sa relation avec Rakel.

     

    C’est d’ailleurs sur la base de cette relation fluctuante que Harry Hole, retourne à Oslo pour aider le jeune Oleg, fils de Rakel, qui outre ses problèmes de drogue est accusé d’avoir assasiné un de ses condisciples d’infortunes. En apportant son aide, Harry Hole, met à jour un dangereux réseau de trafiquants conduit par un mystérieux Dubaï, sorte de « Keyser Söze » du crime organisé qui apparaît au moment où est mis sur le marché une nouvelle drogue de synthèse qui déferle sur la capitale norvégienne. Guerre de gangs, corruptions et filières mafieuses, c’est tout cela que va devoir affronter Harry Hole qui se contraint de se surpasser pour parvenir à sauver Oleg.

    Ce ne sont pas les quelques rebondissements émaillant l’histoire de quelques artifices qui parviendront à nourrir ce récit archi convenu où les différents acteurs apparaissent dans des rôles stéréotypés. L’auteur est désormais tourné vers l’intrigue au détriment de la description social dans laquelle évoluent les personnages et c’était pourtant ce qui donnait tout son sel aux précédents romans, comme « Rouge-Gorge »,  « Rue Sans-Souçi » où « L’Homme Chauve-Souri ». Un temps lointain où les livres de Nesbo étaient édités aux éditions Gaïa avant qu’il ne passe chez Gallimard. Mais peut-être est-ce là la rançon du succès qui contraint un auteur à donner toujours plus au lecteur quitte parfois à verser dans le spectaculaire qui vire à l’esbrouffe.

     

    Avec ses travers, "Fantôme", demeure un livre extrèmement bien construit sur le plan narratif qui conviendra parfaitement à l’atmosphère estivale de ces derniers jours et jouera son rôle de best-seller trônant sur les chaises longues alignées au bord des plages et des piscines.

     

    Il ne restera de tout cela que quelques chapitres consacrés à l’agonie de la victime de Oleg qui amènent cette dimension sociale en décrivant les affres des petits trafiquants/consommateurs qui hantent les rues sombres d’Oslo. Le final qui se voudrait percutant, manque finalement de mordant et apparaît, si l’on consulte le site de l’auteur, comme un ultime artifice pour tenter de raviver une série moribonde. Mais n’est pas sir Arthur Conan Doyle qui veut ! Néanmoins, fan de Nesbo de la première heure, je ne désespère pas de retrouver le grand auteur que j’ai apprécié au fil des années.

     

    Jo Nesbo : Fantôme. Editions Série Noire/Gallimard 2013. Traduit du norvégien par Paul Dott.

    A lire en écoutant : Ghostwriter de Headphone. Album : Ghostwriter. 2008 Play It Again Sam (PIAS).

  • JO NESBO : CHASSEURS DE TETES. DUEL D’ENFOIRES.

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    Lorsque l’on a connu les débuts d’un écrivain qui, au fil de ses ouvrages, développe  son personnage fétiche devenant ainsi de plus en plus reconnu sur la scène littéraire, il y a comme une espèce de relation qui s’instaure  entre l’auteur, le lecteur et le personnage de fiction à un point tel qu’il peut parfois s’avérer difficile de lire les autres livres de ce même écrivain. C’est un peu pour cette raison que j’avais laissé de côté  Chasseurs de Têtes de Jo Nesbo qui avait abandonné son célèbre inspecteur, Harry Hole, que l’on ne présente plus pour nous narrer les aventures de Roger Brown.

     

    C’est lors de l’acquisition d’une tablette numérique, et en parcourant la bibliothèque en ligne que l’ouvrage s’est rappelé à mon bon souvenir. Quelques clics (virtuels sur une tablette) et me voilà en possession de mon premier ebook, transporté du côté d’Oslo pour découvrir ce nouveau personnage fort peu attachant au demeurant. Roger Brown est un caïd dans son domaine. Il n’a pas son pareil pour dénicher la perle rare capable de diriger les entreprises qui le mandate. Le n° 1 des Chasseurs de tête c’est lui. Des entretiens acérés où tout y passe : pression, intimidation, déstabilisation et séduction. Au passage, il en profite pour savoir si le postulant ne posséderait pas un petit tableau de valeur afin de le délester. Car Roger Brown, pour combler sa magnifique épouse, vit très au-dessus de ses moyens. Avec la revente des œuvres d’art dérobées, il comble tant bien que mal ses dettes en attendant le gros coup qui le mettrait à l’abri. Et peut-être qu’il s’agira de ce Rubens que possède l’un des candidats. Le coup semble facile, mais le candidat en question ne s’avère pas aussi candide qu’il y paraît et Roger Brown va voler de déconvenue en désappointement dans un parcours parsemé de cadavres ! Qui manipule qui ? Ce n’est peut-être pas pour rien que le titre est décliné au pluriel !

     

    Un roman noir doté d’un rythme agressif qui lui confère des allures de thriller voilà comment l’on pourrait qualifier ce hors-série de Jo Nesbo. L’auteur reprend le thème du personnage impitoyable qui se retrouve piégé par plus retors que lui. Et nous ne pouvons pas manquer le parallèle entre le cynisme de cet homme au cœur du monde des affaires et la froideur implacable d’un tueur sociopathe en se demandant qui est finalement le plus abominable des deux. Roger Brown va l’apprendre à ses dépends au gré de situations rocambolesques et hallucinantes qui vont le plonger dans le plus profond des désarroi à un point tel que l’on éprouvera une espèce d’empathie pour cet odieux personnage. En effet, dans sa fuite en avant, notre "héros" va devoir se débarrasser de tous ses signes extérieurs de richesse (voiture, costume, carte de crédits, téléphone et même sa chevelure dont il prenait grand soin) qui le confortait dans sa position sociale. C’est donc au gré de ce dépouillement forcé que Roger Brown va peut-être retrouver un peu d’humanité.

     

    Avec Jo Nesbo, nous avons l’assurance d’un récit bien construit et de dialogues percutants (notamment lors des entretiens d’embauche que fait passer Roger Brown) et les scènes d’action sont aussi éblouissantes que saisissantes. Il n’y a guère que la fin qui perd de sa substance avec une très longue série d’explications plus que laborieuses qui empêche Chasseurs de Têtes d’être un grand polar. Néanmoins cela n’a pas empêché les scénaristes de l’adapter pour le grand écran et voici la bande-annonce  pour découvrir quelques images d’un film qui paraît très prometteur. Espérons que ce film norvégien fasse rapidement le voyage dans nos contrées. On parle d'une seconde adaptation pour les USA.

     

    De ce même auteur vous pouvez découvrir son article évoquant l'innocence perdue de la Norvège après la folle tuerie d'Utoya. Publié dans le New York Times il a été traduit en exclusivité pour le Courrier International. Vous le trouverez ici. Un texte poignant.

     

    Jo Nesbo : Chasseurs de Têtes. Serie Noire/Gallimard 2009. Traduit du norvégien par Alex Fouillet.

    A lire en écoutant : A Hard Day’s Night. The Beatles. Album : A Hard Day’s Night EMI Records Ltd 2009.