ANTONIO ALBANESE : 1, RUE DE RIVOLI. PHILOSOPHIE NOIRE.
Pour celles et ceux qui en douteraient encore, il va de soi que l’on apprécie la maison d’éditions BSN Press et plus particulièrement la ligne éditoriale de son directeur, Giuseppe Merrone, notamment en ce qui concerne la littérature noire romande sur laquelle il porte un regard décalé par rapport aux critères des grands succès commerciaux du polar helvétique en tablant davantage sur l’intelligence du lecteur que sur le consumérisme de masse, ce qui vous donne une idée de son ambition et de son optimisme au regard du classement hebdomadaire des meilleurs ventes d’une des grandes chaînes de librairie de la Suisse romande. Dans un tel contexte, il sera difficile pour Antonio Albanese de figurer dans un tel palmarès, ceci d’autant plus s’il persiste à invectiver les lecteurs par le biais de Matteo Di Genaro, oisif fortuné qui se plaît à bousculer les codes d’une société bien-pensante au gré d’enquêtes expéditives prenant la forme d’une critique sociale plutôt corsées, teintée de quelques traits d’humour corrosif. Dans ce qui apparaît désormais comme une série, on avait rencontré cet enquêteur atypique séjournant à Paris, dans Une Brute Au Grand Cœur (BSN Press 2014) qui abordait la thématique de la prostitution tandis que Voir Venise Et Vomir (BSN Press 2016) nous entraînait dans les méandres de l’obscurantisme religieux et de l’intolérance. De retour à Paris, du coté du 1, Rue De Rivoli, on retrouve donc avec une certaine jubilation Matteo Di Genaro qui persiste à aborder les questions existentielles sous l’angle d’une éthique plus que minimale, prétexte aux digressions les plus provocantes qui ne manqueront pas d’interpeller le lecteur à défaut de le faire rire aux éclats.
De retour à Paris, Matteo Di Genaro a la désagréable surprise de constater que l’immeuble qu’il possède au 1, rue de Rivoli n’a toujours pas été vendu. Ce n’est pas tant le fait que ce bien immobilier, dont il n’a que faire, soit devenu un squat qui le dérange, mais plutôt que l’on vienne de découvrir un cadavre dans l’un des appartements occupés. Toujours prompt à se mêler des affaires des autres, ceci d’autant plus qu’il reste propriétaire des lieux, Matteo se lance dans une enquête où il lui faudra surmonter les préjugés, ceci d’autant plus que tout accuse un africain plus ou moins sdf qui rôdait dans les environs. Une aubaine, pour le père de la victime, François De Fidos, chef de file d’un parti nationaliste qui voit la possibilité d’une récupération politique lui permettant de se profiler pour les élections à venir. Mais en s’immisçant dans la communauté du squat Matteo va rapidement mettre à jour des affaires de famille peu ragoûtantes en rencontrant Cécile De Fidos, membre active du collectif, tout à l’opposé de son père dont elle n’apprécie guère les orientations politiques.
Il s’agit avant tout d’une question d’équilibre pour ce format court évoquant avec autant d’esprit et de concision, les thématiques de l’inceste, de la propriété, de l’héritage que l’auteur aborde sous la forme d’une intrigue policière qui demeure secondaire en renvoyant dos à dos les courants politiques qui ne sont guères épargnés. Plus que les entournures d’une enquête plutôt convenue, on se délectera des diatribes enflammées d’un personnage qui se plait à provoquer les lecteurs qui ne manqueront pas d’apprécier cette liberté de ton, teintée d’un humour acide pouvant parfois nous faire grimacer. Roman satirique, tout comme les précédents, 1, Rue De Rivoli a surtout pour vocation de nous interpeller sur des notions de patrimoine qui prennent un tout autre sens lorsqu’elles sont évoquées par l’entremise d’un personnage de fiction richissime qui peut se permettre de nous invectiver du haut de sa colossale fortune. Une mise en abîme d’autant plus vertigineuse qu’elle ne fait que renforcer le sentiment d’arrogance qui émane de ce personnage ambivalent que l’on se surprend à estimer malgré tout.
Ponctué de petites phrases mordantes et de répliques assassines, sans pour autant sombrer dans le pamphlet pontifiant ou lénifiant, on savourera donc la brièveté d’un texte à la fois drôle et irrévérencieux, dont les apartés sont désormais la marque de fabrique d’un auteur qui a pour ambition de secouer le lecteur afin de le pousser dans ses retranchement pour l’inciter à la réflexion. Et puis il y a cette écriture vive, ce regard affûté mettant en exergue toutes les carences sociales évoquées et cette intensité dans le rythme de l’intrigue qui font de 1, Rue De Rivoli un roman noir satirique qui sort résolument de l’ordinaire.
Antonio Albanese : 1, Rue De Rivoli. BSN Press 2019.
A lire en écoutant : Beyond The Mirage interprété par Paco de Lucia, John Mc Laughlin & Al Di Meola. Album : Paco de Lucia, John Mc Laughlin & Al Di Meola. 1996 Deca Records France.