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  • Joseph Incardona : Stella Et L'Amérique. Get Up !

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    Même si ce n'est pas l'apanage des seuls auteurs américains, on observe dans le parcours de Joseph Incardona cette diversité dans les professions exercées, nous rappelant les trajectoires de vie tumultueuses de ces baroudeurs qui ont effectué une multitude de métiers avant de se lancer dans l'écriture avec cette sensation d'aventure, de soif de liberté et d'indépendance que l'on retrouve d'ailleurs dans leurs textes tout en portant un regard décalé sur la société qui les entoure à l'instar de John Fante, de Charles Bukowski ou de Harry Crews pour n'évoquer que quelques-uns de ces écrivains nourrissant son inspiration. Tout cela, on le retrouve dans l'ensemble de son œuvre, à commencer par la trilogie André Pastrella, son double de papier, dont les tribulations prennent l'allure d'une autofiction déroutante où l'on perçoit cette volonté prégnante du personnage de faire de l'écriture son métier au détour d'une vie plus ou moins instable et forcément riche en péripétie. Et puis il y a les romans bien évidemment, tous plus dévastateurs les uns que les autres, où l'absurde côtoie le cynisme nous rappelant, une fois encore, certains récits de ces écrivains américains qu'il aime citer. Cette influence américaine, parfois mêlée d'une certaine fascination, on la retrouve de manière assez évidente dans des textes tels que Lonely Betty (Finitude 2023) où Joseph Incardona rend hommage à un monument de la littérature de ce pays, alors que Misty (La Baleine 2013) fait référence à l'image du détective hardboiled d'une ville de Los Angeles forcément dévoyée. Il s'agit de brefs récits bousculant les clichés du rêve américain où l'auteur décline ce mal de vivre que l'on retrouve également dans Les Poings (Zoé poche 2024) où l'on rencontre Frankie Malone, boxeur désenchanté qui, des plaines hivernales du Midwest aux contrées ensoleillées de la Californie, entame son come-back afin de remonter sur le ring pour remporter le combat de sa vie. Et si l'on veut savoir ce qu'il est advenu de ce personnage déchu, on croisera Frankie Malone dans Stella Et L'Amérique, tout nouveau roman de Joseph Incardona nous entraînant dans le sillage d'une prostituée dotée d'un don de guérison miraculeux se produisant lors de ses étreintes tarifées avec ses clients.  

     

    Aux Etats-Unis, dans un bled paumé de la Georgie, il y a désormais toute une file d'éclopés en tout genre qui attendent devant le camping-car de Stella Thibodeaux, une jeune femme de 19 ans plutôt candide et plutôt jolie, exerçant le plus vieux métier du monde. Il faut dire que la nouvelle s'est rapidement répandue dans la région. Lors de ses séances tarifées, Stella guérit les malades et les paralysés en tout genre avec qui elle couche. L'un de ces miraculés se confie au père James Brown faisant remonter l'information à sa hiérarchie jusqu'à ce qu'elle parvienne aux plus hautes instances du Vatican. Entre dogme et sexe, le Saint-Père estime qu'il est plus approprié de faire de Stella une martyre dont on édulcorait le passé plutôt qu'une sainte encombrante. L'affaire est entendue et ce sont les jumeaux Bronski, tueurs dégénérés, qui vont se charger d'éliminer Stella en démontrant toute l'étendue de leurs compétences. Se rendant rapidement compte de son erreur, le père James Brown va prendre la jeune femme sous son aile et l'aider à fuir les tueurs lancés à ses trousses. Il faut dire que le prêtre, un ancien des Navy Seals, a de la ressource pour affronter tout ceux qui voudraient s'en prendre à sa protégée. Et pour contrer ses adversaires, le meilleur moyen de s’en sortir c’est de faire connaître le don de Stella au monde entier. Une histoire juteuse, un peu dingue, qui fleure bon le Pulitzer et que Luis Molian, journaliste pour le Savannah News, aimerait bien retranscrire en essayant de retrouver lui aussi les fuyards qui entament une course effrénée en traversant les contrées du sud du pays pour se rendre à Las Vegas, ville de tous les excès et de tous les pêchés. Les miracles n'ont pas de prix.

     

    Si La Soustraction Des Possibles (Finitude 2020) et Les Corps Solides (Finitude 2022), les deux précédents romans de Joseph Incardona, s'inscrivent dans un registre plus sombre et plus grave, Stella Et L'Amérique, avec son côté roman noir burlesque, nous rappelle davantage les tonalités déjantées que l'on trouvait dans Chaleur (Finitude 2018) avec ce concours improbable d'endurance dans un sana chauffé à 110 degrés. Cette noirceur qui nous fait grincer des dents, ce regard décalé sur le monde qui nous entoure, c'est ce que l'on apprécie chez l'auteur helvétique choisissant de nous entraîner dans les confins des état du sud d'une Amérique puritaine, dont il s'emploie à dynamiter les clichés qui en font sa légende. En croisant Santa Muerte la voyante et Tarzan le nonagénaire qui s'occupe des lions, ainsi que toute la galerie de freaks d'un cirque itinérant que Stella côtoie en sillonnant la région avec son camping-car lui permettant de travailler en toute indépendance, on pense bien évidemment à l'univers de Harry Crews pour rester dans le domaine littéraire, tandis que la violence émanant tant du père James Brown que des jumeaux Bronski nous rappelle, à certains égards, l'extravagance des films des frères Cohen. Autour d'un texte énergique aux ellipses vertigineuses, on apprécie cette marque de fabrique particulière de l'auteur interpellant directement le lecteur comme pour le secouer quelques instant avant de l'entraîner à nouveau dans le maelström de cette course-poursuite infernale. Et si l'action est omniprésente, Joseph Incardona prend le temps de la réflexion en abordant le thème de la foi et du dogme que l'on veut préserver à tout prix en l'opposant au désir et à la sexualité que l'on ne saurait concilier. On perçoit ainsi cette hypocrisie frappant les hautes instances religieuses préférant s'enfermer dans un déni meurtrier en s'autorisant à éliminer cette jeune prostituée encombrante faisant des miracles lors de l'exercice de son métier. Mais en jouant avec ces clichés imprégnés d'une dérision cinglante, Joseph Incardona évite l'écueil du pamphlet lourdingue en déclinant une atmosphère aux relents poisseux et âpres dans laquelle évolue ces personnages emblématiques du genre, mais dotés, pour certains d'entre eux, de caractéristiques dissonantes à l'image de ce prêtre James Brown, un nom pareil ça ne s'invente pas, incarnation de toutes nos contradictions. Cette opposition on la retrouve également dans les deux portraits de femmes qui traversent le récit avec tout d'abord Stella Thibodeaux, personnalité solaire se laissant porter par les événements, dont la générosité et la gentillesse se décline autour d'une certaine naïveté expliquant peut-être l'origine de ce don si encombrant dont elle est affublée, tandis que Brenda Moore, une inquiétante séductrice, manipule son entourage de tueurs et de commanditaires puissants pour parvenir à ses fins qui se révèlent peu honorables. Ainsi, au détour de cette tonitruante satyre sociale à la noirceur jubilatoire, Stella Et L’Amérique révèle, une fois encore, toute l’originalité d’un auteur talentueux qui ne cesse de se renouveler tout en nous bousculant dans nos certitudes.
     

     

    Joseph Incardona : Stella Et L'Amérique. Editions Finitude 2024.

    A lire en écoutant : Get Up I Feel Like Being A Sex Machine de James Brown. Album: Funk Power 1970: A Brand New Thang (feat. The Original J.B.s).1996 UMG Recordings, Inc.

  • MISE AU POINT 2024

    IMG_1291.pngDepuis quelques années, on ne compte plus les rentrées littéraires. Il y a tout d'abord celle de l'automne bien évidemment, débutant désormais à la fin du mois d'août, mais également celle du printemps pour combler les lecteurs estivaux et puis celle du mois de janvier qui n'est pas en reste avec une cohorte assez impressionnante d'ouvrages ornant soudainement les étals des librairies comme pour célébrer la nouvelle année qui s'annonce. Comme pour conjurer cette frénésie, il est de bon aloi de se retourner quelques instants sur les lectures de l’année passée, sans pour autant se livrer à un classement ou à un bilan comptable, sans doute pour dissimuler le fait, que contrairement à certains instagrammeurs, je ne parviens pas à aligner 150 ouvrages par an avec autant de chroniques qui en découlent. La démarche consiste uniquement à se remémorer des romans qui disparaissent bien trop vite du paysage littéraire pour prolonger leur existence de quelques instants.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.09.40.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.10.29.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.11.11.pngCela devient presque un tradition que de débuter l’année avec les éditions Rivages qui ont inauguré un nouvelle collection Imaginaire avec Immobilité de l'iconique Brian Evenson qui nous entraine sur les routes apocalyptiques d’une terre dévastée tout en nous interrogeant sur des questions existentielles de notre devenir. Puis c’est DOA qui revient sur le devant de la scène avec Retiaire(s) (Série Noire) en nous confirmant tout le bien que l’on pensait  d’un auteur emblématique de la littérature noire. Et pour en savoir plus, il faut lire DOA, Rétablir Le Chaos chez Playlist Society déclinant au court d’un long entretien où cet auteur, cultivant une certaine discrétion, se livre au cours d’un long entretien conduit par Elise Lepine.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.14.45.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.15.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.16.45.pngOn poursuit avec Nettoyage A Sec (Rue de Sèvres) une bande dessinée à la sois sombre et sublime de Joris Mertens et Harlem Shuffle (Albin Michel) de Colson Whitehead qui se lance dans une fresque du quartier emblématique de New-York qui connaîtra une suite que l’on attend impatiemment. Un peu moins convaincu par Le Vol Du Boomerang (Au Diable Vauvert), récit d’aventure se déroulant en Australie sur fond d’incendies dévastateurs et de Covid19.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.20.34.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.21.33.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.23.24.pngSimone Buchholz revient avec Rue Mexico (Atalante/Fusion) nous entraînant, pour une troisième fois, dans le sillage de la détonante procureure Chastity Riley que l’on retrouve avec tout autant de plaisir. Puis survient une belle découverte avec Notre Dernière Part De Ciel (Rivages/Noir), un roman noir de Nicolàs Ferraro aux allures de western se déroulant dans les contrées reculées de l’Argentine avant de retrouver New-York et le quartier de Gravesend cher à William Boyle avec Eteindre La Lune (Gallmeister) nous entraînant dans une nouvelle histoire sombre sur fond de résilience et de vengeance.

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.25.49.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.26.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.27.14.pngOn change de registre avec Jacky Schwartmann toujours aussi grinçant et (im)pertinent avec Shit ! (Seuil/Cadre noir) en arpentant l’environnement chaotique d'une banlieue de Besançon sur fond de trafic de haschich assez détonant. Puis cap sur l'Inde pour retrouver le capitaine Sam Wyndham quI tente de se débarrasser de son addiction à l’opium dans Le Soleil Rouge De L’Assam (Liana Levi) d’Abir Mukherjee. Autour d’un récit dystopique assez impressionnant, Jean-Christophe Tixier nous invite à découvrir les habitants d’un village qui doivent désormais composer avec La Ligne (Albin Michel) qui sépare l’agglomération.

     

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    Grand retour d’Antoine Chainas avec Bois-Aux-Renards (Gallimard/La Noire) demeurant un romancier à part que l’on avait déjà tant apprécié avec L’empire Des Chimères (Série Noire 2018), un ouvrage devenu culte.

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.32.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.33.22.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.36.02.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.34.22.png

    Les auteurs suisses ne sont pas en reste, tout d’abord avec Luca Brunoni qui débarque aux éditions Finitude en évoquant le placement des enfants orphelins dans des fermes de montagne dont on découvre la tragédie avec Les Silences (Finitude), traduit du suisse italien par Joseph Incardona qui nous propose également une réédition de Lonely Betty (Finitude), un de ses premiers romans, illustré par Thomas Ott. Et si l’on reste en Suisse, toujours dans le récit graphique, on ne manquera pas de mettre en avant Berne, Nid D’Espions (Antipodes) d’Eric Burnand et de Mathias Berthod. Encore un Suisse, Joachim B. Schmidt, mais qui s’est établi en Islande pour nous raconter l’extraordinaire parcours de Kalmann publié dans la collection La Noire chez Gallimard. Même s’ils sont plus difficile d’accès au-delà des frontières de la Suisse romande, il faut lire impérativement La Saison Des Mouches (Bernard Campiche Editeur) de Daniel Abimi ainsi que Sans Raison (BSN Press/OKAMA) de Marie-Christine Horn. Roman brutal et déjanté se déroulant entre Berne et Genève en passant par le Jura, on appréciera également Une Balle Dans Le Bide (Cousu Mouche) de Gérald Brizon. Il y a également Nicolas Verdan qui revient avec un second opus des enquêtes d’Evangelos Moutozouris parcourant la route des Balkans dans La Récolte Des Enfants (Atalante/Fusion). 

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.37.38.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.39.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.38.20.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.40.24.png

     

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.49.05.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.49.43.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.51.26.pngFin de la panthèse helvétique pour se rendre au Portugal avec La Grande Pagode (Agullo) de Miguel Szymanski autour d'une seconde enquête financière menée tambour battant par le journaliste Marcelo Silva. Dennis Lehane signe son grand retour avec Le Silence (Gallmeister) qui confirme son immense talent d’auteur, même s’il avait pu nous décevoir avec quelques précédents ouvrages assez médiocres. Un Conte Parisien Violent (Atalante/Fusion) de Clément Milian figure parmi les bonnes surprises de l’année 2023 tout comme Ces Femmes-Là d’Ivy Pochada (Globe) et Pour Mourir, Le Monde (Agullo), extraordinaire récit d’aventure maritime de Yan Lespoux se déroulant au XVIIème siècle, sur fond de naufrages en nous entraînant du côté de Goa, de Bahia pour s’achever sur les plages sauvages du Médoc.

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    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.55.55.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.56.50.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.57.20.pngEt puis il y a les valeurs sûres qui reviennent pour notre plus grand bonheur comme Marin Ledun avec Free Queens (Série Noire), Valério Varesi avec Ce N’Est Qu’Un Début Commissaire Soneri (Agullo) et l’excellent Proies (Rivages/Noir) d’Andrée A. Michaud. Un des événements de l’année c’est également le retour d’Emily St. John Mandel qui nous livre un extraordinaire récit de science-fiction intitulé La Mer De La Tranquillité (Rivages) ainsi que Laurent Petitmangin qui s’empare également du thème de l’anticipation avec Les Terres Animales (La Manufacture de Livres) sur fond de catastrophe nucléaire.

    Capture d’écran 2024-01-05 à 16.58.24.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 16.59.06.png

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.02.01.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.05.49.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.07.35.pngParmi les belles découvertes de l’année, il y a également Au Bon Temps De Dieu (Joëlle Losfeld) de Sebastien Barry abordant avec beaucoup de délicatesse le thème difficile des abus sexuels au sein de l’église catholique à Dublin. Le film de Martin Scorcese Killers Of The Flower Moon a permis de donner une seconde vie à La Note Américaine (Globe) de David Grann et c’est tant mieux. Puis Pierre Pelot revient sur le devant de la scène avec Loin En Amont Du Ciel (Gallimard/La Noire) un western crépusculaire époustouflant.

     

     

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    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.11.18.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.12.09.pngGrand retour également de Blacksad, série BD légendaire de Juan Diaz Canales et Juanjo Guarnido qui s’articule autour d’un diptyque flamboyant intitulé Alors, Tout Tombe (Dargaud). Un autre détective revient, c’est Philip Marlowe dont la nouvelle traduction de La Dame Dans Le Lac (Série Noire/Classique) de Nicolas Richard nous permet d’apprécier toute l’envergure de l’écriture  de Raymond Chandler. Belle retrouvaille également de Jurica Pavičić déclinant les affres de la guerre de l’ex-Yougoslavie dans Le Collectionneur De Serpents (Agullo), pour un recueil de nouvelles extrêmement marquantes. Et puis une dernière belle surprise avec Feux Dans La Plaine (Rouergue/Noir) d'Olivier Ciechelski, un primo-romancier très prometteur. 

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    On ne fait jamais assez le bilan des romans que l’on a pas eu le temps de lire et encore moins de chroniquer. Je regrette toujours de n’avoir pas lu les récits d’Alan Parks ainsi que ceux de Tim Dorsey qui nous a quitté cette année. 

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.31.12.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.31.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.31.42.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.32.02.png

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    Il en va de même pour Roxanne Bouchard que j’ai eu le plaisir de rencontrer lors du festival Le Quai du Polar. Je les ai lus et je sais donc de quoi je parle, je ne peux que vous recommander de lire l’ensemble des romans de Michèle Pedinielli qui mettent en scène le personnage extraordinaire de Ghjulia Boccanera à l’esprit libertaire. 

     

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.34.30.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.34.56.png

    Capture d’écran 2024-01-05 à 17.37.51.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.39.01.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.39.44.pngCapture d’écran 2024-01-05 à 17.40.12.png

    Il faudra également que j’évoque les récits de Jake Adelstein, Tokyo Vice et Tokyo Détective ainsi que le magnifique Sambre d’Alice Géraud. Bref, on pourrait continuer comme ça indéfiniment, il y en a tant d’autres. 

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    Pour l’année 2024, je me réjouis de vous retrouver dans une certaine continuité en espérant tout de même rédiger davantage de retour de mes lectures que l’on retrouvera également sur la plateforme Instagram dont je découvre les fonctionnalités que tout récemment. Un univers assez déroutant qui retranscrit assez bien la frénésie du rythme des publications avec cette propension à décliner une quantité assez impressionnante d’ouvrages me laissant assez perplexe quant à mon propre rythme de lecture. A se demander si certains d’entre eux lisent tous les ouvrages qu’ils commentent dans des textes assez courts, puisqu’il va de soi que l’on privilégie l’image au détriment des mots ce qui est assez ironique lorsque l’on parle de livre. Quoiqu’il en soit, il y tout de même de très belles initiatives sur cette plateforme dont il est bon de s’inspirer sans pour autant délaisser ce bon vieux blog qui va encore perdurer quelques décennies en permettant de faire de belles rencontres que j’espère encore très nombreuses. Au plaisir de vous retrouver donc sur ces réseaux, mais également dans le monde réel et notamment au cours du festival des Quais du Polar à Lyon qui célèbre ses vingt ans.

     

    Bonnes lectures.

     

    A lire en écoutant : Des Hauts, Des Bas de Stephan Eicher. Album : Carcassonne. 1993 Barclay.

     

  • JOSEPH INCARDONA & THOMAS OTT : LONELY BETTY. INSPIRATION.

    Capture d’écran 2023-05-29 à 20.49.17.pngDans l'univers du noir émerge la lumière et c'est cette particularité qui définit l'oeuvre sombre de ces deux artistes suisses que sont Joseph Incardona, auteur lausannois de romans se situant à la périphérie des genres et Thomas Ott, illustrateur zurichois se distinguant avec la technique de la carte à gratter où l'incision avec un cutter japonais laisse apparaître un dessin en noir sur blanc aux tonalités à la fois poétiques et inquiétantes. Evoluant sur des registres semblables de la littérature noire et de l'univers underground, il était donc logique que ces deux artistes helvétiques se rencontrent en travaillant autour d'un projet commun avec la réédition aux éditions Finitude de Lonely Betty, roman emblématique de Joseph Incardona désormais enrichi de sept illustrations de Thomas Ott soulignant l'atmosphère angoissante d'un texte aux contours fantastique rendant hommage à un grand romancier du genre.

     

    joseph incardona,thomas ott,lonely betty,éditions finitudeA la veille de Noël, il neige sur Durham, cette petite ville du Maine où vit Betty Holmes et dont la communauté s'apprête à fêter ses 100 ans. Séjournant dans un home pour personnes âgées, cette ancienne institutrice s'est murée dans le silence depuis 54 ans, suite à la disparition tragique de trois de ses élèves. Un événement dont elle ne s'est jamais remise. Mais alors que l'on célèbre son anniversaire, la vieille femme surprend tout son entourage en vomissant sur son gâteau avant de faire entendre le son de sa voix en exigeant de voir immédiatement le lieutenant à la retraite John Markham. Elle a des révélations à faire au sujet de l'un de ses anciens élèves devenu célèbre. Mais après s'être confiée auprès du policier, Betty ne célèbrera pas Noël. Que peut-elle bien avoir raconté au vieil enquêteur chevronné ?

     

    On se réjouit de la mise au goût du jour de ce bref ouvrage d'une centaine de pages empruntant tous les codes du genre avec une convergence entre le roman policier et le roman fantastique s'articulant autour du caractère marqué d'une galerie de personnages sublimant un récit aux entournures malicieuses et au final fracassant, véritable déclaration d'amour à l'une des grandes figures de la littérature populaire. Sur la base de ce pastiche nuancé à l'ambiance inquiétante, joseph incardona,thomas ott,lonely betty,éditions finitudeThomas Ott nous offre sept illustrations dont les cadrages élaborés soulignent la tension de l'intrigue en marquant les temps forts de chacune des parties du roman. On y distingue ainsi, l'infirmière pulpeuse, le vieux flic revenu de tout, la silhouette des trois élèves disparus s'enfonçant dans la forêt, Betty bien évidemment ainsi que son célèbre élève lui causant tant de tourments. Comme un fait exprès, Thomas Ott s'emploie à dissimuler une partie des traits des protagonistes que ce soit par le biais du cadrage ou de la lumière en jouant avec le contre-jour, afin d'accentuer la part de mystère et de singularité émanant d'une histoire aux allures de conte obscur sublimé d'illustrations aux détails envoûtants, lui conférant une envergure phénoménale et détonante. Symbiose de l'image et du texte, Lonely Betty incarne ainsi le choc d'une rencontre artistique d'envergure qu'il convient de saluer.

     

    Joseph Incardona & Thomas Ott : Lonely Betty. Editions Finitude 2023.


    A lire en écoutant : Lonely Betty de The Pollies. Album : Not Here. 2015 Single Lock Records.

  • Luca Brunoni : Les Silences. Rendez-vous manqué.

    Capture d’écran 2023-05-07 à 21.36.06.pngC'est au début des années 2000 que la voix d'anciens enfants placés se fait entendre en levant la chape de silence qui prévalait en Suisse sur ce qui apparaît comme l'un des plus grands scandales sociaux du pays. Aujourd'hui encore, on ignore le nombre de ces orphelins, enfants de mères célibataires, de parents pauvres ou dans la détresse se retrouvant placés de force, entre 1870 et 1980, dans des institutions aux allures carcérales ou dans des domaines agricoles et artisanaux qui trouvaient là une main-d'oeuvre gratuite sous l'appellation de familles d'accueil. On parle de sévices, de malnutritions, d'abus sexuels, d'expérimentations médicamenteuses et même d'homicides. Si l'on trouve quelques récits et ouvrages d'histoire traitant le sujet, rares sont les romans abordant ces drames humains qui ont marqué toute une population précaire. Publié initialement en italien, puis traduit en français par Joseph Incardona pour les éditions Finitude, Les Silences, premier roman du tessinois Luca Brunoni, évoque ce thème délicat autour du dur quotidien d'une jeune enfant que l'on intègre de force au sein d'un couple de paysans vivant dans un village de montagne du canton de Berne, durant la périodes des années 1950.

     

    Elevée seule par sa mère qui vient de trouver la mort dans un accident de vélo, Ida Bühler, âgée de treize ans, est désormais placée à la ferme de la famille Hauser qui n'a jamais eu d'enfant. Entre une femme qui la déteste et un homme qui pose sur elle un regard lubrique, elle doit assumer le pénible labeur qu'on lui impose au quotidien tout en faisant face aux remords qui la ronge tandis que les habitants de cette agglomération alpine observe son arrivée d'un oeil circonspect. Une lueur d'espoir se dessine avec Noah, jeune fils du maire, qui aspire à une autre vie bien éloignée de ces montagnes qui l'étouffent. Au gré de cette amitié qui se construit dans la clandestinité, Noah parvient à convaincre Ida de l'accompagner dans son projet de départ. Mais au sein de ce village miné par les secrets et les non-dits, les malheurs et les tourments vont s'enchaîner en bouleversant leur destin respectif jusqu'au drame inéluctable.

     

    Il faut avant tout souligner le caractère sobre, voire même épuré, d'une écriture un brin austère se concentrant sur l'essentiel en évitant ainsi l'écueil de la surenchère qui nous plongerait immanquablement dans un registre larmoyant, ou pire, dans les contours d'une violence exacerbée qui flirterait avec un voyeurisme malsain. Il n'en est rien avec Les Silences dont il faut relever, avant tout, le bel équilibre qui met en lumière, avec une rigueur salutaire, toute la situation dramatique que vit Ida Bühler dans son quotidien de jeune fille placée auprès d'une famille de paysans de montagne faisant preuve d'une sévérité extrême. Il y a les coups et les brimades bien sûr, mais également la privation de nourriture si le travail n'a pas été correctement accompli et même les œillades salaces lorsque la jeune fille procède à ses ablutions, ceci dans une déclinaison de scènes prégnantes que l'on découvre dans une première partie adoptant le point de vue d'Ida Bühler, dès son arrivée au village. Au-delà de leur caractère odieux, sans pour autant les exonérer, Luca Brunoni dresse un portrait nuancé de Greta et d'Arthur Hauser, les bourreaux d'Ida, dont on perçoit toute la misère et les difficultés auxquelles ils doivent faire face, au gré de conversations lourdes de sens. Bien évidemment, il se dégage de l'ensemble une ambiance pesante, parfois sombre qui confère au récit des allures de roman noir en abordant des tabous sociaux tels que l'homosexualité, le malaise des jeunes et la crainte du regard des autres au sein d'un village où tout le monde s'observe. Mais Les Silences ce sont également des instants lumineux comme ces escapades poétiques avec Noah, aux alentours d'un lac de montagne reflétant les lueurs de la voute étoilée, en permettant à Ida d'échapper à ses tourments et de conserver quelques espoirs quant à son avenir. Pourtant le drame se construit de manière insidieuse dans une seconde partie où l'on revient sur l'arrivée d'Ida en adoptant, cette fois-ci, le point de vue des villageois afin de découvrir la face cachée de certain de ses habitants. Dès lors, l'intrigue prend l'allure d'une étude de moeurs aux contours sombres et incertains tant les relations se révèlent bien plus complexes qu'il n'y paraît, pour révéler les manigances des uns et des autres. Autour de cette ingénieuse construction narrative, Luca Brunoni met en lumière les non-dits, les rancoeurs et les regrets de ces femmes et de ces hommes dont l'agrégat constitue Les Silences qui entourent Ida jusqu'au terme d'un épilogue déchirant mettant en perspective le secret du drame qui s'est joué, tout en se conjuguant aux désillusions de cette jeune fille incarnant le destin tragique de ces milliers d'enfants placés sans aucune autre perspective qu'une vie brisée à tout jamais. Un premier roman qui vous sidère jusque dans sa justesse de ton.

     

     

    Luca Brunoni : Les Silences (Silenzi). Editions Finitude 2023. Traduit de l'italien (Suisse) par Joseph Incardona.

    A lire en écoutant : J't'emmène au vent de Louise Attaque. Album : Louise Attaque. 2002 Barclay.

  • Joseph Incardona : Les Corps Solides. Planche de salut.

    joseph incardona, éditions finitude, Les corps solidesLa question lancinante que l'on se pose depuis plusieurs années avec Joseph Incardona, c'est de savoir si le prochain livre sera encore meilleur que le précédent. C'est d'ailleurs avec une certaine appréhension que l'on découvre son dernier roman tant l'on avait été séduit par La Soustraction Des Possibles (Finitude 2020) qui se déroulait à Genève dans les années 80 avec un sublime récit qui mettait à mal le milieu de la finance à une époque où l'argent se transférait d'une frontière à l'autre en parapente quand aujourd'hui un simple "clic" suffit pour déplacer des sommes colossales. Fidèle à Finitude depuis 2005, une maison d'éditions bordelaise indépendante, Joseph Incardona a su assoir sa réputation avec Derrière Les Panneaux Il y a Des Hommes (Finitude 2015) qui obtenait le Grand prix de la littérature policière en 2015 tandis que Chaleur (Finitude 2017) était récompensé par le jury du prix du Polar romand en 2017. Il ne faudrait pas oublier les nombreux ouvrages précédents que l'auteur a publié dans diverses maisons d'éditions comme 220 Volts (Fayard Noir 2011), Aller Simple Pour Nomad Island (Seuil 2014) ainsi que le fameux Permis C édité chez BSN Press, récipiendaire du prix des Romans des Romands, qui évoquait l'enfance de l'auteur italo-suisse. Mais pour en terminer avec cette appréhension du dernier ouvrage, il faut admettre sans ambage que Les Corps Solides figurera sans nul doute parmi les grands romans de cette rentrée littéraire chargée et qu'il marquera durablement les esprits avec un récit à la fois sobre et intense en faisant honneur à la superbe bibliographie du romancier.

     

    Un simple accident peut faire basculer toute votre vie. Ce n'est pas Anna qui le contredira alors qu'elle part en embardée, en croisant le chemin d'un sanglier, et qu'elle détruit ainsi son camion-rôtissoire que l'assurance refuse de rembourser. Adieu la vente des poulets rôtis sur les marchés et bonjour l'angoisse des finances qui se tarissent brutalement. Anna vit pourtant modestement dans un mobile-home au bord de l'Atlantique avec son fils Léo passionné de surf. Un vie de liberté mise à mal par les ennuis et les dettes qui s'accumulent. Il y aurait pourtant un moyen simple de gagner 50 000 euros en sinscrivant à ce fameux "Jeu" dont tout le monde parle avec une règle simple qui consiste à toucher une voiture et à être le dernier des vingt concurrents à la lâcher. Malgré l'insistance de son fils qui voit là une porte de sortie afin de se mettre définitivement à l'abri de leurs soucis financiers, Anna refuse de vendre son âme au diable et de s'adonner à ce concours absurde. Mais a-t-on vraiment le choix dans un monde régit par la cupidité et le voyeurisme ?

     

    On pense bien évidemment à Horace McCoy et son concours absurde dans On Achève Bien Les Chevaux mais également à Car de Harry Crews avec cet homme qui s'est mis en tête de manger une voiture pièce par pièce. D'ailleurs dans Les Corps Solides, l'automobile est justement le point central du récit tant l'on se focalise autour de cet objet du désir qui fracture désormais la société avec ces groupuscules écologistes manifestant aux abords du "Jeu" tandis que les décideurs mettent justement en place ce concours inepte pour relancer une industrie qui périclite. Joseph Incardona place donc avec justesse les enjeux d'un monde en crise tout comme celui d'Horace McCoy où cette joute de l'absurde est certaine de rencontrer du succès puisque les organisateurs cyniques, qu'il dépeint avec maestria, savent pertinemment qu'ils peuvent faire beaucoup de chose avec le désespoir des gens. L'autre thématique du récit, c'est la dignité qu'incarne Anna qui cède peu à peu sous la contrainte de sa situation fragile pour se lancer dans cette aventure insensée qu'elle entame à son corps défendant. L'enjeu de l'intrigue réside donc sur la limite tant physique, mais également psychologique qui vous emprisonne dans la folie de ce "Jeu" qui prend une allure terrifiante à mesure que les heures, les jours et les nuits s'écoulent sous le regard d'un public conquis. Jusqu'ou ira-t-on dans l'ineptie ? Avec une mise en scène soignée comme il sait si bien le faire, Joseph Incardona nous donnera la réponse autour d'une scène finale époustouflante où la liberté qui s'incarne dans le surf où l'on se redresse se heurtera aux aléas du "Jeu" où l'on s'écroule. Le tout est de savoir qui l'emportera. Situations poignantes attendues, on apprécie dans Les Corps Solides toute la retenue de l'auteur qui décline une galerie de personnages incarnant cette population précaire à l'image bien sûr d'Anna et de Léo mais également de ce couple des jeunes agriculteurs qui tirent le diable par la queue ou bien évidemment des autres concurrents du fameux "Jeu" en déclinant ainsi toute la gamme du désespoir, de la convoitise et même de la quête de notoriété qui anime ces joueurs. Tout cela nous donne une chronique sociale étincelante à l'image de la couverture du livre qui prend l'allure d'une carrosserie rutilante, objet de tous les désirs. Bel équilibre d'émotions et de tensions, Les Corps Solides est un roman qui vous foudroie.

     

    Joseph Incardona : Les Corps Solides. Editions finitude 2022.

    A lire en écoutant : Cadillac Ranch de Bruce Springsteen. Album : The River. 1980 Bruce Springsteen.