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  • Daniel Abimi : La Saison Des Mouches. Nouvel ordre.

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    Service de presse.


    En 2009, il n'y a guère que Corinne Jaquet, Jean-Jacques Busino, Michel Bory et Marie-Christine Horn qui s'inscrivent dans le paysage de la littérature noire helvétique lorsque débarque Daniel Abimi chez Bernard Campiche Editeur qui publie Le Dernier Echangeur où apparait Michel Rod, journaliste localier arpentant les rues lausannoises tout comme son auteur qui a fréquenté les salles de rédaction de la capitale vaudois
    e ainsi qu'un grand nombre d'estaminets de la ville pour recueillir les confidences de ses interlocuteurs et rédiger les sujets de ses articles tout en consommant quelques boisson alcoolisées. C'est une époque où les collections polars ou romans noirs n'existent pas au sein des éditeurs romands, encore épargnés par la déferlante de récits ineptes à venir. On publie du polar l'air de rien, comme le fait d'ailleurs Bernard Campiche expliquant que les textes de Daniel Abimi ne sont pas des romans policiers car il sont trop bien écrits, suscitant indignation mais également intérêt de ma part. Il faut dire que le talentueux éditeur vaudois aussi chevronné que solitaire (sa marque de fabrique) sait de quoi il parle, puisqu'il a déjà publié les intrigues policières d'Anne Cunéo, ouvrages qui sont malheureusement épuisés. Avec plus de 30 ans d’expérience, en s’imposant ainsi comme un éditeur passionnée et expérimenté ayant publié les plus grand noms de la littérature romande dont le légendaire Jacques Chessex, Bernard Campiche vantait les indéniables qualités d’écriture de Daniel Abimi, tout en percevant, sans nul doute, les frémissements de la vague d’auteurs médiocres se profilant dans le registre de la littérature noire romande pour déferler sur les étals des librairies avec, au final, ce phénomène de saturation qui touche désormais le genre, ceci dans le secret espoir de reproduire le modèle commercial de leurs idoles que sont devenus Joël Dicker, Marc Voltenauer et autres écrivains du même acabit. Incontestablement, Daniel Abimi ne s’inscrit pas dans cette mouvance, privilégiant davantage l’écriture que la promotion, ce que l’on pourrait presque lui reprocher, ceci même s’il a rencontré un succès d’estime enthousiaste à la sortie de ce premier roman composant ce que l’on peut désormais désigner comme la trilogie lausannoise qui se poursuit avec Le Cadeau De Noël (Bernard Campiche Editeur 2012), pour s’achever, après onze ans d’attente, dans le fracas d’un roman policier magistral, La Saison Des Mouches, où l’on retrouve donc Michel Rod, désormais abstinent, ainsi que Mariani, chef de la brigade criminelle, qui soigne toujours son mal-être à coup d’antidépresseurs. 

     

    Après un voyage épique en Thaïlande, Michel Rod a cessé de boire et est de retour à Lausanne au sein de la rédaction d'un journal moribond où il conserve son emploi grâce à sa tante richissime détenant des parts de l'entreprise. En pleine période estivale et caniculaire, la ville est plutôt calme lorsqu'une tuerie se déroule dans un cinéma porno où un tireur solitaire fait un carnage avant de se donner la mort. Acte isolé ou projet terroriste d'envergure, c'est au commissaire Mariani, en charge de l'enquête de le déterminer. Bien vite, le policier tout comme le journaliste mettent à jour les réseaux nauséabonds d'un vieux négationniste néonazi pédophile ainsi qu'une inquiétante congrégation d'évangélistes fanatiques. C’est également autour de la personnalité du juge Sandoz, un éminent juge à la retraite, que les deux hommes vont prendre la mesure des événements tragiques qui vont les marquer à tout jamais tandis que leurs certitudes s’effondrent au sein d’une société dans laquelle ils ne se reconnaissent plus.

     

    L'intrigue de La Saison Des Mouches s'inspire d'un fait divers qui s'est déroulé à Lausanne en 2002 et où un individu a ouvert le feu dans le cinéma porno Le Moderne en faisant deux morts et deux blessés. Mais c'est également en s'inspirant du parcours de Gaston-Armand Amaudruz, militant néonazi et négationniste lausannois notoire, que Daniel Abimi façonne son personnage de Georges Amaudruz en lui permettant d'aborder le thème de l'extrémisme de droite ainsi que les dérives du fanatisme religieux d'une congrégation chrétienne tout en évoquant le sujet de la pédophilie au gré d'une intrigue extrêmement sombre où l'on croise également des figures du nazisme telles que Paul Werner Hoppe, commandant d'un camp de concentration qui a trouvé refuge en Suisse après la guerre, en travaillant comme jardinier-paysagiste, de Jenny-Wanda Barkmann gardienne de camp condamnée à la pendaison et exécutée à Gdansk ainsi que Bruno Kittel un officier SS chargé de liquider le ghetto de Vilnius et qui disparut mystérieusement en 1945. C'est donc autour de ce fait divers et de ces personnalités historiques que Daniel Abimi bâtit une intrigue solide où le réalisme s'imbrique parfaitement dans la fiction qui prend l'allure d'un thriller rythmé au gré d'une succession d'attentats qui vont secouer cette ville de Lausanne  qu'il sait si bien dépeindre en évitant l'écueil du polar régional qui semble fleurir dans les librairies romandes. Il émane ainsi du texte, une atmosphère oppressante et crépusculaire où l'on arpente les bas-fond de la ville avant de se rendre dans les quartiers aisés pour côtoyer cette bourgeoisie locale que le juge Sandoz ainsi que Marie-Anne Barbier, la fameuse tante fortunée de Michel Rod dont on avait fait connaissance dans Le Cadeau De Noël, incarnent à la perfection. Cette justesse dans le ton et l'incarnation des personnages, on la retrouve bien évidemment chez Michel Rod et le commissaire Mariani, protagonistes centraux de la trilogie, évoluant dans leurs environnements professionnels respectifs sans jamais vraiment outrepasser les limites d'une amitié qui se désagrège au fil du temps, tout comme leurs certitudes vis à vis du milieu journalistique pour l'un et des institutions policières pour l'autre et dont l'auteur restitue les fonctionnements avec des accents criants de vérité. On observe ainsi cette fragilité qui imprègne ces deux héros en bout de course qui semblent constamment dépassés par les événements ce qui suscite cette sensation de malaise accentuée par la touffeur caniculaire de cette saison estivale qui résonne comme un glas sur une époque finissante et dont Daniel Abimi nous restitue ce sentiment de désarroi jusqu'aux dernières lignes d'un récit d'une incroyable maîtrise baignant dans un effroyable pessimisme qui vous foudroie implacablement. La quintessence de la littérature noire helvétique.

     


    Daniel Abimi : La Saison Des Mouches. Editions Bernard Campiche 2023.

    A lire en écoutant : Messe en Si Mineur de Jean-Sebastien Bach. Album : Michel Corboz, Ensemble Vocal de Lausanne, Ensemble instrumental de Lausanne. 2009 Mirare.

  • NAOMI AZUMA : LE DETECTIVE EST AU BAR. SERVICE COMPRIS.

    atelier akatombo, le détective est au bar, Naomi azuraDes clichés que l’on importe du Japon émane un curieux sentiment de dignité et d’ordre associé à une culture où l’harmonie et l’équilibre seraient les maîtres-mots à l’image de ces jardin zens à la fois structurés et dépouillés qui contribuent à alimenter ce sentiment. Mais le pays prend une toute autre allure en parcourant les artères de Tokyo et autres métropoles avec leur pluie de néons et de décibels provenant des commerces, des arcades de jeu, des discothèques et autres bars à hôtesse. Cette déferlante de bruit et de fureur imprégnée d’une certaine désinhibition, on peut la trouver bien évidemment dans la culture manga mais également au détour de la littérature noire explorant notamment le monde de la nuit à l’instar du roman de Naomi Azuma, Le Détective Est Au Bar, dont l’action se déroule à Susukino, le red light district de la ville de Sapporo davantage connue pour ses stations de ski qui ont accueilli les jeux olympiques de 1972.

     

    Dans le quartier chaud de Sapporo, tout le monde connaît le détective de Susukino, dont le quartier général se situe au comptoir du Keller Ôhata où il a ses habitudes. Entre deux parties de carte et une consommation surabondante de cocktails corsés, il rend quelques services aux belles de nuit du quartier ainsi qu’aux patrons de bars des alentours contre un pourcentage des dettes récupérées. Travaillant en dilettante, il lui arrive parfois d’effectuer quelques recherches le contraignant à sortir de son établissement favori, ce qui déplait fortement à ce détective fainéant et gouailleur qui n’a d’autre envie que d’échanger ses considérations avec les barmans et clients du bar. Pourtant lorsqu’un jeune étudiant débarque pour faire part de son inquiétude au sujet de la disparition de sa petite amie, le détective au grand coeur va fournir quelques efforts. Croyant à une simple fugue sans conséquence, il va parcourir les rues enneigées du quartier afin de retrouver la jeune femme dont il découvre rapidement le lien avec le meurtre d’un client d’un love hôtel qui travaillait comme serveur. La situation se corse lorsque le détective se fait prendre à partie par une bande de jeunes délinquants qui auraient des liens avec la pègre locale. A mesure qu’il progresse dans ses investigations, il se rend compte que l’affaire tourne autour de yakuzas qui ne plaisantent pas lorsque l’on fourre son nez dans leurs affaires.

     

    Avec Le Détective Est Au Bar, Naomi Azuma nous propose d’explorer le monde interlope du quartier chaud de Sapporo en découvrant toute une galerie de personnages plus ou moins troubles qui le compose à l’exemple des barmans, des rabatteurs, des patrons de bar et des hôtesses croisant le chemin de ce détective atypique dont l’atout principal est de posséder un carnet d’adresse conséquent lui permettant de nager dans les eaux troubles de ce cloaque qu’il connaît parfaitement. Au fil d’une enquête assez classique sur la disparition d’une jeune femme et du meurtre d’un serveur dont on retrouve le cadavre dans un love hôtel, ce détective dont on ne connaît ni le nom, ni même le prénom va également croiser le chemin de petits truands névrosés que l’on désigne sous le nom de chimpira ainsi que des gangsters, d’une plus grande envergure toute relative, affiliés aux yakuzas qu’il abhorre, même s’il adopte un look vestimentaire assez similaire. On accompagne donc cet enquêteur dans ses investigations en parcourant les rues enneigées de ce quartier chaud où de petites lanternes signalent les bars à hôtesse afin d’attirer les clients en goguette désirant s’encanailler. Dans cette atmosphère particulière que l’auteur restitue avec beaucoup de réalisme et une certaine affection on apprend à connaître ce personnage attachant qui abuse du whisky japonais et ingurgite les cocktails comme du sirop en enchaînant les rencontres dans d’étranges bars où gravite toute la faune locale du quartier. Outre sa connaissance des lieux et sa propension à consommer de l’alcool plus que de raison on appréciera le regard caustique que le narrateur/enquêteur porte sur son entourage ainsi que son humour parfois sombre dont on ne saisit pas toujours la portée et les particularismes. Et puis il y a ces rencontres plus viriles où le détective encaisse les coups dans une succession de bagarres endiablées où il rend coup pour coup.

     

    Polar détonant dans le paysage de la littérature noire japonaise, Le Détective Est Au Bar est un curieux roman à l’intrigue à la fois classique et échevelée qui nous permet d’entrevoir un autre aspect méconnu du Japon et de sa vie nocturne.

     

    Naomi Azuma : Le détective Est Au Bar (Tantei Wa Bar Ni Iru). Atelier Akatombo 2020. Traduit du japonais par Alice Hureau.

     

    A lire en écoutant : Amazon de Earl Klugh. Album : Dream Come True. 1980 Capitol Record, LLC.

  • Morgan Audic : De Bonnes Raisons De Mourir. Tchernobyl mon amour.

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    Tourisme macabre, on pose désormais fièrement à côté de la grande roue ou des auto-tamponeuses de la place centrale de Prypiat, ville fantôme d’Ukraine située à moins de trois kilomètres de la centrale nucléaire de Tchernobyl. C’est dans cette sinistre zone d’exclusion que Morgan Audic a choisi de mettre en scène De Bonnes Raisons De Mourir, un thriller singulier qui n’est pas sans rappeler l’étrange atmosphère émanant de Stalker, un roman d’Arcardi et Boris Strougatski (Denoël 1981) et plus particulièrement de son adaptation cinématographique réalisée en 1979 par Andreï Tarkovski. Stalker c’est d’ailleurs le nom dont s’affuble ces individus en quête d’aventures et de sensations qui s’introduisent illégalement dans le territoire contaminé de Tchernobyl et que l’on va croiser tout au long d’un périple qui emprunte tous les codes du thriller, sans trop en abuser, tout en nous livrant un bel éclairage géopolitique de l’Ukraine et des conflits auxquels elle doit faire face notamment après la révolution de Maïden en 2014, de la guerre civile qui s’ensuivit dans le Donbass et qui perdure de nos jours. Reflétant le chaos qui prévaut dans un tel environnement, Morgan Audic nous invite donc à suivre les investigations divergentes d’un inspecteur de la milice de Moscou et d’un officier de police ukrainien affecté dans le secteur de Tchernobyl et qui vont peu à peu mettre en commun leurs ressources pour contrecarrer les plans d’un tueur en quête de vengeance.

     

     

    Affecté bien malgré lui dans le secteur de Tchernobyl, Le capitaine Joseph Melnyk est amené à se rendre dans la ville de Prypiat où l’on a trouvé un cadavre pendu, les bras en croix, à l’une des tours de la cité. La découverte est d’autant plus macabre que le policier repère à proximité des lieux, toute une faune d’animaux naturalisés dont une hirondelle qui semble être la signature du meurtrier. A Moscou, le meurtre suscite bien des émois puisque la victime n’est autre que le fils de Vektor Sokolov, ancien ministre de l’Énergie de l’ex URSS, qui a fait fortune dans le pétrole. Craignant que l’affaire ne soit enterrée par les autorités ukrainiennes, l’oligarque russe mandate Alexandre Rybalko, enquêteur au sein de la milice de Moscou, afin d’investiguer sur les circonstances de ce crime. Ancien soldat engagé en Tchétchénie, quelque peu borderline suite à son récent divorce, Alexandre Rybalko va donc retourner à Prypiat, la ville de son enfance qu’il a du quitter précipitamment un certain 26 avril 1986, quant le coeur du réacteur numéro 4 de la centrale entrait en fusion. Malgré les circonstances d’une guerre qui n’a pas vraiment de nom et qui secoue un pays qui sombre dans le chaos, l’inspecteur russe et l’officier de police ukrainien vont devoir unir leurs forces pour comprendre les étranges aspirations d’un tueur en série déterminé.  

     

    Obéissant à une trame narrative éprouvée, De Bonnes Raisons De Mourir n’en demeure pas moins un thriller étonnant qui répond aux attentes d’un lectorat en quête de sensation sans pour autant surjouer avec les codes du genre. La traque d’un tueur en série, des enquêteurs aux motivations dissonantes, un enchaînement de crimes spectaculaires, au-delà de ces ressorts maintes fois évoqués dans le domaine du thriller, on s’achemine pourtant sur une intrigue solide qui ne va pas forcément nous surprendre puisque l’auteur prend soin de rester sur le registre d’une enquête rationnelle tout en nous présentant une galerie de personnages aux profils à la fois fascinants et réalistes. On s’attache ainsi au capitaine Joseph Malnyk dont l’affectation à Tchernobyl, alors qu'il réside à Kiev, pose quelques problèmes relationnels tant avec son épouse terrorisée à l’idée d’être contaminée, qu’avec son fils parti se battre contre les séparatistes pro-russes dans le bassin houiller du Donbass. Une manière à la fois détournées et plutôt subtile d’appréhender tout l’aspect géopolitique complexe de cette guerre civile qui lamine le pays et qui ne fait qu’accentuer cette atmosphère déliquescente que l’on perçoit tout au long du récit. Dans un contexte aussi instable on prend également conscience de toutes les difficultés d’Alexandre Rybalko, ancien résident de Prypiat, qui doit évoluer dans un environnement hostile à plus d’un titre pour un policier russe se heurtant à l’hostilité des résidents ukrainiens tout en menant ses investigations sur une scène du crime saturée d’éléments radioactifs. A l’exemple de l’examen médico-légal de la première victime, on prend la pleine mesure des difficultés inhérentes aux dangers sournois de la contamination que l’auteur aborde au détour d’un récit à l’atmosphère à la fois captivante et singulière dès lors que l’on s’aventure dans les confins de cette zone d’exclusion fantomatique où l’on croise toute une kyrielle de curieux personnages secondaires hantant ces territoires dévastés.

     

    Exploitant avec une belle justesse tous les aspects d’une guerre civile opposant l’Ukraine à la Russie, tout en nous entraînant dans cet univers à la fois morbide et fascinant qui entoure la zone d’exclusion de Tchernobyl, Morgan Audic nous livre avec De Bonnes Raisons De Mourir, un thriller de très bonne facture qui ne manquera pas de nous réconcilier avec le genre. Une réussite.

     

    Morgan Audic : De Bonnes Raisons De Mourir. Albin Michel 2019.

    A lire en écoutant : Inshe Misto de Dakh Daughters. Album : Air. 2019 Dakh Daughters.

  • ANTONIO ALBANESE : 1, RUE DE RIVOLI. PHILOSOPHIE NOIRE.

    Capture d’écran 2019-05-05 à 18.39.15.pngPour celles et ceux qui en douteraient encore, il va de soi que l’on apprécie la maison d’éditions BSN Press et plus particulièrement la ligne éditoriale de son directeur, Giuseppe Merrone, notamment en ce qui concerne la littérature noire romande sur laquelle il porte un regard décalé par rapport aux critères des grands succès commerciaux du polar helvétique en tablant davantage sur l’intelligence du lecteur que sur le consumérisme de masse, ce qui vous donne une idée de son ambition et de son optimisme au regard du classement hebdomadaire des meilleurs ventes d’une des grandes chaînes de librairie de la Suisse romande. Dans un tel contexte, il sera difficile pour Antonio Albanese de figurer dans un tel palmarès, ceci d’autant plus s’il persiste à invectiver les lecteurs par le biais de Matteo Di Genaro, oisif fortuné qui se plaît à bousculer les codes d’une société bien-pensante au gré d’enquêtes expéditives prenant la forme d’une critique sociale plutôt corsées, teintée de quelques traits d’humour corrosif. Dans ce qui apparaît désormais comme une série, on avait rencontré cet enquêteur atypique séjournant à Paris, dans Une Brute Au Grand Cœur (BSN Press 2014) qui abordait la thématique de la prostitution tandis que Voir Venise Et Vomir (BSN Press 2016) nous entraînait dans les méandres de l’obscurantisme religieux et de l’intolérance. De retour à Paris, du coté du 1, Rue De Rivoli, on retrouve donc avec une certaine jubilation Matteo Di Genaro qui persiste à aborder les questions existentielles sous l’angle d’une éthique plus que minimale, prétexte aux digressions les plus provocantes qui ne manqueront pas d’interpeller le lecteur à défaut de le faire rire aux éclats.

     

    De retour à Paris, Matteo Di Genaro a la désagréable surprise de constater que l’immeuble qu’il possède au 1, rue de Rivoli n’a toujours pas été vendu. Ce n’est pas tant le fait que ce bien immobilier, dont il n’a que faire, soit devenu un squat qui le dérange, mais plutôt que l’on vienne de découvrir un cadavre dans l’un des appartements occupés. Toujours prompt à se mêler des affaires des autres, ceci d’autant plus qu’il reste propriétaire des lieux, Matteo se lance dans une enquête où il lui faudra surmonter les préjugés, ceci d’autant plus que tout accuse un africain plus ou moins sdf qui rôdait dans les environs. Une aubaine, pour le père de la victime, François De Fidos, chef de file d’un parti nationaliste qui voit la possibilité d’une récupération politique lui permettant de se profiler pour les élections à venir. Mais en s’immisçant dans la communauté du squat Matteo va rapidement mettre à jour des affaires de famille peu ragoûtantes en rencontrant Cécile De Fidos, membre active du collectif, tout à l’opposé de son père dont elle n’apprécie guère les orientations politiques.

     

    Il s’agit avant tout d’une question d’équilibre pour ce format court évoquant avec autant d’esprit et de concision, les thématiques de l’inceste, de la propriété, de l’héritage que l’auteur aborde sous la forme d’une intrigue policière qui demeure secondaire en renvoyant dos à dos les courants politiques qui ne sont guères épargnés. Plus que les entournures d’une enquête plutôt convenue, on se délectera des diatribes enflammées d’un personnage qui se plait à provoquer les lecteurs qui ne manqueront pas d’apprécier cette liberté de ton, teintée d’un humour acide pouvant parfois nous faire grimacer. Roman satirique, tout comme les précédents, 1, Rue De Rivoli a surtout pour vocation de nous interpeller sur des notions de patrimoine qui prennent un tout autre sens lorsqu’elles sont évoquées par l’entremise d’un personnage de fiction richissime qui peut se permettre de nous invectiver du haut de sa colossale fortune. Une mise en abîme d’autant plus vertigineuse qu’elle ne fait que renforcer le sentiment d’arrogance qui émane de ce personnage ambivalent que l’on se surprend à estimer malgré tout.

     

    Ponctué de petites phrases mordantes et de répliques assassines, sans pour autant sombrer dans le pamphlet pontifiant ou lénifiant, on savourera donc la brièveté d’un texte à la fois drôle et irrévérencieux, dont les apartés sont désormais la marque de fabrique d’un auteur qui a pour ambition de secouer le lecteur afin de le pousser dans ses retranchement pour l’inciter à la réflexion. Et puis il y a cette écriture vive, ce regard affûté mettant en exergue toutes les carences sociales évoquées et cette intensité dans le rythme de l’intrigue qui font de 1, Rue De Rivoli un roman noir satirique qui sort résolument de l’ordinaire.

     

    Antonio Albanese : 1, Rue De Rivoli. BSN Press 2019.

    A lire en écoutant : Beyond The Mirage interprété par Paco de Lucia, John Mc Laughlin & Al Di Meola. Album : Paco de Lucia, John Mc Laughlin & Al Di Meola. 1996 Deca Records France.

  • KENT ANDERSON : UN SOLEIL SANS ESPOIR. CHEVALIER URBAIN.

    kent anderson, un soleil sans espoir, éditions Calmann-LévySi l’on me demandait de citer une préférence parmi tous les policiers qui se sont lancés dans l’écriture, je mentionnerais sans hésiter Kent Anderson, un auteur peu prolifique qui, après une vingtaine d’années de silence, fait son retour en nous proposant, avec Un Soleil Sans Espoir, un roman où l’on retrouve Hanson, double de papier de l’auteur. Intrinsèquement lié au parcours de Kent Anderson, on rencontre Hanson dans Sympathy For The Devil (Gallimard 1993), un brûlot virulent retraçant l’expérience hallucinante d’un membre des forces spéciales engagé au Vietnam dans ce qui apparaît désormais, ni plus ni moins, comme l’ouvrage de référence pour tout ce qui a trait à cette période de conflit qui a ravagé le cœur de toute une génération de soldats embarqués dans les tréfonds d’un enfer meurtrier au cœur du sud-est asiatique. L’adrénaline de la violence, l’antagonisme avec la hiérarchie, on retrouve ces sensations et ces thématiques avec Chiens De La Nuit (Calmann-Levy 1998) où Hanson revient dans un récit relatant la période durant laquelle l’auteur, après sa démobilisation, a travaillé pour les forces de police de Portland (Oregon) en tant qu’agent en uniforme patrouillant à North Precinct, un quartier défavorisé de la ville. Une remarquable mise en perspective des difficultés inhérentes au travail d’un flic de rue confronté à une inextricable misère sociale que l’auteur dépeint avec une authenticité bouleversante.  Autre lieu, mais même contexte professionnel, Un Soleil Sans Espoir permet donc à l’auteur de mettre une nouvelle fois en scène Hanson afin d’évoquer son expérience de policier, toujours en uniforme, durant la période où il a été engagé au sein de la police d’Oakland (Californie).

     

    Après le Vietnam et la police de Portland, la pause en tant qu’enseignant dans une université de l’Idaho a été de courte de durée pour Hanson toujours en quête d’adrénaline et de sensations fortes. A 38 ans, il entame donc une formation de cinq mois pour intégrer les forces de police d’Oakland et se retrouve déjà en butte avec la hiérarchie qui n’apprécie pas cette recrue trop expérimentée à qui on ne peut pas raconter n’importe quoi. C’est probablement pour cette raison qu’Hanson est affecté dans le quartier difficile d’East Oakland en tant que patrouilleur. Un quotidien sous tension où il exerce son métier « d’assistant social armé » en se moquant bien du danger et des risques au sein d’une communauté pauvre composée essentiellement d’afro-américains marginalisés qui a tout du ghetto conformément à cette politique d’endiguement prônée par les autorités. Privilégiant  le dialogue plutôt que la confrontation, Hanson fait figure de flic original et suscite l’intérêt de quelques figures du quartier dont Felix Maxwell, caïd de la drogue qui approvisionne tout le secteur.

     

    On ne s’attendait pas du tout à retrouver Hanson et le moins que l’on puisse dire c’est que l’on prend toujours autant de plaisir à suivre les aventures de ce jeune vétéran fracassé par les réminiscences des combats en pensant pourtant qu’au terme de son engagement à la police de Portland, Hanson se serait rangé en trouvant une certaine forme d’apaisement dans l’enseignement. Mais on sent bien que le personnage est toujours perturbé et ne trouve de sens dans sa vie que lorsqu’il est confronté au danger en se gardant pourtant bien d’agir comme une tête brûlée avide de sensation. Parce qu’il est toujours en quête de sens dans sa vie, Hanson ne manque pas de s’interroger et d’observer avec une rare acuité son environnement et de relever avec pertinence les disfonctionnements au sein des forces de police. Inadapté socialement, et très souvent imbibé d’alcool, Hanson est loin d’être un chantre des bonnes pratiques professionnelles mais il se révèle suffisamment lucide pour percevoir quelques similitudes auprès des gens qu’il côtoie dans le cadre de ses interventions avec ce sentiment de rejet qui prévaut au sein de la communauté afro-américaine. Et c’est parce qu’il est dénué de tout sentiment de peur, que le policier peut privilégier le dialogue en dépit de toutes les règles de sécurité qu’on lui a inculqué durant sa formation et dont il se moque bien. Chance, inconscience ou volonté de comprendre les mécanismes sociaux qui régissent le quartier, Hanson parvient à côtoyer quelques membres attachants de la communauté comme Weege, ce jeune garçon qui arpente les rues au guidon de son vélo ou Libya, cette jeune femme farouche avec qui il noue une relation fragile.

     

    Dans ce qui apparaît désormais comme la trilogie Hanson, Un Soleil Sans Espoir présente quelques similitudes avec Chiens De La Nuit puisque l’intrigue se décline sous la forme d’une main courante où l’auteur dépeint toutes sortes d’interventions qu’Hanson est amené à gérer. Le lecteur se plaira à imaginer la part du réel qui agrémente ces réquisitions prenant parfois une tournure complètement ahurissante emprunte d’une violence singulière, voire déroutante. Loin de se présenter comme une succession de scènes sans lien, le lecteur trouvera un fil conducteur au travers des personnages de Weege et de Libya qui apportent une certaine forme de fraîcheur et d’optimisme à l’image de cette scène où Hanson emmène son jeune protégé dans une librairie où il a ses habitude afin de lui acheter quelques livres. Mais c’est sans doute dans les relations troubles qu’entretien Hanson avec Felix Maxwell, un des caïds du trafic de drogue de la cité, que le récit va prendre une tournure tragique au fur et à mesure des règlements de compte qui secouent le quartier.

     

    Une nouvelle fois, Kent Anderson se livre avec une sincérité confondante en nous proposant un texte saisissant, d’une rare beauté où l’ombre de la violence et du désespoir de la rue se dissipe parfois à la lumière de cette humanité qui parvient également à éclairer le cœur d’un homme souhaitant retrouver sa place dans un monde qui ne lui correspond plus. Une quête aussi vaine que bouleversante.

     

    Kent Anderson : Un Soleil Sans Espoir (Green Sun). Editions Calmann-Lévy 2018. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Elsa Maggion.

    A lire en écoutant : Under The Bridge de Red Hot Chili Peppers. Album : Blood Sugar Sex Magic. 1991 Warner Bros. Records Inc.

  • Antonio Albanese : Voir Venise Et Vomir. Lagune noire.

    voir venise et vomir,antonio albanese,bsn pressAinsi donc le polar serait un genre sérieux qui ne souffrirait pas les incartades humoristiques sous peine de se voir parfois affubler du titre de pastiche n’ayant rien à voir avec la littérature noire. C’est faire bien peu de cas de tous ces auteurs comme Donald Westlake, Frédéric Dard ou Charles Exbrayat, pour n’en citer que quelques un, dont l’exercice de style à la fois drôle et percutant ne cessera de marquer les amateurs de romans policiers souhaitant évoluer dans un registre un peu différent. Pourtant il semble que ce soit l’une des considérations expliquant le fait que Voir Venise Et Vomir, polar féroce d’Antonio Albanese, n’ait pas été retenu par le jury pour figurer dans la sélection finale des auteur en lice pour le premier prix du polar romand. Difficile de comprendre l’éviction d’un ouvrage dont le style, l’intrigue et ces traits d’esprit incisifs constituent un remarquable récit se démarquant radicalement de la médiocre production de polars helvétiques que les médias romands ne cessent de mettre en avant.

     

    Milliardaire aussi excentrique qu’irrévérencieux, Matteo Di Gennaro dégueule tripes et boyaux dans un canal de la belle Sérénissime où flotte une odeur d’algue pourrie qui n’est pas sans lui rappeler celle émanant du corps de son amant, le beau Fabrizio, qui repose désormais à la morgue après avoir mariné dans les eaux de la lagune. Un instant de faiblesse passager, puisqu’il découvre rapidement que la thèse du suicide est aussi vraisemblable que la légende de saint Georges terrassant le dragon. Bien décidé à débusquer l’enfoiré qui a trucidé son amant, Matteo va rapidement mettre à jour les turpitudes de quelques moines bibliothécaires ainsi que les petites combines d’un taulard séjournant dans l’une des prisons de la Giudecca jouxtant sa propriété tout en assenant ses quatre vérités au lecteur qui n’en demandait pas tant.

     

    Frédéric Dard pour l’humour, Hugo Pratt pour les balades sur la lagune, on ne peut guère s’empêcher de penser également au fameux roman Le Nom De La Rose d’Umberto Eco au gré de ces quelques scènes se déroulant notamment dans la bibliothèque d’un monastère recelant des ouvrages anciens, ceci d’autant plus qu’un des livres devient la clé d’une énigme qui n’épargne guère l’obscurantisme religieux.

     

    Point d’ancrage fondateur du récit, l’eau devient l’élément commun d’une ville qui se désagrège et d’un homme qui se décompose. La beauté s’efface tout comme le souvenir. Matteo Di Gennaro ne peut se résoudre à l’accepter quitte à dégueuler sa colère et sa révolte. Ainsi Voir Venise Et Vomir, brève et fulgurante farce noire nous entraîne dans le sillage d’un narrateur qui s’érige en justicier pourfendeur de la bêtise et de l’ignorance tout en sillonnant avec son motoscafo la région de l’île de la Giudecca dont le nom prédestiné servira de conclusion à ce brillant récit célébrant l’amour dans tous ses genres, bien loin des baisers chastes et des légères caresses édulcorées.

     

    Au moyen d’une écriture vive et acérée, Antonio Albanese adopte un style détonant avec ces diatribes hilarantes que son insolent héros adresse à tout va au lecteur qu’il prend à partie au fil de considérations à la fois acides et arbitraires. Mais au-delà de ces instants cocasses, il faut distinguer avec Voir Venise Et Vomir, un roman érudit qui se distancie de la ville musée qu’est devenue Venise pour nous inviter dans la périphérie d’une envoûtante région qui recèle quelques trésors cachés. Ainsi, loin d’être des digressions, les apartés du narrateur concernant les jardins et l’architecture sont une forme d’hommage que l‘auteur tient à rendre en évoquant la beauté insoupçonnée de ces îles méconnues, tout en s’affranchissant des clichés et des décors maintes fois évoqués au gré des œuvres célébrant Venise.

     

    Trop licencieux, trop amoral et finalement trop immoral, un roman comme Voir Venise Et Vomir ne peut guère susciter l’adhésion de tout un jury mais parviendra à séduire, sans nul doute, le lecteur averti désireux de s’offrir un voyage atypique sur les eaux troubles de la lagune.

     

    Antonio Albanese sera présent lors du festival Lausan'noir qui aura lieu du vendredi 27 octobre au dimanche 29 octobre 2017. Il dédicacera ses romans le samedi 28 octobre de 16h00 à 17h30.

     

    Antonio Albanese : Voir Venise Et Vomir. Editions BSN PRESS 2016.

    A lire en écoutant : The Sky Is Crying de Gary B.B. Coleman. Album : Too Much Week End. Ichiban 1992.

  • Edyr Augusto : Pssica. Les maudites.

    edyr augusto, pssica, éditions asphalte, Bélem, Guyanne, CayenneRésolument orientées vers les auteurs hispaniques, la maison d’édition Asphalte nous a permis de découvrir des auteurs détonants comme l’espagnol Carlos Zanón (J’ai été Johnny Thunder), le chilien Boris Quercia (Les Rues De Santiago - Tant De Chiens) et le brésilien Edyr Augusto qui a pris l’habitude de situer ses romans dans l’état du Pará où il vit. Trop de sorties, trop de nouveautés et autres mauvaises excuses, il aura fallu attendre le quatrième opus de l’auteur, intitulé Pssica, pour que je découvre l’univers extrêmement violent d’Augusto Edyr qui dépeint la corruption qui gangrène cette région où règne un climat de déshérence sociale laissant la place à des situations d’une insoutenable abjection.

     

    Après avoir filmé leurs ébats, le petit ami de Janilice a décidé de diffuser la vidéo qui se retrouve sur tous les portables des camarades d’école de la jeune fille. Un scandale que ses parents ont de la peine à supporter, raison pour laquelle ils expédient la belle adolescente, à peine âgée de 14 ans, chez sa tante à Belém. Mais la colère fait rapidement place au désarroi lorsqu’ils apprennent que Janilice s’est fait kidnapper dans la rue, en plein jour. Aux portes de la région amazonienne, l’événement est loin d’être isolé. Les forçats de la jungle sont avides de chairs fraîches qui alimentent les bordels. Ne pouvant compter sur les autorités locales corrompues, le père de Janilice supplie Amadeu, un flic retraité, de se lancer à la recherche de la jeune fille. De Belém à Cayenne, débute alors un périple halluciné aux confins de la jungle amazonienne dans laquelle on croise des pirates du fleuve barbares, des garimpeiros brutaux et des macros cruels qui végètent dans un environnement où la vie humaine n’a que bien peu de prix.

     

    Ce qu’il y a de déroutant avec un romans comme Pssica, c’est que l’auteur ne s’embarrasse d’aucune fioriture aussi bien dans le texte que dans sa mise en forme à l’instar des dialogues qui s’enchaînent sans le moindre saut de page en procurant ainsi une sensation de fulgurance encore bien plus intense pour un ouvrage dépourvu du moindre temps mort. Afin d’achever le lecteur, il faut prendre en compte le fait que Pssica est exempt de toute espèce de transition et se dispense de descriptifs servant à magnifier un environnement pourtant peu ordinaire, dans lequel évoluent des personnages aux destinées plus qu’aléatoires. On se retrouve ainsi avec un texte au travers duquel émane une violence quotidienne, d’une rare cruauté puisqu’elle touche particulièrement des enfants asservis à la concupiscence d’adultes dépourvus du moindre scrupule. Âpres et sans fard, les sévices que dépeint Edyr Augusto suscitent un sentiment de malaise parce qu’ils s’inscrivent dans un réalisme qui fait frémir. Mais loin d’être esthétique ou complaisante, la crudité des scène ne fait que souligner la thématique abordée par l’auteur en dépeignant la corruption institutionnalisée dans une région où l’absence de règles et de contrôles qu’ils soient formels ou informels ne font que renforcer ce sentiment de sauvagerie qui règne tout au long d’un récit sans concession. Ainsi les actes brutaux, qui s’enchaînent tout au long de cet ouvrage à l’écriture sèche et dépouillée, ne deviennent plus qu’une espèce de résultante mettant en lumière cet univers sans foi ni loi où l’expression « loi de la jungle » s’éloigne de son sens figuratif pour prendre une dimension plus littérale.

     

    Avec Pssica, nous suivons donc le parcours de Janilice dont le destin prend la forme d’une espèce de malédiction (Pssica) donnant ainsi son titre au roman. Comme une colonne vertébrale dramatique, les péripéties de la jeune adolescente, soumise aux affres des viols à répétition, de la prostitution forcée et dont la tragique beauté va attiser toutes les convoitises, révèlent les sombres desseins des autres protagonistes du roman qui, tour à tour, semblent comme envoûtés à la simple vue de cette jeune fille au charme ravageur. C’est un peu le cas pour Amadeu, cet ancien flic qui s’engage sans grande conviction dans un périple aux résultats incertains, mais dont les recherches vont virer à l’obsession à mesure qu’il remonte les travées du fleuve qui s’enfonce dans la jungle. Ancien militaire angolais, Manoel Toreirhos pensait avoir trouvé refuge au fin fond de cette forêt équatoriale jusqu’à ce qu’il croise le chemin de Preá, membre d’une bande de pirates qui sévissent dans l’estuaire. Une escalade de vengeances poussent les deux hommes à se confronter dans une succession de règlements de comptes qui virent aux carnages en laissant sur le carreau un bon nombre de leurs compères respectifs. Dans ce monde cruel où chacun rend justice à sa manière, les destins s’entremêlent au gré de rebondissements dont les circonstances aussi brutales qu’abruptes remettent en cause tous les parcours des différents acteurs du roman.

     

    A l’image d’une fièvre malsaine, qui brouille l’esprit, Pssica ensorcellera le lecteur pour l’emmener dans cet univers de violence qui agit comme une véritable catharsis afin d’offrir une possibilité de rédemption qui se révélera bien aléatoire. Puissant, troublant et déroutant.

     

    Edyr Augusto : Pssica (Pssica). Editions Asphalte 2017. Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos.

    A lire en écoutant : Até o Fim de Madame Saatan. Album : 11 Anos Naas Missào. Doutromundo Musica 2011.

  • Edward Abbey : Le Gang de la Clef à Molette. Les Pieds Nickelés du désert.

    edward abbey,le gang de la clef a molette,gallmeister,robert crumb,désert,écologieEdward Abbey c’est le chantre du désert, considéré à juste titre, comme l’un des précurseurs de la prise de conscience écologique qui s’employa à dénoncer, dans les années septantes déjà, les excès de l’industrialisation et du progrès qui mettaient à mal le fragile équilibre des contrées désertiques de l’Ouest. Une once de burlesque, un schéma narratif emprunté au roman noir et une pointe d’irrévérence sont les principaux ingrédients de cet irrespectueux road movie narrant les aventures du quatuor que forme Le Gang de la Clef à Molette.

     

    Dans le désert on rencontre parfois de drôles de personnages, comme ce toubib et sa somptueuse fiancée qui brûlent ces panneaux publicitaires afin de rétablir une certaine harmonie dans la beauté silencieuse de ces paysages désertiques. On croise également la route de ce vétéran du Vietnam hirsute, amateur de bières et d’armes à feu. Il y a aussi ce guide mormon, polygame qui rêve de faire sauter les barrages perturbant les cours d’eau des canyons qu’il sillonne en rafting. C’est au cours d’une de ces excursions que ce quatuor, aussi étrange que disparate, se rencontre pour entamer des actions de sabotages. Dégradations de machine de chantier, démontages de ponts et destructions de voies ferrées, tout est bon pour mettre à mal l’exploitation excessive des ressources dissimulées dans les sous-sols du désert. Tout cela n’est pas du goût des représentants locaux de l’ordre et de la morale étroitement liés au développement économique de la région. La traque pour mettre un terme aux activités de cette bande d’allumés sera donc sans merci.

     

    Ribouldingue, Filochard et Croquignol les Pieds Nickelés étaient trois alors que Le Gang de la Clef à Molette se compose de quatre membres, tous aussi irrévérencieux que leurs illustres prédécesseurs. Le Dr Sarvis, surnommé Doc, incarne en quelque sorte la conscience écologique du groupe tout en assurant, dans une moindre mesure, le financement des activités licencieuses des ses camarades auxquels il se joint de manière anecdotique en endossant le rôle de guetteur tout comme sa superbe compagne Bonnie Abbzug. Bien que séduisante, Bonnie est une femme forte et affirmée qui sait se faire une place au sein de la bande en s’imposant comme la personne la plus lucide et la plus raisonnée du groupe. Seldom Seen Smith, mormon en dilettante, n’a intégré de sa religion que la polygamie en mariant trois femmes. Guide occasionnel, il connaît la région comme sa poche et permet donc au groupe de déterminer les objectifs auxquels ils vont s’attaquer. Il est l’homme providentiel permettant à la bande de survivre dans ces régions hostiles. George W. Hayduke est un trublion peu concerné par la lutte écologique. En marge du système après avoir été incorporé dans les forces spéciales pour combattre au Vietnam, il n’aspire qu’à utiliser ses armes et ses explosifs, sans trop se préoccuper de la cause. Paradoxalement, il deviendra le personnage emblématique de la lutte.

     

    edward abbey,le gang de la clef a molette,gallmeister,robert crumb,désert,écologieAu travers de paysages grandioses que l’auteur dépeint avec beaucoup de précision, on suit le périple de ce groupe atypique qui met en place de manière aussi astucieuse que maladroite, ses actions pour réfréner l’implacable avancée de la civilisation. Outre l’aspect burlesque, on est rapidement séduit par le suspense de poursuites haletantes mettant en scène l’équipe de Recherches & Secours dirigée par l’évêque J.  Dudley Love. Même si le message écologique est sous-jacent c’est surtout au travers des actions rocambolesques de ce gang hors du commun que l’on découvre toute la problématique du progrès qui s’installe dans ces régions à l’équilibre si fragile. Les monstres sont des extracteurs de charbon gigantesques, des bulldozers démesurés et des trains automatisés qui ruinent l’intégrité écologique de la région.

     

    Durant tout le récit on perçoit l’amour qu’Edward Abbey éprouve pour ce désert qu’il a arpenté de long en large tout au long de sa vie. Considéré comme un classique de la littérature américaine, Le Gang de la Clef à Molette est surtout une ode à la résistance et à la désobéissance civile qui ne pouvait être illustré que par Robert Crumb, dessinateur subversif par excellence. Les illustrations somptueuses mettent en valeur les grandes scènes du roman et permettent de mettre un visage sur chacun des membres de ce groupe d’énergumènes hors normes.

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    Edward Abbey : Le Gang de la Clef à Molette. Editions Gallmeister / Nature Writing 2013. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos. Illustrations de Robert Crumb.

    A lire en écoutant : Turtle Blues de Big Brothers & The Holding Compagny. Album : Cheap Thrills. Columbia Records 1968.

     

     

  • KENT ANDERSON : CHIENS DE LA NUIT. DEPOSER L’UNIFORME.

    Capture d’écran 2014-07-07 à 03.27.37.pngL’uniforme que nous portons, l’arme et la plaque que nous détenons ne sont qu’un prêt qu’il nous faudra restituer à la fin de notre carrière. Ils ne sont que les symboles du pouvoir qui nous est confié un temps durant et n’en déplaise à certain, ce n’est d’ailleurs pas l’uniforme, ni la plaque et encore moins l’arme qui constituent le policier. Ils sont incarnés par les principes et les valeurs de l’homme ou de la femme qui les détient. Pour preuve, une fois rendus, ces attributs ne seront plus que des coquilles vides puisque nous garderons en nous les instants douloureux qui ont jalonnés notre carrière. Et pourtant, bien plus que l’habit, ce sont ces réminiscences parfois intolérables que nous voudrions restituer.

     

    Ces tragédies dont nous sommes les témoins directs sont bien trop souvent passées sous silence. Le policier est de nature discrète. C’est un taiseux qui encaisse du mieux qu’il le peut. Ce silence, cette discrétion sont peut-être les éléments, parmi d’autres, constituant le brouillard de mystification qui enveloppe la profession et en regard de l’actualité genevoise, ce n’est pas ce que je lis sur les blogs ou sur les réseaux sociaux qui me donnera tort. Détracteurs et supporters s’écharpent sur le sujet et bien souvent le débat vire à la farce dans un échange de propos peu amènes qui desservent encore d’avantage la profession. 

     

    Pour s’extirper de ces discussions stériles où les provocations des uns amènent les répliques outrageantes des autres il faudra peut-être se tourner vers les récits ou les romans de ces policiers qui rompent parfois le silence pour nous livrer le témoignage de leurs expériences. Le plus remarquable d’entre eux s’intitule Chiens de la Nuit, de Kent Anderson qui fut membre des forces de police de Portland durant sept ans.

     

    Portland 1975, Hanson, de retour du Viet-Nam, a intégré les force de police et parcourt les rues du North Precinct, l’un des secteurs le plus déshérité de la ville avec son camarade Dana, un vieux flic chevronné. Nuit et jour, ils patrouillent au cœur de ces artères misérables en effectuant les réquisitions diffusées par le dispatcher et en essayant de composer avec une population démunie et bien souvent hostile. Un quotidien de défiance, de danger et de peur sur fond de drogue et de violence. Tant bien que mal, Hanson parvient à supporter le lourd passé qu’il traîne depuis la guerre. Mais le retour d’un ancien compagnon d’arme risque fort de l’entraîner bien au delà du fil du rasoir sur lequel il se tient.

     

    Outre les chiens errants qui parcourent les rues du ghetto, Chiens de la Nuit, désigne également ces policiers qui, à l’instar de ces animaux devenus sauvages, paraissent livrés à eux-mêmes dans un univers cruel et violent. Bien plus que le contexte social dans lequel les policiers opèrent, ce sont les réquisitions auxquelles ils doivent faire face qui en font un roman universel. Que l’on soit policier à Portland, à Genève ou ailleurs, on retrouve ces mêmes levées de corps, ces mêmes accidents de la route, ces mêmes conflits familiaux, ces mêmes cambriolages et surtout cette même déshérence sociale qui affecte les populations les plus précarisées. Ce n’est d’ailleurs pas autour des fusillades mais au cours d’interventions banales que s’inscrivent les tragédies qui surprennent les policiers. Il en a toujours été ainsi et le roman en fait la funeste démonstration.

     

    Kent Anderson nous livre un récit âpre et violent parfois dérangeant surtout de par l’attitude de ces policiers  qui suscitera un certain malaise. C’est cet aspect cru, mais véridique, de certaines interventions qui pourra parfois choquer le lecteur. Mais que l’on ne s’y trompe pas, c’est derrière cette indifférence feinte ou ce cynisme que le policier tente de se protéger des vicissitudes des dynamiques de la rue. Car outre l’aspect opérationnel, Kent Anderson décrit avec force de talent les mécanismes insidieux conduisant le policier à la perte de ses repères et de ses valeurs morales. La désillusion, le manque de considération et le découragement en sont les principaux vecteurs et c’est paradoxalement auprès des laissez pour compte que Hanson parviendra à retrouver une certaine rédemption. Ce sont d’ailleurs ces personnages de seconde zone qui donnent encore d’avantage d’authenticité et de relief au récit. Plus qu’une main courante, Chiens de la Nuit, est doté d’une intrigue simple mais solide qui en fait un roman un peu à part et un superbe témoignage du métier de police-secours.

     

    Publié en 1998 et récemment réédité en 2014, Chiens de la Nuit, de par sa force d’écriture, reste un roman terriblement actuel. Et outre la superbe préface de James Crumley, c’est surtout l’avertissement de l’auteur qui donne le ton de cette fiction qui laisse transparaître les stigmates d’expériences vécues.

     

    « Bien que se déroulant à Portland, où j’ai exercé le métier de policier au milieu des années 70, Chiens de la Nuit est avant tout un roman, un monde fictif et autonome, et j’ai modifié les noms des rues, les décors, afin d’alimenter cet univers. Tous les personnages, les faits et les dialogues sont le produit de mon imagination.

    Je suis fier d’avoir été membre des services de police de Portland, et en écrivant ce livre, j’ai été aussi honnête que je peux l’être. Quelques lecteurs le trouveront peut-être dérangeant ou « choquant » Le vérité produit parfois cet effet chez certaines personnes.

    La situation est bien plus dramatique aujourd’hui qu’en 1975. »

    Kent Anderson

     

    Salaire, avantages, primes, heures supplémentaires, il faudra bien comprendre que l’on n’embrasse pas la carrière de policier uniquement pour les aspects financiers et c’est au travers de Dana, ce vieux flic vieillissant qui ne parvient pas à mettre un terme à sa carrière tant il aime son métier que l’on percevra le sens des valeurs qui anime le policier.

     

    Pour Dana ou Hanson, déposer l’uniforme n’aura pas la même signification. Mais quoiqu’il en soit, ils garderont pour toujours les affres d’une vie professionnelle qui les marquera à jamais.

     

    Kent Anderson : Chiens de la Nuit. Edition Folio Policier 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Jean Esch.

    Prix Calibre 38 du Meilleur Roman policier 1998.

    Prix Marcel-Duhamel de la meilleure traduction du roman policier 1998.

    A lire en écoutant : Retrograde de James Blake. Album : Retrograde. Polydor Ltd (UK) 2013.

     

  • Daniel Abimi : Le Cadeau de Noël. Les filles du boulevard Sévelin.

    Capture d’écran 2014-06-17 à 16.01.51.pngLe Cadeau de Noël s’inscrit dans la continuité du premier roman de Daniel Abimi, Le Dernier Echangeur, chroniqué ici. Certaines intrigues du premier roman trouveront leurs dénouements dans ce dernier opus, nécessitant donc une lecture dans l’ordre de parution de ces deux polars ayant pour cadre la ville de Lausanne. Si l’on trouve un certain enchaînement au niveau de la trame narrative, c’est dans l’atmosphère et le style que l’auteur a changé d’orientation en se plongeant résolument dans l’âme noire du polar pour délaisser les aspects saugrenus que l’on décelait parfois dans son premier roman.

     

    Une employée d’une station service est abattue d’une balle dans la tête sur son lieu de travail, dans les hauteurs de Lausanne. Pour l’inspecteur Mariani, il n’y a pas de doute, il s’agit d’une exécution. Il ne reste qu’à en découvrir le mobile ce qui va s’avérer extrêmement ardu, d’autant plus que la jeune fille démunie de papier travaillait sans autorisation au profit d’un patron peu scrupuleux.  Avec l’aide de son camarade, le journaliste Michel Rod, en disponibilité suite à ses problèmes de boisson, l’enquête va s’orienter dans le milieu nébuleux de la prostitution lausannoise. Une activité en plein essor car durant la période désenchantée des fêtes de fin d’année, tout le monde a besoin d’un peu d’affection.

     

    Un meurtre, un drame familial tragique, une prise d'otage et un Père Noël bourré, c’est dans ce contexte que l’on va découvrir ce processus d’éloignement d’un policier qui peine à retrouver ses marques, même au sein de sa famille qu’il perçoit désormais comme une espèce d’entité étrangère. C’est en cela que l’on appréciera le personnage de l’inspecteur Mariani qui prend le pas sur Michel Rod qui aura un rôle plus secondaire dans ce récit. L’alcoolisme, la dépression, les deux personnages se renvoient leurs détresses respectives au gré d’une histoire sordide que les festivités de Noël ne fait qu’accentuer.

     

    Dans ce récit brillant, vous allez également découvrir toutes les strates de la prostitution qui passe par les escorts-girls officiant dans les vénérables palaces de la ville sous l’œil bienveillant du personnel, les salons tenus par d’aimables managers ou tenanciers que l’on ne saurait qualifier de maquereaux pour finir dans les rues froides du boulevard Sévelin et de la rue de Genève où les prostituées sans papier s’exhibent pour le plus grand bonheur des milliers de conducteurs qui tournent toute la nuit dans le quartier. Et en toile de fond il y a toujours le charme discret d’une bourgeoisie dévoyée que l’auteur décrit avec un sarcasme qui frise la perfection.

     

    Des nuées de prostituées, un immeuble presque exclusivement dévolu au commerce du sexe, c’est dans ce contexte réaliste d’un quartier de la ville de Lausanne que l’auteur a planté son récit en l’humanisant par le biais de quelques personnages attachants comme cet ex banquier reconverti dans la vente de poulets grillés ainsi que la plantureuse Bianca, travestie lumineuse arpentant le bitume froid de la ville. Mais finalement, c’est peut-être la tante de Michel Rod qui séduira le lecteur, car la vénérable bourgeoise, au crépuscule de sa vie, promène son regard affuté et sans illusion sur cette famille qui l’entoure d’une affection de circonstance en cette période festive. Finalement l’intrigue du récit n’a que très peu d’importance et ne sert qu’à transporter le lecteur dans les différentes couches sociales d’une ville qui s’enveloppe d’un spleen provincial si caractéristique des agglomérations helvétiques.

     

    Avec ce deuxième roman, Daniel Abimi entre dans la petite liste de ces auteurs romands qui ont la bonne idée de nous raconter une histoire qui reflète les aspects peu reluisant d’une société dont on ne soupçonne pas toujours les travers. Des auteurs comme Daniel Abimi sont bien trop rares pour être passé sous silence. Il vous faut les découvrir sans tarder !

     

    Daniel Abimi : Le Cadeau de Noël. Bernard Campiche Editeur 2012.

    A lire en écoutant : Brother de Stuck in the Sound. Album : Poursuit. Discograph 2012.