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04. Roman noir - Page 31

  • VALERIO VARESI : LES MAINS VIDES. RAZZIA SUR LA VILLE.

    valerio varesi, les mains vides, agullo éditionsEt l’on s’achemine ainsi vers le quatrième volume des enquêtes du commissaire Soneri dont les intrigues nous ont entraînés sur les rives du Pô avec Le Fleuve Des Brumes, dans le dédales des rues embrumées de Parme, du côté de La Pension De La Via Saffi puis sur les pentes abruptes des Apennins dans Les Ombres De Montelupo pour mettre en exergue quelques réminiscences du passé familial de cet enquêteur mélancolique. Souvent comparé à son homologue Jules Maigret, le commissaire Soneri présente davantage de similitude avec un individu tel que le dottore Duca Lamberti puisque les deux personnages sont étroitement associés à la ville dans laquelle ils évoluent, Parme pour le premier et Milan pour le second. Des cités qui n’ont rien de folkloriques puisque Valerio Varesi, tout comme Giorgio Scerbanenco d’ailleurs, intègre toujours, au gré de ses intrigues, une dimension politique, au sens étymologique du terme, afin de mieux dénoncer les changements sociétaux et les dysfonctionnements sociaux qui les accompagnent. Avec Les Mains Vides, Valerio Varesi ne déroge pas à ce principe, même s’il s’éloigne de la thématique du fascisme pour s’interroger sur la mutation d’une ville qui devient l’enjeu d’un antagonisme économique féroce derrière lequel plane l’ombre de la mafia dont la représentation symbolique de la pieuvre orne la couverture de l’ouvrage.

     

    Rixes, braquages et même un vol d’accordéon se succèdent dans une ville de Parme en ébullition qui étouffe dans la moiteur d’un mois d’août caniculaire. Pour couronner le tout, on découvre le cadavre d’un commerçant du centre-ville qui semble avoir été battu à mort. Chargé de l’enquête, le commissaire Soneri, écarte bien rapidement la possibilité d’un cambriolage ayant mal tourné pour s’intéresser à Gerlanda, un usurier sans pitié qui règne sur un petit empire financier constitué d’une part immobilière conséquente. Mais à force de s’immiscer dans les affaires de ce bailleur peu scrupuleux, le commissaire Soneri met à jour une guerre économique souterraine où les forces en jeu, dissimulées derrière un écran de respectabilité, tentent de s’emparer de cette économie criminelle locale afin de  blanchir leurs actifs issus d’activités mafieuses. Une pieuvre impitoyable qui broie les fondements d’une ville de Parme que nul ne saurait protéger, pas même les institutions policières plutôt désemparées face à un tel phénomène qui paraît inexorable.

     

    C’est toujours avec plaisir que l’on retrouve le commissaire Soneri, ceci d’autant plus que Valerio Varesi se dispense des schémas narratifs répétitifs et du confort des habitudes que l’on observe bien souvent dans le contenu des séries policières. Bien sûr Soneri se rend toujours Chez Alceste pour déguster quelques plats typiques de la région mais ces épisodes restent anecdotiques tandis que sa relation avec Angela évolue de manière conséquente puisque, de l’amante affriolante que l’on croisait dans Le Fleuve Des Brumes, nous découvrons une avocate d’affaire lucide qui va pouvoir intervenir de manière beaucoup plus active dans le déroulement d’une enquête nécessitant ses connaissances par rapport au monde complexe des affaires et des intrigues économiques.

     

    Les Mains Vides donne l’occasion à l’auteur d’aborder les thématiques en lien avec les mafias et autre organisations criminelles en s’intéressant plus particulièrement aux phénomènes de blanchiment d’argent et à ses impacts dans le tissu économique d’une ville du nord de l’Italie et des mutations qui s’opèrent en dévastant l’âme de la cité. Outre le meurtre d’un commerçant ne se souciant guère de la rentabilité de sa boutique de prêt-à-porter, les manifestations de ces ouvriers licenciés criant leur vaine révolte dans les rues de Parme ou ces assurances-vie bidons que l’on endosse pour le compte de quelques escrocs, on observe tout un pan d’une activité économique occulte gangrenant la totalité des quartiers de la ville au grand dam d’un commissaire Soneri désemparé ne sachant comment lutter contre un tel phénomène qui le dépasse. Entre colère et frustration le policier se rend compte qu’il ne se bat pas à armes égales contre de telles organisations mafieuses investissant en masse dans des projets immobiliers qui se mettent en place sur les décombres d’industries locales déclinantes. Licenciements, expropriations, malgré quelques sursauts de révolte, les changements paraissent immuables comme cette chaleur qui étouffe les habitants.

     

    Bien loin des images de criminels en col blanc ou de truand mafieux inquiétants, l’enquête du commissaire Soneri s’attarde sur le microcosme de personnages troubles, témoins dérisoires de ces montages financiers qui les dépassent à l’instar de Tudor, le migrant moldave, de Marieangela, la pulpeuse confectionneuse de pull et de Gerlanda, l’usurier arrogant qui devient la cible de toutes les convoitises en faisant face à des associés plus avides que lui, prêts à tout pour le court-circuiter afin de s’emparer de ses affaires. Mais comme toujours, Valerio Varesi s’emploie à intégrer un personnage hors du commun, figure emblématique du thème abordé, en imprégnant le récit d’une touche nostalgique emprunte de poésie. Ainsi, à plus d’un titre, Gondo, le musicien de rue dépouillé de son accordéon se retrouvant incapable de jouer de la musique avec le nouvel instrument que les habitants lui ont offert, devient l’incarnation du désarroi de ces individus incapable de faire face ou de s’adapter aux changements qui leur sont imposés. Et c’est un désarroi similaire que l’on décèle dans les démarches vaines qu’entreprend le commissaire Soneri pour mettre à mal les projets criminels qui impactent une ville de Parme qu’il ne reconnaît plus au terme d’une enquête qui va le laisser les mains vides. 

     

    Roman désenchanté nous entraînant au coeur d’un univers terrible auquel on ne peut adhérer, Les Mains Vides dépeint donc le triste constat de la déliquescence des règles d’un monde économique sans pitié qui écrase comme toujours les individus les plus démunis. Clairvoyant et pertinent c'est la marque de fabrique des récits de Valério Varesi mettant en scène son ineffable commissaire Soneri.

     

    Valerio Varesi : Les Mains Vides (A Mani Vuote). Editions Agullo/Noir 2019. Traduit de l’italien par Florence Rigollet.

    A lire en écoutant : Per Ricordarmi Di Te interprété par Fabrizio Bosso. Album : You’ve Changed. 2007 EMI Music Italy s.r.l.

  • Patrick Delperdange : L’Eternité N’est Pas Pour Nous. Quelques instants sur Terre.

    Capture d’écran 2019-06-10 à 22.17.23.pngA bien y réfléchir, bien peu d'auteurs belges se sont lancés dans la littérature de genre, notamment le roman noir, même si l'on trouve tout de même quelques romanciers emblématiques comme Simenon et Jean Ray dont on peut apprécier l'œuvre prolifique avec des personnages marquants comme Jules Maigret et Harry Dickson. Ne bénéficiant pas d'une telle notoriété, Patrick Delperdange n'en est pas moins un scénariste de bande dessinée et un romancier qui compte à son actif de nombreux ouvrages publiés, notamment dans le domaine du roman noir, où il s'est fait remarquer récemment en publiant Si Tous Les Dieux Nous Abandonnent (Série Noire 2016) dont l'intrigue se déroulait dans un contexte rural. En suivant Aurélien Masson qui crée la collection Equinox aux éditions les Arènes et avec un titre aux consonances tout aussi mystiques, Patrick Delperdange revient avec L'Eternité N'est Pas Pour Nous, un nouveau récit prenant également pour cadre un environnement campagnard théâtre d'un enchaînement de faits divers qui vont impacter toute une galerie de personnages complètement paumés, quand ils ne sont pas tout simplement déjantés.

     

    A Valmont,  sur la route menant à la carrière, il n’y a guère que les ouvriers qui s’offrent les services de Lila qui officie dans son combi aménagé. Aussi lorsqu’elle aperçoit le jeune Julien Saint-André accompagné de sa bande, elle se doute bien que cela finira mal avec ces petits crétins embourgeoisés dont elle parviendra tout de même à se débarrasser. Mais les jeunes gens avinés ne comptent par en rester là et décident se venger en enlevant Cassandre, la fille de Lila. Au même moment, Sam et Danny traversent la région en quête d’un abri de fortune. Les deux vagabonds en fuite tentent de se faire discrets, mais semblent pousuivis par le mauvais sort et quelques individus bien décidés à rendre justice eux-mêmes en se débarrassant des traîne-savates dans leur genre. Que ce soit les bêtes ou les bas instincts, tous deux sortent des bois pour bousculer les destinées de ces âmes frêles et tourmentées que l’on appelle les hommes.

     

    Il n’y a rien de flamboyant dans l’univers de Patrick Delperdange. On y croise une somme de petites gens aux destins étriqués évoluant dans un environnement rural complètement paumé où quelques éclats d’une violence presque anodine bousculent soudainement un quotidien sordide qui devient le déclencheur d’une spirale d’égarements et de fureur incontrôlable. Et pourtant au détour d’événements parfois brutaux, au gré d’une cavalcade de destinées qui s’entrechoquent on perçoit quelques petites lueurs d’humanité perçant l’épaisse noirceur d’une intrigue poisseuse entraînant, bien malgré eux, l’ensemble de personnages ambivalents dans une succession d’événements qu’ils ne sont plus en mesure de maîtriser. Rancœur, impuissance frustration et colère c’est cet ensemble de sentiments qui animent ces protagonistes ballottés par les incidents se succédant à un rythme effréné en mettant en exergue tous les reliquats d’une inconscience trouble et malsaine qui va jaillir au grand jour à mesure que les événements s’enchaînent dans un désordre emprunt de désarrois et de chaos. Ainsi on ne  saura pas trop bien ce qu’il va advenir de Lila, cette prostituée désemparée à la recherche de sa fille Cassandre ou de Danny, un jeune homme simple d’esprit, soudainement imprégné d’un délire mystique, et de son compagnon d’infortune, Sam, un vieux manchot complètement dépassé. Une galerie de perdants qui deviennent parfois victimes ou bourreaux en fonction des péripéties et des coups du sort auxquels ils sont confrontés.

     

    Avec une écriture âpre et directe, assaisonnée de quelques touches lyriques qui ne donnent que plus de noirceur à un texte saisissant et expéditif, Patrick Delperdange nous entraîne donc dans l’incertitude d’un récit chaotique où les destinées s’entrechoquent violemment afin de mieux secouer le lecteur dérouté par cette masse de désarrois et de douleurs parfois sordides que revêtent chacun des personnages.

     

    Roman sombre et sans concession, L’Eternité N’Est Pas Pour Nous décline, sur l’espace de quelques jours, toute une série de rouages à la fois absurdes et violents constituant l’ensemble d’un engrenage infernal prêt à broyer toute une galerie d’individus désemparés se débattant dans les méandre d’un piège inextricable qui ne semble jamais vouloir s’arrêter.

     

    Patrick Delperdange : L’Eternité N’est Pas Pour Nous. Editions Les Arènes/Equinox 2019.

    A lire en écoutant : River Of Pain de Thunder. Album : Please Remain Seated ; The Others. 2019 Thunder

     

  • HERVE LE CORRE : DANS L’OMBRE DU BRASIER. SANGLANTE SEMAINE.

    hervé le corre, rivages noir, dans l'ombre du brasierOn peut bien évidemment consulter les livres d’histoire pour connaître les événements qui ont jalonné la période de la Commune et plus particulièrement, ceux qui ont émaillé cette fameuse Semaine sanglante durant laquelle communards et versaillais s’affrontèrent dans les rues de Paris. Mais pour s’imprégner de l’ambiance, pour prendre la pleine mesure de cette époque insurrectionnelle, rien ne saurait suppléer quelques romans de genre comme Le Cri Du Peuple de Jean Vautrin qui prend pour titre le quotidien éponyme créé par Jules Vallès et Pierre Denis. Et tant qu’à faire on ne saurait trop recommander la version BD, mise en image par Jaques Tardi et dont l’album intégral (Casterman 2005) contient également un CD reprenant quelques chansons populaires de la Commune. S’inscrivant dans la même veine, avec un récit oscillant entre le roman noir et le roman d’aventure prenant pour cadre cette tragique trame historique, Hervé Le Corre met en scène Dans L’Ombre Du Brasier l’inquiétant Henri Pujols que l’on avait déjà croisé dans L’Homme Aux Lèvres De Saphir (Rivages/noir 2004) et qui se livre désormais à un odieux trafic de femmes.

     

    Au mois de mai 1871, le peuple dresse des barricades dans les rues de Paris pour faire face aux versaillais qui s’apprêtent à investir la capitale afin de mettre un terme à cette parenthèse insurrectionnelle de la Commune. Une période trouble, extrêmement propice pour se livrer à toutes sortes de sévices comme la disparition de ces jeunes filles enlevées par un individu plutôt inquiétant qui a mis en place un terrible trafic d’êtres humains. Parmi ces jeunes femmes disparues, il y a Caroline qui a eu le malheur de croiser le chemin de ce ravisseur repoussant. Apprenant sa disparition, Nicolas Bellec, sergent au sein de la Garde Nationale, va se lancer à la recherche de sa bien-aimée tout comme Antoine Roques,  récemment promu « commissaire » par la Commune, et qui veut faire la lumière sur cette série d’enlèvements. Chacun de leur côté, les deux hommes vont tenter de retrouver Caroline en bravant les bombardements, les incendies, les fusillades et les exécutions sommaires tandis que la jeune femme tente de survivre dans une cave ensevelie sous les décombres d’un immeuble effondré. Une lutte contre le temps s’engage alors que la Commune vit ses derniers instants dans un déluge de feu et de sang.

     

    Chassé-croisé dans les rues dévastées de Paris, le lecteur ne manquera pas d’être subjugué par un texte d’une rare intensité prenant la forme d’une fresque historique bouleversante évoquant cette épopée héroïque d’un peuple oppressé en quête de liberté qui tente, dans un ultime sursaut, de faire face au choc des troupes versaillaises bien décidées à éradiquer jusqu’au dernier de ces insurgés. Un déferlement de sensations et d'impressions émane donc de ce récit qui nous rappelle les tableaux de ces grands maîtres impressionnistes auxquels l'auteur rend d'ailleurs hommage avec cette toile de Pissarro que l'un des protagonistes découvre sur la paroi d'un salon dans lequel il a trouvé refuge. Tout comme ces peintres de l'époque, Hervé Le Corre restitue, par petites touches subtiles, avec toute la richesse d'une palette chargée de mots, ce décor dantesque d'une guerre qui n'a rien de civile. On perçoit ainsi les remugles de la misère, l'odeur du sang et de la poudre, ces effluves de charognes balayées soudainement par le souffle dévastateur des combats et la fumée des incendies. Et puis il y a toute la gamme de sentiments et d'émotions qui habillent l'ensemble de personnages intenses, ballotés dans la fureur des événements qui s'enchainent en les contraignant parfois à renoncer à leurs idéaux ou à mourir pour eux dans un déchaînement de fureur et de violence.

     

    Sur fond de cavalcades effrénées, Dans L'Ombre Du Brasier s'articule principalement autour de l'enjeu des retrouvailles entre Caroline, officiant comme infirmière dans un des dispensaires de fortune de la Commune, et Nicolas Bellec qui s'est engagé dans les troupes de la Garde Nationale, tandis que le décompte de cette Semaine sanglante devient de plus en plus oppressant à mesure de l'avancée des versaillais progressant dans les rues de Paris en balayant les barricades qui se dressent devant eux. Au-delà des sentiments qu'ils éprouvent l'un pour l'autre, c'est surtout cette soif de justice et de liberté qui plane sur l'ensemble de l'entourage venant à l'aide de ces deux jeunes gens traqués de toute part, quitte à y laisser leur vie. Le sacrifice de ce petit peuple de Paris qui voit peut-être une lueur d'espoir au détour de cet amour balbutiant tandis que les idéaux de la Commune vacille dans le tonnerre des canonnades et le crépitement des balles des lignards. Beaucoup plus ambivalents, on appréciera également des individus tels qu'Antoine Roques, communard convaincu, qui doit endosser presque à contrecœur la fonction de commissaire en s'efforçant d'exercer son nouveau métier du mieux qu'il le peut en appliquant les principes d'équité de ce gouvernement révolutionnaire. Plus énigmatique encore, on découvre Victor, ce mystérieux cocher, en quête de rédemption, après avoir été le complice d'un odieux ravisseur, en s’efforçant de venir en aide aux insurgés et en prenant fait et cause aux idéaux de la Commune. Toute une galerie de portraits nuancés évoluant dans la tourmente d'une époque aussi trouble que complexe que l'auteur parvient à saisir au détour d'un travail de documentation dont on devine l'importance et qu'il restitue au gré d'un récit ample et généreux qui se dispense d'explications pesantes et rébarbatives.

     

    Évoluant dans les méandres des rues de Paris, de la porte de Saint-Cloud jusqu’au cimetière de Belleville en passant par Le Luxembourg, où l’on fusille les insurgés, et le Panthéon, théâtre du massacre de bon nombre de communards, qu’Hervé Le Corre dépeint avec la puissance évocatrice de ses mots au service d’une intrigue prenante, Dans L’Ombre Du Brasier est avant tout un portrait social mettant en lumière cette révolte d’un peuple valeureux en quête de liberté, d’égalité et de fraternité. Un roman intense et bouleversant qui vous laissera sans voix. 

     

    Hervé Le Corre : Dans L’Ombre Du Brasier. Editions Rivages/Noir 2019.

    A lire en écoutant : Nocturnes, Les Nuages de Debussy. Album : Les Siècles François-Xavier Roth. 2018 Les Siècles.

  • Frédéric Paulin : Prémices De La Chute. Impact.

    Capture d’écran 2019-05-19 à 09.23.47.pngPremier romancier français à intégrer le catalogue de la maison d'éditions Agullo, on peut dire que Frédéric Paulin a marqué les esprits avec La Guerre Est Une Ruse (Agullo 2018), premier opus d'un triptyque annoncé s'attachant à dépeindre la trajectoire des mouvances de groupuscules terroristes djihadistes qui ont frappé les pays occidentaux  durant ces trois dernières décennies. Posant un regard éclairé sur la période trouble de la guerre civile en Algérie, durant les années 90, Frédéric Paulin mettait en lumière les curieuses accointances entre le GIA et les colonels "janvieristes" jusqu'au point de bascule où le combat s'exportait sur le territoire français en suivant la trajectoire d'un certain Kaled Khelkal alors que le roman s'achevait le 25 juillet 1995 avec  l'attentat du RER B à Saint-Michel. Encensé autant par la critique que les lecteurs qui ne se sont pas trompés en lui attribuant de nombreuses récompenses dont le prix des lecteur Quai du Polar ou le Grand Prix du Roman noir français du festival de Beaune, c'est peu dire que l'on attendait la suite d'un roman exceptionnel qui nous laissait sur le carreau. Deuxième tome qui peut se lire indépendamment du premier,  Prémices de la Chute débute en 1996 avec les attaques d'un curieux gang sévissant du côté de  Roubaix en braquant des supermarchés et des fourgons blindés à coup de Kalachnikov et de lance-roquettes.

     

    En janvier 1996, il ne fait pas bon se promener dans les rues de la banlieue de Roubaix où un bande de malfrats sévit en n’hésitant pas à tirer sur les forces de l’ordre au moyen d’armes longues automatiques. Journaliste local, Réif Arno va rapidement prendre conscience qu’il ne s’agit pas de braqueurs ordinaires en découvrant que certains d’entre eux ont combattu en ex-Yougoslavie au sein de la brigade El-Moujahidin, une milice extrémiste de l’armée bosniaque. Même si les autorités semblent minimiser l’importance du phénomène, la commandante Laureline Fell va s’intéresser à ce groupuscule djihadiste que l’on surnomme les « Ch’tis d’Allah » et trouvera pour cette quête solitaire un appui en la personne de Teij Benlazar, agent de la DGSE, stationné à Sarajevo. Dans les décombres de la capitale bosniaque Teij va rapidement mettre à jour les liens qui unissent les anciens combattants de la brigade avec Al-Qaïda, une organisation terroriste encore méconnue dirigée par un certain Ben-Laden qui se terre dans les montagnes d’Afghanistan. Pour le journaliste et les deux agents français, il ne fait aucun doute que quelque chose se trame dans les grottes de Tora Bora. Probablement un attentat d’une autre ampleur qui impactera le monde occidental de manière définitive.

     

    Puiser dans la masse de documentation pour décortiquer les pans de l’histoire contemporaine du terrorisme djihadiste afin de l’insérer dans une veine romanesque c’est tout le talent de Frédéric Paulin qui nous entraine dans les méandres de l’organisation Al-Qaïda qui prend de plus en plus d’importance tandis que le GIA continue à sévir en Algérie. En se focalisant sur l’enlèvement des moines de Tibhirine en 1996 et sur la mise en œuvre des attentats du 11 septembre 2001, l’auteur s’attache surtout à dépeindre les rivalités entre les différents services secrets des pays occidentaux. Au gré des dissenssions et des défiances misent en exergue, on percoit ainsi le désarroi de ces agents de terrain à l’instar de Laureline Fell ou de Teij Benlazar dont les initiatives et autres prises de risque déplaisent à sa hiérarchie mais surtout aux instances politiques qui vont jusqu’à demander son exclusion de la DGSE. Fragilisé, marginalisé, ce personnage central du premier opus laisse davantage de place à d’autres protagonistes comme sa fille Vanessa entretenant une relation avec le journaliste Réif Arnotovic qui s’intéresse au profil des membres du gang de Roubaix pour ensuite entreprendre un reportage en Afghanistan du côté des grottes de Tora Bora, même si les médias ne manifeste encore que très peu d’intérêt pour le sujet. Du côté de la police, confrontée à cette violence d’une tout autre nature, on suit donc l’enquête menée par le lieutenant Riva Hocq et le commandant Joël Attia qui semblent dépassés par l’ampleur du phénomène. Ainsi, au gré des parcours de ces personnages s’intégrant dans une habile mise en scène mêlant fiction et faits d’actualité on croise quelques individus inquiétants comme Lionel Dumont et Christophe Caze formant le noyau dur du gang de Roubaix, ou Khalid Cheikh Mohammed l’un des leaders de l’organisation Al Qaïda. Mais comme Khaled Kelkal dans La Guerre Est Une Ruse, c’est autour de la trajectoire de Zararias Moussaoui que se met en place la trame de Prémices De La Chute où l’auteur nous présente ce jeune jeune homme plutôt intriguant qui prend des cours de pilotage aux Etats-Unis en négligeant tout ce qui à trait au décollage et à l’atterissage.

     

    S’inscrivant dans la même veine que le premier volet du tryptique, Prémices De La Chute égrène donc avec une redoutable efficacité toute une série d’événements annonciateurs du terrible cataclysme du 11 septembre 2001 qui va conclure le roman. Peu importe d’en connaître la finalité, puisque Frédéric Paulin s’attache surtout à décortiquer les faits d’actualité en les insérant dans la trame romancée du récit avec un texte captivant et dynamique qui ne peut fonctionner sans l’aide de quelques hasards circonstanciés que l’on ne saurait reprocher à l’auteur, tant l’ensemble fonctionne parfaitement pour nous entrainer dans ce sillage mortel et dramatique nous laissant le souffle coupé en attendant la suite qui concluera ce tryptique saisissant.

     

    Frédéric Paulin : Prémices De La Chute. Agullo Editions 2019.

    A lire en écoutant : Lazarus Man de Terry Callier. Album : Welcome Home (Live at the Jazz Cafe, London). 2008 Mr Bongo Worldwild Ltd.

  • ANTONIO ALBANESE : 1, RUE DE RIVOLI. PHILOSOPHIE NOIRE.

    Capture d’écran 2019-05-05 à 18.39.15.pngPour celles et ceux qui en douteraient encore, il va de soi que l’on apprécie la maison d’éditions BSN Press et plus particulièrement la ligne éditoriale de son directeur, Giuseppe Merrone, notamment en ce qui concerne la littérature noire romande sur laquelle il porte un regard décalé par rapport aux critères des grands succès commerciaux du polar helvétique en tablant davantage sur l’intelligence du lecteur que sur le consumérisme de masse, ce qui vous donne une idée de son ambition et de son optimisme au regard du classement hebdomadaire des meilleurs ventes d’une des grandes chaînes de librairie de la Suisse romande. Dans un tel contexte, il sera difficile pour Antonio Albanese de figurer dans un tel palmarès, ceci d’autant plus s’il persiste à invectiver les lecteurs par le biais de Matteo Di Genaro, oisif fortuné qui se plaît à bousculer les codes d’une société bien-pensante au gré d’enquêtes expéditives prenant la forme d’une critique sociale plutôt corsées, teintée de quelques traits d’humour corrosif. Dans ce qui apparaît désormais comme une série, on avait rencontré cet enquêteur atypique séjournant à Paris, dans Une Brute Au Grand Cœur (BSN Press 2014) qui abordait la thématique de la prostitution tandis que Voir Venise Et Vomir (BSN Press 2016) nous entraînait dans les méandres de l’obscurantisme religieux et de l’intolérance. De retour à Paris, du coté du 1, Rue De Rivoli, on retrouve donc avec une certaine jubilation Matteo Di Genaro qui persiste à aborder les questions existentielles sous l’angle d’une éthique plus que minimale, prétexte aux digressions les plus provocantes qui ne manqueront pas d’interpeller le lecteur à défaut de le faire rire aux éclats.

     

    De retour à Paris, Matteo Di Genaro a la désagréable surprise de constater que l’immeuble qu’il possède au 1, rue de Rivoli n’a toujours pas été vendu. Ce n’est pas tant le fait que ce bien immobilier, dont il n’a que faire, soit devenu un squat qui le dérange, mais plutôt que l’on vienne de découvrir un cadavre dans l’un des appartements occupés. Toujours prompt à se mêler des affaires des autres, ceci d’autant plus qu’il reste propriétaire des lieux, Matteo se lance dans une enquête où il lui faudra surmonter les préjugés, ceci d’autant plus que tout accuse un africain plus ou moins sdf qui rôdait dans les environs. Une aubaine, pour le père de la victime, François De Fidos, chef de file d’un parti nationaliste qui voit la possibilité d’une récupération politique lui permettant de se profiler pour les élections à venir. Mais en s’immisçant dans la communauté du squat Matteo va rapidement mettre à jour des affaires de famille peu ragoûtantes en rencontrant Cécile De Fidos, membre active du collectif, tout à l’opposé de son père dont elle n’apprécie guère les orientations politiques.

     

    Il s’agit avant tout d’une question d’équilibre pour ce format court évoquant avec autant d’esprit et de concision, les thématiques de l’inceste, de la propriété, de l’héritage que l’auteur aborde sous la forme d’une intrigue policière qui demeure secondaire en renvoyant dos à dos les courants politiques qui ne sont guères épargnés. Plus que les entournures d’une enquête plutôt convenue, on se délectera des diatribes enflammées d’un personnage qui se plait à provoquer les lecteurs qui ne manqueront pas d’apprécier cette liberté de ton, teintée d’un humour acide pouvant parfois nous faire grimacer. Roman satirique, tout comme les précédents, 1, Rue De Rivoli a surtout pour vocation de nous interpeller sur des notions de patrimoine qui prennent un tout autre sens lorsqu’elles sont évoquées par l’entremise d’un personnage de fiction richissime qui peut se permettre de nous invectiver du haut de sa colossale fortune. Une mise en abîme d’autant plus vertigineuse qu’elle ne fait que renforcer le sentiment d’arrogance qui émane de ce personnage ambivalent que l’on se surprend à estimer malgré tout.

     

    Ponctué de petites phrases mordantes et de répliques assassines, sans pour autant sombrer dans le pamphlet pontifiant ou lénifiant, on savourera donc la brièveté d’un texte à la fois drôle et irrévérencieux, dont les apartés sont désormais la marque de fabrique d’un auteur qui a pour ambition de secouer le lecteur afin de le pousser dans ses retranchement pour l’inciter à la réflexion. Et puis il y a cette écriture vive, ce regard affûté mettant en exergue toutes les carences sociales évoquées et cette intensité dans le rythme de l’intrigue qui font de 1, Rue De Rivoli un roman noir satirique qui sort résolument de l’ordinaire.

     

    Antonio Albanese : 1, Rue De Rivoli. BSN Press 2019.

    A lire en écoutant : Beyond The Mirage interprété par Paco de Lucia, John Mc Laughlin & Al Di Meola. Album : Paco de Lucia, John Mc Laughlin & Al Di Meola. 1996 Deca Records France.