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  • CHRIS OFFUTT : LES FILS DE SHIFTY. PARADIS ARTIFICIELS.

    chris offut,les fils de shifty,éditions gallmeisterSans parler d'une école des Appalaches, il y a quelques similarités qui apparaissent dans l'œuvre d'écrivains tels que Ron Rash et David Joy comme cet amour de ces contrées perdues de la Caroline du Nord qu’ils distillent tout en abordant, avec une sobriété toute poétique, les vicissitudes de leur communauté qu'ils côtoient depuis toujours. Plus au nord, mais toujours situé dans le cadre de cette région montagneuse de l'est des Etats-Unis, on parlera plutôt d'une influence ou bien d'un courant littéraire qui englobe également l'œuvre de Chris Offutt dépeignant, avec un souffle similaire, les territoires escarpés du Kentucky où l'on observe la déshérence d'hommes et de femmes de la marge évoluant dans le marasme du déclin économique qui touche une population fortement précarisée. Alors forcément, dans un tel contexte, on parlera bien évidemment de romans noirs que l'on désigne parfois sous l'appellation réductrice de "country dark" en lien avec l'environnement dans lequel se déroule l'ensemble de ces récits. Country Dark, c'est d'ailleurs le titre de la version originale de Nuits Appalaches (Gallmeister 2019) roman emblématique de Chris Offut qui a contribué à sa renommée en France tout comme le recueil de nouvelles Kentucky Straight (Gallmeister 2018) ainsi que, dans une moindre mesure, Le Bon Fils (Gallmeister 2018) marquant ses débuts dans l'écriture. Au-delà de ses romans, on trouve le nom de Chris Offutt au générique de séries telles que Treme, True Blood ou Weeds, en tant que scénariste et producteur durant sa période où il a cédé aux sirènes d'Hollywood pour faire bouillir la marmite avant de s’installer dans le Mississippi. C'est désormais autour de ce qui s'annonce comme une trilogie que l'on retrouve Chris Offutt avec un premier opus intitulé Les Gens Des Collines mettant en scène Mick Hardin, vétéran de la guerre d'Irak et d'Afghanistan, devenu enquêteur pour le compte de l'armée et qui retourne dans la région de son enfance pour constater que son mariage est brisé tout en investiguant pour le compte de sa sœur Linda, shérif du comté, au sujet du meurtre d’une jeune veuve qui risque d’embraser la communauté prompte à faire justice elle-même. C'est peu dire que l'on avait apprécié d'évoluer dans l'univers à la fois âpre et attachant de ces collines boisées du Kentucky et que l'on se réjouit donc de retrouver Mick et sa sœur Linda dans Les Fils De Shifty, second ouvrage de la série.

     

    Rocksalt, Kentucky. Victime d'une blessure de guerre à la jambe, Mick Hardin tente de trouver un peu de réconfort auprès de sa sœur Linda qui l'héberge dans la maison familiale où ils ont vécu durant toute leur enfance. Avant de reprendre du service au sein de l'armée, il doit se débarrasser de son addiction aux antidouleurs, régler la procédure d'un divorce douloureux et gérer la nervosité de sa sœur qui est en pleine campagne électorale pour sa réélection au poste de shérif du comté. C'est peut-être la découverte du cadavre d'un dealer local sur un parking de la ville qui va sortir Mick Hardin de son marasme, ce d'autant plus qu'il s'agit du fils de la veuve Shifty Kissick qu'il connaît très bien. Estimant qu'il s'agit d'un énième règlement de compte entre dealers, la police ne compte pas enquêter, raison pour laquelle la veuve Shifty demande à Mick de découvrir le coupable. Des indices l'incite rapidement à penser qu'il s'agit d'une mise en scène, ce qui le pousse à fouiner dans les collines environnantes et plus particulièrement dans le secteur d'une mine abandonnée. Le temps presse, ce d'autant plus que le second fils Kissick est lui aussi abattu de deux balles. Qui peut bien en vouloir aux membres de la famille de Shifty ? Mick Hardin a intérêt à le découvrir rapidement s'il veut éviter toute escalade de la violence au sein d'une population qui a pour habitude de faire parler la poudre pour régler ses comptes. 

     

    De la crise des opioïdes frappant les Etats-Unis depuis 1995, Chris Offutt nous en rapporte les conséquences, par petites touches, au détour de l'addiction à l'oxycodone de Mike Hardin qui tente, tant bien que mal, de se sevrer de ce médicament qu'on lui a prescrit pour lutter contre ses douleurs à la jambe. C'est également cette implantation de dealers d'héroïne, ceci même dans les paysages les plus reculés de la région du Kentucky, qui nous permet de prendre la mesure de ce phénomène touchant l'ensemble d'une communauté semblant comme résignée face à une telle ampleur. Dans cet environnement en déshérence, on observe également que les perspectives d'avenir se résumant à intégrer les forces armées ou à se lancer dans le trafic de drogue tandis que les mines abandonnées servent de dépôts pour les résidus hautement toxiques de la fracturation hydraulique de schiste. Avec l'économie des mots que le caractérise, c'est donc autour de ces thèmes que Chris Offutt nous entraîne au gré d'une intrigue à la fois épurée et solide nous permettant de parcourir les collines de son enfance qu'il dépeint avec ce soupçon de poésie où l'on saisit quelques instants de grâce comme la voltige de quelques oiseaux du coin ou cette brise caressant les branches des arbres dans un balancement majestueux. Dans un bel équilibre, sans jamais glisser vers un misérabilisme ambiant ou une verve poétique outrancière, l'auteur conjugue la beauté des paysages du Kentucky, cher à son cœur, à la noirceur d'une intrigue policière violente prenant parfois l'allure d'un western contemporain notamment durant un règlement de compte final explosif. Et puis il y a tous ces personnages attachants que l'on voit évoluer dans leur quotidien à l'exemple de Johnny Boy Tolliver, adjoint du shérif tenant ses dossiers méticuleusement à jour, de son cousin Jacky Turner, un inventeur de génie, un peu barré, un brin "complotiste" qui remet en état le pick up Chevy 63 de Mick Hardin ou de Raymond Kissick, soldat au sein du corps de Marines, unique survivant de la fratrie qui va faire son coming-out auprès de sa mère, au détour d'un échange savoureux, imprégné de pudeur et d'une certaine tendresse. Mais Mick Hardin, en enquêteur tenace et impliqué parfois trop entêté, est également entouré de femmes qui lui tiennent la dragée haute, à l’instar de sa soeur Linda remettant régulièrement en cause son attitude renfermée et bien trop centrée sur lui-même, tout en endossant la fonction de shérif du comté et dont on suit le quotidien ordinaire ponctué de diverses obligations officielles en vue de sa réélection. Dotée d’un caractère tout aussi affirmé, endossant le rôle de matriarche d’une famille décimée par une succession de tragédies en lien avec le trafic de drogue, on apprécie le personnage de la veuve Shifty, et plus particulièrement cette dignité, mais également cette colère intérieure qui bout en elle, à l’annonce de la mort de ses deux fils. De tout cet ensemble parfaitement mis en scène, il émane une atmosphère âpre, imprégnant tant les personnages que l’environnement dans lequel ils évoluent au gré d’un texte d’un justesse sidérante. La drogue bien sûr, la guerre en arrière-plan, l’abandon économique et ces éclats de violence au sein d’un cadre somptueux, ce sont tous ces thèmes que Cris Offut aborde avec Les Fils De Shifty pour nous livrer le portait saisissant de vérité d’une Amérique désenchantée, mais pas désespérée.

     

     

    Chris Offutt : Les Fils De Shifty (Shifty's Boys). Editions Gallmeister 2024. Traduit de l'anglais (Etat-Unis) par Anatole Pons-Reumaux.

    A lire en écoutant : Release de Pearl Jam. Album : Ten. 1991 Sony Music Entertainment Inc.

  • JOSEPH INCARDONA & THOMAS OTT : LONELY BETTY. INSPIRATION.

    Capture d’écran 2023-05-29 à 20.49.17.pngDans l'univers du noir émerge la lumière et c'est cette particularité qui définit l'oeuvre sombre de ces deux artistes suisses que sont Joseph Incardona, auteur lausannois de romans se situant à la périphérie des genres et Thomas Ott, illustrateur zurichois se distinguant avec la technique de la carte à gratter où l'incision avec un cutter japonais laisse apparaître un dessin en noir sur blanc aux tonalités à la fois poétiques et inquiétantes. Evoluant sur des registres semblables de la littérature noire et de l'univers underground, il était donc logique que ces deux artistes helvétiques se rencontrent en travaillant autour d'un projet commun avec la réédition aux éditions Finitude de Lonely Betty, roman emblématique de Joseph Incardona désormais enrichi de sept illustrations de Thomas Ott soulignant l'atmosphère angoissante d'un texte aux contours fantastique rendant hommage à un grand romancier du genre.

     

    joseph incardona,thomas ott,lonely betty,éditions finitudeA la veille de Noël, il neige sur Durham, cette petite ville du Maine où vit Betty Holmes et dont la communauté s'apprête à fêter ses 100 ans. Séjournant dans un home pour personnes âgées, cette ancienne institutrice s'est murée dans le silence depuis 54 ans, suite à la disparition tragique de trois de ses élèves. Un événement dont elle ne s'est jamais remise. Mais alors que l'on célèbre son anniversaire, la vieille femme surprend tout son entourage en vomissant sur son gâteau avant de faire entendre le son de sa voix en exigeant de voir immédiatement le lieutenant à la retraite John Markham. Elle a des révélations à faire au sujet de l'un de ses anciens élèves devenu célèbre. Mais après s'être confiée auprès du policier, Betty ne célèbrera pas Noël. Que peut-elle bien avoir raconté au vieil enquêteur chevronné ?

     

    On se réjouit de la mise au goût du jour de ce bref ouvrage d'une centaine de pages empruntant tous les codes du genre avec une convergence entre le roman policier et le roman fantastique s'articulant autour du caractère marqué d'une galerie de personnages sublimant un récit aux entournures malicieuses et au final fracassant, véritable déclaration d'amour à l'une des grandes figures de la littérature populaire. Sur la base de ce pastiche nuancé à l'ambiance inquiétante, joseph incardona,thomas ott,lonely betty,éditions finitudeThomas Ott nous offre sept illustrations dont les cadrages élaborés soulignent la tension de l'intrigue en marquant les temps forts de chacune des parties du roman. On y distingue ainsi, l'infirmière pulpeuse, le vieux flic revenu de tout, la silhouette des trois élèves disparus s'enfonçant dans la forêt, Betty bien évidemment ainsi que son célèbre élève lui causant tant de tourments. Comme un fait exprès, Thomas Ott s'emploie à dissimuler une partie des traits des protagonistes que ce soit par le biais du cadrage ou de la lumière en jouant avec le contre-jour, afin d'accentuer la part de mystère et de singularité émanant d'une histoire aux allures de conte obscur sublimé d'illustrations aux détails envoûtants, lui conférant une envergure phénoménale et détonante. Symbiose de l'image et du texte, Lonely Betty incarne ainsi le choc d'une rencontre artistique d'envergure qu'il convient de saluer.

     

    Joseph Incardona & Thomas Ott : Lonely Betty. Editions Finitude 2023.


    A lire en écoutant : Lonely Betty de The Pollies. Album : Not Here. 2015 Single Lock Records.

  • RIKU ONDA : EUGENIA. MORTEL POEME.

    riku onda, eugenia, atelier akatomboFranchement, il aurait été dommage de passer l'année sans lire un roman policier en provenance d'Asie et plus particulièrement du Japon, ce d'autant plus qu'une nouvelle fois, la maison d'éditions Atelier Akatombo nous propose de découvrir une première traduction en français d'un ouvrage de Riku Onda, un pseudonyme qu'emprunte la romancière Nanae Kumagai qui s'est lancée dans l'écriture depuis 1991 tout en travaillant comme scénariste pour le cinéma et la télévision. Avec une oeuvre auréolée de multiples distinctions et faisant également l'objet de nombreuses adaptations, Riku Onda se distingue notamment dans la littérature noire avec Eugenia qui obtint en 2006 le 59ème Mystère Writers of Japan Award qui célèbre le genre depuis 1948. Débutant sur un poème aux connotations mystérieuses, Eugnia rassemble ce qui fait la particularité de la littérature noire japonaise imprégnée de nuances subtiles et d'étrangetés déconcertantes.

     

    La chaleur est accablante et tout laisse présager l'arrivée d'un typhon sur cette ville côtière du Japon où malgré tout, la fête bat son plein dans le magnifique domaine de la famille Aosawa, ces notables propriétaires d'une clinique réputée qui célèbrent plusieurs anniversaires. Mais ce qui devait être une réception joyeuse, vire à la tragédie lorsque l'on découvre un nombre invraisemblable de personnes agonisantes qui semblent avoir été empoisonnées au cyanure. Malgré les soins apportés, dix-sept participants succomberont dans d'atroces souffrances. Rescapée, la jeune Hisako a assisté à la mort de ses proches sans pour autant donner d'indications à la police puisqu'elle est aveugle. Le meurtrier ne semble avoir laissé pour unique indice que ce poème étrange abandonné sur les lieux du crime. Bien des années plus tard, l'affaire reste encore marquante, nimbée d'un certain mystère comme en témoignent les proches, les enquêteurs et les voisins qui reviennent sur leurs perceptions des événements au gré de leurs souvenirs qui s'étiolent. On entame ainsi une narration aux voix discordantes semant le trouble autour d'une vérité émergente qui projette davantage d'interrogations que de réponses.

     

    Difficile de distinguer l'identité du témoin ainsi que celle de l'interlocuteur auquel il s'adresse dans cette succession de déclarations qui s'enchaînent pour former une narration aussi nébuleuse que fragile qui traduit de manière très habile toute la délicatesse du témoignage au travers de l'interprétation forcément orientée, donc subjective, ceci en fonction de la personnalité de celui qui l'incarne. Il en résulte un récit génial aux contours chaotiques que Riku Onda ramène subtilement dans son cadre imprégné de doutes et d'incertitudes et qu'elle traduit dans un texte nimbé d'une certaine poésie morbide qui achève de décontenancer le lecteur. S'il s'agit d'identifier le meurtrier dans la première partie du roman, l'intrigue bascule soudainement vers d'autres enjeux comme celui de connaître les mobiles qui l'on poussé à commettre un tel forfait avec la certitude d'obtenir des réponses incertaines ou partiellement biaisées. II émane ainsi de cet ensemble bancal une atmosphère trouble et dérangeante ce d'autant plus lorsque l'on se plonge dans le récit d'un des enquêteurs qui identifie l'auteur du crime sans en apporter les éléments de preuve en faisant d'ailleurs référence, sans le nommer, aux enquêtes du lieutenant Colombo ce qui est d'ailleurs amusant de retrouver dans un roman policier asiatique. Dans le domaine des références, Riku Onda fait également allusion l'affaire de l'empoisonnement de l'affaire Teigin que David Peace avait évoqué dans Tokyo, Ville Occupée (Rivages/Noir 2012). La comparaison n'est pas anodine puisque Eugenia ne nous fournit pas une intrigue avec des réponses clé en main pour nous laisser dériver dans une incertitude à la fois salutaire et déconcertante tout comme l'ensemble de ses personnages subtilement incarnés qui donnent davantage de réalisme à ce fait divers sordide que la romancière décline avec une intelligence redoutable. 

     

     

    Riku Onda : Eugenia (Yujinia ユージニア). Editions Atelier Akatombo 2022. Traduit du japonais par Mai Beck et Dominique Sylvain.

     

    A lire en écoutant : 初恋 de Hikaru Utada. Single. 2018 Sony Music Entertainment (Japan) Inc.

  • Chris Offutt : Les Gens Des Collines. La loi du Talion.

    chris offutt, les gens des collines, gallmeisterChacun s'est approprié un territoire qu'il représente au gré de ses écrits avec ce que l'on appelle communément le "Country Noir" désignant ces romans noirs ou ces polars ayant pour cadre des régions reculées de l'Amérique profonde et que Daniel Woodrell a initié avec son roman Faites-Nous La Bise (Rivages/Noir 1998) où figure ladite mention sur la couverture, dans sa version originale. Pour ce qui concerne le Kentucky et plus particulièrement la région minière des Appalaches, c'est sans conteste Chris Offutt qui s'est approprié cet Etat d'où il est originaire, en ayant vécu non loin des fameuses collines où il situe la majeure partie de ses intrigues à l'instar des recueils de nouvelles Kentucky Straight (Gallmeister 2018) et Sortis Du Bois (Gallmeister 2021) ou des romans comme Le Bon Frère (Gallmeister 2018) et Nuits Appalaches (Gallmeister 2020), un ouvrage qui a contribué à sa renommée dans nos régions francophones et dont le titre original, Country Dark, reprend donc l'expression utilisée par Daniel Woodrell. Dernier roman en date, Les Gens Des Collines bénéficie d'un beau concept graphique original où les cercles concentriques illustrent les cercles familiaux composant la communauté de la petite bourgade de Morehead et de ses collines avoisinantes se situant non loin de Haldeman, localité où a grandi Chris Offutt.

     

    Mike Hardin est de retour dans son Kentucky natal à l'occasion d'une permission accordée par l'armée qui lui donne l'occasion de constater que son mariage est moribond. Se réfugiant dans la cabane de son grand-père, nichée au coeur des collines qu'il affectionne, Mike noie son chagrin dans le bourbon qu'il a stocké en grande quantité. C'est sa soeur Linda, femme de caractère devenue première shérif du comté, qui va le tirer de sa léthargie afin quil puisse apporter son aide dans une sordide affaire de meurtre. On a découvert dans les bois, le cadavre d'une jeune veuve, ce qui suscite l'émoi au sein d'une région où la population est prompte à régler ses comptes elle-même. Linda voit en Mike, un vétéran respecté qui possède de solides compétences en tant qu'enquêteur au CID tout en connaissant parfaitement chaque membre de la communauté qui sera plus à même de se confier auprès de lui. Mais parviendront-ils à découvrir rapidement la vérité afin d'apaiser la colère aveugle qui gronde dans les collines ?

     

    S'orientant autour d'une enquête policière, on retrouve avec Les Gens Des Collines le style à la fois âpre et sobre de Chris Offutt qui nous offre, une fois encore, la possibilité de nous immerger au sein de cette communauté du Kentucky et plus particulièrement de ces individus qui vivent dans les collines environnantes avec ce sentiment d'appartenance omniprésent que l'on perçoit dans le contexte des investigations que mênent Mike Hardin et sa soeur Linda, deux personnages emblématiques, aux caractères forts et auxquels on s'attache rapidement.  C'est l'autre caractéristique de Chris Offutt que de nous proposer, ce type de protagonistes dont on découvre une épaisseur qui dépasse le cadre de l'intrigue avec les rapports qu'entretient Mike Hardin avec sa soeur, mais également avec son épouse et dont le mariage déclinant nourrit le récit dans le contexte des rapports familiaux entre les différents membres de cette communauté que l'auteur dépeint avec un belle justesse. Comme un guide nous permettant de percevoir cette mentalité chargée d'une certaine violence sous-jacente qui prévaut dans le comté de Rowan avec une population soudée et solidaire, on suit les pérégrinations de Mike Hardin menant une enquête sur un mode assez classique où son statut de vétéran fait de lui une personnalité respectée au sein d'une communauté qui se montre défiante vis à vis de l'autorité. C'est l'occasion de découvrir ainsi toute une galerie de personnages secondaires hauts en couleur et parfois attachants à l'instar du shérif adjoint Johnny Boy Tolliver, du vieux Tucker, cueilleur de ginseng octogénaire, ou du directeur de funérarium Marquis Sledge III officiant également comme coroner. Autour du crime de Veronica Johnson, le suspense ne réside pas tant dans l'identité du coupable mais de ce désir de vengeance qui émane de la famille et que Mike et Laura doivent tenter de contenir. Et puis il y a cette atmosphère électrique émanant de cette petite ville caractéristique du Kentucky et de sa nature environnante que Chris Offutt décline par petites touches subtiles pour nous livrer un tableau flamboyant dans lequel on apprécie de déambuler en compagnie de cette collectivité aux contours rugueux mais qui se montre plus avenante qu'il n'y paraît.

     

     

    Chris Offutt : Les Gens Des Collines (The Killing Hills). Editions Gallmeister 2022. Traduit de l'américain par Anatole Pons-Reumaux.

    A lire en écoutant : In Hell I'll Be In Good Compagny de The Dead South. Album : Good Compagny. 2014 Devil Duck Records.

  • CHRIS OFFUTT : LE BON FRERE. PRISONNIERS DANS L’IMMENSITE.

    chris offutt, le bon frère, éditions gallmeister, collection totem, missoula, montana, kentucky Une nature encensée et magnifiée dans laquelle on déploie les rapports humains au cœur de ces immensités sauvages pour nouer des tragédies silencieuses qui s’achèveront dans une violence sourde et assumée tout à la fois, en passant des forêts vallonnées du Kentucky aux massifs abrupts du Montana, Le Bon Frère de Chris Offutt s’inscrit dans ce fameux courant littéraire de nature writing en décrivant la longue errance d’un personnage enfermé dans cette logique du devoir à accomplir.

     

    Le sang appelle le sang. Tout le monde sait qui a tué Boyd. Mais dans les contrées délaissées des Appalaches où rien ne se règle par le biais des tribunaux, il faudra bien que Virgil fasse le nécessaire pour venger la mort de son frère. C’est en tout cas ce que tout le monde attend de lui, même s’il aspire à une vie tranquille dans ses collines du Kentucky. Mais l’attente est trop forte et personne ne fera en sorte de le dissuader d’accomplir son devoir, bien au contraire. Pourtant, tuer un homme n’est pas une chose aussi simple qu’il y paraît et cette spirale de violence pourrait bien ne jamais s’achever. Il faut donc fuir, traverser les immenses plaines du pays, puis se faire oublier dans les vallées sauvages du Montana pour tenter de panser ses blessures et ses regrets dans la solitude de l’exil.

     

    Sans être trop ostentatoire sur la forme, nous sommes immédiatement saisis par la prose lyrique de Chris Offutt dépeignant les contrées sauvages dans lesquelles évoluent ses personnages. Il y a tout d’abord cette première partie se déroulant dans le Kentucky où l’on perçoit toute l’affection que l’auteur porte à cette région dont il est originaire. Au travers des vallons, des forêts et de cette population locale disséminée, ce sont de somptueuses fresques naturalistes empruntes d’un élan poétique assumé qui nous permettent de nous immerger totalement dans le récit en suivant le quotidien de Virgil. Cette sensation de sérénité va bien évidemment s’estomper au fur et à mesure du périple de Virgil qui devient de plus en plus instable dans cette région du Montana paraissant plus hostile et plus inquiétante dans toute sa magnificence.

     

    Même si les territoires sont immenses, même si certaines contrées sont complètement délaissées, Virgil semble être à la recherche de cette frontière lointaine de l’ouest sauvage dont l’Alaska deviendrait l’ultime incarnation d’une quête de liberté inassouvie. Et pour cause, le paradoxe du roman célébrant l’oubli, la fuite et le renouveau provient du fait que tous les acteurs sont prisonniers de leurs peurs et de leurs devoirs. Pour Virgil, c’est bien évidemment cette nécessité d’accomplir une vengeance dont il ne perçoit pas l’impérieuse nécessité hormis dans le regard de son entourage qui fait pression sur lui. C’est encore plus tangible dans la logique de ces miliciens du Montana qui craignent l’intrusion d’un gouvernement personnifiant désormais cet ennemi invisible contre lequel il va falloir en découdre. Les portraits de ces miliciens sont d’ailleurs saisissants d’humanité avec leurs certitudes de lutter pour le bien commun et de protéger des valeurs qu’eux seuls seraient à même de partager.

     

    Un voyage mélancolique au cœur d’une Amérique rurale dépeinte sans ostracisme sur fond de paysages grandioses avec une belle description sans concession de la ville de Missoula, patrie de ce courant littéraire d’écrivains célébrant la nature et dont fait désormais partie Chris Offutt. Une belle écriture pour une intrigue solide sur le renoncement de l’identité et des racines. Le Bon Frère incarne le souffle brut de la poésie naturaliste, allié à la tragédie des grands romans noirs.

     

    Chris Offutt : Le Bon Frère. Editions Gallmeister/Collection Totem 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Freddy Michalski.

    A lire en écoutant : Song For James Welch de Richmond Fontaine. Album : $87 and a Guilty Conscience. 2007 El Cortez Records.

  • OTSUICHI : RENDEZ-VOUS DANS LE NOIR. JE NE TE VOIS PAS ET TU NE ME PARLES PAS !

    Capture d’écran 2014-07-21 à 18.21.17.pngC'est d'un ton assez péremptoire que l'on peut affirmer que l’avenir du roman noir et du roman policier se dessine du côté des pays asiatiques comme le Japon ou la Corée. Des cultures différentes et des états d’esprit  singuliers brisent régulièrement les codes de ces genres littéraires pour les transcender comme Otsuichi (nom de plume de Hirotaka Adachi), écrivain japonais que j’ai découvert un peu par hasard au détour du présentoir de ma librairie favorite.

     

    Capture d’écran 2014-07-21 à 18.24.04.pngL’un des ouvrages de Otsuichi, Goth, adapté pour un manga a déjà été traduit en français, mais n’étant pas un familier de ce support littéraire, je l’ai découvert par le biais d’un roman, Rendez-Vous Dans le Noir, publié par une petite maison d’édition spécialisée dans la littérature asiatique.

     

    Michiru est une jeune femme aveugle et solitaire qui vit recluse dans une grande maison à proximité d’une gare lorsqu’elle apprend qu’un homme a été poussé sous un train alors qu’il attendait sur le quai. Peu de temps après, Michiru ressent comme une présence dans sa maison. L’effroi passé, elle va tenter d’instaurer une espèce de dialogue silencieux avec cette mystérieuse présence qui s’obstine à rester muette  et qui semble attendre quelque chose. Mais s’agit-il vraiment du meurtrier et pourquoi Michiru s’obstine à ne pas signaler cette présence aux quelques connaissances qui viennent encore lui rendre visite ?

     

    Rendez-Vous Dans le Noir est un roman à la fois déroutant et ingénieux où l’auteur plonge ses deux personnages principaux dans une introspection tout en nuance et en subtilité qui met en exergue toute la problématique de l’absence de communication dans cette froide période de Noël. L’un des éléments qui surprendra le lecteur c’est de ne pas connaître exactement les circonstances du drame au moment où il se produit. Otsuichi interrompt le récit par une longue série de points de suspension pour passer sous silence cet élément capital. Cette ponctuation déroutante signale une manipulation importante de l’intrigue sans toutefois la dissimuler dans une série de faux semblants abscons. Un processus assez radical qui pourra ravir ou rebuter le lecteur. L’autre surprise du livre provient de cette rencontre muette entre Michiru et cet inconnu où l’absence de dialogue est compensée par une multitude de petits gestes qui donneront la tonalité des attitudes que devront adopter les deux protagonistes afin de s’apprivoiser au-delà de leurs handicaps respectifs. C’est tout l’enjeu de l’ouvrage qui se construit sur le passé et notamment l’enfance de ces deux personnages dont la rencontre ne s’avérera finalement pas si fortuite que cela. Et c’est bien là toute la force de ce roman où les « hasards » se révèleront être des mécanismes subtiles alimentant ainsi la série de rebondissements raffinés qui constituent l’intrigue.

     

    On regrettera peut-être la faiblesse des personnages secondaires à l’instar de la meilleure amie de Michuru dont le caractère infantile semble peu crédible nuisant ainsi à la qualité de l’histoire. Ce caractère puéril on le retrouve chez d’autres personnages qui jalonnent le récit comme ce jeune employé d’une imprimerie qui ne paraît absolument pas réaliste. Dans un texte aussi court ces petits défauts nuisent à la qualité de l’ensemble sans toutefois péjorer l’atmosphère mélancolique et angoissante de ce roman insolite.

     

    A l’instar d’un James Ellroy qui a ravivé les couleurs du roman noir dans les années quatre-vingts, il faudra peut-être un auteur d’une certaine envergure, une espèce de chef de file, pour amener le roman noir ou le polar asiatique sur les devants de la scène. Ce n’est qu’une question de temps et de traductions car les talents semblent être légion dans ces contrées lointaines.

     

    Otsuichi : Rendez-Vous Dans le Noir. Editions Philippe Picquier/Poche 2014. Traduit du japonais par Myriam Dartois-Ako.

    A lire en écoutant : Ryuichi Sakamoto : Playing The Orchestra. UK Box. Virgin 1989.

     

  • Jean-Hugues Oppel : French Tabloïds. Elections : vous en rependrez bien encore un peu ?

    FRENCH TABLOÏDS

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    Après des élections municipales bien trempées et pour ceux qui ne seraient pas saturés de slogans ravageurs sur l'insécurité, cap sur la France avec un polar où vous pourrez passer en revue les gros titres des médias français auxquels nous avons eu droit entre mars 2001 et avril 2002, année où un certain Jacques C. a obtenu un score stalinien de 82 % des suffrages contre un certain Jean-Marie Le P.

     

    Dans ce contexte voici le point de vue d'un auteur pour expliquer comment les électeurs ont été contraint à un tel choix : « French Tabloïds » de Jean-Hugues Oppel.

     

    Avec ce roman, Jean-Hugues Oppel nous entraine dans les arcanes des agences de communication, des services secret et de la police qui œuvrent toutes pour que le grand raout des élections présidentielles ne soient plus qu'une formalité. On y suit également le parcours d'un homme solitaire qui glisse doucement dans une paranoïa démente.

     

    L'auteur parvient à mêler habilement  fiction et faits d'actualité en s'inspirant du style de James Ellroy. En fait, il s'agit, ni plus ni moins, d'un hommage réussi à l'un des maîtres du polar. Outre le titre qui fait évidemment référence à American Tabloïds, on trouve le même rythme dans l'écriture et chaque chapitre est précédé d'une série de gros titres extraite des divers médias qui ont ponctué la vie des français durant cette période.

     

    Sans être aussi dense et aussi détaillé que l'œuvre à laquelle elle fait référence, cette histoire bien menée et bien rythmée se lit d'une traite. Jean-Hughes Oppel décrit sans concession la grande manipulation des masses et les magouilles étatiques pour y parvenir et que l'on y adhère ou pas, on se laisse emporter pour suivre les tribulations de l'infâme commissaire Jacques Lerois, du lieutenant de police Hélène Carvelle, du machiavélique Piers Goodwhille, de la mystérieuse agence PML Consulting et surtout du banal mais très inquiétant Victor Courcaillet. Une histoire qui n'a presque aucun rapport avec notre actualité politique locale !

     

    A l'exception des aficionados du roman noir, Jean-Hugues Oppel n'a pas la reconnaissance qu'il mérite alors que c'est un auteur majeur du polar français. Six Pack (dont on a tiré une médiocre adaptation au cinéma), Brocéliande-sur-Marne, Chaton : Trilogie et Cartago sont quelques un de ses romans dans lesquels gravitent fréquemment héros dépassés et sinistres criminels diaboliques. Mais pas de détective, flic ou méchants récurrents au gré de histoires. Un pari courageux lorsque l'on voit les succès commerciaux de certains auteurs qui usent parfois leurs personnages principaux jusqu'à la corde (non je ne donnerai pas de noms).

     

    Avec Jean-Hugues Oppel vous vous plongerez dans des récits engagés, tous plus originaux les un que les autres où l'auteur marie très fréquemment politique et polar qui ne font jamais très bon ménage.

     

    Jean-Hugues Oppel : French Tabloïds. Edition Rivages/Thriller 2005.