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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 83

  • JOHN GREGORY DUNNE : TRUE CONFESSIONS. AVANT ELLROY.

    Capture d’écran 2015-12-13 à 22.28.02.pngJe ne me souviens plus de l’âge que j’avais lorsque j’ai découvert Sanglantes Confessions, traduction quelque peu hasardeuse du titre True Confessions de John Gregory Dunne. J’avais dégotté le roman dans une librairie consacrée au 9ème art car l’ouvrage était publié dans la mythique maison d’édition Speed 17, affiliée aux Humanoïdes Associés. La collection dirigée par Philippe Manœuvre mettait en lumière les traductions de Philippe Garnier, grand passeur de la littérature underground américaine. C’est donc bien avant la publication du célèbre roman de James Ellroy, que j’ai eu le plaisir de lire la version romancée de John Gregory Dunn faisant allusion à la célèbre affaire du Dahlia Noir en mettant déjà à mal, dans un langage cinglant, tous les clichés de la ville de Los Angeles durant la période flamboyante qui suivait la fin de la seconde guerre mondiale. Bien trop longtemps indisponible, c’est désormais par l’entremise de Seuil/Policiers que True Confessions revient à nouveau sur le devant de la scène avec une nouvelle traduction de Patrice Carrer et une préface de George Pelecanos qui tente maladroitement de rendre justice à ce roman culte. Car plus que n’importe quel auteur, cette préface aurait pu être rédigée par James Ellroy afin qu'il rende hommage à l’œuvre de John Gregory Dunne quitte à reléguer son orgueil légendaire au second plan.

     

    Le badge ou le goupillon, c’est avec ce choix limité que les frères Spellacy scellent leurs destinées. Tom Spellacy après avoir été écarté des Mœurs suite à des soupçons de corruption se retrouve muté à la brigade des Crimes Majeurs. Il enquête sur le meurtre de Lois Farenza, que l’on a découvert dans un terrain vague, le corps coupé en deux. La jeune femme semblait en cheville avec Jack Amsterdam ancien macro notoire en quête de rédemption qui œuvre désormais dans le milieu de l’immobilier de l’archidiocèse dirigé par Desmond Spellacy qui brigue la place de cardinal. Manigances policières s’entremêlant aux manœuvres religieuses, les frères Spellacy évoluent dans un monde retors où toutes les ambitions font l’objet d’un prix à payer parfois bien trop élevé.

     

    Avec True Confessions, John Gregory Dunn s’attache à dépeindre avec un brin de nostalgie une cité de Los Angeles sans fard où le climat de corruption presque institutionnalisée gangrène tous les services de police, tandis que les flics ouvertement racistes s’attachent plus à l’évolution de leur carrière qu’à la résolution des affaires. Malgré un portrait peu flatteur de la cité, on sent tout au long du récit, la fascination que l’auteur porte pour cette ville complexe et mythique où il a séjourné de nombreuses années.

     

    Les portraits des différents personnages sont extrêmement caustiques et parfois féroces. Il n’y a pas de preux chevaliers ou de nobles personnages à l’exception peut-être de ce jeune flic noir en uniforme, Lorenzo Jones qui deviendra maire de Los Angeles dans le milieu des années 70, rendant ainsi hommage à Tom Bradley, premier maire noir de la cité des anges. Pivot de l’ouvrage le jeune policier consciencieux est celui qui rédigera les premiers constats relatant la découverte du cadavre mutilé de Lois Farenza.

     

    Avec son personnage principal, John Gregory Dunne s’ingénie à flinguer d’emblée le mythe de la famille américaine idéale. Tom Spellacy est marié à une femme internée à Camarillo qui parle à des saints dont elle seule connaît les noms. Père d’une fille obèse entrée au couvent et d’un fils volage qui évolue dans le business des fournitures religieuses, Tom vit désormais avec sa maîtresse Corinne, une femme émancipée qui semble être une affaire au lit. Du côté professionnel, l’homme est en disgrâce après avoir été impliqué dans une affaire de corruption au sein de la brigade des Mœurs alors qu’il faisait office d’homme de liaison avec Brenda, maquerelle notoire à la solde du caïd de la pègre, Jack Amsterdam. Flic corrompu, Tom assiste à l’ascension de son frère Desmond, prêtre bien en vue au sein de la communauté catholique qui évolue dans le milieu de l’immobilier et de la finance en tentant de tracer sa voie pour devenir le digne successeur du cardinal Danaher. Dépourvu d’une foi profonde, Desmond s’ingénie sans succès à trouver un sens dans sa carrière de prélat.

     

    Le texte repose sur des dialogues vifs et acérés qui mettent en exergue le fiel et l’aigreur d’un monde cruel où la corruption et la compromission semblent être le moteur des relations entre les différentes arcanes qui gravitent autour de la cité. John Gregory Dunne dresse ainsi l’envers du décor d’une Cité des Anges déchues de toutes ses illusions.

     

    Plus simpliste, notamment aux niveaux de l’enquête et des différents mécanismes décrivant les processus de corruption, True Confessions bénéficie d’une émotion bien plus intense que l’œuvre d’Ellroy à l’instar de cette conversation entre Brenda et Tom Spellacy qui se déroule à Echo Park. C’est d’ailleurs par le biais de cette scène que le policier scellera le destin de son frère Desmond. Des instants poignants qui font de True Confessions, une espèce de préquel au célèbre quatuor de Los Angeles dont le Dog rédigera 11 ans plus tard le premier tome intitulé Le Dahlia Noir.

     

    Fleuron du roman noir, True Confessions fait partie de ces ouvrages emblématiques qui ont émancipé le genre policier de la caste secondaire dans laquelle il a été bien trop souvent relégué et qu’il vous faut impérativement découvrir toutes affaires cessantes.

     

    En prime, cet extrait d’une interview d’Ellroy pour The Paris Review, rendant tout de même «hommage » au roman de John Gregory Dunne.

     

     INTERVIEWER

    Why did it take so long for you to turn to the Black Dahlia case in your writing? It’s your seventh novel, after all.

    ELLROY

    Because I thought for a long time that the success of John Gregory Dunne’s novel about the Black Dahlia, True Confessions, would preclude a successful publication. That’s a wonderful novel, but it doesn’t truly adhere to the facts of the Black Dahlia murder case. Mr. Dunne calls the Black Dahlia “the Virgin Tramp.” Elizabeth Short becomes “Lois Fazenda.” When I took on the murder for my novel, ten years later, I adhered to the facts of the case more than Mr. Dunne did. His book is phantasmagoria. My book is a much more literal rendering of the truth.

    INTERVIEWER

    How did that book change your career?

    ELLROY

    It liberated me. It was a best seller, I was earning a living as a writer for the first time, and I was exponentially more committed to creative maturity. I’m the most serious guy on earth, but I can bullshit with the best of them, and I play to my audience. There’s a concept in boxing that you fight to the level of your competition. You’re in with a big guy, you bring the fight. You’re in with a bum, you do just enough to win. But if you get lazy, then you put yourself at risk. I’ve always come to fight, from the very first page.

     

    John Gregory Dunne : True Confessions. Editions Seuil/Policier 2015. Traduit de l’anglais (Etat-Unis) par Patrice Carrer.

    A lire en écoutant : Bach The Goldberg Variation Glenn Gould. BMW 988 (1981 recording). 1982 Sony Music Entertainment.

  • David Thomas : Ostland. Dans la perpective de l'abîme.

    Capture d’écran 2015-11-15 à 23.01.31.pngDépeints comme des monstres presque surnaturels, les auteurs s’attachent bien souvent aux portraits originaux de sérials killers qu’ils façonnent et dont les destins troubles et parfois outranciers fascinent le lecteur, ceci au détriment de l’éternel enquêteur ou profileur en quête de rédemption, devant, au prix d’une souffrance parfois insurmontable, se mettre dans la peau de l’odieux suspect qu’il traque sans relâche. Ostland de David Thomas se démarque de ces récits formatés puisqu’il dresse l’étrange parcours de Georg Heuser, un inspecteur de police affecté au sein d’une unité traquant un sérial killer sévissant à Berlin pour devenir ensuite un officier de la SS chargé de l’élimination des déportés juifs dans le ghetto de Minsk.

     

    Le 23 juillet 1959, la police interpelle Georg Heuser alias Le Limier, honorable citoyen de la République Fédéral d’Allemagne et accessoirement chef de la police criminelle. Mais pourquoi en voudrait-on à cet honorable citoyen qui a notamment traqué en 1941, le mystérieux tueur sévissant sur la ligne du S-Bahn à Berlin ? Sous les ordres d’Heydrich, le policier n’a fait que son devoir en interpellant un fou furieux qui terrorisait la ville. Devenu officier au sein de la SS, n’en a-t-il pas fait de même en administrant le ghetto de Minsk et en se chargeant de l’élimination des déportés juifs ? Le parcours d’un policier héroïque, devenu criminel de guerre.

     

    Même s’il prend parfois la  forme d’un thriller, Ostland se détache singulièrement de la kyrielle d’ouvrages consacrés aux sérials killers puisqu’il se base sur des faits réels. En effet, l’auteur a choisi de romancer le parcours atypique de cet inspecteur de police traquant un sérial killer puis devenant lui-même un tueur sanguinaire à la solde du nazisme. La partie la plus romancée est celle qui s’intéresse aux divers éléments que les enquêteurs recueillent dans le cadre du procès pour crime de guerre à l’encontre de Georg Heuser. On y découvre Paula Siebert, jeune femme juriste à une époque où l’on peine à accepter la gent féminine à de tels postes et son mentor, Max Kraus, ancien soldat de l’Afrika Korps, dirige l’enquête. Ce sont les personnages fictifs de ce roman qui mettent en perspective toute la monstruosité de ces citoyens ordinaires revenus à la vie civile qui paraissent avoir oublié tous les actes odieux qu’ils ont commis durant la guerre.

     

    A mesure que l’on progresse dans les différentes phases de préparation au procès, nous découvrons le parcours de Georg Heuser. Il y a tout d’abord l’enquête classique où l’on nous présente une équipe de la police criminelle traquant un tueur sévissant dans la ville de Berlin. Georg Heuser est un policier novice qui fait ses armes auprès d’un commissaire de police expérimenté qui lui apprend l’obéissance mais également la loyauté envers ses collègues. Impliqué, le jeune policier va tout faire pour appréhender ce criminel, ceci sous la férule du sinistre général Heydrich qui dirigeait alors la Gestapo mais également la Kriminalpolizei. On y décèle déjà cette ambivalence où un officier programmant la solution finale se souciait des actes odieux d’un tueur en série.  David Thomas dresse le portrait sombre d’une ville Berlin qui n’a pas encore plongé dans le chaos. Les cabarets y sont encore présents et l’on parvient encore à faire la fête dans une atmosphère pesante alors qu’un criminel court dans les rues glacées de la ville. L’ombre de Peter Kurten, surnommé le vampire de Düsseldorf, qui inspira Fritz Lang plane sur cette partie du récit.

     

    Promu au sein de la SS, Georg Heuser est désormais affecté à Minsk où il doit prendre en charge des convois de déportés juifs qui sont méthodiquement exécuté par ses soins. Dans un contexte de devoir et d’obéissance, l’officier devient ainsi le monstre qu’il a traqué quelques mois auparavant sans qu’il n’en prenne vraiment conscience à l’instar de la confrontation qu’il a avec une jeune juive dont il tombe amoureux et qu’il tente de sauver. Il peine à comprendre que la jeune femme puisse le rejeter, lui son sauveur. Un déni qui persistera au-delà de ces années de guerre. Néanmoins il y a l’alcool pour oublier et quelques conversations sur le sens de ces massacres qui n’excusent pas les actes auxquels il adhère de manière particulièrement zélée. C’est donc une succession de descriptions poignantes, parfois difficilement soutenables que l’auteur aborde sans complaisance. On y perçoit l’influence de l’entourage direct qui accepte l’inacceptable sous le prétexte de la guerre en s’acclimatant à l’horreur quotidienne. On y distingue également l’odieux sens du devoir que son ancien mentor l’enjoint à accomplir sans aucune distinction entre le bien et le mal. Tout cela n’excuse évidemment pas Georg Heuser, mais au-delà de ces notions de mal et de bien, l’ouvrage pose, de manière sous-jacente, la question ultime qui est de savoir ce que l’on aurait fait à la place de cet officier SS dans de telles circonstances.

     

    Héro devenu bourreau, Ostland de David Thomas pose donc les différents contextes qui font d’un homme un tueur en série ou un officier zélé et sérieux. Intriguant, édifiant et effrayant.

     

    David Thomas : Ostland. Editions Presse de la Cité/Sang D’encre 2015. Traduit de l’anglais par Brigitte Hébert.

    A lire en écoutant : Mahler : Piano Quartet n° 1 in G Minor. Op 25, Allegro. The Villiers Piano Quartet. Etcetera 1989.

  • FREDERIC JACCAUD : HECATE. AU COEUR DE L’INSOUTENABLE.

    dominique jaccaud, hecate, serie noire, fait diversDerrière le fait divers insoutenable, il y a cette abîme de la raison, égarée dans les quelques lignes froides d’un article du Monde paru en 2010, relatant la mort d’un médecin dévoré par ses trois chiens. Folie, incompréhension, Hécate nous entraîne au-delà de ces rassurantes considérations rationnelles au travers de ce titre à la fois énigmatique et inquiétant qui illustre l’indicible basculement entre le rationnel et la démence par le prisme déroutant d’un poignant roman crépusculaire.

     

    A Ljubljana en Slovénie c’est l’effervescence car on a découvert le corps sans vie de Sacha X. médecin reconnu de la ville. L’homme a été retrouvé nu, partiellement dévoré par ses trois bullmastiffs. Au-delà de l’horreur, il y a cette espèce de fascination qui s’empare d’Anton Pavlov, obscur petit agent de la circulation parvenant à se faufiler sur la scène du crime alors qu’il n’a rien à y faire. Dépassé par cette attraction morbide pour des actes auxquels il devient impérieux de donner du sens, le jeune policier s’emploie à définir la beauté intrinsèque qui se dissimulerait au coeur de cette douleur absurde que la victime s’est infligée à elle-même. Transcender l’obscène et la violence, lever ce voile de folie pour entrapercevoir le chemin mortel qui mène vers Hécate cette déesse lunaire du désespoir.

     

    Mettre des mots sur l’innommable, apaiser cette inextinguible besoin de comprendre,  c’est ce à quoi s’est employé Frédéric Jaccaud avec Hécate en déclinant le souffle du réel sur la lame tranchante de l’imaginaire afin de nous livrer un roman déroutant et détonnant qui n’épargnera pas le lecteur. En guise d’introduction contextuelle aux six chapitres ponctuant ce récit, il y a tout d’abord ces extraits du fait divers du Monde qui donnent la voie à l’imaginaire de l’auteur. Des éléments sur lesquels on passerait rapidement en frissonnant légèrement de dégoût à la lecture simple de l’article. Mais l’auteur nous rappelle qu’au-delà de cet enchaînement factuel il y a tout un univers sombre qu’il développe en disséquant le parcours tragique de Sacha X. Un parcours parsemé d’actes insensés, de dépravations insoutenables ce sont sur des thématiques sulfureuses parfois insupportables que Frédéric Jaccaud installe son intrigue dans une atmosphère licencieuse où le symbolisme d’un tableau de William Blake illustrant la déesse Hécate permet au lecteur d’appréhender la vaine quête d’une rédemption chimérique. Dans ce roman, il y a également ce personnage fictif d’Anton Pavlov, témoin dérisoire qui dissimule sa malsaine fascination derrière cette absurde quête du savoir pour tenter de donner du sens à cet acte d’une démentielle violence. Effrayé, envouté, il apprendra à son corps défendant que témoins, victimes et bourreaux sont parfois une seule et même personne à l’image de Hécate, cette déesse tricéphale.

     

    dominique jaccaud, hecate, serie noire, fait divers

    Avec Hécate, on aurait tord de s’arrêter sur la violence parfois insoutenable de ces scènes pernicieuses car au-delà de la violence, de l’abjection, Frédéric Jaccaud élabore un texte sophisitiqué et intelligent totalement dépourvu de jugement ou de sensationnalisme sans être pour autant dénué d’une émotion intense parfois poignante. Le mauvais genre à l’état pur.

     

     
    "Et l’homme pleure de rage en jouissant.
    Et dehors, la lune rouge éclabousse le monde et les chiens hurlent à mort.
    Milena demande pardon en silence."
                           
                                                    Frédéric Jaccaud - Hécate
     

     Lire Hécate. Etouffer l’horreur qui vous brûle. Souffler quelques instants. Puis pleurer … Peut-être.

     

    Frédéric Jaccaud : Hécate. Editions Gallimard/Série Noire 2013.

    A lire en écoutant : Quand C’est ? de Stromae. Album : Racine Carrée (Mosaert 2013).

  • Martin Suter : Montecristo. Impair et banque.

    Capture d’écran 2015-11-03 à 19.40.21.pngC’est toujours une tâche délicate que d’explorer, par le biais du polar, la face trouble des établissements bancaires, l’univers occulte de la finance et d’en dénoncer les disfonctionnements sans pour autant tomber dans l’exposé économique aride virant parfois au pamphlet politique. Avec Montecristo, Martin Suter s’est employé à mettre en lumière la collusion entre les banques, les institutions financières et le monde politique. Il faut dire qu’à la lecture des scandales qui ont émaillé le monde financier helvétique ces dernières années, l’auteur avait de quoi alimenter son ouvrage.

     

    A Zurich, Jonas Brand est un réalisateur en mal de devenir. Depuis bien longtemps il a mis de côté son scénario Montecristo pour se consacrer désormais au tournage de reportages pour une émission people de la télévision. Lorsqu’il découvre fortuitement qu’il est en possession de deux billets de banque de cent francs suisses portant le même numéro de série, Jonas Brand pense détenir le reportage original qui lui permettra de s’extraire du marigot people dans lequel il végète. Reportage d’autant plus intéressant que les deux billets sont vrais. Tout cela a-t-il un rapport avec le suicide d’un trader qui s’est jeté d’un train à bord duquel se trouvait Jonas ? D’incidents en accidents suspects, l’enquête de Jonas Brand ne va pas être de tout repos.

     

    L’amorce du récit débute sur une convergence d’incidents bien trop hasardeux pour être crédible. Hormis Jonas Brand, lequel d’entre nous examine ses billets de banque pour se rendre compte que deux d’entre eux possèdent des numéros de série parfaitement identiques ? Si l’on ajoute le fait que notre reporter people est également témoin de la mort d’un trader probablement en lien avec le premier événement, cela réduit le taux de probabilité à un niveau proche de zéro. On fera donc abstraction de cette invraisemblable succession d’incidents pour apprécier ce roman dynamique mettant en évidence, de manière suffisamment convaincante, les accointances entre les différentes institutions financières. En décrivant notamment le processus d’impression de billets bancaires, on sent chez Martin Suter le souci du détail et du réalisme qui compense parfois ce « trop heureux » hasard de circonstance frappant le personnage principal. Thriller financier, sur fond de paranoïa, Montecristo devient donc un conte amoral où l’auteur restitue sa colère et sa désillusion face à ce monde trouble de la finance.

     

    Il faut sauver la bulle financière à tout prix, c’est ce que comprendra Jonas Brand au travers des mésaventures qu’il subit. A mesure que l’on progresse dans le récit, l’auteur installe une dimension dramatique de plus en plus inquiétante sur fond de complots sordides et parfois meurtriers. L’histoire est d’autant plus prenante qu’elle touche des personnages solidement bâtis que l’on appréciera au travers de leurs parcours de vie et d’une histoire d’amour qui pimente le roman. Dans un fourmillement de petits détails, le lecteur découvrira le quotidien des habitants de la bonne ville de Zurich et de ses environs ainsi que les arcanes du pouvoir à Berne, dans un climat hivernal parfois inquiétant.

     

    Martin Suter dresse également un portrait touchant de Max Gantman, personnage secondaire, mais ô combien important du récit car c’est par le biais de ce journaliste financier désabusé, fumeur invétéré et quelque peu alcoolique, que Jonas Brand appréhendera tous les rouages financiers dans une somme d’explications intéressantes, même si elles enfoncent parfois des portes ouvertes en nous décrivant un système économique déficient et corrompu. Néanmoins dans un pays où le monde bancaire s’est implanté dans toutes les structures, aussi bien politiques que culturelles, le roman de Martin Suter résonne comme un cri d’alarme qui finit par se transformer en soupir de dépit.

     

    Suspense, colère et désillusion tels sont les ingrédients de ce polar financier qui ne manque pas de mordant.

     

    Martin Suter : Montecristo. Christian Bourgeois éditeur 2015. Traduit de l’allemand par Olivier Mannoni.

    A lire en écoutant : Last Dance de The Cure. Album : Disintegration. Fiction Records Ltd 1989.

  • JOEL DICKER : LE LIVRE DES BALTIMORE. LE ROMAN QUI FAIT PSCHITT.

    Capture d’écran 2015-10-28 à 05.00.39.pngDepuis plusieurs semaines nous avons droit à la ligne marketing type succès-story pour le lancement du dernier ouvrage de Joël Dicker, Le Livre des Baltimores. Il est beau, il a vendu des millions d’exemplaires de son précédent roman, La Vérité sur L’affaire Harry Quebert, son nouveau livre est tiré à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et en terme de succès il est en passe de détrôner la saga Harry Potter. Finalement cette dernière assertion est assez symptomatique en ce qui concerne le contenu car après lecture on peut aisément classer Le Livre des Baltimores dans la catégorie des romans destinés aux adolescents en le comparant à un honnête Club de Cinq en Amérique.

     

    Quatre ans après l’affaire Harry Quebert, on retrouve Marcus Goldman en Floride où il séjourne afin de s’atteler à son prochain roman. Il y rencontre, par hasard, Alexandra Neville, un amour de jeunesse qu’il abandonna avant qu’elle ne devienne une célèbre chanteuse. Encore éperdu d’amour, Marcus tente de comprendre les circonstances qui l’ont conduit à rejeter cette sublime jeune femme. Plongé dans ses souvenirs d’enfance, il dresse ainsi le portrait de famille des Goldman-de-Baltimore, dont il vouait une admiration sans borne et qui lui a permis de connaître la jeune Alexandra. Lui-même issu de la modeste famille des Goldman-de-Montclair, Marcus repense ainsi à ses cousins, à son oncle Saul qu’il adule, aux vacances extraordinaires à Miami ou dans les Hamptons et entame ainsi un périple dans le passé. Mais au fil de ses réflexions, il met également à jour les terribles circonstances qui ont conduit certains membres de cette famille au cœur d’un Drame terrible. Car derrière ce vernis de bohneur, la famille Goldman-de-Baltimore dissimule les fissures intimes de la rancœur et des ressentiments. 8 ans après le Drame, que va donc découvrir Marcus Goldman derrière le portrait lustré de cette famille.

     

    Avec La Vérité sur L’affaire Harry Quebert, Joël Dicker devenait le chantre du suspense en façonnant un «page-turner» sur un schéma finalement assez simple débutant avec l’assassinat d’une jeune femme, suivi d’une enquête conduisant à la découverte d’un coupable. Il s’agissait donc d’une structure narrative propre au roman policier que l’auteur se défendait pourtant d’avoir écrit de manière consciente.

     

    Le problème avec Le Livre des Baltimore réside dans le fait que Joël Dicker a voulu conserver les recettes du suspense sans que cela n’apporte une quelconque plus-value à l’histoire. Pour se démarquer de son précédent roman, l’auteur a donc élaboré une histoire dramatique en dressant le portrait d’une famille américaine dont la pierre angulaire est ce fameux Drame inscrit en lettre majuscule afin d’en souligner l’importance et qui ne sera dévoilé qu’en toute fin de récit alors que dès le début, tous les protagonistes en connaissent le déroulement. Ce décalage brouille d’ailleurs les motivations qui poussent les personnages à agir d’une certaine manière sans que l’on en comprenne les raisons. Mais qu’à cela ne tienne, Joël Dicker abuse du procédé, jusqu’à la nausée, en nous rappelant tout au long de l’histoire qu’il va y avoir un Drame dont le déroulement s’étalera sur quelques pages à peine. C’est d’autant plus navrant que lorsque le lecteur découvre les prémisses de ce fameux Drame, bon nombre d’entre eux  en devineront les principaux contours, anéantissant ainsi la mécanique de ce soi-disant suspense. Mais qu’importe, Joël Dicker utilisera toutes les grosses ficelles pour distiller ce fameux suspense en brouillant par exemple la chronologie du récit jusqu’à le rendre indigeste, voire même  incompréhensible tant il est dénué de références dans une Amérique qui semblerait dépourvue d’histoire, hormis l’élection de Bill Clinton et l’interpellation musclée de Rodney King. Ce qui fait bien peu pour un roman se déroulant sur plus d’une trentaine d’années. Toujours dans le but de nourrir la tension dramatique, la propension quasiment permanente consistant à interrompre le cours de révélations parfois secondaires, comme de savoir qui va occuper la maison voisine des Goldman dans les Hamptons, s’avère également extrêmement agaçante et nuit à la lisibilité d’un récit qui manque de tenue.

     

    Les personnages sont totalement dépourvus de relief à l’instar de cette description superficielle d’Alexandra Neville, ancien amour de Marcus Goldman qui donne une idée du côté paillette parfois insupportable de ce laborieux roman. « A moins de vivre dans une grotte, vous avez forcément entendu parler d’Alexandra Neville, la chanteuse et musicienne la plus en vue de ces dernières années. Elle était l’idole que la nation avait attendue depuis très longtemps, celle qui avait redressé l’industrie du disque. Ses trois albums s’étaient écoulés à 20 millions d’exemplaires ; elle se trouvait, pour la deuxième année de suite, parmi les personnalités les plus influentes sélectionnées par le magazine Time et sa fortune personnelle était estimée à 150 millions de dollars ». Mais à l’exception d’un poster de Tupac Shakur, on ne connaîtra ni les influences, ni le style de musique qu’interprète cette chanteuse un peu nunuche qui affuble le personnage principal de sobriquets ridicules comme Markikette.

     

    Le plus riche, le plus beau, le plus intelligent, le plus sportif, le plus généreux, la plus belle, la plus grosse voiture, la plus grande maison, les plus belles vacances, outre la vacuité des personnages engoncés dans de tristes sentiments de jalousie, Joël Dicker installe le lecteur dans un conte de fée sirupeux et délirant en nous livrant une succession de cartes postales surréalistes d’un monde idéal qui n’existe nulle part ailleurs que dans son imagination fertile. C’est d’autant plus regrettable que l’auteur survole les moments plus sombres d’une histoire qui vire parfois au grotesque à l’exemple de l’entretien entre un directeur d’école et son élève d’à peine dix ans qui vient de le découvrir dans une situation compromettante et qui met en place un chantage afin de faire inscrire son meilleur ami. Une situation à laquelle on ne croît guère et qui est loin d’être unique.

     

    Doté d’une certaine émotion, parfois maladroite, Le Livre des Baltimore est un roman superficiel et dépourvu de style que le lecteur traversera avec le sentiment permanent et justifié d’avoir été manipulé jusqu’à l’excès. Un ouvrage décevant qui sera probablement vendu à des millions d’exemplaires car tout a été prévu pour qu'il en soit ainsi, marketing oblige. Joël Dicker en connaît bien les règles et les rouages. Champagne !

     

    Joël Dicker : Le Livre des Baltimore. Editions de Fallois / Paris 2015.

    A lire en écoutant : My Least Favorite Life de Lera Lynn. Album : True Detective (Music from the HBO Series). Harvest Records 2015.