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SERIE DETECTIVE GHJULIA BOCCANERA (NICE)

  • MICHELE PEDINIELLI : UN SEUL OEIL. SOCCA SAIGNANTE.

    michèle pedinielli,un seul oeil,éditions de l'aubeService de presse.

     

    Le personnage de détective privé dans les polars est incarné la plupart du temps par un homme comme en témoigne les plus emblématiques d'entre eux tels que Sherlock Holmes, Hercule Poirot, Philip Marlowe ou Sam Spade. Il en va de même pour l'enquêteur libertaire qu'incarne Nestor Burma, Eugène Tarpon ou Gabriel Lecouvreur, ceci même si l'on peut citer quelques exceptions à l'instar d'Angie Gennaro qui travaille avec Patrick Kenzie dans la série des six romans policiers de Dennis Lehane. Mais de manière générale, pour ce qui est des femmes, celles-ci sont cantonnées irrémédiablement au rang d'amatrice comme en atteste Miss Marple ou Imogène McCarthery pour celles et ceux qui se souviennent encore des romans de Charles Exbrayat. Sans doute que le phénomène #MeToo n'y est pas étranger, mais il faut attendre l'année 2018 pour voir débarquer la détective privée niçoise Ghjulia Boccanera qui va prendre une place prépondérante parmi les personnages de fiction occupant cette fonction jusque-là dévolue aux hommes et qui va bousculer tous les codes, puisque cette cinquantenaire insomniaque qui carbure exclusivement à l’eau et au café, n'emploie pas d'arme, se fringue avec ce qu'elle trouve dans son armoire à savoir pantalons, t-shirts et pulls noirs de préférence, pour chausser exclusivement des Doc Martens lui permettant d'arpenter les rues sinueuses de la vieille ville de Nice où elle a ses habitudes. Et puis il y a ce caractère entier et ces convictions fortes l'entraînant dans des investigations prenant pour cadre les injustices sociales de son environnement dont elle tente, tant bien que mal, de faire tomber les barrières avec un regard qui n'est pas dénué d'un certain humour mordant. Une femme de notre époque qui se débat pour surmonter les aléas d'une vie qui ne l'épargne pas mais qui fait toujours preuve d'une générosité et d'une humanité sans faille à l'égard des siens, en dépit des doutes qui l'assaille comme on peut le voir au détour des cinq romans qui composent désormais la série qu'il faut aborder dans l'ordre chronologique afin de saisir l'ensemble de la trajectoire de cette détective privée peu commune qui a inspiré des émules comme la fille du Poulpe, nouvelle série où l'on découvre Gabriella digne héritière de Gabriel Lecouvreur qui commence à prendre de l'âge.


    Sale temps pour Ghjulia Boccanera qui doit faire face à une succession d'événements tragiques qui touchent les membres de son entourage. Tout d'abord, il y a Dan, son coloc, son ami de toujours, que l'on retrouve inconscient dans sa galerie de photos et dont on soupçonne qu'il ne s'agit pas d'un accident ce d'autant plus qu'ils avaient tous deux reçus un message de menaces anonymes. Mais la police n'a que peu de temps à consacrer à cette affaire depuis que la compagne du commandant Jo Santucci a fait l'objet d'une violente agression. Alors pour savoir qui s'en est pris à son ami, la détective privée va se lancer dans une enquête chaotique en s'appuyant sur un agent des renseignements désireux de découvrir celui qui a plongé son compagnon dans le coma, une tenancière d'une boutique de seconde main recelant des trésors en matière vestimentaire et une vieille chienne qui a subi les pires sévices de son ancien maître. Et puis, Ghjulia doit consoler Jo, son ancien amant, qui sombre dans le désespoir, tandis que dans le silence de la chambre d'hôpital où il repose, émerge les pensées de Dan se remémorant cette histoire d'amour bancal qui va chavirer. 

     

    Si le premier ouvrage de Michèle Pedinielli, intitulé sobrement Boccanera (Aube Noire 2018), prenait pour cadre la ville de Nice, on s'éloignait de l'agglomération pour s'aventurer dans la région montagneuse des Alpes Maritimes avec Après Les Chiens (Aube Noire 2019). Et puis c'est la découverte de la Corse avec La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) où notre détective privée retrouvait la terre de ses origines alors qu'à l'occasion de la résurgence de certains aspects de la jeunesse d'un sdf, on s'immergeait dans l'atmosphère de l'Italie des années 70, durant la période chaotique des années de plomb et de ses militants antifascistes que l'on surnommait Sans Collier (Aube Noire 2023) et qu'il convient de lire avant d'entamer Un Seul Œil, nouvel ouvrage de la série qui reprend, quelques heures après, les éléments du retournement de situation terrible figurant dans le dernier chapitre du roman précédent. Ce que l'on apprécie avec la série Ghjulia Boccanera c'est le fait que la ville de Nice joue un rôle prépondérant dans l'articulation des récits  sans jamais céder le pas aux clichés des cartes postales propre à cette Côte d'Azur qui recèle sa part d'ombre avec laquelle Michèle Pedinielli joue habilement en distillant cette atmosphère des lieux si particulière qu'elle restitue avec autant d'attachement que d'acuité. Plus que jamais, on parcourt les lieux chères à notre détective privée que ce soit le café des Travailleurs où elle a ses habitudes et bien évidemment, les ruelles du Vieux Nice où elle réside, ainsi que l'ensemble des proches qui partagent son existence que ce soit le commandant Jo Santucci ou son colocataire Daniel Lehman, surnommé Dan, dont on va découvrir les circonstances qui les ont amenés à nouer cette amitié si solide qui les unit. L'intrigue d'Un Seul Oeil va prendre l'allure d'un thriller assez mesuré en terme de rebondissements mais qui tient le lecteur en haleine autour de l'enjeux de la survie de Dan désormais hospitalisé à la suite de l'agression dont il a été victime et qui l'a plongé dans le coma. A partir de là, on observe une alternance de la narration entre les investigations de Ghjulia Boccanera et les souvenirs de Dan et plus particulièrement d'une liaison toxique avec un amant fantasque laissant paraître, peu à peu, son côté sombre et destructeur en se doutant bien que la jonction va se faire au terme d'une intrigue qui joue davantage sur l'émotion et les profils subtils des personnalités que sur un suspense trépident. Il découle de cet ensemble plutôt complexe, une intrigue policière solide, parfois drôle, parfois émouvante et toujours imprégnée d'humanité, marque de fabrique de la romancière qui nous gratifie de l'apparition surprise d'un commissaire officiant du côté de la ville de Parme. Mettant un terme à une intrigue qui prenait forme dans Sans Collier, le lecteur va continuer à explorer, avec Un Seul Oeil, les multiples facettes de la trajectoire des proches gravitant autour de Ghjulia Boccanera en révélant ainsi toute sa nature fragile, bien au-delà du sentiment de force émanant de cette femme aux convictions inébranlables, à laquelle on ne peut manquer de s'attacher et qui devient incontournable dans cet univers du polar encore un peu trop viril.

     

    Michèle Pedinielli : Un Seul Oeil. Editions de l'Aube/Noire 2024.

    A lire en écoutant : A Rainy Night In Soho de The Pogues. Album : Rum Sodomy & The Lash. 2006 Warner Music UK Ltd.

  • MICHELE PEDINIELLI : LA PATIENCE DE L'IMMORTELLE / SANS COLLIER. BOUCHE NOIRE.

    michèle pedicelli,editions de l’aube,sans collier,la patience de l'immortellePlus qu'aucune autre série de romans policiers, il conviendra de lire l'ensemble des enquêtes de Ghjulia “Diou" Boccanera, qui plus est dans l'ordre, afin d'apprécier l'arche narrative qui relie l'ensemble des ouvrages, ceci quand bien même, selon la formule consacrée propre au markéting de l'édition, chaque livre peut se lire séparément. Mais si l'on parcourt les premiers chapitres d'Un Seul Oeil, dernier opus des investigations de la détective privée niçoise, on remarquera les nombreuses notes en bas de page faisant référence à l'ensemble des romans précédents que ce soit Boccanera (Aube Noire 2018), Après Les Chiens (Aube Noire 2019), La Patience De L'Immortelle (Aube Noire 2021) et Sans Collier (Aube Noire 2023), ce qui ne fait que confirmer cette assertion consistant à s'imprégner de l'ensemble des polars de Michèle Pedinielli pour en percevoir toute l'envergure. Il faut dire, qu'outre le fait qu'il s'agit de l'un des rares personnages féminins officiant comme détective privée, la singularité de la série réside dans l'importance que prend l'entourage de Diou, que ce soit le commandant de police Joseph "Jo" Santucci, son ex compagnon, ou Daniel "Dan" Lehmann, son colocataire gay qui tient une galerie de photos ou Ferdi, un sdf muet qui a pris ses quartiers dans le Vieux-Nice où réside notre enquêtrice au caractère affirmé, tout comme sa créatrice. Michèle Pedinielli partage d’ailleurs de nombreux autres points communs avec sa protagoniste principale à l'instar de ses origines corses dont prend la mesure dans La Patience De L'Immortelle avec une enquête se déroulant, dans son intégralité, sur l'Île de Beauté tandis que Sans Collier se penche sur le passé de Ferdi en lien avec son engagement dans la lutte contre le fascisme durant la période de la fin des années de plomb en Italie. L'extrémisme et ses dérives sont l'un des thèmes que la romancière engagée aborde frontalement dans la série, tout comme les conditions des ouvriers sur les nombreux chantiers qui défigurent la cité niçoise, ainsi que l'immigration clandestine à la frontière franco-italienne et les violences domestiques comme autant de sujets sociaux s'inscrivant dans une actualité qu'elle saisit avec une redoutable acuité, agrémentée d'une pointe d'humour acide et d'une certaine tendresse qui émerge de l'attachante personnalité de cette dure-à-cuire qu'incarne Diou se révèlant aussi généreuse que courageuse. Après avoir donc évoqué les deux premiers volumes de la série, il importait d'examiner les deux suivants que sont La Patience De L'Immortelle et Sans Collier qui s'inscrit d'ailleurs dans l'actualité littéraire du moment puisqu'il vient d'être publié en format poche. 

     

    La Patience De L’Immortelle.
    Cela faisait bien des années que Ghjulia Boccanera n'était pas retournée en Corse, et c'est le coeur lourd qu'elle s'y rend puisqu'elle doit accompagner son ex compagnon Joseph Santucci dont la nièce a été assassinée sauvagement. En effet, après avoir été abattue d'un coup de fusil dans la nuque, on a placé le corps de la jeune journaliste dans le coffre de sa voiture que l'on a incendiée. Si le commandant Santucci a promis de ne pas interférer dans le déroulement de l'enquête de ses collègues corses, il demande à Diou, dont il connaît la détermination, d'examiner les circonstances de cette atroce affaire. Mais dans cette région montagneuse de l'Alta Rocca, la détective privée se rend bien compte qu'elle ne possède plus les codes lui permettant de percer le mutisme d'une communauté méfiante. Et puis, au-delà des investigations l'entrainant dans les rapports complexes de la spéculation foncière et des incendies qui en découlent, il y a les souvenirs qui rejaillissent de manière éparse tandis qu'un milan tournoie inlassablement au-dessus de sa tête comme pour la guider dans ses démarches. Il y a donc de quoi perdre pied au sein de cette famille en deuil qui ne fait qu'amplifier ce sentiment de désarroi qui l'étreint. Livrée à elle-même, c'est auprès de ce vieil homme à la main tordue par les rhumatismes que Diou trouvera les ressources nécessaires pour surmonter les épreuves qui l'attendent au sein de cet environnement insulaire où les secrets émergent peu à peu dans la douleur.

     

    Si les romans précédents n'étaient pas avare en émotion, il faut bien admettre que La Patience De L'Immortelle est probablement le meilleur récit de la série parce qu'il s'inscrit dans une définition plus complexe et plus nuancée de la personnalité de cette détective privée cinquantenaire à laquelle on ne peut manquer de s'attacher fortement tandis qu'elle évolue dans un autre environnement que les ruelles de la vieille ville de Nice pour nous entrainer sur cette terre insulaire de ses origines d'où émerge quelques réminiscences du passé comme l'apparition de ce tirailleur  sénégalais faisant allusion à son sous-officier, grand père de la détective, qui est sans nul doute inspiré de l'aïeul de Michèle Pedinielli qui a servi au sein d'un tel bataillon. Dès lors, on ne peut donc manquer de ressentir cette résurgence des origines corses de la romancière s'agrégeant à une intrigue policière aux tonalités rurales pleines de saveurs méditerranéennes dont elle prend soin de ne pas trop abuser en évitant ainsi l'écueil des clichés propre à un tel environnement. C'est d'ailleurs de l'environnement dont il est question avec La Patience De L'Immortelle qui met en lumière les combines peu reluisantes de la spéculation des terres agricoles et plus particulièrement du trafic des oliviers centenaires, sujet à bien des convoitises. A partir de là découle toute une intrigue s'articulant autour des activités de la journaliste assassinée qui entendait dénoncer ces agissements illégaux. Mais c'est également dans le giron familiale de la victime que se dessine certains aspects de cette enquête où l'on croise notamment quelques fortes personnalités que sont Antoinette, mère désarçonnée par la douleur de la perte de sa fille, et sa belle-soeur Diane, au caractère âpre et revêche mais qui fait preuve d'un soutien sans faille. On appréciera également les rapports quasiment filiaux que Diou entretient avec le dénommé Barto, une espèce de vieux sage au réflexions aussi malicieuses que pleines d'esprit qui vont lui permettre d'obtenir certains éclairages quant aux comportements des habitants de la région. Tout cela se met en place au gré d’un récit dynamique, chargé en émotion, et dont la finalité va se révéler bien plus surprenante qu’elle ne le laissait à penser en bouleversant à tout jamais, les rapports que Diou va entretenir avec son ex compagnon, alors qu’elle en proie à un terrible dilemme.

     

    Sans Collier.
    Ils ne sont assujettis à aucune obédience et se démarquent de tous les groupuscules politiques de cette Italie des années 70 alors qu'ils entendent renverser le monde avec cette énergie et cette naïveté propre à leur jeunesse. "Cane sciolti", chiens sans collier, c'est ainsi qu'on les surnomme tandis qu'il s'opposent vaillamment à cette montée du fascisme gangrénant à nouveau le pays, et dont les activités vont prendre fin dans un terrible bain de sang. Et c’est ce pan de la tragique histoire de l’Italie qui va rejaillir brutalement dans l’existence de Ghjulia Boccanera tandis qu’elle enquête sur l'étrange disparition d’un ouvrier moldave qui travaillait sur l’un des plus gros chantier de la ville Nice et qui semblait avoir quelques dettes de jeu conséquentes. Entre les réminiscences du passé qui refont surface peu à peu et les menaces anonymes qui deviennent de plus en plus prégnantes, Diou va avoir bien du mal à démêler les écheveaux de cette intrigue complexe où tout le monde s’emploie à dissimuler des secrets enfouis dans une mémoire parfois défaillante.

     

    C'est dans un jeu habile et subtil des temporalités que se dessine la trame narrative de Sans Collier où l'on retrouve Nice et son cortège de travaux pharaoniques qui plongent la ville dans le chaos tandis que l'on surexploite les ouvriers que l'on emploie sans autorisation au sein de sociétés de sous-traitance plus que douteuses. A certains égards, on retrouve donc l'univers du premier roman de la série en croisant à nouveau Shérif, cet inspecteur du travail obèse qui sollicite régulièrement les services de Ghjulia Boccanera afin d'enquêter, à titre gracieux bien évidemment, dans ce milieu où la corruption et les malversations en tout genre font office de règles incontournables pour exploiter ces travailleurs en situation précaire. Mais en parallèle, c'est le parcours de la jeunesse de Ferdi, autre personnage récurrent de la série, que Michèle Pedinielli a décidé de mettre en scène en nous entraînant ainsi sur un registre historique pour se pencher sur cette époque douloureuse des années de plomb et de la stratégie de la tension qui prévalait en Italie en nous apportant un certain éclairage quant à la personnalité de ce sdf muet qui s'est improvisé comme protecteur de notre intrépide détective privée qu'il a tiré de mauvais pas, à plusieurs reprises. Et puis comme point d'orgue, il y a cette missive aussi menaçante qu'anonyme à l'adresse de Diou mais également de Dan son colocataire et ami qui tient une galerie de photos qui va être vandalisée. Comme à l'accoutumée, il y a ces thématiques sociales qui émergent d'une intrigue bien ficelée, mais dont on devine peut-être un peu trop à l'avance certains aspects, même si le roman s'achève soudainement sur une scène finale aussi imprévisible que brutale qui va bien évidemment rejaillir dans Un Seul Oeil dont les événements se déroulent deux heures plus tard. Mais pour en revenir à Sans Collier, on appréciera toujours autant les contours de la personnalité de cette cinquantenaire libertaire, forte en gueule, toujours très drôle, qui doit désormais faire face à des bouffées de chaleur dont elle ne saisit pas immédiatement l'origine et qui en font une héroïne malheureusement atypique au sein de cet univers de la littérature noire où il n'est que trop rarement question des sujets du quotidien ayant trait aux femmes qui nous entourent. Et si l’on fait allusion à Fabio Montale ou à Sergio Corbucci pour définir le caractère de Ghjulia Boccanera, vivement le jour elle fera office de référence pour d’autres personnalités féminines de son calibre.

     


    Michèle Pedinielli : La Patience De L'Immortelle. Editions de l'Aube/Noire 2021.

    Michèle Pedinielli : Sans Collier. Editions de l'Aube/Noire 2023.

    A lire en écoutant : La Ficelle d'Alain Bashung. Album : L'Imprudence. Barclay 2002.

  • Michèle Pedinielli : Après Les Chiens. Passer la frontière.

    michèle pedinielli, éditions de l'aube, collection aube noire, après les chiensMonument de la littérature noire, Patrick Raynal a notamment officié comme directeur de la Série Noire durant plusieurs années avant de créer la collection La Noire avec la publication d'auteurs emblématiques comme James Crumley, Harry Crews, Jérôme Charyn et Larry Brown pour n'en citer que quelques uns. Outre son activité d'éditeur, Patrick Raynal est un romancier engagé qui a situé quelques uns de ses récits du côté de Nice où il a vécu de nombreuses années. Des similarités que l'on retrouve chez Michèle Pedinielli qui fait désormais partie des figures du polar français avec trois ouvrages mettant en scène la désormais fameuse détective privée Ghjulia Boccanera que l'on surnomme Diou. Il n'est pas anodin de mentionner Patrick Raynal en évoquant l'oeuvre de Michèle Pedinielli avec ce sentiment de "passage du témoin" qui émane de la relation entre les deux écrivains qui s'estiment et se côtoient régulièrement. On notera d'ailleurs que dans son dernier roman, L'Age De La Guerre (Albin Michel 2021), Patrick Raynal met en scène la volcanique détective privée niçoise. Mais pour en revenir à Michèle Pedinielli, c'est avec Boccanera que la journaliste, devenue romancière, fit une entrée fracassante dans l'univers du polar avec un récit qui faisait la part belle au Vieux Nice et à son petit microcosme d'habitants tout en dénonçant les travers de la ville, ceci notamment dans le domaine de l'immobilier et des chantiers publics. Second roman de la série, Après Les Chiens évoque toute la problématique des migrants qui tentent de franchir la frontière franco-italienne, ceci parfois au péril de leur vie.

     

    En cette matinée de printemps 2017, c'est le moment idéal pour Ghjulia Boccanera d'entamer son footing sur les hauteurs de Nice, du côté de la colline du Château en compagnie de Scorsese, le chien dont elle à la garde et qui découvre par hasard le cadavre d'un jeune érythréen dissimulé dans les fourrés. L'homme a été battu à mort et si l'enquête échoit bien évidemment à la police qui ne fait pas preuve d'un grand zèle, Diou ne peut s'empêcher de d'investiguer sur le parcours de ce jeune migrant dont tout le monde se fout. 
    Automne 1943, dans la région des Alpes Maritimes, un jeune garçon fait office de guide afin d'aider les juifs traqués par les nazis à franchir la frontière et fait ainsi la connaissance de Rachel, une jeune femme qui va marquer sa vie.
    Bien des années séparent ces deux histoires qui vont se télescoper au coeur de cette région frontalière où la détresse de ces femmes et de ces hommes qui fuient pour sauver leur vie est toujours de mise.

     

    En préambule, il importe de mentionner le fait qu'il est recommandé de lire tout d'abord Boccanera, premier volume de la série, afin de mettre en perspective l'attitude de certains protagonistes intervenant dans les deux récits en nous permettant ainsi de mieux saisir l'ensemble de la force émotionnelle qui se dégage au terme de ce second opus, prenant pour cadre la thématique des migrants. Avec un tel sujet, on ressent toute l'implication d'une romancière engagée s'appliquant à dépeindre avec précision la situation dramatique qui se joue dans les hauteurs de cette région montagneuse plutôt hostile avec des migrants franchissant la frontière au péril de leur vie, tandis que les autorités s'emploient à dissuader les citoyens tentant de venir en aide à ces femmes et à ces hommes en détresse. Il émane du récit une forme d'indignation, voir même de colère transparaissant dans l'attitude de Diou qui tente de faire la lumière sur le meurtre de ce jeune garçon qui a fuit l'Érythrée où l'on voulait l'enrôler de force au sein de l'armée. C'est l'occasion pour notre détective privée de s'aventurer du côté de la vallée de la Roya à la rencontre de certains habitants attachants du village de Breil à l'instar de Nadia et de Jacques, alias Marguerite, qui apporte son soutien à toutes les personnes qui tentent de franchir la frontière. Mais Après Les Chiens, se focalise également sur l'aspect de l'intolérance  avec cette enquête sur la disparition d'une jeune fille qui entraîne notre détective privée dans les méandres inquiétants de l'extrémisme. Et puis il faut également mentionner cette histoire parallèle se déroulant durant la période trouble de la seconde guerre mondiale et qui prend la forme d'un journal intime nous permettant de découvrir la destinée d'un jeune garçon qui s'emploie à faire passer les juifs traqués par l'occupant nazi, lui donnant ainsi l'occasion de croiser la route de Rachel qui va bouleverser son existence. Un récit poignant nous incitant à mettre en perspective, bien au-delà des époques qui diffèrent, la sempiternelle détresse de celles et ceux qui fuient leur pays pour tenter de trouver un refuge dans d'autres contrées. Mais au-delà de la gravité des sujets évoqués, on retrouve dans Après Les Chiens cet humour mordant faisant le charme de la série et qui transparait notamment dans l'ensemble des échanges entre les différents protagonistes en soulignant ainsi l'énergie communicative d'une enquêtrice dynamique qui s'investit corps et âme dans ses enquêtes aux tonalités résolument sociales qui ne manqueront pas d'interpeller le lecteur. Un polar remarquable.

     

     

    Michèle Pedinielli : Après Les Chiens. Editions de L'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Royal Morning Blue de Damon Albarn. Album : The Nearer the Fountain, More Pure the Stream Flows. 2021 13 under license to Transgressive Records Ltd.

  • Michèle Pedinielli : Boccanera. Salade niçoise.

    Capture.PNGOn ne peut pas tout lire. Un fait indéniable qui prend parfois la forme d'une frustration avec cette sensation détestable de passer à côté d'ouvrages formidables à l'instar des romans policiers de Michèle Pedinielli qui met en scène, depuis trois ans, la détective privée Ghjulia (il faut prononcer Dioulia) Boccanera officiant dans la région de la Côte d'Azur et plus particulièrement à Nice que la romancière célèbre avec la poésie du mot juste comme Nougaro savait chanter Toulouse. Journaliste de formation, Michèle Pedinielli a exercé le métier durant une quinzaine d'années à Paris avant de retourner à Nice, sa ville natale, afin de se consacrer à l'écriture. Récipiendaire en 2015 du troisième prix du concours de nouvelles Thierry Jonquet, l'une des récompenses du festival Toulouse Polar du Sud, Michèle Pedinielli publie en 2018 Boccanera pour les éditions de l'Aube, collection Aube Noire, premier opus d'une série comptant désormais trois romans engagés qui mettent en exergue les turpitudes des puissants à l'égard des personnes défavorisées ou discriminées quand ce ne sont pas tout simplement les deux. Quinquagénaire à la forte personnalité, mélange savant d'origines corses et italiennes, toute vêtue de noire, Ghjulia Boccanera emprunte beaucoup de traits de caractère à la romancière en évoluant dans le dédale des ruelles du vieux Nice, recelant toute une mosaïque de personnages à la fois attachants et hauts en couleur et qu'elle dépeint avec une affection assaisonnée d'une pointe d'humour corsé comme le café noir que son héroïne ingurgite à longueur de journée afin d'entretenir ses insomnies.

     

    Ghjulia Boccanera tout le monde la surnomme Diou dans le vieux Nice où elle vit en travaillant comme détective privée. Un métier qui convient parfaitement à cette cinquantenaire insomniaque, indépendante et forte en gueule qui a décidé de ne pas avoir d'enfant par conviction. C'est Dan, son colocataire qui lui fournit parfois des clients, comme Dorian Lasalle qui veut que l'on fasse la lumière sur la mort de son compagnon Mauro Giannini, que l'on a retrouvé étranglé dans son appartement. Pour la police, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un jeu érotique qui a mal tourné. Affaire classée, circulez, il n'y a rien à voir. Mais Dorian est persuadé que son compagnon ne l'aurait jamais trompé et qu'il ne se serait jamais adonné à de telles pratiques. Désormais mandatée par le jeune homme, Diou va tenter d'éclaircir les circonstances de ce crime qui prend une toute autre tournure, lorsqu'elle apprend le décès de son commanditaire qui a également été étranglé après avoir été torturé. Sillonnant une ville en chantier, la détective privée, chaussée de ses Doc Martens, va donner un grand coup de pieds dans la fourmilière pour bousculer l'ordre établi afin de résoudre ces deux meurtres. Ce d'autant plus que le tueur a décidé de s'en prendre à elle.

     

    Sans jamais rien céder au cliché bon marché ou au folklore de pacotille, Michèle Pedinielli restitue l'atmosphère pittoresque de cette belle ville de Nice autour du microcosme composant l'entourage de Ghjiulia "Diou" Boccanera, cette détective mémorable et captivante qui balance son ironie saignante comme Philip Marlowe enquillait les verres de Four Roses. On retrouve d'ailleurs chez Diou cette indépendance et cette décontraction qui caractérisait la personnalité du célèbre détective de Raymond Chandler. Mais loin d'être solitaire, on apprécie la belle déclinaison de personnages qui gravitent autour de cette enquêtrice à l'instar de son colocataire Dan, qui semble tout connaître de l'activité nocturne de la cité, de son ex compagnon Joseph "Jo" Santucci, flic de son état, auquel elle est toujours attachée, de Monsieur Amédée Bertolino, son voisin gâteux qui va se révéler d'un grand secours ou de tout le staff qui compose le café Aux Travailleurs où Diou a ses habitudes. Au niveau de l'enquête on part sur un schéma à la fois classique et solide autour d'une succession de meurtres et autres tentatives qui conduisent notre détective à investiguer auprès des entreprises de construction qui s'attellent à la mise en oeuvre du tramway, du percement d'un tunnel et de l'effondrement d'un mur de soutènement un soir d'orage. Un prétexte efficace pour mettre à jour les dérives dans ce milieu et dont on prend la pleine mesure par l'entremise de Shérif, un syndicaliste bedonnant mais perspicace qui va servir de guide pour notre détective privée. Une partie tellement réaliste que l'on se demande si Michèle Pedinielli ne s'est pas inspirée de faits réels qui auraient défrayé la chronique. On trouve d'ailleurs un article évoquant un effondrement du tunnel qui s'est produit au mois de juillet 2017. Quoi qu'il en soit on ne peut qu'apprécier ce polar dynamique et efficace qui nous entraine dans les différents quartiers de la ville à la rencontre de tout un panel de protagonistes détonants qui mettent en valeur, au gré d'échanges tonitruants, cette détective privée atypique que l'on se réjouit de retrouver dans Après Les Chiens (Aube noire 2019) et La Patience de L'Immortelle (Aube noire 2021), qui font suite ce premier opus très réussi.  

     

     

    Michèle Pedinielli : Boccanera. Editions de l'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Good Fortune de PJ Harvey. Album : Storie from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.