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03. Roman policier - Page 13

  • Benjamin Dierstein : La Sirène Qui Fume. Impair et manque.

    Capture.PNGJe dois bien avouer que n'appréciant que très modérément le contenu de la revue Sang-froid, je suis passé complètement à côté de l'œuvre de Benjamin Dierstein, dont les débuts coïncident avec la survenue en 2018 du prix Sang-froid, récompensant un romancier jamais encore publié, avec un jury qui porta son choix sur La Sirène Qui Fume, premier récit de l'auteur. Il faut donc rendre un hommage appuyé à la rédaction ainsi qu'à l'ensemble du jury qui ont mis ainsi en lumière l'une des grandes voix dissonantes de la littérature noire francophone avec un roman policier qui s'inscrit désormais dans une trilogie comprenant La Défaite Des Idoles (Points policier 2019) et La Cour Des Mirages (Les Arènes/Equinox 2022), dernier opus qui fait l'actualité et que j'aurais tout d'abord pu évoquer pour être en phase avec cette sacro-sainte temporalité, ce d'autant plus que les éditeurs et chroniqueurs vous expliqueront qu'il est tout à fait possible de lire ces trois ouvrages de manière individuelle, voire même de les aborder dans un ordre aléatoire. Effectuer une telle démarche, serait une grave erreur qui vous priverait d'une certaine dimension dramatique habitant les personnages qui traversent les trois récits. En entamant La Sirène Qui Fume, le lecteur doit tout d'abord se préparer au choc d'une écriture énergique et déjantée qui rappelle celles de James Ellroy ou de David Peace, même si Benjamin Dierstein s'affranchit avec succès de ces modèles qu'il évoque d'ailleurs lorsqu'il fait référence à ses sources d'inspiration.

     

    Le capitaine Gabriel Prigent est un flic qui traine une sacrée réputation après avoir dénoncé à Rennes un de ses partenaires corrompus. Fraichement muté au 36 quai des Orfèvres, il intègre un groupe de la Brigade criminelle avec des collègues qui l'observent avec une certaine méfiance. Mais pour le lieutenant Christian Kertesz de la BRP, c'est avec défiance qu'il considère ce nouveau venu lui qui est compromis dans un business juteux avec la mafia corse. Entre les tourments de l'un et les obsessions de l'autre, les deux hommes vont pourtant se retrouver à la croisée des chemins autour d'une enquêtes se focalisant sur une série de meurtres de prostituées mineures dont les corps sauvagement mutilés ont la particularité de porter un tatouage représentant une sirène qui fume. Mais mettre à jour un réseau de prostitution pédocriminel comporte certains risques, ceci d'autant plus lorsqu'il implique des fonctionnaires et des politiciens de haut rang. 

     

    La Sirène Qui Fume s'articule autour de l'alternance de deux enquêtes que mènent en parallèle le capitaine Gabriel Prigent dont l'intrigue se décline à la première personne tandis que celle du lieutenant Christian Kerstesz emprunte la voix narrative de la deuxième personne ce qui apporte un certain dynamisme à l'ensemble d'un récit tonitruant ponctué de coups d'éclat spectaculaires qui vous empêchent de reprendre votre souffle. Benjamin Dierstein ne ménage pas le lecteur, bien au contraire, on assiste ainsi aux excès de deux flics que tout oppose, hormis cette folie sous-jacente, émanant de leur passé respectif, qui va les submerger. Mais au-delà le l'outrance qui anime les deux personnages centraux du récit, Benjamin Dierstein corsète son roman dans une rigueur à toute épreuve que l'on retrouve tout d'abord dans le réalisme de l'appareil policier prenant parfois quelques tournures politiques notamment lors de la confrontation entre Gabriel Prigent, représentant syndical de gauche et sa collègue Laurence Verhaegen qui se situe sur la droite de l'échiquier. Cette rigueur, on la retrouve également dans le contexte social de cette année 2011 que Benjamin Dierstein décline par le biais de ces courtes dépêches qui ponctuent l'ensemble du roman en nous permettant de nous remémorer l'ascension et la chute de DSK, l'affaire du Carlton de Lille, la chute du président Gbagbo en Côte d'Ivoire ou l'achat du PSG par une filiale du fond souverain du Qatar pour n'en citer que quelques unes. Loin d'être anodines, ces dépêches, outre le fait de contextualiser l'époque, donnent une tout autre dimension à l'enquête que mêne les deux policiers autour d'un réseau criminel de prostitution de filles mineures, ainsi que tout ce qui a trait à la pègre corse et à son implantation au coeur la capitale et plus particulièrement au célèbre cercle de jeu Wagram faisant l'objet d'une descente des forces de police qui va entrainer sa fermeture définitive en bousculant tous les protagonistes d'une intrigue brutale. 

     

    Avec La Sirène Qui Fume, on oscille donc entre une réalité trouble et une fiction tourmentée que Benjamin Dierstein assemble avec une habilité et une intensité peu communes au cours d'un roman dense dont le final, imprégné d'une violence dantesque, vous achèvera aussi sèchement que l'impact d'une cartouche de 44 magnum.

     

    Benjamin Dierstein : La Sirène Qui Fume. Editions Nouveau Monde 2018. Editions Points Policier 2019.

    A lire en écoutant : Faze Wave de The Cave Singers. Album : No Witch. 2011 Jagjaguwar.

     

  • Simone Buchholz : Béton Rouge. Encagés.

    simone Buchholz, collection fusion, éditions atalante, béton rougeDepuis quelques années, on ne peut que se réjouir de la place de plus en plus prépondérante qu'occupent désormais les romancières dans le domaine de la littérature noire. Bien plus qu'une simple histoire de quota, on observe surtout avec ces romancières l'apparition d'héroïnes qui n'auraient pu, sans nul doute, ne voir le jour que sous la plume d'une femme s'interrogeant sur la place qu'elle occupe au sein de notre société tout en dénonçant certaines dérives qui ont bousculé les devants de l'actualité. Il peut s'agir tout simplement d'une question de look, mais également de rapport avec l'alcool ou de positionnement quant à l'absence de désir de maternité à l'instar de Ghjulia Boccanera, cette détective privée libertaire et haute en couleur émergeant de l'écriture affûtée de Michèle Pédinielli, romancière désormais aguerrie qui bouscule l'air du temps à coup de récits engagés. Dans un registre similaire, on apprécie désormais la singularité du profil de la procureure Chastity Riley, officiant à Hambourg, que l'on a découvert avec Nuit Bleue, première publication de la collection Fusion nous proposant polars et romans noirs aux entournures atypiques pour le compte de la maison d'éditions l'Atalante. Avec une écriture parfois laconique, toujours précise et surtout imprégnée d'une certaine forme de poésie, sa créatrice Simone Buchholz  décline une nouvelle fois tout le charme de sa ville de Hambourg et plus particulièrement de son quartier populaire de Sankt Pauli en nous invitant à retrouver sa magistrate "destroy" dans Béton Rouge, dernier opus d'une série détonante.

     

    A Hambourg, non loin du Bismarckdenkmal, on signale une cage déposée devant l'entrée de l'immeuble abritant les bureaux de Mohn & Wollf, un grand groupe d'éditions propriétaire de nombreux titres de presse. Dans la cage, on découvre le corps dénudé d'un homme portant de nombreux stigmates laissant à penser que l'individu déboussolé a été torturé. Toujours chargée de la protection des victimes, l'enquête échoit à la procureure Chastity Riley qui sera secondée d'Ivo Stepanovic du bureau des Affaires spéciales. Licenciements économiques implacables semblent dicter la logique de cette grande entreprise qui peut compter sur le management impitoyable d'un service RH tout acquis à la cause financière du groupe. Le mobile paraît donc assez clair. Mais une seconde victime découverte dans des conditions similaires va orienter les deux enquêteurs du côté de la Bavière en mettant à jour les carences d'un pensionnat pour enfants où la maltraitance entre jeunes résidents semble être devenu la norme.

     

    Tout est étonnant avec Simone Buchholz s'ingéniant à nous surprendre avec une écriture acérée qui rythme la singulière brièveté de chapitres aux titres évocateurs où chacune des phrases semblent avoir été construite en choisissant soigneusement chaque mot résonnant avec l'efficacité, mais également la poésie d'un haïku. Tout comme Bleu Nuit, on retrouve dans Béton Rouge le groupe d'amis qui accompagne Chastity Riley en lui conférant ainsi un supplément de personnalité dont on découvre les contours au gré de ses échanges prenant parfois la forme de conversations SMS, comme c'est le cas avec Faller, son mentor, et qui ne sont pas moins révélateur de l'état d'esprit d'une procureure qui ne cesse de se remettre en question. Des rapports qui prennent parfois une tournure surprenante comme ceux qu'elle entretient avec Klatsche qui va d'ailleurs remettre en question leur relation au cours d'une discussion intense et bouleversante confirmant le talent d'une romancière qui sait distiller subtilement l'émotion de ses personnages à fleur de peau.

     

    Au rythme d'une intrigue concise, Béton Rouge s'articule autour du thème de la maltraitance d'enfants que Simone Buchholz aborde avec beaucoup de pudeur sans s'étaler sur le côté sordide des faits qui se suffisent à eux-mêmes. Sans édulcorer, la romancière sait parfaitement appuyer là où cela fait mal, tout comme elle le démontre d'ailleurs en évoquant le démantèlement de la presse qui devient de moins en moins rentable, autre sujet que traite Simone Buchholz dans Béton Rouge, ceci de manière assez frontale avec des bourreaux transposant leur "savoir-faire" dans le domaine du management. Nouveau venu dans l'entourage de Chastity Riley, le lecteur appréciera la dynamique qui s'instaure entre Chastity Riley et Ivo Stepanovic lors de leur périple en Bavière qui nous donne l'occasion de découvrir une autre partie de l'Allemagne. Mais il va de soi que c'est la ville de Hambourg qui est célébrée au gré des pérégrinations d'une procureure mélancolique dont le spleen déteint sur la cité, ou inversement, jusqu'à opérer une sorte de fusion qui nous permet de découvrir les multiples facettes de la ville tout comme celles de Chastity Riley, personnage au charme indéniable. 

     


    Simone Buchholz : Béton Rouge (Beton Rouge). Editions L'Atalante, collection Fusion 2022. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Holding On de Gregory Porter. Album : Take Me To The Alley. 2016 Gregory Porter.

  • HUGUES PAGAN : LE CARRE DES INDIGENTS. LA MISERE DU MONDE.

    Capture d’écran 2022-01-16 à 14.48.50.pngAfin d'amorcer la rentrée littéraire sous les meilleurs auspices, les éditions Rivages/Noir ont pris pour habitude de convoquer en début d'année l'un des ténors de leur prestigieuse collection comme cela avait été le cas en 2021 avec Hervé Le Corre qui publiait Traverser La Nuit, un roman d'une noirceur latente dont chacune des pages est imprégnée d'une humanité saisissante émanant de personnages bouleversants. Pour cette année, c'est Hugues Pagan qui revient sur le devant de la scène, pour notre plus grand plaisir, avec Le Carré Des Indigents signant ainsi le retour de l'inspecteur Schneider. Il importe de souligner que l'on découvrait ce personnage dans La Mort Dans Une Voiture Solitaire (Rivages/Noir 1992), premier roman de l'auteur publié en 1982 dans la défunte collection Engrenage de Fleuve Noir. Avec un sort scellé au terme du récit, la série Schneider prend dès lors la forme d'une remontée dans le temps avec Vaines Recherches (Rivages/Noir 1999) dont l'action se déroule en 1982. Après un silence d'une vingtaine d'année où il travaille comme scénariste pour des séries télévisuelles comme Police District, Mafiosa ou Nicolas Le Floch, Hugues Pagan reprend son personnage de Schneider que l'on retrouve en 1979 dans Profil Perdu (Rivages/Noir 2018). Au cours d'un récit débutant en novembre 1973, Hugues Pagan poursuit donc sa remontée dans le temps avec Le Carré Des Indigents, dont l'intrigue est imprégnée d'une atmosphère de fin de règne de l'ère Pompidou qui colle parfaitement à l'ambiance d'un roman noir captant cette misère quotidienne des petites gens. 

     

    En novembre 1973, l'inspecteur principal Claude Schneider est de retour dans la ville de sa jeunesse en trimbalant les stigmates de la guerre d'Algérie dont il revient avec le grade de lieutenant assorti d'une légion d'honneur qu'il se refuse de porter. Un tournant dans sa carrière de policier qu'il aurait pu poursuivre à Paris au sein de brigades prestigieuses. Mais en intégrant le "Bunker", nom désignant l'hôtel de police de l'agglomération, il prend la tête du Groupe criminel et se retrouve confronté à la disparition de Betty, une jeune fille sans histoire dont son père, un modeste cheminot, est sans nouvelle depuis plusieurs jours ce qui n'a rien d'habituel. Les deux hommes, sans illusion, partagent le même pressentiment, pour eux il ne fait aucun doute que Betty est morte. Et les faits ne vont pas tarder à leur donner raison avec le signalement d'un cadavre découvert à l'extérieur de la ville. Schneider a beau être flic, il ne s'habitue pas à la mort ceci d'autant plus lorsqu'il s'agit d'une adolescente de 15 ans dont le visage de chaton orne désormais le tableau mural de son bureau. Mais au-delà de la résolution de l'affaire, il ne reste que les souvenirs et les regrets dont on ne se remet jamais vraiment et qui vous collent à la peau comme un vieil imperméable trop étriqué dont on ne peut plus se débarrasser.

     

    Quand on lit Le Carré Des Indigents on ne peut s'empêcher de se référer, sur le fond, à La Misère Du Monde de Bourdieu, tant Hugues Pagan parvient à saisir l'indigence de ces petites gens qu'il dépeint avec un réalisme saisissant que l'on retrouve également dans le quotidien de ces policiers dont il a fait partie durant de nombreuses années et qui ne l'ont pas empêché de jeter un regard critique sur le métier comme c'est d'ailleurs le cas avec ce roman dénonçant notamment les descentes de la police à l'encontre des indigents qui dérangent les notables et les édiles de la ville. On retrouve ce réalisme, cette humanité dans les rapports qu'entretient Schneider avec André Hoffmann, père de la victime, et tout son entourage au cours des repas avec la famille qui se réunit autour du souvenir de Betty. Ce sont ces instants qui donnent encore davantage de dimension au personnage central de Schneider, dont le caractère mutique révèle quelques failles que l'on décèle autour de ce fait divers tragique qui touche l'ensemble de l'équipe du Groupe criminelle. Ce réalisme, on en prend également la pleine mesure autour du profil des criminels et des marginaux qui vont intervenir tout au long d'un récit où les affaires, parfois sordides, s'enchainent au gré d'une intrigue habilement construite. Mais au-delà du réalisme qui s'incarne aussi dans le cliquetis des machines à écrire rythmant les interrogatoires, il y a toute cette déclinaison d'émotions que Hugues Pagan distille par le biais d'une écriture à la fois intense et pudique prenant la forme d'un long blues suintant d'une noirceur troublante qui imprègne l'ensemble des personnages. S'entrecroisent ainsi affaires de meurtres et de braquages que l'inspecteur Schneider va démêler avec l'aide d'une équipe soudée qui doit composer avec une hiérarchie autoritaire voyant d'un très mauvais oeil l'attitude charismatique de ce chef de groupe mutique refusant de composer avec ses supérieurs. Tous ces aspects se déclinent donc autour de cet individu emblématique à la séduction discrète et dont les rapports avec les femmes et plus particulièrement l'une d'entre elle va sceller son destin et donner une tout autre dimension à l'ensemble d'une série qu'il faut découvrir impérativement. 

     

    Ainsi, Le Carré Des Indigents nous donne à nouveau l'occasion de nous retrouver au coeur de cette ville du bord de mer qui ne porte pas de nom, pour croiser la route de Schneider, cet inspecteur à la fois emblématique et énigmatique, dont le parcours crépusculaire n'a pas fini de nous séduire. Envoûtant. 

     

    Hugues Pagan : Le Carré Des Indigents. Editions Rivages/Noir 2022.

    A lire en écoutant : Saint James Infirmary Blues interprété par Jon Batiste. Album : Hollywood Africans. 2018 Naht Jona, LLC.

  • Michèle Pedinielli : Après Les Chiens. Passer la frontière.

    michèle pedinielli, éditions de l'aube, collection aube noire, après les chiensMonument de la littérature noire, Patrick Raynal a notamment officié comme directeur de la Série Noire durant plusieurs années avant de créer la collection La Noire avec la publication d'auteurs emblématiques comme James Crumley, Harry Crews, Jérôme Charyn et Larry Brown pour n'en citer que quelques uns. Outre son activité d'éditeur, Patrick Raynal est un romancier engagé qui a situé quelques uns de ses récits du côté de Nice où il a vécu de nombreuses années. Des similarités que l'on retrouve chez Michèle Pedinielli qui fait désormais partie des figures du polar français avec trois ouvrages mettant en scène la désormais fameuse détective privée Ghjulia Boccanera que l'on surnomme Diou. Il n'est pas anodin de mentionner Patrick Raynal en évoquant l'oeuvre de Michèle Pedinielli avec ce sentiment de "passage du témoin" qui émane de la relation entre les deux écrivains qui s'estiment et se côtoient régulièrement. On notera d'ailleurs que dans son dernier roman, L'Age De La Guerre (Albin Michel 2021), Patrick Raynal met en scène la volcanique détective privée niçoise. Mais pour en revenir à Michèle Pedinielli, c'est avec Boccanera que la journaliste, devenue romancière, fit une entrée fracassante dans l'univers du polar avec un récit qui faisait la part belle au Vieux Nice et à son petit microcosme d'habitants tout en dénonçant les travers de la ville, ceci notamment dans le domaine de l'immobilier et des chantiers publics. Second roman de la série, Après Les Chiens évoque toute la problématique des migrants qui tentent de franchir la frontière franco-italienne, ceci parfois au péril de leur vie.

     

    En cette matinée de printemps 2017, c'est le moment idéal pour Ghjulia Boccanera d'entamer son footing sur les hauteurs de Nice, du côté de la colline du Château en compagnie de Scorsese, le chien dont elle à la garde et qui découvre par hasard le cadavre d'un jeune érythréen dissimulé dans les fourrés. L'homme a été battu à mort et si l'enquête échoit bien évidemment à la police qui ne fait pas preuve d'un grand zèle, Diou ne peut s'empêcher de d'investiguer sur le parcours de ce jeune migrant dont tout le monde se fout. 
    Automne 1943, dans la région des Alpes Maritimes, un jeune garçon fait office de guide afin d'aider les juifs traqués par les nazis à franchir la frontière et fait ainsi la connaissance de Rachel, une jeune femme qui va marquer sa vie.
    Bien des années séparent ces deux histoires qui vont se télescoper au coeur de cette région frontalière où la détresse de ces femmes et de ces hommes qui fuient pour sauver leur vie est toujours de mise.

     

    En préambule, il importe de mentionner le fait qu'il est recommandé de lire tout d'abord Boccanera, premier volume de la série, afin de mettre en perspective l'attitude de certains protagonistes intervenant dans les deux récits en nous permettant ainsi de mieux saisir l'ensemble de la force émotionnelle qui se dégage au terme de ce second opus, prenant pour cadre la thématique des migrants. Avec un tel sujet, on ressent toute l'implication d'une romancière engagée s'appliquant à dépeindre avec précision la situation dramatique qui se joue dans les hauteurs de cette région montagneuse plutôt hostile avec des migrants franchissant la frontière au péril de leur vie, tandis que les autorités s'emploient à dissuader les citoyens tentant de venir en aide à ces femmes et à ces hommes en détresse. Il émane du récit une forme d'indignation, voir même de colère transparaissant dans l'attitude de Diou qui tente de faire la lumière sur le meurtre de ce jeune garçon qui a fuit l'Érythrée où l'on voulait l'enrôler de force au sein de l'armée. C'est l'occasion pour notre détective privée de s'aventurer du côté de la vallée de la Roya à la rencontre de certains habitants attachants du village de Breil à l'instar de Nadia et de Jacques, alias Marguerite, qui apporte son soutien à toutes les personnes qui tentent de franchir la frontière. Mais Après Les Chiens, se focalise également sur l'aspect de l'intolérance  avec cette enquête sur la disparition d'une jeune fille qui entraîne notre détective privée dans les méandres inquiétants de l'extrémisme. Et puis il faut également mentionner cette histoire parallèle se déroulant durant la période trouble de la seconde guerre mondiale et qui prend la forme d'un journal intime nous permettant de découvrir la destinée d'un jeune garçon qui s'emploie à faire passer les juifs traqués par l'occupant nazi, lui donnant ainsi l'occasion de croiser la route de Rachel qui va bouleverser son existence. Un récit poignant nous incitant à mettre en perspective, bien au-delà des époques qui diffèrent, la sempiternelle détresse de celles et ceux qui fuient leur pays pour tenter de trouver un refuge dans d'autres contrées. Mais au-delà de la gravité des sujets évoqués, on retrouve dans Après Les Chiens cet humour mordant faisant le charme de la série et qui transparait notamment dans l'ensemble des échanges entre les différents protagonistes en soulignant ainsi l'énergie communicative d'une enquêtrice dynamique qui s'investit corps et âme dans ses enquêtes aux tonalités résolument sociales qui ne manqueront pas d'interpeller le lecteur. Un polar remarquable.

     

     

    Michèle Pedinielli : Après Les Chiens. Editions de L'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Royal Morning Blue de Damon Albarn. Album : The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows. 2021 13 under license to Transgressive Records Ltd.

  • Michèle Pedinielli : Boccanera. Salade niçoise.

    Capture.PNGOn ne peut pas tout lire. Un fait indéniable qui prend parfois la forme d'une frustration avec cette sensation détestable de passer à côté d'ouvrages formidables à l'instar des romans policiers de Michèle Pedinielli qui met en scène, depuis trois ans, la détective privée Ghjulia (il faut prononcer Dioulia) Boccanera officiant dans la région de la Côte d'Azur et plus particulièrement à Nice que la romancière célèbre avec la poésie du mot juste comme Nougaro savait chanter Toulouse. Journaliste de formation, Michèle Pedinielli a exercé le métier durant une quinzaine d'années à Paris avant de retourner à Nice, sa ville natale, afin de se consacrer à l'écriture. Récipiendaire en 2015 du troisième prix du concours de nouvelles Thierry Jonquet, l'une des récompenses du festival Toulouse Polar du Sud, Michèle Pedinielli publie en 2018 Boccanera pour les éditions de l'Aube, collection Aube Noire, premier opus d'une série comptant désormais trois romans engagés qui mettent en exergue les turpitudes des puissants à l'égard des personnes défavorisées ou discriminées quand ce ne sont pas tout simplement les deux. Quinquagénaire à la forte personnalité, mélange savant d'origines corses et italiennes, toute vêtue de noire, Ghjulia Boccanera emprunte beaucoup de traits de caractère à la romancière en évoluant dans le dédale des ruelles du vieux Nice, recelant toute une mosaïque de personnages à la fois attachants et hauts en couleur et qu'elle dépeint avec une affection assaisonnée d'une pointe d'humour corsé comme le café noir que son héroïne ingurgite à longueur de journée afin d'entretenir ses insomnies.

     

    Ghjulia Boccanera tout le monde la surnomme Diou dans le vieux Nice où elle vit en travaillant comme détective privée. Un métier qui convient parfaitement à cette cinquantenaire insomniaque, indépendante et forte en gueule qui a décidé de ne pas avoir d'enfant par conviction. C'est Dan, son colocataire qui lui fournit parfois des clients, comme Dorian Lasalle qui veut que l'on fasse la lumière sur la mort de son compagnon Mauro Giannini, que l'on a retrouvé étranglé dans son appartement. Pour la police, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un jeu érotique qui a mal tourné. Affaire classée, circulez, il n'y a rien à voir. Mais Dorian est persuadé que son compagnon ne l'aurait jamais trompé et qu'il ne se serait jamais adonné à de telles pratiques. Désormais mandatée par le jeune homme, Diou va tenter d'éclaircir les circonstances de ce crime qui prend une toute autre tournure, lorsqu'elle apprend le décès de son commanditaire qui a également été étranglé après avoir été torturé. Sillonnant une ville en chantier, la détective privée, chaussée de ses Doc Martens, va donner un grand coup de pieds dans la fourmilière pour bousculer l'ordre établi afin de résoudre ces deux meurtres. Ce d'autant plus que le tueur a décidé de s'en prendre à elle.

     

    Sans jamais rien céder au cliché bon marché ou au folklore de pacotille, Michèle Pedinielli restitue l'atmosphère pittoresque de cette belle ville de Nice autour du microcosme composant l'entourage de Ghjiulia "Diou" Boccanera, cette détective mémorable et captivante qui balance son ironie saignante comme Philip Marlowe enquillait les verres de Four Roses. On retrouve d'ailleurs chez Diou cette indépendance et cette décontraction qui caractérisait la personnalité du célèbre détective de Raymond Chandler. Mais loin d'être solitaire, on apprécie la belle déclinaison de personnages qui gravitent autour de cette enquêtrice à l'instar de son colocataire Dan, qui semble tout connaître de l'activité nocturne de la cité, de son ex compagnon Joseph "Jo" Santucci, flic de son état, auquel elle est toujours attachée, de Monsieur Amédée Bertolino, son voisin gâteux qui va se révéler d'un grand secours ou de tout le staff qui compose le café Aux Travailleurs où Diou a ses habitudes. Au niveau de l'enquête on part sur un schéma à la fois classique et solide autour d'une succession de meurtres et autres tentatives qui conduisent notre détective à investiguer auprès des entreprises de construction qui s'attellent à la mise en oeuvre du tramway, du percement d'un tunnel et de l'effondrement d'un mur de soutènement un soir d'orage. Un prétexte efficace pour mettre à jour les dérives dans ce milieu et dont on prend la pleine mesure par l'entremise de Shérif, un syndicaliste bedonnant mais perspicace qui va servir de guide pour notre détective privée. Une partie tellement réaliste que l'on se demande si Michèle Pedinielli ne s'est pas inspirée de faits réels qui auraient défrayé la chronique. On trouve d'ailleurs un article évoquant un effondrement du tunnel qui s'est produit au mois de juillet 2017. Quoi qu'il en soit on ne peut qu'apprécier ce polar dynamique et efficace qui nous entraine dans les différents quartiers de la ville à la rencontre de tout un panel de protagonistes détonants qui mettent en valeur, au gré d'échanges tonitruants, cette détective privée atypique que l'on se réjouit de retrouver dans Après Les Chiens (Aube noire 2019) et La Patience de L'Immortelle (Aube noire 2021), qui font suite ce premier opus très réussi.  

     

     

    Michèle Pedinielli : Boccanera. Editions de l'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Good Fortune de PJ Harvey. Album : Storie from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.