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03. Roman policier - Page 12

  • Benoît Séverac : Le Chien Arabe. Terrain miné.

    le chien arabe, Benoît Séverac, la manufacture de livres, toulouse, les izardsRésolument ancrée dans le monde criminel de la France contemporaine, la Manufacture de Livres présente la particularité d’aborder des thèmes dérangeants que bien peu d’autres maisons d’édition osent évoquer à l’instar du radicalisme islamiste qui prend parfois racine au cœur des cités de l’Hexagone. Ecrit après le sinistre parcours de Mohamed Merah et avant les tragédies qui ont secoué les villes de Paris et de Bruxelles, Le Chien Arabe de Benoît Séverac nous propose d’explorer les bas-fonds troubles d’une cité de la banlieue nord de Toulouse déchirée entre une économie souterraine de trafiquants et un réseau d’islamistes hostiles.

     

    Les Izards à Toulouse, cité sensible et plaque tournante du trafic de stupéfiants pour la région du sud-ouest. Tous les moyens sont bons pour faire transiter la marchandise. Désormais ce sont les chiens qui deviennent les mules discrètes des trafiquants de drogue. Enfermé dans une cave obscure, Samia choisi d’extirper l’un d’entre eux des griffes de son frère afin de le faire soigner. La jeune fille confie l’animal à Sergine Ollard, vétérinaire atypique, qui va se retrouver au cœur d’un règlement de compte entre des dealers sans scrupules et une cohorte d’islamistes qui semblent prêts à en découdre. Intrigues et complots visant à faire trébucher l’adversaire, c’est dans un contexte explosif que Sergine Ollard va tenter de dénouer les ramifications entre des criminels endurcis et des terroristes déterminés. En arbitre, quelque peu dépassée, l’adjudant-chef Nathalie Decrest aura bien du mal à contenir cette vague hostile qui va déferler sur le quartier.

     

    Ce qui surprend tout d’abord avec Le Chien Arabe c’est cette tonalité naturaliste qui imprègne ce roman noir prenant pour cadre une cité sensible de la banlieue de Toulouse. On sort ainsi de ces stéréotypes sensationnalistes dépeignant régulièrement les cités que l’on découvre dans de nombreuses intrigues manquant singulièrement de réalisme et préférant s’orienter vers une vision caricaturale à la « Banlieue 13 ». On perçoit notamment, au travers du récit, que l’auteur connaît parfaitement bien les lieux dans lesquels il met en scène ses personnages, en nous permettant ainsi de nous immerger dans le quotidien d’une ville que l’on arpente dans tous les sens, sans pour autant tomber dans la vacuité du fascicule touristique ne servant qu’à dépayser le lecteur d’une manière parfois bien trop superficielle. Outre l’aspect géographique, Benoît Séverac parvient à dresser une espèce de portrait sociologique en confrontant le quotidien du citoyen « ordinaire » avec cette économie souterraine qui ronge le cœur des cités.

     

    L’amorce de l’intrigue est à la fois simple et originale, permettant ainsi de mettre en scène Sergine Ollard, une vétérinaire plutôt singulière, qui va, parfois de manière très maladroite, tenter de venir en aide à cette jeune adolescente confrontée aux affres des traditions familiales et aux frasques de son frère aîné, impliqué dans un trafic de drogue d’une certaine ampleur. Elle incarne ce quotidien banal, presque ennuyeux, avant de se retrouver soudainement bousculée par l’imprévisibilité des événements. L’autre personnage fort du roman, c’est bien évidemment cette policière en uniforme, l’adjudante Nathalie Decrest, régulièrement tiraillée entre les injonctions paradoxales des différents services de police dépassés qui ne parviennent pas à prendre la pleine mesure de la fracture sociale secouant la cité.

     

    Emprunt de doutes mais définitivement aveuglé par les certitudes de son frère qu’il admire et par les prêches de l’imam qui le guide, Hamid Homane est un jeune homme à la fois poignant et terrifiant qui nous entraîne dans ce déferlement de violence qui va bouleverser toute la cité dans une scène finale absolument dantesque. On y décèle d’ailleurs quelques similitudes avec la confrontation entre Mohamed Merah et les forces de police lors de l’assaut final.

     

    Dénué de jugement, de sensationnalisme et de toute velléité hostile à l’encontre d’une communauté, Benoît Séverac expose, avec une grande justesse et beaucoup de subtilité, les problèmes d’une société contemporaine qui doit faire face aux grands défis du vivre ensemble dans un monde globalisé et multiculturel et ceci particulièrement dans un univers précarisé. Le Chien Arabe nous présente donc les conséquences tragiques de ces espaces urbains relégués au second plan et bien trop souvent stigmatisés d’où jaillissent des explosions de violence aux conséquences de plus en plus dramatiques.

     

    Epoustouflant, intelligent, Le Chien Arabe est un brillant roman noir, résolument ancré dans les problèmes sociaux de notre époque. Une réflexion romancée sur les sujets graves et sensibles d’aujourd’hui pour tenter de les comprendre, c’est peut-être en cela que la collection La Manufacture de Livres se distingue des autres maisons d’éditions consacrées aux polars.

     

    Benoît Séverac : Le Chien Arabe. La Manufacture de Livres 2016.

    A lire en écoutant : Au Quartier de IAM. Album : Saison 5. Polydor 2007.

  • Craig Johnson : Tous les Démons Sont Ici. Au plus haut de cieux.

    Capture d’écran 2016-02-19 à 17.56.18.pngRecommandés pourtant chaleureusement, je n’ai jamais été particulièrement séduit par les romans de Craig Johnson mettant en scène les aventures du shérif Walt Longmire dans le comté fictif d’Absaroka au Wyoming. S’il s’agit de la série emblématique de Gallmeister, elle est pourtant loin d’être représentative du catalogue de cette maison d’éditions, car au delà du fait qu’elle se situe dans les contrées sauvages des USA, l’aspect « nature writing » est quelque peu galvaudé sur fond d’intrigues assez convenues. Mettant en scène la communauté amérindienne, l’auteur effleure le sujet d’une manière superficielle qui ne supporte pas la comparaison avec l’œuvre de Tony Hillerman. Comparaison n’est pas raison répliqueront les nombreux fans du désormais fameux shérif du Wyoming que l’on retrouve dans une série télé qui ne fait que me conforter dans mon appréciation.

     

    Néanmoins on ne peut passer à côté des piles d’ouvrages de Craig Johnson sans jeter un œil curieux et le résumé figurant sur le quatrième de couverture de Tous les Démons Sont Ici a de quoi attirer le lecteur.

     

    Ce n’est pas une sinécure pour le shérif Walt Longmire d’escorter des prisonniers au beau milieu des Bighorn Mountains, d’autant plus que parmi les détenus figure Raynaud Shade, un indien Crow considéré comme l’un des plus dangereux psychopathes des USA. Tueur d’enfants, il avoue avoir enterré l’un d’entre eux dans la région, plus précisément dans le comté d’Absaroka. Il revient donc au shérif Walt Longmire d’accompagner ce meurtrier dans une région balayée par un blizzard hostile. Mais le policier sous-estime le pouvoir de nuisance de son odieux prisonnier et l’expédition tourne mal. Au cœur des éléments déchaînés, Walt Longmire va devoir faire face à la mort et à la folie. Un périple insensé ; toujours plus haut, toujours plus loin, dans cet enfer glacé avec La Divine Comédie de Dante pour unique soutien.

     

    Tous Les Démons Sont Ici répond au titre original de l’ouvrage The Hell Is Empty pour former la tirade complète figurant dans La Tempête de Shakespeare où Ariel rapporte à Prospero les péripéties de la terrible tempête que son maître lui a commandée. Petit intermède culturel qui entre dans le cadre du roman avec l’adjoint Saizarbitoria qui tente de combler ses lacunes littéraires avec un pile d’ouvrages, dont la Divine Comédie de Dante, recommandés par les personnages récurrents de la série. Ces derniers restent d’ailleurs en marge d’un récit plutôt sombre et prenant où Walt Longmire est désormais livré à lui-même dans un décor grandiose que l’auteur parvient à mettre en valeur avec une belle maîtrise. L’hostilité de la tempête dans laquelle évolue les acteurs du roman devient à elle seule un personnage démoniaque animé d’intentions furieuses qui ne sont pas sans rappeler les éléments tumultueux de La Tempête de l’illustre dramaturge anglais.

     

    Avec Tous Les Démons Sont Ici, Craig Johnson met en scène une traque saisissante où la proie devient le prédateur avec Raynaud Shade en quête d’une rédemption meurtrière pour apaiser les voix qui hantent son esprit. Un personnage tout à la fois inquiétant et charismatique qui hante les pages de ce roman saisissant avec une alternance d’instants quasiment oniriques et d’actions percutantes à l’instar de cette tempête de feu dantesque (le mot est faible) à laquelle le shérif légendaire doit faire face. Toujours effleurée la culture amérindienne devient un prétexte permettant de mettre en scène des légendes mystérieuses avec des esprits et des fantômes que seuls le tueur psychopathe et le policier sont à même de percevoir, créant ainsi un lien tenu entre ces deux antagonistes perdus au cœur d’un territoire aussi hostile qu’étrange.

     

    Septième roman narrant les aventures du sheriff Walt Longmire, Tous Les Démons Sont Ici met en veilleuse les intrigues parallèles formant une espèce d’arche qui alimente toute la série. Cette orientation salutaire permettra au lecteur d’appréhender le récit sans avoir la nécessité de lire les ouvrages précédents en découvrant un thriller sauvage et flamboyant. Me voilà réconcilié avec Craig Johnson.

     

    Craig Johnson : Tous Les Démons Sont Ici (Hell Is Empty). Editions Gallmeister/Collection Noire 2015. Traduit de l’anglais USA par Sophie Aslanides.

    A lire en écoutant : To Bring You My Love de PJ Harvey. Album : To Bring You My Love. Universal-Island Records Ltd 1995.

  • JOHN GREGORY DUNNE : TRUE CONFESSIONS. AVANT ELLROY.

    Capture d’écran 2015-12-13 à 22.28.02.pngJe ne me souviens plus de l’âge que j’avais lorsque j’ai découvert Sanglantes Confessions, traduction quelque peu hasardeuse du titre True Confessions de John Gregory Dunne. J’avais dégotté le roman dans une librairie consacrée au 9ème art car l’ouvrage était publié dans la mythique maison d’édition Speed 17, affiliée aux Humanoïdes Associés. La collection dirigée par Philippe Manœuvre mettait en lumière les traductions de Philippe Garnier, grand passeur de la littérature underground américaine. C’est donc bien avant la publication du célèbre roman de James Ellroy, que j’ai eu le plaisir de lire la version romancée de John Gregory Dunn faisant allusion à la célèbre affaire du Dahlia Noir en mettant déjà à mal, dans un langage cinglant, tous les clichés de la ville de Los Angeles durant la période flamboyante qui suivait la fin de la seconde guerre mondiale. Bien trop longtemps indisponible, c’est désormais par l’entremise de Seuil/Policiers que True Confessions revient à nouveau sur le devant de la scène avec une nouvelle traduction de Patrice Carrer et une préface de George Pelecanos qui tente maladroitement de rendre justice à ce roman culte. Car plus que n’importe quel auteur, cette préface aurait pu être rédigée par James Ellroy afin qu'il rende hommage à l’œuvre de John Gregory Dunne quitte à reléguer son orgueil légendaire au second plan.

     

    Le badge ou le goupillon, c’est avec ce choix limité que les frères Spellacy scellent leurs destinées. Tom Spellacy après avoir été écarté des Mœurs suite à des soupçons de corruption se retrouve muté à la brigade des Crimes Majeurs. Il enquête sur le meurtre de Lois Farenza, que l’on a découvert dans un terrain vague, le corps coupé en deux. La jeune femme semblait en cheville avec Jack Amsterdam ancien macro notoire en quête de rédemption qui œuvre désormais dans le milieu de l’immobilier de l’archidiocèse dirigé par Desmond Spellacy qui brigue la place de cardinal. Manigances policières s’entremêlant aux manœuvres religieuses, les frères Spellacy évoluent dans un monde retors où toutes les ambitions font l’objet d’un prix à payer parfois bien trop élevé.

     

    Avec True Confessions, John Gregory Dunn s’attache à dépeindre avec un brin de nostalgie une cité de Los Angeles sans fard où le climat de corruption presque institutionnalisée gangrène tous les services de police, tandis que les flics ouvertement racistes s’attachent plus à l’évolution de leur carrière qu’à la résolution des affaires. Malgré un portrait peu flatteur de la cité, on sent tout au long du récit, la fascination que l’auteur porte pour cette ville complexe et mythique où il a séjourné de nombreuses années.

     

    Les portraits des différents personnages sont extrêmement caustiques et parfois féroces. Il n’y a pas de preux chevaliers ou de nobles personnages à l’exception peut-être de ce jeune flic noir en uniforme, Lorenzo Jones qui deviendra maire de Los Angeles dans le milieu des années 70, rendant ainsi hommage à Tom Bradley, premier maire noir de la cité des anges. Pivot de l’ouvrage le jeune policier consciencieux est celui qui rédigera les premiers constats relatant la découverte du cadavre mutilé de Lois Farenza.

     

    Avec son personnage principal, John Gregory Dunne s’ingénie à flinguer d’emblée le mythe de la famille américaine idéale. Tom Spellacy est marié à une femme internée à Camarillo qui parle à des saints dont elle seule connaît les noms. Père d’une fille obèse entrée au couvent et d’un fils volage qui évolue dans le business des fournitures religieuses, Tom vit désormais avec sa maîtresse Corinne, une femme émancipée qui semble être une affaire au lit. Du côté professionnel, l’homme est en disgrâce après avoir été impliqué dans une affaire de corruption au sein de la brigade des Mœurs alors qu’il faisait office d’homme de liaison avec Brenda, maquerelle notoire à la solde du caïd de la pègre, Jack Amsterdam. Flic corrompu, Tom assiste à l’ascension de son frère Desmond, prêtre bien en vue au sein de la communauté catholique qui évolue dans le milieu de l’immobilier et de la finance en tentant de tracer sa voie pour devenir le digne successeur du cardinal Danaher. Dépourvu d’une foi profonde, Desmond s’ingénie sans succès à trouver un sens dans sa carrière de prélat.

     

    Le texte repose sur des dialogues vifs et acérés qui mettent en exergue le fiel et l’aigreur d’un monde cruel où la corruption et la compromission semblent être le moteur des relations entre les différentes arcanes qui gravitent autour de la cité. John Gregory Dunne dresse ainsi l’envers du décor d’une Cité des Anges déchues de toutes ses illusions.

     

    Plus simpliste, notamment aux niveaux de l’enquête et des différents mécanismes décrivant les processus de corruption, True Confessions bénéficie d’une émotion bien plus intense que l’œuvre d’Ellroy à l’instar de cette conversation entre Brenda et Tom Spellacy qui se déroule à Echo Park. C’est d’ailleurs par le biais de cette scène que le policier scellera le destin de son frère Desmond. Des instants poignants qui font de True Confessions, une espèce de préquel au célèbre quatuor de Los Angeles dont le Dog rédigera 11 ans plus tard le premier tome intitulé Le Dahlia Noir.

     

    Fleuron du roman noir, True Confessions fait partie de ces ouvrages emblématiques qui ont émancipé le genre policier de la caste secondaire dans laquelle il a été bien trop souvent relégué et qu’il vous faut impérativement découvrir toutes affaires cessantes.

     

    En prime, cet extrait d’une interview d’Ellroy pour The Paris Review, rendant tout de même «hommage » au roman de John Gregory Dunne.

     

     INTERVIEWER

    Why did it take so long for you to turn to the Black Dahlia case in your writing? It’s your seventh novel, after all.

    ELLROY

    Because I thought for a long time that the success of John Gregory Dunne’s novel about the Black Dahlia, True Confessions, would preclude a successful publication. That’s a wonderful novel, but it doesn’t truly adhere to the facts of the Black Dahlia murder case. Mr. Dunne calls the Black Dahlia “the Virgin Tramp.” Elizabeth Short becomes “Lois Fazenda.” When I took on the murder for my novel, ten years later, I adhered to the facts of the case more than Mr. Dunne did. His book is phantasmagoria. My book is a much more literal rendering of the truth.

    INTERVIEWER

    How did that book change your career?

    ELLROY

    It liberated me. It was a best seller, I was earning a living as a writer for the first time, and I was exponentially more committed to creative maturity. I’m the most serious guy on earth, but I can bullshit with the best of them, and I play to my audience. There’s a concept in boxing that you fight to the level of your competition. You’re in with a big guy, you bring the fight. You’re in with a bum, you do just enough to win. But if you get lazy, then you put yourself at risk. I’ve always come to fight, from the very first page.

     

    John Gregory Dunne : True Confessions. Editions Seuil/Policier 2015. Traduit de l’anglais (Etat-Unis) par Patrice Carrer.

    A lire en écoutant : Bach The Goldberg Variation Glenn Gould. BMW 988 (1981 recording). 1982 Sony Music Entertainment.

  • David Thomas : Ostland. Dans la perpective de l'abîme.

    Capture d’écran 2015-11-15 à 23.01.31.pngDépeints comme des monstres presque surnaturels, les auteurs s’attachent bien souvent aux portraits originaux de sérials killers qu’ils façonnent et dont les destins troubles et parfois outranciers fascinent le lecteur, ceci au détriment de l’éternel enquêteur ou profileur en quête de rédemption, devant, au prix d’une souffrance parfois insurmontable, se mettre dans la peau de l’odieux suspect qu’il traque sans relâche. Ostland de David Thomas se démarque de ces récits formatés puisqu’il dresse l’étrange parcours de Georg Heuser, un inspecteur de police affecté au sein d’une unité traquant un sérial killer sévissant à Berlin pour devenir ensuite un officier de la SS chargé de l’élimination des déportés juifs dans le ghetto de Minsk.

     

    Le 23 juillet 1959, la police interpelle Georg Heuser alias Le Limier, honorable citoyen de la République Fédéral d’Allemagne et accessoirement chef de la police criminelle. Mais pourquoi en voudrait-on à cet honorable citoyen qui a notamment traqué en 1941, le mystérieux tueur sévissant sur la ligne du S-Bahn à Berlin ? Sous les ordres d’Heydrich, le policier n’a fait que son devoir en interpellant un fou furieux qui terrorisait la ville. Devenu officier au sein de la SS, n’en a-t-il pas fait de même en administrant le ghetto de Minsk et en se chargeant de l’élimination des déportés juifs ? Le parcours d’un policier héroïque, devenu criminel de guerre.

     

    Même s’il prend parfois la  forme d’un thriller, Ostland se détache singulièrement de la kyrielle d’ouvrages consacrés aux sérials killers puisqu’il se base sur des faits réels. En effet, l’auteur a choisi de romancer le parcours atypique de cet inspecteur de police traquant un sérial killer puis devenant lui-même un tueur sanguinaire à la solde du nazisme. La partie la plus romancée est celle qui s’intéresse aux divers éléments que les enquêteurs recueillent dans le cadre du procès pour crime de guerre à l’encontre de Georg Heuser. On y découvre Paula Siebert, jeune femme juriste à une époque où l’on peine à accepter la gent féminine à de tels postes et son mentor, Max Kraus, ancien soldat de l’Afrika Korps, dirige l’enquête. Ce sont les personnages fictifs de ce roman qui mettent en perspective toute la monstruosité de ces citoyens ordinaires revenus à la vie civile qui paraissent avoir oublié tous les actes odieux qu’ils ont commis durant la guerre.

     

    A mesure que l’on progresse dans les différentes phases de préparation au procès, nous découvrons le parcours de Georg Heuser. Il y a tout d’abord l’enquête classique où l’on nous présente une équipe de la police criminelle traquant un tueur sévissant dans la ville de Berlin. Georg Heuser est un policier novice qui fait ses armes auprès d’un commissaire de police expérimenté qui lui apprend l’obéissance mais également la loyauté envers ses collègues. Impliqué, le jeune policier va tout faire pour appréhender ce criminel, ceci sous la férule du sinistre général Heydrich qui dirigeait alors la Gestapo mais également la Kriminalpolizei. On y décèle déjà cette ambivalence où un officier programmant la solution finale se souciait des actes odieux d’un tueur en série.  David Thomas dresse le portrait sombre d’une ville Berlin qui n’a pas encore plongé dans le chaos. Les cabarets y sont encore présents et l’on parvient encore à faire la fête dans une atmosphère pesante alors qu’un criminel court dans les rues glacées de la ville. L’ombre de Peter Kurten, surnommé le vampire de Düsseldorf, qui inspira Fritz Lang plane sur cette partie du récit.

     

    Promu au sein de la SS, Georg Heuser est désormais affecté à Minsk où il doit prendre en charge des convois de déportés juifs qui sont méthodiquement exécuté par ses soins. Dans un contexte de devoir et d’obéissance, l’officier devient ainsi le monstre qu’il a traqué quelques mois auparavant sans qu’il n’en prenne vraiment conscience à l’instar de la confrontation qu’il a avec une jeune juive dont il tombe amoureux et qu’il tente de sauver. Il peine à comprendre que la jeune femme puisse le rejeter, lui son sauveur. Un déni qui persistera au-delà de ces années de guerre. Néanmoins il y a l’alcool pour oublier et quelques conversations sur le sens de ces massacres qui n’excusent pas les actes auxquels il adhère de manière particulièrement zélée. C’est donc une succession de descriptions poignantes, parfois difficilement soutenables que l’auteur aborde sans complaisance. On y perçoit l’influence de l’entourage direct qui accepte l’inacceptable sous le prétexte de la guerre en s’acclimatant à l’horreur quotidienne. On y distingue également l’odieux sens du devoir que son ancien mentor l’enjoint à accomplir sans aucune distinction entre le bien et le mal. Tout cela n’excuse évidemment pas Georg Heuser, mais au-delà de ces notions de mal et de bien, l’ouvrage pose, de manière sous-jacente, la question ultime qui est de savoir ce que l’on aurait fait à la place de cet officier SS dans de telles circonstances.

     

    Héro devenu bourreau, Ostland de David Thomas pose donc les différents contextes qui font d’un homme un tueur en série ou un officier zélé et sérieux. Intriguant, édifiant et effrayant.

     

    David Thomas : Ostland. Editions Presse de la Cité/Sang D’encre 2015. Traduit de l’anglais par Brigitte Hébert.

    A lire en écoutant : Mahler : Piano Quartet n° 1 in G Minor. Op 25, Allegro. The Villiers Piano Quartet. Etcetera 1989.

  • JOEL DICKER : LE LIVRE DES BALTIMORE. LE ROMAN QUI FAIT PSCHITT.

    Capture d’écran 2015-10-28 à 05.00.39.pngDepuis plusieurs semaines nous avons droit à la ligne marketing type succès-story pour le lancement du dernier ouvrage de Joël Dicker, Le Livre des Baltimores. Il est beau, il a vendu des millions d’exemplaires de son précédent roman, La Vérité sur L’affaire Harry Quebert, son nouveau livre est tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et en terme de succès il est en passe de détrôner la saga Harry Potter. Finalement cette dernière assertion est assez symptomatique en ce qui concerne le contenu car après lecture on peut aisément classer Le Livre des Baltimores dans la catégorie des romans destinés aux adolescents en le comparant à un honnête Club de Cinq en Amérique.

     

    Quatre ans après l’affaire Harry Quebert, on retrouve Marcus Goldman en Floride où il séjourne afin de s’atteler à son prochain roman. Il y rencontre, par hasard, Alexandra Neville, un amour de jeunesse qu’il abandonna avant qu’elle ne devienne une célèbre chanteuse. Encore éperdu d’amour, Marcus tente de comprendre les circonstances qui l’ont conduit à rejeter cette sublime jeune femme. Plongé dans ses souvenirs d’enfance, il dresse ainsi le portrait de famille des Goldman-de-Baltimore, dont il vouait une admiration sans borne et qui lui a permis de connaître la jeune Alexandra. Lui-même issu de la modeste famille des Goldman-de-Montclair, Marcus repense ainsi à ses cousins, à son oncle Saul qu’il adule, aux vacances extraordinaires à Miami ou dans les Hamptons et entame ainsi un périple dans le passé. Mais au fil de ses réflexions, il met également à jour les terribles circonstances qui ont conduit certains membres de cette famille au cœur d’un Drame terrible. Car derrière ce vernis de bohneur, la famille Goldman-de-Baltimore dissimule les fissures intimes de la rancœur et des ressentiments. 8 ans après le Drame, que va donc découvrir Marcus Goldman derrière le portrait lustré de cette famille.

     

    Avec La Vérité sur L’affaire Harry Quebert, Joël Dicker devenait le chantre du suspense en façonnant un «page-turner» sur un schéma finalement assez simple débutant avec l’assassinat d’une jeune femme, suivi d’une enquête conduisant à la découverte d’un coupable. Il s’agissait donc d’une structure narrative propre au roman policier que l’auteur se défendait pourtant d’avoir écrit de manière consciente.

     

    Le problème avec Le Livre des Baltimore réside dans le fait que Joël Dicker a voulu conserver les recettes du suspense sans que cela n’apporte une quelconque plus-value à l’histoire. Pour se démarquer de son précédent roman, l’auteur a donc élaboré une histoire dramatique en dressant le portrait d’une famille américaine dont la pierre angulaire est ce fameux Drame inscrit en lettre majuscule afin d’en souligner l’importance et qui ne sera dévoilé qu’en toute fin de récit alors que dès le début, tous les protagonistes en connaissent le déroulement. Ce décalage brouille d’ailleurs les motivations qui poussent les personnages à agir d’une certaine manière sans que l’on en comprenne les raisons. Mais qu’à cela ne tienne, Joël Dicker abuse du procédé, jusqu’à la nausée, en nous rappelant tout au long de l’histoire qu’il va y avoir un Drame dont le déroulement s’étalera sur quelques pages à peine. C’est d’autant plus navrant que lorsque le lecteur découvre les prémisses de ce fameux Drame, bon nombre d’entre eux  en devineront les principaux contours, anéantissant ainsi la mécanique de ce soi-disant suspense. Mais qu’importe, Joël Dicker utilisera toutes les grosses ficelles pour distiller ce fameux suspense en brouillant par exemple la chronologie du récit jusqu’à le rendre indigeste, voire même  incompréhensible tant il est dénué de références dans une Amérique qui semblerait dépourvue d’histoire, hormis l’élection de Bill Clinton et l’interpellation musclée de Rodney King. Ce qui fait bien peu pour un roman se déroulant sur plus d’une trentaine d’années. Toujours dans le but de nourrir la tension dramatique, la propension quasiment permanente consistant à interrompre le cours de révélations parfois secondaires, comme de savoir qui va occuper la maison voisine des Goldman dans les Hamptons, s’avère également extrêmement agaçante et nuit à la lisibilité d’un récit qui manque de tenue.

     

    Les personnages sont totalement dépourvus de relief à l’instar de cette description superficielle d’Alexandra Neville, ancien amour de Marcus Goldman qui donne une idée du côté paillette parfois insupportable de ce laborieux roman. « A moins de vivre dans une grotte, vous avez forcément entendu parler d’Alexandra Neville, la chanteuse et musicienne la plus en vue de ces dernières années. Elle était l’idole que la nation avait attendue depuis très longtemps, celle qui avait redressé l’industrie du disque. Ses trois albums s’étaient écoulés à 20 millions d’exemplaires ; elle se trouvait, pour la deuxième année de suite, parmi les personnalités les plus influentes sélectionnées par le magazine Time et sa fortune personnelle était estimée à 150 millions de dollars ». Mais à l’exception d’un poster de Tupac Shakur, on ne connaîtra ni les influences, ni le style de musique qu’interprète cette chanteuse un peu nunuche qui affuble le personnage principal de sobriquets ridicules comme Markikette.

     

    Le plus riche, le plus beau, le plus intelligent, le plus sportif, le plus généreux, la plus belle, la plus grosse voiture, la plus grande maison, les plus belles vacances, outre la vacuité des personnages engoncés dans de tristes sentiments de jalousie, Joël Dicker installe le lecteur dans un conte de fée sirupeux et délirant en nous livrant une succession de cartes postales surréalistes d’un monde idéal qui n’existe nulle part ailleurs que dans son imagination fertile. C’est d’autant plus regrettable que l’auteur survole les moments plus sombres d’une histoire qui vire parfois au grotesque à l’exemple de l’entretien entre un directeur d’école et son élève d’à peine dix ans qui vient de le découvrir dans une situation compromettante et qui met en place un chantage afin de faire inscrire son meilleur ami. Une situation à laquelle on ne croît guère et qui est loin d’être unique.

     

    Doté d’une certaine émotion, parfois maladroite, Le Livre des Baltimore est un roman superficiel et dépourvu de style que le lecteur traversera avec le sentiment permanent et justifié d’avoir été manipulé jusqu’à l’excès. Un ouvrage décevant qui sera probablement vendu à des millions d’exemplaires car tout a été prévu pour qu'il en soit ainsi, marketing oblige. Joël Dicker en connaît bien les règles et les rouages. Champagne !

     

    Joël Dicker : Le Livre des Baltimore. Editions de Fallois / Paris 2015.

    A lire en écoutant : My Least Favorite Life de Lera Lynn. Album : True Detective (Music from the HBO Series). Harvest Records 2015.

  • KRIS NELSCOTT : LA ROUTE DE TOUS LES DANGERS. DE MEMPHIS A FERGUSON.

     

    Capture d’écran 2015-10-21 à 10.47.16.pngLes émeutes qui se sont déroulées à Ferguson et à Saint-Louis dans le Missouri sont le reflet des profonds clivages qui imprègnent ces communautés afro-américaines continuellement stigmatisées. Elles remettent également en question des forces de police dépassées qui doivent impérativement revoir leurs techniques d’intervention afin de faire face aux défis auxquels elles sont confrontées. Il ne s’agit en rien d’une faillite de la police qui demeure l’ultime représentant de l’état pour ces populations ostracisées, mais est-elle en mesure de développer des liens avec les habitants de ces quartiers défavorisés qui n’ont plus guère d’attente vis-à-vis d’un système social qui les rejette. Il importe pourtant que les services de police parviennent à se ressaisir afin de maîtriser la situation pour éviter de céder la place à ces groupuscules armés tels les Oath Keepers qui patrouillent dans les rues de la ville. Pour tenter de comprendre la crise qui secoue le pays, la violence des discriminations, le glissement de membres de la communauté afro-américaine vers la révolte et la violence, les problématiques de drogue et de gang, il est parfois nécessaire de revenir sur ces moments de l’histoire qui ont fait que tout a basculé. Outre les manuels d'histoire, on peut se plonger dans la série des enquêtes du détective Smokey Dalton qui débutent en 1968 avec la mort du pasteur Martin Luther King et qui immerge le lecteur dans les affres des discriminations raciales auxquelles les USA sont, aujourd’hui encore, toujours confrontés.

     

    En 1968, la ville de Memphis est sous tension depuis que les éboueurs, tous issus de la communauté afro-américaine, ont fait grève suite à un accident de travail qui tua deux d’entre eux. Des revendications sur fond de misère sociale, des manifestations raciales qui tournent aux émeutes, c’est dans ce contexte de tension qu’évolue le détective noir Smokey Dalton qui se distancie de ces événements pour se consacrer à ses dossiers. Il sent pourtant que tout cela va mal tourner d’autant plus que l’on a annoncé la venue prochaine du pasteur Martin Luther King appelé à soutenir les revendications des éboueurs. Mais il faut dire que la venue de Laura Hathaway a de quoi perturber le détective. Cette jeune femme blanche, issue de la bonne société de Chicago, voudrait comprendre la raison pour laquelle sa mère a légué une partie de son héritage à un « nègre ». Smokey Dalton voudrait également comprendre, d’autant plus que le « nègre » en question c’est lui. En marge des incidents qui secouent  son quartier, Smokey Dalton va devoir explorer les tragiques souvenirs de son enfance pour découvrir les raisons de cette générosité inexpliquée.

     

    L’air de rien, La Route de Tous les Dangers s’appuie sur un grand nombre d’événements historiques que Kris Nelscott injecte dans son récit sans que l’on ne s’en rende vraiment compte. On est loin du verbiage pompeux de certains auteurs qui se croient obligés d’alourdir leurs textes avec des données parfois inutiles. Les faits réels de l’époque sont d’ailleurs au service du récit à l’instar de cette scène d’ouverture décrivant cette avant-première d’Autant en Emporte le Vent se déroulant à Atlanta en 1939. Elle devient l’un des ressorts essentiels du roman, tout en mettant en exergue l’indicible discrimination dont sont victimes les personnages principaux ainsi que leur entourage.

     

     La situation sociale de Memphis dans laquelle évoluent les personnages est décrite de manière subtile sans céder aux clichés ou à un quelconque misérabilisme outrancier. Sans être répétitives, les scènes du quotidien de Smokey Dalton apportent un éclairage aiguisé sur l’ambiance et la tension qui règnent dans le quartier. C’est d’ailleurs par les biais des dialogues entre les différents protagonistes que l’on perçoit les enjeux des nombreux groupuscules qui tentent de prendre le contrôle des manifestations.

     

    L’intrigue à proprement parler permet de poser les fondements du personnage principal en explorant son parcours au travers de ses souvenirs et de ses réflexions, tout en côtoyant les membres de sa famille adoptive. Elle met également en évidence le côté fastidieux du travail d’un détective d’avantage plongé dans ses dossiers, qu’entraîné au cœur de l’action. La Route de Tous les Dangers se démarque par son rythme lent quasiment dépourvu de scènes d’action. La violence, elle, s’inscrit de manière permanente en toile de fond dans un contexte dramatique à mesure que l’on découvre les circonstances qui relient le détective à sa jeune cliente. C’est l’enjeu majeur de cet ouvrage brillamment construit. En outre Smokey Dalton est un détective qui se dépare de ces clichés propre à ce type de personnage. Il ne boit pas et s’implique de manière active dans les activités de sa communauté tout en menant ses activités professionnelles sans émettre le moindre jugement cynique.

     

    La Route de Tous les Dangers entame donc une série composée de six ouvrages où l’on retrouvera le détective privé Smokey Dalton confronté aux contestations sociales de l’époque qui s’inscriront parfois de manière sanglante dans la destinée d’un pays qui n’a pas encore résolu ses contentieux liés à la discrimination.

     

    Kris Nelscott : La Route de Tous les Dangers. Editions Points 2005. Traduit de l’anglais (USA) par Luc Baranger.

    A lire en écoutant : Home Is Where The Hatred Is de Gil Scott-Heron. Album : The Revolution Begins - The Flying Dutchman Masters. Ace Records 2012

  • KANAE MINATO : LES ASSASSINS DE LA 5e B. L’ECOLE DE LA VENGEANCE.

    les assassins de la 5e B, Seuil, Kanae Minato, polar japonais, école japonIl y a cette atmosphère étrange et parfois malsaine qui se dégage des romans asiatiques qui sied parfaitement à l’univers du noir en offrant de nouvelles perspectives narratives comme ce roman de la japonaise Kanae Minato reprenant avec Les Assassins de la 5e B, la structure si particulière de la nouvelle Dans le Fourré de son illustre compatriote,  Akutagawa Ryûnosuke. Chaque chapitre rapporte le point de vue des protagonistes de l’histoire dans une chorale sinistre et inquiétante. Outre la vision divergente, ce schéma narratif permet d’explorer la personnalité des différents acteurs face au drame auquel ils sont confrontés.

     

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    Dans son discours d’adieu à sa classe, Mme Moriguchi jette un froid en accusant, sans les nommer, deux de ses élèves d’avoir sciemment assassiné sa petite fille de 4 ans. Loin d’être désemparée, l’institutrice annonce avoir la ferme intention de se venger sans pour autant faire appel aux autorités. Dans un climat de suspicion et de non-dit on lira la lettre que la déléguée de classe adresse à son enseignante, puis le journal de la mère d’un des deux meurtriers. On prendra ensuite connaissance du témoignage du premier adolescent qui revit en flash-back des événements traumatisants de son enfance. On découvrira les sinistres desseins du second coupable, jeune génie du mal, qui trouveront une réplique surprenante avec un coup de téléphone de Mme Moriguchi.

     

    Une jeunesse délaissée et fascinée par la violence reste le thème majeur de l’ouvrage avec en toile de fond cette attirance pour la mort et le suicide, dans un pays industrialisé qui possède l’un des plus forts taux pour ce type de mortalité. L’atmosphère est pesante dans un univers scolaire qui semble en complet décalage à l’instar de ce professeur qui ne parvient pas à prendre la mesure du drame qui se joue autour de lui. La pression sociale et la solitude sont également deux aspects qui entraînent ces jeunes adolescents dans des dynamiques destructrices parfois surprenantes. On perçoit également l’absence du père qui consacre tout son temps au travail en dormant d’ailleurs fréquemment au bureau. Tout repose sur les épaules d’une mère traditionaliste qui ne peut accepter un éventuel dysfonctionnement de sa progéniture. Dans un aveuglement sans commune mesure, cette femme surprotège son fils en acceptant qu’il n’aille plus à l’école, sans pour autant en faire part à son mari et à sa fille aînée. Le drame se joue donc désormais dans une dissimulation meurtrière. Le second meurtrier évolue également dans un cadre de dysfonctionnement familial avec cet abandon maternel qu’il ne peut accepter. Sa logique meurtrière s’inscrit donc dans une recherche de visibilité et de reconnaissance que personne ne semble être en mesure de lui accorder. Cette attention il l’obtiendra finalement à son corps défendant dans une cruelle et abrupte confrontation finale.

     

    Les Assassins de la 5e B s’oriente d’une manière machiavélique sur une dynamique vengeresse qui prend des tonalités différentes selon la vision des intervenants avec des rebondissements surprenants en passant de l’empoisonnement à la stigmatisation pour s’achever dans une scène aussi surprenante qu'explosive. Un livre décoiffant et perturbant.

     

    Kanae Minato : Les Assassins de la 5e B. Editions Seuil/Policiers 2015. Traduit du japonais par Patrick Honnoré.

    A lire en écoutant : Past Mistake de Tricky. Album : Knowle West Boy. Domino Records 2008.

  • WILLIAM MCILVANNEY : LAIDLAW. LE SENS DE LA MISSION.

    Capture d’écran 2015-07-14 à 17.49.14.pngLes éditions Rivages poursuivent leur magnifique travail de réédition en s’attaquant cette fois-ci à l’œuvre de William McIlvanney, considéré, à juste titre, comme l’un de grands auteurs du roman noir écossais. Il s’agissait de remettre au goût du jour un romancier injustement oublié auquel pourtant bon nombre d’écrivains comme Ian Rankin ou Val MacDermid rendent régulièrement hommage. C’est avec Docherty, roman social sur les mineurs de Glascow, que William McIlvanney débute sa carrière, avant d’entamer une quatuor de romans noirs mettant en scène l’inspecteur Jack Laidlaw. Il sied de prêter une attention soutenue en ce qui concerne l’ordre de la quadrilogie qui débute avec le roman éponyme Laidlaw, suivi de Les Papiers de Tony Veich et qui s’achève avec Big Man et Etranges Loyautés. Voilà pour les recommandations.

     

    Le jeune Tommy Bryson court dans les rues de Glascow, sans trop savoir où aller. Il a de quoi paniquer car il vient d’assassiner une jeune fille et ne sait plus trop vers qui se tourner. Peut-être trouvera-t-il de l’aide auprès de son amant Harry Redburn, acoquiné au milieu de la pègre. Mais la nouvelle du meurtre suscite une grande émotion et il n’y a guère de personnes compatissantes pour soutenir un assassin de cet acabit. Surtout lorsque le père de la victime souhaite faire justice lui-même et demandant le soutient du caïd de la ville qui prône la justice impitoyable de la rue. L’inspecteur Laidlaw devra donc interpeller le jeune fugitif le premier, s’il veut éviter un bain de sang. D’autant plus que ses collègues ne seraient vraiment pas contre une justice expéditive.

     

    Datant de 1977, Laidlaw met en scène tout d’abord un Glascow qui n’existe plus avec ses grands ensembles de quartiers ouvriers et une pègre atypique essentiellement basée dans les quartiers périphériques de la ville en fonction de la confession religieuse des habitants. La conglomération protestante est dirigée d’une main de fer par John Rhodes. L’homme incarne une espèce de patriarche aussi impitoyable qu’inquiétant  auprès duquel les ouvriers peuvent demander de l’aide comme le fera le père de la victime qui a toujours été incapable de développer le moindre sentiment d’affection vis à vis de sa fille. La perte de son enfant ne chagrine pas ce père désormais dépouillé de son sujet d’animosité. Pour compenser cette colère et cette dureté qu’il ne peut plus faire valoir, il devra canaliser sa haine et la diriger vers le jeune meurtrier. Le tout est de savoir si cet homme aussi dur qu’honnête parviendra à franchir le pas en devenant un meurtrier à son tour.

     

    Pègre, policiers, meurtriers, on est pourtant bien loin avec Laidlaw du roman policier au sens classique du terme. Avec maestria William McIlvanney dresse le sombre portrait social d’une ville dont il maîtrise tous les aspects. Glascow devient une terrible scène dramatique sur laquelle l’auteur déploie une mécanique insidieuse de colère et de haine. Plutôt que de s’intéresser au meurtrier, l’auteur s’emploie à décrire le ressentiment et la détresse des gens face à un acte aussi abjecte. Il parvient à mettre en perspective ce désarroi terrible qui pousse les différents protagonistes vers leurs derniers retranchements.

     

    Et puis il y a bien évidemment le personnage principal qui sort tout de même de l’ordinaire. Oui il y ce schéma classique du policier atypique, peu apprécié de ses collègues. Mais Jack Laidlaw est un personnage qui transcende les clichés. Il personnifie ces flics lucides et humanistes tout à la fois qui se dressent contre les a priori et les schémas simplistes de leurs collègues. Paradoxalement cela ne fait pas de Jack Laidlaw quelqu’un de meilleur, bien au contraire. Dépressif, solitaire, Jack Laidlaw est un personnage parfaitement antipathique que seul le jeune Harckness est en mesure d’apprécier, même s’il est parfois tenté de suivre les opinions tranchées et brutales de l’inspecteur Milligan. A force de cogiter et de se poser des questions sur le sens des actes criminels auxquels il est confronté, Jack Laidlaw ne fait qu’irriter sa hiérarchie et ses partenaires qui ne peuvent lui opposer que des certitudes factices, sans aucun fondement. Jack Laidlaw les renvoie à leur propre vacuité qui ne peut susciter qu’indignation et incompréhension. Pourquoi se poser des questions lorsque l’on est flic alors qu’il y a la certitude de la mission à accomplir.

     

    "Laidlaw ne dit rien. Il était penché sur le guichet, écrivant sur son bout de papier lorsque Miligan entra, une porte de grange sur patte. Ces derniers temps il jouait les chevelus  pour montrer qu’il était libéral. Cela faisait paraître sa tête grisonnante plus grande que nature, une sorte de monument public. Laidlaw se souvint qu’il ne l’aimait pas. Ces derniers temps il avait été au centre de pas mal des interrogations de Laidlaw  quant à savoir ce qu’il faisait. Associé à Milligan par la force des choses, Laidlaw s’était demandé  s’il était possible d’être policier sans être fasciste."

     

    Il était temps de redécouvrir la belle écriture de William McIlvanney et même s’il date, un peu, Laidlaw reste un roman terriblement actuel qu’il vous faut lire dans les plus brefs délais.

     

    William McIlvanney : Laidlaw. Rivages/Noir 2015. Traduit de l’anglais par Jan Dusay.

    A lire en écoutant : The Last Ship de Sting. Album : The Last Ship. A&M Records 2013.

     

  • Zygmunt Miloszewski : Un Fond de vérité. Et si c’était vrai ?

     

    Capture d’écran 2015-06-29 à 05.04.33.pngIl va falloir faire abstraction de cette appréhension qui pourra guetter certains lecteurs en découvrant le dernier opus de Zygmunt Miloszewski, Un Fond de Vérité, orné d’un bandeau mentionnant « Auteur finaliste du grand prix des lectrices de ELLE ». Pour faire l’effort de surmonter cet à priori, il suffira simplement se dire que le fait de ne pas avoir obtenu ce prix est un gage de qualité suffisant pour confirmer l’excellente facture de ce roman mettant en scène, pour la seconde fois, les tribulations du procureur Teodore Szacki.

     

    Après une enquête houleuse et un divorce pénible, le procureur Teodore Szacki avait besoin de se faire oublier et de quitter la ville de Varsovie. Muté à sa demande dans la charmante et paisible bourgade de Sandomierz, il tente de refaire sa vie. Mais au bout de six mois, force est de constater qu’il peine à s’adapter au rythme indolent de cette petite ville provinciale. Alors qu’il sombre dans l’ennui et la dépression, la découverte du corps d’une femme littéralement vidée de son sang, à proximité d’une ancienne synagogue, va raviver son intérêt pour les affaires judiciaires. Le meurtre n’est pas sans rappeler cette légende de rites sacrificiels juifs dépeints, entre autre, dans un sinistre tableau de Charles de Prévôt exposé dans l’église de la cité. Sur fond de polémiques antisémites explosives, le procureur Teodore Szacki va devoir plonger dans les méandres du passé douloureux d’une bourgade qui déchaîne bien plus de passion qu’il n’y paraît d’autant plus qu’un second meurtre secoue la petite communauté. Y aurait-il un tueur psychopathe, juif de surcroît, sévissant dans la cité ?

     

    Capture d’écran 2015-06-29 à 05.08.03.pngAprès avoir évoqué les aspects troubles des services secrets polonais dans Les Impliqués, Zygmunt Miloszewski aborde de manière beaucoup plus frontale toute la problématique de l’antisémitisme qui gangrène encore son pays. C’est tout d’abord au travers des constatations d’un généalogiste que l’on prend conscience de l’ampleur des pogroms qui ont décimé la population juive du pays. Avec cette première scène subtile l’auteur fait en sorte de nous immerger immédiatement dans le contexte car c’est également par l’entremise de ce personnage que nous découvrons la ville de Sandomiersz et la première victime du roman. Au delà de son décor pittoresque, Zygmunt Miloszewski réussit à intégrer la ville de Sandomierz au cœur du récit jusqu’à ce qu’elle devienne un personnage à part entière, doté de secrets peu flatteurs à l’instar de ce tableau de Charles de Prévôt mettant en scène des sacrifices de nouveaux-nés chrétiens pratiqués par les juifs pour confectionner le pain azyme. En intégrant des éléments réels, l’auteur installe une atmosphère pesante qui alimente la confusion et la paranoïa de tous les protagonistes. Et s’il y avait un fond de vérité dans ces vieilles légendes ? Le doute, comme une maladie honteuse, parvient même à faire vaciller les certitudes du procureur Szacki.

     

    Outre l’intrigue policière bien ficelée, Un Fond de Vérité s’emploie à dresser le portrait sans concession d’une Pologne qui peine encore à s’affranchir des relents antisémites alimentant notamment la haine de jeunes nationalistes toujours prêts à en découdre. On appréciera d’ailleurs le personnage de Jurek Szyller, homme d’affaire tout aussi cultivé qu’orgueilleux qui dirige de manière opportune ces bandes d’extrémistes et dont la confrontation avec le procureur Teodore Szacki s’avère extrêmement savoureuse. Paradoxalement, cette joute verbale met en lumière le côté peu sympathique du personnage principal qui se drape d’une espèce de morgue citadine. On appréciera cet antagonisme entre l’homme de la ville aux arrogantes certitudes et les superstitions provinciales des différents acteurs peuplant la cité médiévale. Avec beaucoup de talent, l’auteur extrait de cette confrontation une intrigue riche en rebondissement qui ne cesse d’alimenter les ambiguïtés des différents personnages. Tout aussi désagréable que le procureur Szacki, le commissaire Wilczur incarne d’ailleurs cet esprit provincial doté d’un solide bon sens. Tel un miroir, le vieux policier septuagénaire reflète la personnalité revêche de Teodore Szacki, personnage à la fois ambitieux et désespéré qui ne trouve finalement son bonheur que dans les malheurs qui secouent la petite ville de Sandomierz. Trop semblables, les deux hommes ne s’apprécient guère et s’observent avec une défiance ironique lorsqu’elle s’inscrit dans les différents actes d’enquête jalonnant le récit.

     

    S’il n’évite pas quelques scènes « téléphonées », Un Fond de Vérité se révèle être un excellent roman policier dénonçant avec une belle maîtrise tous les affres de l’intolérance et de la suspicion vis à vis d’une communauté qui ne cesse d’être mise en porte-à-faux au fil des siècles, victime des pires rumeurs mettant en perspective l’ignorance et l'incommensurable bêtise des hommes.

     

    Zygmunt Miloszewski : Un Fond de vérité. Mirobole Editions 2014. Traduit du polonais par Kamil Barbarski.

    A lire en écoutant : Maiden Voyage de Herbie Hancock. Album : Maiden Voyage. Blue Note / Manhattan Record 1986.

  • JAMES ELLROY : PERFIDIA. LA CINQUIEME COLONNE.

    Capture d’écran 2015-05-26 à 14.16.22.pngDésormais pour lire l’œuvre d’Ellroy, il faut prendre la peine de se débarrasser de l’emballage outrancier que l’écrivain déploie depuis un certain temps pour la promotion de ses romans. Une composition flamboyante, faite d’excès et de provocations, aussi criarde et consternante que les chemises hawaïennes dont il s’affuble. Il faut se souvenir de l’aura mystérieuse qui entourait l’auteur à l’époque où paraissait le fameux Dahlia Noir roman fondateur du premier quatuor de Los Angeles. Dans un paysage médiatique plus austère, dépourvu de web et de portables, l’emballement littéraire se concentrait principalement sur l’œuvre au détriment de l’auteur que l’on considérait comme une espèce de monstre raciste et fasciste au fur et à mesure de sa notoriété grandissante. Perfidia doit donc être abordé comme Le Dahlia Noir, en dehors du tumulte des interviews superficielles que l’on nous assène depuis quelques semaines et qui ressassent les mêmes assertions que l’auteur s’amuse à mettre en valeur dans un show parfois grotesque. Car que pourrait dire Ellroy de plus qui ne figure pas dans ses romans ? Encore faudrait-il que certains chroniqueurs qui l’abordent aient au moins pris le temps de lire ses romans ce qui est loin d’être garanti. Un selfie, une dédicace et un bon mot, c’est désormais tout ce qu’il faut pour certains d’entre eux. Et Ellroy, plus que tout autre s’en amuse en faisant sa tournée promotionnelle.

     

    C’est à la veille de Pearl Harbour que l’on découvre dans leur villa de Los Angeles, les quatre cadavres de la famille Watanabe, sauvagement assassinés à coups de poignards dans ce qui ressemble vaguement à un scène du rituel seppuku. Le sergent Dudley Smith du LAPD est chargé de l’enquête avec la recommandation expresse de faire en sorte que le coupable soit japonais car le pays, sur le point d’entrer en guerre, est désormais en proie à une hystérie collective sans précédent. La communauté américaine d’origine japonaise en est la première victime en subissant une série de rafles aussi massives qu’abusives en vue d’une déportation vers des camps d’internement. Dans ce contexte de manipulation et de paranoïa, le criminologue Hideo Ashida va tenter de ramener la vérité au premier plan tout en éprouvant des sentiments troubles à l’égard du machiavélique sergent. L’enquête est supervisée par le  capitaine Parker, jeune officier de police ambitieux, aussi croyant qu’alcoolique, d’avantage préoccupé par la menace communiste. Afin d’infiltrer les milieux bourgeois à tendance gauchiste, il fera appel à la sulfureuse Kay Lake, brillante jeune femme qui entretient une relation complexe avec le détective Lee Blanchard. Ce quatuor trouble va se mouvoir au cœur d’une troublante machination où la trahison et la compromission semblent être les règles majeures permettant de survivre dans le marigot sordide de cette cité corrompue.

     

    Avec Perfidia, James Ellroy rassemble les personnages qui ont hanté les romans du quatuor de Los Angeles et de la trilogie Underworld USA afin d’entamer une seconde tétralogie se situant à nouveau à Los Angeles, mais durant la période de la seconde guerre mondiale. Une espèce de préquel destiné à faire le lien avec les évènements relatés dans Le Dahlia Noir. Je laisserai à d’autre le soin de compter le nombre de pages ou de dénombrer la myriade de personnages que le roman contient. Ce qui importe c’est que l’écriture aux phrases concises et incisives est toujours bien présente, mais que l’on dénote, en plus, une certaine fluidité qui n’est pas du tout coutumière chez un auteur comme James Ellroy. Cela provient probablement du fait que l’auteur a choisi, pour la première fois, une narration en temps réel, sur une durée précise égrenant chaque journée située entre le 6 et le 29 décembre 1941. Avec cette rapidité dans le déroulement de l’histoire, on perçoit ainsi l’atmosphère frénétique qui émane de chacune des pages du livre. Car outre l’aspect journalier, le fil de l’histoire s’égrène au rythme des points de vue des quatre personnages principaux que sont Dudley Smith, Hideo Ashida, William Parker et Kay Lake. De cette manière, l’auteur nous entraine au cœur d’un maelstrom de rage, de haine et de turpitude beaucoup plus intense que ce que l’on avait l’habitude de lire notamment dans le premier quatuor de Los Angeles. Les intrigues et sous intrigues s’entremêlent dans une confusion savante que l’auteur maîtrise avec le talent qui lui est coutumier. Sur fond d’émeutes raciales, de cinquième colonne perfide,  d’enquêtes sabordées et de trahisons en tout genre, le tout dilué dans une crainte de bombardements destructeurs et d’invasions imminentes, vous allez découvrir une ville de Los Angeles détonante où les personnages les plus abjects monnaient déjà l’expulsion, l’expropriation et même l’internement des ressortissants américains d’origine japonaise. Car même s’il ne l’aborde pas de manière frontale, c’est ce pan méconnu  et peu reluisant de l’histoire américaine que l’auteur évoque tout au long du récit (Outre Ellroy, Alan Parker avec son film Bienvenue au Paradis et David Gustavson  avec son livre La Neige Tombait sur les Cèdres sont, à ma connaissance, les rares auteurs à relater ces tristes évènements). Avec ces déportations, ces internements et ces projets d’eugénisme que l’auteur expose par l’entremise d’hommes de loi, de médecins et de promoteurs véreux on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec les desseins funestes du régime nazi, même si les conséquences n’ont pas été aussi tragiques.

     

    james ellroy,perfidia,rivages thriller,parker,dudley smith,kay lake,japon,little tokyo,los angelesSi Ellroy a pour habitude d’inclure dans ses romans des personnages réels, c’est la première fois qu’il met en scène l’un d’entre eux, parmi les protagonistes principaux. C’est ainsi qu’il romance la vie de William Parker, l’un des plus célèbres directeurs du LAPD dont le quartier général porte, aujourd’hui encore, son nom. Comme bon nombre de ses héros, Ellroy dresse un portrait sombre et ambivalent d’un homme d’une grande intelligence et d’une clairvoyance extrême le contraignant, presque à son corps défendant, à mettre en place de sombres machinations afin de satisfaire sa soif d’ambition que l’alcool n'arrive pas à étancher. Un personnage torturé qui ne parvient pas à s’aimer tout comme son alter égo féminin, Kay Lake.

     

    Avec Perfidia, on ne peut s’empêcher de frissonner à l’idée de recroiser le destin de l’un des personnages les plus emblématiques de l’œuvre d’Ellroy à savoir le sergent Dudley Smith. On retrouve un flic plus jeune, mais tout aussi dangereux et violent qui effectue avec son équipe les basses œuvres du LAPD pour le compte de cadres corrompus. Séduisant, machiavélique, on décèle chez cet homme quelques fêlures qui rendent le monstre plus présentable. En évoquant certains pans de sa jeunesse en Irlande, on peut deviner l’origine du mal qui a façonné un personnage qui recèle encore quelques brides d’humanité.

     

    Le principal défaut de Perfidia est qu’il s’agit d’un préquel et que, de ce fait, le lecteur connaît déjà la destinée de la plupart des personnages qui hantent cette histoire ce qui dessert parfois la tension narrative de certaines péripéties du roman. D’autre part, on peine à comprendre le sens de l’apparition d’Elisabeth Short accompagnée de son véritable géniteur, dont je tairai l’identité afin de vous en laisser la surprise. Néanmoins cette surprise s’avère plutôt embarrassante. En effet, il est difficile désormais de croire que ce personnage soit absent du fameux roman Le Dahlia Noir. Le fait de découvrir le point de vue de Kay Lake sous la forme d’un journal consigné au musée du LAPD reste également très déconcertant et peu crédible dans la forme où il est rédigé. Là aussi on peine à comprendre l’utilité d’un tel style de narration. Il faudra peut-être attendre la suite de cette tétralogie pour entrevoir le sens de ce qui apparaît à ce jour comme des défauts mineurs.

     

    Parce qu’il ne faut pas se leurrer, Perfidia considéré par l’auteur lui-même comme son meilleur roman prouve sans l’ombre d’un doute qu’Ellroy reste l’immense écrivain qu’il n’a d’ailleurs jamais cessé d’être n’en déplaise à ses détracteurs. Perfidia c’est un livre d’une force brute dégageant une telle intensité dramatique qu’il mettra à terre le plus blasé des lecteurs. Un véritable KO littéraire.

     

    James Ellroy : Perdifia. Editions Rivages/Thriller 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Sayonara Blues de The Bronx Horns. Album : Silver in the Horns. Savoy Jazz 1998.