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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 87

  • Zygmunt Miloszewski : Les Impliqués. Sous le ciel de Varsovie.

    Capture d’écran 2015-05-15 à 15.58.09.pngLe ghetto de Varsovie, la révolte ouvrière de Gdansk, Solidarnosc … De prime abord on a une image bien sombre de la Pologne qui reste à bien des égards un pays méconnu que l’on peut désormais découvrir par le biais des excellents romans policiers de Zygmunt Miloszewski. L’auteur connaît un succès retentissent et mérité avec Un Fond de Vérité paru cette année aux éditions Mirobole. Même s’il n’est pas indispensable à la compréhension du récit, il serait pourtant dommage de passer à côté du premier roman de la série intitulé Les Impliqués, paru en 2013, mettant en scène le procureur Teodore Szacki officiant dans la ville de Varsovie.

     

    Un patient retrouvé mort, avec une broche à rôtir plantée dans l’œil, met fin à la thérapie de groupe dirigée par le Dr Rudzki. Sous sa conduite le groupe s’était retiré dans un ancien monastère pour pratiquer une méthode de mise en situation appelée « Constellation familiale ». Cette thérapie d’un nouveau genre serait-elle allée trop loin ? S’agirait-il d’un cambriolage qui aurait mal tourné ? C’est ce que le procureur Teodore Szacki va devoir déterminer. Mais en mettant à jour des éléments enfouis dans un passé pas si lointain, le fonctionnaire de justice va raviver les souvenirs douloureux d’un pays autrefois sous le joug d’influences idéologiques inquiétantes. Car malgré une transition pacifique, les réseaux secrets d’un régime à présent honni ont-ils vraiment tous disparus ?

     

    Les Impliqués est un récit qui se déroule  sur une quinzaine de jours en juin 2005. Si l’enquête du procureur Szacki débute de manière laborieuse avec les aspects  fastidieux d’un traditionnel « mystère de la chambre close » il ne faut pas se décourager et persévérer dans cette lecture qui s’avèrera plus enrichissante qu’il n’y paraît de prime abord. En introduction aux différentes journées, l’auteur dresse avec maestria un panorama de l’actualité du pays et de la ville de Varsovie pour poser le contexte dans lequel vont évoluer ses personnages. L’approche est pertinente et nous incite donc à découvrir la suite d’un récit destiné initialement à un lectorat local. Zygmunt Miloszewski prend son temps pour installer son personnage principal et le faire évoluer dans les rouages complexes d’une entité judiciaire où il peine à trouver sa place tant les affaires courantes sont monotones avec son cortège de violences domestiques et d’agressions entre ivrognes.  Par petites touches subtiles, nous découvrons le quotidien de ce procureur au travers des enquêtes parallèles qu’il doit mener en marge de son affaire principale. Szacki est un personnage en proie aux doutes que ce soit dans le système judiciaire de son pays, que dans tous les aspects de sa vie familiale et sentimentale. Il évolue ainsi dans une ville de Varsovie que l’auteur décrit sans complaisance ce qui lui donne d’avantage de crédibilité. On est donc loin de la carte postale idyllique ou pittoresque et du héro sans peur et sans reproche. C’est là toute la force de ce roman où l’on découvre de manière subtile les problèmes journaliers auxquels doit faire face ce fonctionnaire peu sympathique, séducteur dans l’âme et surtout très imbu de lui-même.

     

    Entre un début plutôt hésitant et une transition finale quelque peu brutale, on déplorera le manque d’équilibre entre les différentes parties du roman. Mais l’enquête comporte son lot de rebondissements et de fausses pistes qui nous entrainent dans le passé d’un pays qui se remet doucement des affres du communisme mais qui est loin d’avoir réglé ses comptes avec les évènements tragiques qui l’ont amené à se libérer du joug totalitaire. On regrettera d’ailleurs que l’auteur ne s’attarde pas suffisamment sur ses aspects historiques qu’il amenait pourtant avec beaucoup de talent sur le devant de la scène. Edulcorés, certains évènements réels méritaient peut-être d’avantage de développement pour le lecteur peu au fait de l’histoire contemporaine polonaise. Néanmoins, l’auteur installe une dose de suspense teinté de paranoïa qui donne du dynamisme à un récit brillant dont le final s’avèrera aussi surprenant qu’un célèbre roman d’Agatha Christie dont la référence ne saurait être citée afin de ne pas gâcher la surprise.

     

    Les Impliqués c’est le début d’une nouvelle série policière qui se révèle être une des très agréables surprises qui vient désormais agrémenter le paysage du roman policier. Une belle découverte à ne manquer sous aucun prétexte.

     

    Zygmunt Miloszewski : Les Impliqués. Traduit du polonais par Kamil Barbarski. Mirobole éditions 2013.

    A lire en écoutant : II (Suspended Variations). Album : Suspended Night. Tomasz Stanko Quartet. ECM Records GmbH 2004.

  • SUNIL MANN : L’AUTRE RIVE. UN INDIEN A ZURICH.

    Capture d’écran 2015-05-02 à 22.24.35.pngLorsqu’une série démarre, il y a toujours un peu d’appréhension lors de la découverte du second opus comme c’est le cas pour L’Autre Rive de Sunil Mann qui nous livre la deuxième enquête de son détective privé d’origine indienne Vijay Kumar. C’était avec la Fête des Lumières que l’on avait rencontré ce détective atypique arpentant les rues d’une ville de Zürich désormais classée  au premier rang des cités les plus chères du monde et au second rang des villes possédant la meilleure qualité de vie. Dans ce contexte d’une Suisse aux villes florissantes, les récits de Sunil Mann prennent une certaine intensité en pointant tous les aspects peu reluisants d’une société qui se voudrait être un modèle du genre.

     

    Dans une forêt proche de l’aéroport de Zürich, on découvre le corps sans vie d’un jeune migrant. Congelée, les membres brisés, la victime semble être tombée d’un avion dans lequel elle se serait introduite clandestinement. C’est en tout cas à cette conclusion qu’arrive Vijay Kumar qui accompagne son ami journaliste José sur les lieux de la tragédie. L’affaire serait donc vite classée s’il n’y avait pas ce mystérieux commanditaire enjoignant le détective indien à faire la lumière sur les circonstances troubles de ce décès. D’une piste à l’autre, Vijay Kumar va évoluer dans le milieu gay pour traquer un mystérieux personnage souhaitant à tout prix dissimuler ses préférences sexuelles.

     

    Des notables de la ville, aux migrants vivant dans la clandestinité, Sunil Mann parvient, avec un rare talent, à dresser tous les portraits de la scène gay zurichoise, sans pour autant verser dans une vision caricaturale. Parfois sensible, drôle ou franchement glauque, nous découvrons les différentes castes de ces protagonistes empêtrés dans un lourd voile d’apparences et de bienséances. C’est sous le poids du conformisme que ces personnages, en lutte avec eux-mêmes, doivent évoluer dans une ville qui derrière son apparence bienveillante, peine à accepter la différence. Chasses et tabassages d’homos, reprogrammations spirituelles, Sunil Mann nous livre un portrait réaliste et sans concession d’une société en proie à de lourdes intolérances sur l’orientation sexuelle que d’ailleurs le droit pénal suisse ne sanctionne toujours pas au niveau des discriminations.

     

    Malgré la gravité du thème, il y a dans le texte de Sunil Mann cet humour corrosif qui émaille les dialogues en donnant à l’ensemble du récit une certaine légèreté. On apprécie toujours autant Vijay Kumar et son entourage, car il s’agit de personnages réalistes dont les évolutions s’avèrent particulièrement pertinentes en donnant d’avantage de relief à une histoire qui n’en manquait d’ailleurs pas. L’intégration d’une famille de migrants de première et seconde génération reste l’un des thèmes de prédilection de Sunil Mann. Avec un portrait poignant du père de Vijay, l’auteur parvient à nous exposer avec une belle sensibilité toute la problématique de l’insertion de ces premières vagues de migrants qui ont tout donné sans prendre le temps de s’intégrer, occupés qu’ils étaient à travailler sans compter pour le bien-être de leurs familles. Le Kreis 4 (arrondissement) où réside notre détective reste toujours aussi pittoresque, même si les lumières des bars à champagne et des sex-shops prennent des tonalités mélancoliques dans cette atmosphère hivernale d’une ville qui semble comme prête à s’endormir dans la quiétude des convenances.

     

    L’Autre Rive est un récit habile et dynamique qui ne manque pas de suspense, sans pour autant tomber dans les artifices des rebondissements outranciers. Un bel équilibre entre le portrait social, l’enquête policière et la comédie de mœurs font de Sunil Mann un auteur à part qui mérite le détour. Du bon polar helvétique !

     

    Sunil Mann : L’Autre Rive. Traduit de l’allemand par Ann Dürr. Editions des Furieux Sauvages 2015.

    A lire en écoutant : Pass Them By de Agnes Obel. Album : Aventine. Agnes Obel released 2013. PIAS Entertainment group.

  • François Médéline : Les Rêves de Guerre. "Lire rend moins con"

    françois médecine, les rêves de guerre, la manufacture des livres, « Lire rend moins con » c’est avec cet aphorisme de Claude Mesplède que l’on pourrait débuter cette chronique consacrée au dernier roman de François Médéline, Les Rêves de Guerre. Il y a comme ça dans le paysage littéraire des ouvrages qui vous échappent. Et malgré toute la bonne volonté que vous y apportez, il faut bien admettre que l’on ne parvient pas toujours à saisir le sens du récit vers lequel certains auteurs veulent entrainer le lecteur. Lire rend peut-être moins con, mais donne parfois l’impression de l’être toujours un peu. Roman iconoclaste ou récit brillant, Les Rêves de Guerre fait partie de ceux-là.

     

    Michel Molina est un flic atypique qui dirige un groupe de la SRPJ de Lyon. La quiétude des bord du Léman et son charmant petit village d’Yvoire qui l’a vu naître, tout cela est désormais loin derrière lui jusqu’au jour où il reçoit deux coupures de presse relatant le parcours d’un simple d’esprit de la région, condamné pour le meurtre d’un ami d’enfance et qui, après vingt ans de placard, s’empresse de tuer le frère de la victime. Mais autour de ces deux faits divers tragiques, Molina sait parfaitement que la version des journaux ne reflète pas toute la vérité. Accompagné du « Vieux », flic revêche et alcolo, Michel Molina va retourner sur les lieux de son enfance pour mettre à jour les magouilles de cette bourgeoisie provinciale. Amours défunts, sectes solaires, combines financières et politiques, tractations douteuses entre deux pays voisins, Michel Molina va surtout mettre à jour les secrets liés à sa jeunesse et à sa famille peu ordinaire composée d’un frère truand international désormais en cavale et d’une mère mystérieuse dont il découvre le passé par le biais du texte d’un écrivain mythique qui porte le même nom que lui. Du bordel du camp de la mort de Mauthausen aux eaux troubles du Léman, François Médéline interroge la mort, la vengeance et surtout cet irrépressible besoin d’écrire.

     

    Que l’on ne s’y trompe pas, outre le fait d’être tous un peu con, il faut comprendre que Les Rêves de Guerre est un roman spécialement destiné à malmener le lecteur. C’est un récit baroque, chaotique, surchargé de fioritures dont certaines s’avèrent inutiles. Il y a trop de trop dans ce récit. Trop d’intrigues parallèles, trop de styles différents, trop de questions, trop de réponses, trop de références. On s’y perd. C’est très souvent brillant, parfois pompeux et très rarement ennuyant. Le tout est déconcertant, c’est le moins que l’on puisse dire.

     

    Je vous laisse tout d’abord vous attarder sur la couverture du livre. Elle est magnifique. Le portrait d’une femme du ghetto de Varsovie prise par le photographe personnel de Hitler. Ce visage souriant qui se ferme au cliché suivant, illustre l’ambivalence qui résonne tout au long du livre de François Médéline. C’est probablement une Natacha, personnage central du roman.

     

    En guise d’introduction les cinq premières pages au style aussi insolite qu’artificiel nous présente un trio maudit, composé de deux hommes et d’une femme, s’évadant du camp de la mort de Mauthausen. Un style qui n’appartient pas à François Médéline, mais à l’un de ses personnages dont il nous livre des extraits de son roman culte. On oscille entre l’agacement et l’émerveillement pour finalement se laisser entrainer dans ce déferlement de mots disparates chargés d’émotions. Le retour à la normal est relatif puisque le style de l’auteur reste déconcertant avec cette propension surprenante à décliner le passé sur le mode du présent. On évolue principalement dans les années 80 que François Médéline parvient à nous restituer avec une belle justesse que ce soit par l’entremise de la musique, des nouvelles diffusées par les médias et surtout la fameuse Citroën CX. Une belle écriture très bien travaillée nous permet de découvrir des protagonistes atypiques évoluant dans une atmosphère qui évoque les films de Guillaume Nicloux. On appréciera donc ces seconds couteaux comme le « Vieux » flic qui rappelle un Bérurier à l’âme plus sombre. Le personnage principal n’est malheureusement pas dépourvu de clichés. Un flic rebelle qui fume et deal du haschich, franchement on a vu mieux et surtout plus original. Le côté borderline reste également très convenu. Et puis il y a ce romancier énigmatique qui nous livre dans une interview d’Apostrophe sa vision  alambiquée, parfois conflictuelle du monde littéraire qu’il méprise dans des envolées délirantes. Sans servir le récit, ce passage ostensiblement pompeux semble parfois refléter le point de vue de l’auteur qui se dissimule derrière les propos de son personnage.

     

    Alors bien sûr, on me dira que je suis trop con pour avoir saisi derrière ce texte chaotique toute la quintessence du génie de l’auteur, la perspective du bien et du mal, la puissance d’un final onirique qui donne son titre au livre, des personnages qui rendent hommage à l’univers de Bialot. Et puis Emile Verhaeven, Juan Ramon Jiménez, Les Nocturnes de Chopin et même Nietzsche. Un étalage culturel éblouissant qui devient finalement trop indigeste.

    Avec Les Rêves de Guerre, je me suis perdu dans un roman troublant, déstabilisant où le talent de l’auteur se disperse dans une mise en scène qui oscille entre le sublime et le grotesque. Un livre puissant qui manque parfois de tenue mais qui mérite d’être découvert car même si vous n’en maîtrisez pas tous les tenants et aboutissants, il est absolument certain qu’il vous rendra un peu moins con. 

     

    François Médéline : Rêves de Guerre. Edition La Manufacture de Livres 2014.

    A lire en écoutant : Gorecki - Symphony No. 3 : III. Lento - Cantabile semplice.                             David Zinman, Dawn Upshaw & London Sinfonietta. Nonesuch Classique 1998.                       

     

  • LES POLARS DU SIECLE !


    Capture d’écran 2015-04-19 à 12.00.56.pngLes dix meilleurs polars de tous les temps. Rien que ça ! Avec ce titre ambitieux pour une démarche qui l’est tout autant, on peut se féliciter de l’initiative du Matin Dimanche qui consacre 4 pages aux polars. Si cet hebdomadaire dominical pouvait consacrer ne serait-ce qu’une page  dans ses parutions futures ce seraient encore mieux.

     

    Partenaire de la Scène de Crime, dans le cadre du salon du livre à Genève, le Matin Dimanche a réuni un jury international, dont chaque membre (journalistes, chroniqueurs, écrivains, bloggeurs et éditeurs) a établi une liste des dix polars impérissables. C’est la fusion de ces listes qui a permis à la rédaction d’établir le palmarès final. Que l’on ne s’y trompe pas, l’exercice ne peut susciter que frustrations, discussions, voire même confrontations. C’est d’ailleurs le seul intérêt que l’on peut trouver à ces classements. Pour ma part, je déplore que David Peace n’y figure pas.

     

    Le classement :

    1. Moisson Rouge de Dashiell Hammet
    2. Mr Ripley de Patricia Highsmith
    3. Le Dahlia Noir de James Ellroy
    4. The Long Goodbye Raymond Chandler 
    5. L'assassin qui est en moi de Jim Thompson
    6. J'étais Dora Suarez de Robin Cook
    7. Le Grand Nulle Part de James Ellroy 
    8. Le Grand Sommeil de Raymond Chandler 
    9. La Position du Tireur Couché de Jean-Patrick Manchette
    10. L'Inconnu du Nord Express de Patricia Highsmith
    11. L.A. Confidential de James Ellroy 
    12. On Achève Bien les Chevaux de Horace McCoy et Roseanna de Maj Söwall et Per Wahlöö
    13. Le Faucon Maltais de Dashiell Hammet
    14. L'Espion qui Venait du Froid de John le Carré
    15. La Femme en Blanc de William Wilkie Collins
    16. Millenium 1 - Les Hommes qui n'aimaient pas les Femmes de Stieg Larsson et Nécropolis de Herbert Lieberman
    17. Le Diable Tout le Temps de James Ray Pollock
    18. L'Analphabète de Ruth Rendell

     

    Avec un jury international, ce sont les romans des USA et de la Grande Bretagne qui trustent ce palmarès avec 9 ouvrages en tête où l’on découvre des grands auteurs classiques comme Dashiell Hammet, Raymond Chandler et Patricia Highsmith. Dans ce listing figure également James Ellroy, Jim Thompson et Robin Cook. Bref, rien de très vraiment surprenant, hormis le fait que Manchette figure en 9ème place avec La Position  du Tireur Couché. Roseanna de Sjowall et Wahloo est classé en 12ème position.

     

    Une page est consacrée à une interview de François Guérif. Toujours aussi pertinent, le directeur de la collection Rivages/Noir nous livre sa vision des romans dit « ethniques » et la formule pour faire un bon roman policier.

     

    Finalement l’intérêt de ce supplément spécial réside dans le choix du roman que chaque membre du jury  recommanderait à ses amis. Il y a bien évidemment des classiques, mais on y trouve également un florilège de polars beaucoup moins convenus qui peuvent susciter un certain intérêt. Parmi tous ces « hors séries » consacrés aux polars, c’est peut-être cet article qui permettra aux lecteurs chevronnés du genre, de découvrir quelques nouvelles pépites.

     

    A lire en écoutant : All or Nothing At All de John Coltrane. Album Ballads. Impulse 1961.           

     

  • JOSEPH INCARDONA : DERRIERE LES PANNEAUX IL Y A DES HOMMES. SOUS LE BITUME, L'ENFER.

    Service de presse.

     

    joseph incardona,derrière les panneaux il y a des hommes,éditions finitudeDepuis que j’anime ce blog, je me permets de n’accepter que très rarement des services de presse pour des maisons d’éditions, ce qui réduit quelque peu la possibilité de m’infliger des lectures insipides, voir même désagréables. Mais il y a parfois derrière cette démarche une véritable volonté de défendre un auteur et de faire en sorte que l’ouvrage publié bénéficie d’un écho plus conséquent. Une démarche d’autant plus louable pour des petites maisons d’éditions qui prennent de véritables risques en publiant des écrivains qui ne bénéficient pas toujours de la visibilité qu’ils seraient pourtant en droit de mériter. L’un des avantages du service de presse c’est de découvrir des romans que l’on n'aurait, à priori, pas sélectionner en musardant dans les librairies. Je pense que cela aurait été le cas avec le dernier ouvrage de Joseph Incardona, Derrière les Panneaux il y a des Hommes. Et ça aurait été bien dommage.

     

    Sur les aires de repos des autoroutes on croise des serveurs, des cuistos, des caissiers et des cantonniers. On y aperçoit également des gendarmes, des gérants, des routiers et des prostituées. Tout un univers clos, un peu mystérieux que l’on côtoie sans trop y faire attention lorsque l’on emprunte cette longue bande d’asphalte qui nous aspire avant de nous recracher le plus rapidement possible vers notre destination. Un univers fonctionnel où le mouvement et la vitesse sont de mise. Sur ces aires d’autoroutes, il y a parfois un père en bout de course qui traîne sa triste carcasse au cœur de ce microcosme. Il a tout abandonné et campe dans sa voiture en s’obstinant à rechercher celui qui a enlevé sa petite fille. Six mois déjà qu’il erre, patiente et observe tout ce petit monde afin de retrouver ce prédateur. Un homme en déshérence qui se prend à espérer à nouveau lorsqu’il apprend qu’une autre fillette vient de disparaître. Finalement il n’y a peut-être rien de plus vrai lorsque l’on dit que le malheur des uns fait le bonheur des autres.

     

    D’emblée, il faut dire que Derrière les Panneaux il y a des Hommes est un thriller pas tout à fait comme les autres. Bien sûr qu’il y a du rythme, des phrases courtes affutées comme des lames de rasoir, du suspense. C’est une histoire d’enlèvement, de traque et de tueur qui peut sembler de prime abord extrêmement convenue. On aurait tord de rester sur ces apparences car Joseph Incardona possède suffisamment de talent pour emmener le lecteur vers d’autres horizons que ceux auxquels il peut s’attendre. Le style elliptique et extrêmement visuel n’est pas au service du suspense, loin s’en faut car c’est par le prisme de ces longues énoncées de détails, d’anecdotes et de faits de société que l’on perçoit les perspectives de chacun des personnages. Tout au long du récit, l’auteur dresse le portrait sans fard de protagonistes vulnérables qui évoluent dans un univers complètement déshumanisé qui les renvoie ainsi à leur propre humanité. Seul un tueur froid et amoral peut s’y complaire. C’est peut-être pour cette raison d’ailleurs que l’auteur ne s’attarde pas trop sur les aspects sordides de l’intrigue. Il nous épargne ainsi tout un pan aussi convenu que fastidieux propre aux thrillers mettant en scène des tueurs en série pour se concentrer principalement sur les personnages secondaires qui hantent cet univers si particulier des autoroutes. Il n’y a pas de père ou de mère courage dans ce roman. Il n’y a pas de super flic ou de tueur machiavélique, mais des hommes et des femmes ordinaires, parfois un peu trop caricaturaux, qui se débattent dans un univers de bitume surchauffé dont ils ne peuvent pas s’extraire. Une vision de l’enfer ordinaire finalement.

     

    C’est paradoxalement en installant une chronique ordinaire autour d’un événement extraordinaire que Joseph Incardona nous livre un récit oppressant où la sensation de malaise est permanente. Thriller atypique doublé d’une satyre sociale sans concession, Derrière les Panneaux il y a des Hommes saura séduire les lecteurs exigeants.

     

    Joseph Incardona : Derrière les Panneaux il y a des Hommes. Editions Finitude 2015. 

    A lire en écoutant : Without You I Am Nothing interprété par David Bowie & Placebo. Single. Elevator Music 1999.