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  • BENJAMIN DIERSTEIN : LA COUR DES MIRAGES. L'IDOLE DES JEUNES.

    Capture d’écran 2022-08-04 à 14.34.02.pngDébutant en mars 2011 avec La Sirène Qui Fume, la trilogie de la PJ Parisienne de Benjamin Dierstein s'inscrit donc dans un contexte historique où l'on observe la lutte acharnée pour le pouvoir entre une droite fragilisée par les affaires et une gauche en quête du graal présidentiel, avant de se poursuivre en octobre 2011 avec La Défaite Des Idoles pour s'achever en avril 2013 avec La Cour Des Mirages qui clôture cette série dantesque. Entre une violence exacerbée s'implémentant parfaitement dans la reconstitution minutieuse d'une actualité au service du récit, on découvrira au travers de cette institution policière, une série aux accents politiques chargée d'énergie qui prend l'allure d'un hard-boiled historique mettant en scène trois policiers explosifs et jusqu'au-boutistes que sont le capitaine Gabriel Prigent miné par la disparition de sa fille, le lieutenant Christian Kertesz amoureux fou d'une call-girl déjantée et la capitaine Laurence Verhaegen rongée par l'ambition. Outre l'aspect politique, on observait avec La Sirène Qui Fume, les aspects peu reluisants de la prostitution "haut de gamme" employant des jeunes filles mineures au travers de la dualité entre Prigent et Kertesz, tandis que l'on abordait avec La Défaites Des Idoles la thématique des financements de partis politiques alimentés notamment par le truchement du pouvoir libyen en pleine déliquescence, ceci par le prisme de l'affrontement entre Kertesz et Verhagen. Pour clôturer cette trilogie, La Cour Des Mirages nous donne l'occasion de nous plonger dans l'univers sordide des réseaux pédophiles par l'entremise d'une enquête conjointe entre Verhaegen et Prigent qui n'a toujours pas renoncé à savoir ce qu'il est advenu de sa fille disparue.

     

    Juin 2012, François Hollande est au pouvoir et la droite déchante, tandis que les purges s'enchainent au sein du ministère de l'Intérieur, à commencer par la commandante Laurence Verhaegen qui doit quitter la DCRI. Mutée à la brigade criminelle du 36, elle retrouve le capitaine Gabriel Prigent qui a réintégré le service après un internement d'une année en HP. Deux flics déchus et brisés qui vont hériter d'une enquête sensible où un ancien haut cadre politique a assassiné sa femme et son fils avant de se suicider. Mais bien vite les investigations vont les conduire dans les méandres de réseaux puissants évoluant dans le milieu de la pédophilie et de la prostitution de luxe tout en combinant des montages financiers occultes afin de favoriser l'évasion fiscale. Taraudés par leurs obsessions respectives, Verhaegen et Prigent vont s'enfoncer dans les arcanes d'une organisation criminelle sordide bien implantée dans les hautes sphères du monde politique qui a tout intérêt à ce que leur enquête n'aboutisse pas. Un plongée en enfer, sans retour, dans un univers impitoyable de barbarie.

     

    La Cour Des Mirages désigne ces bacchanales infernales des années 70 où adultes, hommes et femmes, se côtoient en abusant d'enfants enlevés pour l'occasion, ceci sous l'égide d'un inquiétant maître des lieux déclamant quelques textes philosophiques, d'où son surnom Le Philosophe. L'un des enjeux du livre consiste donc à découvrir l'identité de cet individu captieux et des complices qui l'accompagnent pour alimenter les geôles de son domaine avec de très jeunes enfants. L'autre enjeu de l'ouvrage se focalise sur la fille de Gabriel Prigent dont on suit les détails de son enlèvement en guise d'introduction tout en se demandant si son père va enfin découvrir, six ans plus tard, ce qu'il lui est advenu. Marqué par l'affaire de La Sirène Qui Fume on retrouve donc un flic obèse, plus ou moins brisé qui carbure aux antidépresseurs mais qui retrouve un regain de vigueur avec une enquête qui le conduit sur les traces d'un réseau pédophile pouvant avoir un lien avec l'enlèvement de son enfant. Pour cadrer ce flic borderline, la capitaine Laurence Verhaegen va l'accompagner dans cette quête dantesque tout en rendant compte aux nouvelles officines en place de l'avancée des investigations. Mais déchue de son grade de commandante, isolée de par ses accointances avec les anciens hauts fonctionnaires sarkozystes, cette policière va s'impliquer dans les méandres d'une enquête éprouvante qui va remettre en question toutes ses certitudes. Dans cet ouvrage à la fois brillant et explosif, Benjamin Dierstein passe donc en revue tous les aspects de la pédophilie en mettant en scène victimes et prédateurs qui se côtoient dans ces rapports biaisés, abjects qui deviennent parfois insoutenables au gré d'une écriture sèche, dépourvue d'effets de style qui ne font que renforcer la sauvagerie de scènes éprouvantes. Pour autant, il n'y a pas d'excès dans cette intrigue maîtrisée qui se rapporte toujours à la rigueur de l'actualité de l'époque en évoquant notamment les aléas de l'affaire Matzneff ou la mise en lumière des écrits de Daniel Cohn-Bendit afin de mettre en perspective les contours de cette enquête terrifiante de réalisme qui s'achèvera d'une manière abrupte afin de clouer le lecteur sur place en ne lui laissant aucune bride d'espoir quant au devenir des protagonistes et à l'avenir de ces réseaux pédophiles qui semblent toujours renaître de leurs cendres. Un roman époustouflant qui clôture magistralement cette trilogie dantesque.

     

    Benjamin Dierstein : La Cour Des Mirages. Editions Equinox/Les Arènes 2022.

    A lire en écoutant : No White Clouds de Strange Fruit. Album : BOF de Strange Days. Epic Soundtrax 1995.

  • La Sirène Qui Fume. Impair et manque.

    Capture.PNGJe dois bien avouer que n'appréciant que très modérément le contenu de la revue Sang-froid, je suis passé complètement à côté de l'œuvre de Benjamin Dierstein, dont les débuts coïncident avec la survenue en 2018 du prix Sang-froid, récompensant un romancier jamais encore publié, avec un jury qui porta son choix sur La Sirène Qui Fume, premier récit de l'auteur. Il faut donc rendre un hommage appuyé à la rédaction ainsi qu'à l'ensemble du jury qui ont mis ainsi en lumière l'une des grandes voix dissonantes de la littérature noire francophone avec un roman policier qui s'inscrit désormais dans une trilogie comprenant La Défaite Des Idoles (Points policier 2019) et La Cour Des Mirages (Les Arènes/Equinox 2022), dernier opus qui fait l'actualité et que j'aurais tout d'abord pu évoquer pour être en phase avec cette sacro-sainte temporalité, ce d'autant plus que les éditeurs et chroniqueurs vous expliqueront qu'il est tout à fait possible de lire ces trois ouvrages de manière individuelle, voire même de les aborder dans un ordre aléatoire. Effectuer une telle démarche, serait une grave erreur qui vous priverait d'une certaine dimension dramatique habitant les personnages qui traversent les trois récits. En entamant La Sirène Qui Fume, le lecteur doit tout d'abord se préparer au choc d'une écriture énergique et déjantée qui rappelle celles de James Ellroy ou de David Peace, même si Benjamin Dierstein s'affranchit avec succès de ces modèles qu'il évoque d'ailleurs lorsqu'il fait référence à ses sources d'inspiration.

     

    Le capitaine Gabriel Prigent est un flic qui traine une sacrée réputation après avoir dénoncé à Rennes un de ses partenaires corrompus. Fraichement muté au 36 quai des Orfèvres, il intègre un groupe de la Brigade criminelle avec des collègues qui l'observent avec une certaine méfiance. Mais pour le lieutenant Christian Kertesz de la BRP, c'est avec défiance qu'il considère ce nouveau venu lui qui est compromis dans un business juteux avec la mafia corse. Entre les tourments de l'un et les obsessions de l'autre, les deux hommes vont pourtant se retrouver à la croisée des chemins autour d'une enquêtes se focalisant sur une série de meurtres de prostituées mineures dont les corps sauvagement mutilés ont la particularité de porter un tatouage représentant une sirène qui fume. Mais mettre à jour un réseau de prostitution pédocriminel comporte certains risques, ceci d'autant plus lorsqu'il implique des fonctionnaires et des politiciens de haut rang. 

     

    La Sirène Qui Fume s'articule autour de l'alternance de deux enquêtes que mènent en parallèle le capitaine Gabriel Prigent dont l'intrigue se décline à la première personne tandis que celle du lieutenant Christian Kerstesz emprunte la voix narrative de la deuxième personne ce qui apporte un certain dynamisme à l'ensemble d'un récit tonitruant ponctué de coups d'éclat spectaculaires qui vous empêchent de reprendre votre souffle. Benjamin Dierstein ne ménage pas le lecteur, bien au contraire, on assiste ainsi aux excès de deux flics que tout oppose, hormis cette folie sous-jacente, émanant de leur passé respectif, qui va les submerger. Mais au-delà le l'outrance qui anime les deux personnages centraux du récit, Benjamin Dierstein corsète son roman dans une rigueur à toute épreuve que l'on retrouve tout d'abord dans le réalisme de l'appareil policier prenant parfois quelques tournures politiques notamment lors de la confrontation entre Gabriel Prigent, représentant syndical de gauche et sa collègue Laurence Verhaegen qui se situe sur la droite de l'échiquier. Cette rigueur, on la retrouve également dans le contexte social de cette année 2011 que Benjamin Dierstein décline par le biais de ces courtes dépêches qui ponctuent l'ensemble du roman en nous permettant de nous remémorer l'ascension et la chute de DSK, l'affaire du Carlton de Lille, la chute du président Gbagbo en Côte d'Ivoire ou l'achat du PSG par une filiale du fond souverain du Qatar pour n'en citer que quelques unes. Loin d'être anodines, ces dépêches, outre le fait de contextualiser l'époque, donnent une tout autre dimension à l'enquête que mêne les deux policiers autour d'un réseau criminel de prostitution de filles mineures, ainsi que tout ce qui a trait à la pègre corse et à son implantation au coeur la capitale et plus particulièrement au célèbre cercle de jeu Wagram faisant l'objet d'une descente des forces de police qui va entrainer sa fermeture définitive en bousculant tous les protagonistes d'une intrigue brutale. 

     

    Avec La Sirène Qui Fume, on oscille donc entre une réalité trouble et une fiction tourmentée que Benjamin Dierstein assemble avec une habilité et une intensité peu communes au cours d'un roman dense dont le final, imprégné d'une violence dantesque, vous achèvera aussi sèchement que l'impact d'une cartouche de 44 magnum.

     

    Benjamin Dierstein : La Sirène Qui Fume. Editions Nouveau Monde 2018. Editions Points Policier 2019.

    A lire en écoutant : Faze Wave de The Cave Singers. Album : No Witch. 2011 Jagjaguwar.