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LES AUTEURS - Page 78

  • Philippe Cavalier : Hobboes. Un monde à l’agonie.

    Capture d’écran 2016-01-08 à 19.03.12.pngLe moins que l’on puisse dire c’est que l’on a vécu une année 2015 difficile qui s’est écoulée au fil d’une actualité particulièrement anxiogène générant un climat délétère dans lequel peut s’inscrire un livre tel que Hobboes de Philippe Cavalier qui, sans faire mentions des dérèglements climatiques, des actes terroristes, des crises économiques et migratoires secouant notre monde, installe son récit dans un contexte de fin de civilisation sur fond de conte fantastique en nous plongeant au cœur de l’univers des hoboes, ces vagabonds ou trimardeurs parcourant le pays au gré de leur bonne ou mauvaise fortune.

     

    C’est de l’exclusion que naissent les légendes. Alors qu’une crise économique majeure ravage le Canada et les USA, des millions d’exclus jetés dans les rues espèrent un avenir meilleur sous la conduite d’un guide promis à mener une révolte pour renverser cet ordre mondial vacillant. Suicides collectifs, explosions meurtières, on parle également d’individus étranges dotés de pouvoirs surnaturels inquiétants qui sillonnent les routes en semant terreur et désolation. Des histoires terrifiantes qui s’échangent au fil des pérégrinations de ces hoboes traversant les vastes territoires d’une nation désolée. Mandaté par une mystérieuse officine Raphaël Barnes, professeur déchu de l’université de Cornell, se met en quête du livre qui donnerait un sens à tous ces évènements étranges. Pour cela, il doit suivre la trace d’un ancien étudiant disparu dans un immense campement de sans-abris installé au cœur de Central Park. Une première étape d’un long et éprouvant voyage mystique.

     

    Hobboes avec deux « b » comme pour désigner les deux clans composant la caste de vagabonds, les sheltas et les formeroï  incarnant cette lutte éternelle entre le bien et le mal qui semble trouver son apogée sur le territoire américain. Un conte fantastique, basé sur le postultat d’un étrange personnage doté de pouvoirs surnaturels, Le Scribe, estimant que puisque l’on ne peut s’échapper de l’enfer, il faut le détruire.

     

    Il est recommandé de bien suivre ce récit extrêmement décousu qui manque singulièrement de tenue ce qui contraint le lecteur à relire certains passages pour bien comprendre le sens de certaines scènes tout en gardant en mémoire la multitude de termes étranges qui auraient mérités d’être répertoriés dans un glossaire où l’on aurait également trouvé les noms, les alias et les rôles des différents personnages qui traversent le récit de manière parfois bien trop fulgurante. Car ce qui frappe également avec le roman de Philippe Cavalier, habitué des longues sagas sur plusieurs tomes, c’est la densité d’un texte qui devient bien trop ramassé en fin de parcours comme si l’auteur manquait de pages pour achever son récit. On le perçoit notamment dans une série de confrontations finales qui manquent cruellement d’amplitudes au regard de tous les évènements qui précèdent. Plusieurs protagonistes disparaissent sur deux lignes sans que l’on en prenne vraiment la pleine mesure ce qui est parfois regrettable.

     

    Ponctué de scènes dantesques parfois sublimes mais bien trop courtes on regrettera quelques longueurs comme le périple de Barnes pour se rendre dans les Rocheuses avec un groupe de vagabonds. Un passage peu crédible où ce personnage pantouflard prend la route pour accompagner un groupe de hoboes avec une samsonite à roulette et une Patek Philippe au poignet. Des ficelles un peu grosses pour symboliser la vacuité du monde matériel dont il va se défaire au fil de son périple. On peine également à suivre la destinée et les motivations de certains personnages secondaires comme les commanditaires de Barnes qui disparaissent du récit pour réapparaitre tout d’un coup dans une scène de crucification sans que l’on ait pu suivre leur parcours. Ils ne servent que « d’alibi » pour contraindre le personnage principal à prendre la route pour retrouver un ancien étudiant disparu. D'ailleurs, malgré l’importance que lui octroie l’auteur, Raphaël Barnes reste le protagoniste le plus fade du roman et l'ultime scène du roman que je ne saurais vous dévoiler ne fait que conforter ce sentiment de banalité.

     

    Ces défauts importants altèrent la qualité d’un récit qui aurait pu se révéler bien plus abouti si l’auteur, avait pris le temps de développer ses scènes d’action et quelques personnages secondaires alors qu’il se perd parfois dans des explications savantes et mystiques qui ne sont pas toujours indispensables et qui plombent le rythme du roman.

     

    Malgré ces défauts, on apprécie pourtant Hobboes car Philippe Cavalier parvient à mettre en scène des instants dantesques comme ce suicide collectif sur le Golden Gate Bridge où l’on perçoit la fragilité des personnages qui ne sont jamais à l’abri d’un destin funeste. Il y a un sentiment d’incertitude et d’imprévisibilté qui traverse tout le récit en remettant en cause tous les plans des personnages aussi puissants soient-ils.

     

    Roman dystopique singulier, truffé de références mystiques, Hobboes parviendra à séduire les lecteurs avides de sensations et de rebondissements originaux.

     

    Philippe Cavalier : Hobboes. Editions Anne Carrière 2015.

    A lire en écoutant : Gustave Holst : The Planets. Boston Symphony Orchestra William Steinberg. Deutsche Grammophon

  • RYAN GATTIS : SIX JOURS. LE MAINTIEN DU DESORDRE.

    émeutes,los angeles,six jours,ryan lattis,fayardManifestations sauvages, émeutes, elles sont comme des montées de fièvre d’une société malade qui tente de cacher ses symptômes dans les draps froissés du conformisme. Manifestations sauvages, émeutes, elles incarnent les divers malaises qui sapent les fondements des démocraties en suscitant embarras et indignations sans pour autant trouver de remèdes aux questions qui dérangent. Commissions d’enquêtes, interpellations politiques, rien n’y fait, car ce sont bien souvent ces manifestants dégénérés ou cette police incompétente qui fait office de bouc émissaire permettant ainsi d’occulter les problèmes de fond. La culture à Genève, les questions raciales à Los Angeles tout est question de perspective comme l’évoque Ryan Gattis avec son roman intitulé Six Jours qui nous immerge dans la périphérie des émeutes qui ont secoué la Cité des Anges en 1992 suite au verdict d’acquittement de quatre policiers accusés d’avoir fait un usage excessif de la force sur un certain Rodney King.

     

    A Lynwood, dans le South Central de LA, ne comptez plus sur la police pour vous protéger. Depuis l’issue du procès Rodney King elle est complètement débordée. Ernesto Vera est l’une des premières victimes à en faire les frais. Assassiné dans une ruelle du quartier, aucune enquête ne sera menée, pas même une ambulance ou un fourgon du coroner ne se rendra sur les lieux du meurtre. Les services de secours sont désormais occupés à tenter de gérer les interventions sur les lieux des émeutes qui secouent la ville en délaissant les autres quartiers. Loin de rester impuni le meurtre d’Ernesto Vera sera le déclencheur d’une succession de réglements de compte entre ces gangs hispaniques qui profitent de cet abandon pour piller, vandaliser et abattre leurs congénères dans un déluge de feu et de sang. Durant six jours l’enfer d’une guerilla urbaine va déferler dans les rues de Lynwood, sous les yeux incrédules d’une infirmière, d’un commerçant, d’un pompier ou d’un graffeur, tous témoins hallucinés de ce chaos indescriptible qui boulversera leurs vies à jamais.

     

    Six Jours est un roman choral composé de six chapitres pour autant de journées d’émeutes durant lesquelles se succèdent les dix sept points de vue de personnages hauts en couleur à l’image de Payasa, cette jeune femme membre de gang qui cherche à venger son frère. Un portrait tout à la fois poignant et violent où la mort devient un facteur presque secondaire. Avec Six Jours on assiste à une véritable guerre urbaine où ceux qui ne font pas partie des gangs sont désignés par le terme de « civil » ce qui illustre bien le contexte de violence dans lequelle sont immergés ces bandes hispaniques dont les membres estiment que les services du Shériff du comté ne sont rien d’autre qu’un gang adverse auquel il faut faire face.

     

    émeutes,los angeles,six jours,ryan lattis,fayardOn découvre ainsi un univers de gang où le code de l’honneur devient un prétexte obscur pour des actes d’une violence exacerbée par les émeutes qui éclatent un peu partout dans la ville. On reste toutefois en marge des évènements majeurs qui ont secoué la cité pour s’immerger au cœur des activités connexes d’un quartier désormais livré à lui-même et plongé dans un déchainement de pillages et de règlements de compte parfois extrêmement violents à l’image du meurtre d’Ernesto Vera dont le corps sera traîné derrière le véhicule de ses bourreaux. Ryan Gattis ne délivre pas de messages sur les conditions raciales ou sur les conditions de travail de la police qui reste très curieusement absente des divers points de vue qui se succèdent tout au long du récit. En adoptant leur langage, l’auteur donne, avec force de talent, la parole aux différents protagonistes nous permettant ainsi de progresser dans la succession d’évènements tout en s’imprégant de leurs logiques de pensée et de leurs points de vue. Des hommes et des femmes dont les destins se frôlent, se croisent et parfois se brisent dans des confrontations d’une brutalité hallucinante dans un contexte apocalyptique d’émeutes sauvages que les forces de l’ordre auront bien du mal à contenir.

     

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    Avec Six Jours, Ryan Gattis illustre les propos du chef de la police de Los Angeles qui déclarait : « Il va y avoir des situations où les gens ne bénéficieront pas de secours. C’est un fait. Nous ne sommes pas assez nombreux pour être partout. »

     

    Un magistral roman qui rend compte des limites d’un système étatique à bout de souffle.

     

    Ryan Gattis : Six Jours (All Involed). Editions Fayard 2015. Traduit de l’anglais (USA) par Nicolas Richard.

    A lire en écoutant : Six Million Ways to Die de Kid Frost (feat. Clika One). Album : This for The Homeboys. 2011 Old West/Gain Green.

    (photos : 20 minutes/20min.ch)

     

  • Aaron Gwyn : La Quête de Wynne. De Si Jolis Chevaux.

    Capture d’écran 2015-12-20 à 23.58.34.pngEastern, une nouvelle catégorie qui semble désigner le renouveau du western émergeant de plus en plus dans l’univers cinématographique, mais également dans le milieu littéraire. Un terme émancipateur qui nous entraîne vers de nouveaux horizons dans un contexte d’aventures épiques. Emblématique de cette nouvelle catégorie, Aaron Gwyn nous propose donc avec son premier roman, La Quête de Wynne, de suivre, sur fond de guerre, le périple hallucinant d’un groupe de bérets verts évoluant à cheval dans une zone tribale du Nouristan, province montagneuse de l’Afghanistan.

     

    Lors d’un échange de tir en Irak, le caporal Russel sort de sa tranchée pour sauver un cheval égaré au cœur de la bataille. Au péril de sa vie, il parvient à chevaucher l’animal en traversant la zone de combat sous le tir nourri de l’ennemi. Son exploit filmé par une équipe de télévision, tourne en boucle sur les principales chaînes hertziennes ainsi que sur les réseaux sociaux.  C’est de cette manière qu’il attire l’attention du capitaine Wynne, un charismatique officier des forces spéciales, stationné en Afghanistan qui a besoin de ses talents d’éleveur équestre pour mettre en place une mission de sauvetage au coeur des contrées tribales du pays. Russel et son coéquipier Wheels vont donc dresser une quinzaine de chevaux sauvages et accompagner une unité de bérets verts en s’enfonçant discrètement dans une mystérieuse région hostile. Sous les ordres de l’étrange capitaine Wynne, les deux rangers vont s’aventurer aux confins d’un univers de folie et de violence.

     

    Avec La Quête de Wynne, Aaron Gwyn nous convie pour un mystérieux voyage au cœur des ténèbres, en traversant des contrées extraordinaires qui sentent la poussière et la mort. On oscille entre l’univers héroïque de Kipling et l’atmosphère envoûtante de Conrad avec des personnages beaucoup plus rugueux qui ne s’embarrassent plus de questions philosophiques les poussant à agir. On reste dans le concret de combats farouches dans un pays d’une beauté hostile où les hélicoptères peinent à évoluer dans ces régions montagneuses. Régulièrement pris pour cibles, ces appareils bruyants ne permettent plus aux combattants d’accéder dans les régions les plus reculées. On en revient donc aux fondamentaux avec des soldats modernes chevauchant le plus ancien allié de l’homme. Durant la période d’élevage où Russel évolue dans le corral, l’auteur dégage une espèce d’esthétique poétique qui souligne toute la sauvagerie du contexte guerrier dans lequel les personnages évoluent.

     

    Baigné dans le souvenir de son grand-père éleveur et également vétéran de la seconde guerre mondiale, Russel est un personnage entier qui semble en complet décalage lorsqu’il se trouve en présence des chevaux incarnant sa force, mais également ses frayeurs et ses incertitudes face au complexe capitaine Wynne qui demeure une figure mystérieuse aux motivations troubles. Tout au long de ce périple, il y a les personnages secondaires comme Wheels qui alimentent le récit d’anecdotes délirantes sur les raisons de l’invasion de l’Afghanistan, sur fond de paranoïa traduisant la peur de ces soldats embringués dans une guerre dont ils ne comprennent plus vraiment les enjeux. Les dialogues sont vifs nerveux et extrêmement percutants avec un désir sous-jacent d’aller à l’essentiel sans fioriture. On le perçoit notamment au travers d’une relation qui se noue entre Russel et Sara. Personnage atypique, bien loin de l’idéal féminin, Sara évoque une fragilité psychique dont les fêlures ne semblent pas tout à fait cicatrisées.

     

    On assiste ainsi, avec La Quête de Wynne, au choc des civilisations où le monde rural de l’Amérique côtoie l’univers tribal de l’Afghanistan avec pour point commun des chevaux sauvages devenant l’ultime trait d’union entre deux peuples hostiles. Un roman aux scènes intenses et épiques d’une rare beauté sauvage. A couper le souffle.

     

    Aaron Gwyn : La quête de Wynne. Gallmesteir 2015. Traduit de l’anglais (USA) par François Happe.

    A lire en écoutant : My Country ‘Tis of Thee  de David Crosby. Album : Oh Yes I Can. A&M 1989.

  • JOHN GREGORY DUNNE : TRUE CONFESSIONS. AVANT ELLROY.

    Capture d’écran 2015-12-13 à 22.28.02.pngJe ne me souviens plus de l’âge que j’avais lorsque j’ai découvert Sanglantes Confessions, traduction quelque peu hasardeuse du titre True Confessions de John Gregory Dunne. J’avais dégotté le roman dans une librairie consacrée au 9ème art car l’ouvrage était publié dans la mythique maison d’édition Speed 17, affiliée aux Humanoïdes Associés. La collection dirigée par Philippe Manœuvre mettait en lumière les traductions de Philippe Garnier, grand passeur de la littérature underground américaine. C’est donc bien avant la publication du célèbre roman de James Ellroy, que j’ai eu le plaisir de lire la version romancée de John Gregory Dunn faisant allusion à la célèbre affaire du Dahlia Noir en mettant déjà à mal, dans un langage cinglant, tous les clichés de la ville de Los Angeles durant la période flamboyante qui suivait la fin de la seconde guerre mondiale. Bien trop longtemps indisponible, c’est désormais par l’entremise de Seuil/Policiers que True Confessions revient à nouveau sur le devant de la scène avec une nouvelle traduction de Patrice Carrer et une préface de George Pelecanos qui tente maladroitement de rendre justice à ce roman culte. Car plus que n’importe quel auteur, cette préface aurait pu être rédigée par James Ellroy afin qu'il rende hommage à l’œuvre de John Gregory Dunne quitte à reléguer son orgueil légendaire au second plan.

     

    Le badge ou le goupillon, c’est avec ce choix limité que les frères Spellacy scellent leurs destinées. Tom Spellacy après avoir été écarté des Mœurs suite à des soupçons de corruption se retrouve muté à la brigade des Crimes Majeurs. Il enquête sur le meurtre de Lois Farenza, que l’on a découvert dans un terrain vague, le corps coupé en deux. La jeune femme semblait en cheville avec Jack Amsterdam ancien macro notoire en quête de rédemption qui œuvre désormais dans le milieu de l’immobilier de l’archidiocèse dirigé par Desmond Spellacy qui brigue la place de cardinal. Manigances policières s’entremêlant aux manœuvres religieuses, les frères Spellacy évoluent dans un monde retors où toutes les ambitions font l’objet d’un prix à payer parfois bien trop élevé.

     

    Avec True Confessions, John Gregory Dunn s’attache à dépeindre avec un brin de nostalgie une cité de Los Angeles sans fard où le climat de corruption presque institutionnalisée gangrène tous les services de police, tandis que les flics ouvertement racistes s’attachent plus à l’évolution de leur carrière qu’à la résolution des affaires. Malgré un portrait peu flatteur de la cité, on sent tout au long du récit, la fascination que l’auteur porte pour cette ville complexe et mythique où il a séjourné de nombreuses années.

     

    Les portraits des différents personnages sont extrêmement caustiques et parfois féroces. Il n’y a pas de preux chevaliers ou de nobles personnages à l’exception peut-être de ce jeune flic noir en uniforme, Lorenzo Jones qui deviendra maire de Los Angeles dans le milieu des années 70, rendant ainsi hommage à Tom Bradley, premier maire noir de la cité des anges. Pivot de l’ouvrage le jeune policier consciencieux est celui qui rédigera les premiers constats relatant la découverte du cadavre mutilé de Lois Farenza.

     

    Avec son personnage principal, John Gregory Dunne s’ingénie à flinguer d’emblée le mythe de la famille américaine idéale. Tom Spellacy est marié à une femme internée à Camarillo qui parle à des saints dont elle seule connaît les noms. Père d’une fille obèse entrée au couvent et d’un fils volage qui évolue dans le business des fournitures religieuses, Tom vit désormais avec sa maîtresse Corinne, une femme émancipée qui semble être une affaire au lit. Du côté professionnel, l’homme est en disgrâce après avoir été impliqué dans une affaire de corruption au sein de la brigade des Mœurs alors qu’il faisait office d’homme de liaison avec Brenda, maquerelle notoire à la solde du caïd de la pègre, Jack Amsterdam. Flic corrompu, Tom assiste à l’ascension de son frère Desmond, prêtre bien en vue au sein de la communauté catholique qui évolue dans le milieu de l’immobilier et de la finance en tentant de tracer sa voie pour devenir le digne successeur du cardinal Danaher. Dépourvu d’une foi profonde, Desmond s’ingénie sans succès à trouver un sens dans sa carrière de prélat.

     

    Le texte repose sur des dialogues vifs et acérés qui mettent en exergue le fiel et l’aigreur d’un monde cruel où la corruption et la compromission semblent être le moteur des relations entre les différentes arcanes qui gravitent autour de la cité. John Gregory Dunne dresse ainsi l’envers du décor d’une Cité des Anges déchues de toutes ses illusions.

     

    Plus simpliste, notamment aux niveaux de l’enquête et des différents mécanismes décrivant les processus de corruption, True Confessions bénéficie d’une émotion bien plus intense que l’œuvre d’Ellroy à l’instar de cette conversation entre Brenda et Tom Spellacy qui se déroule à Echo Park. C’est d’ailleurs par le biais de cette scène que le policier scellera le destin de son frère Desmond. Des instants poignants qui font de True Confessions, une espèce de préquel au célèbre quatuor de Los Angeles dont le Dog rédigera 11 ans plus tard le premier tome intitulé Le Dahlia Noir.

     

    Fleuron du roman noir, True Confessions fait partie de ces ouvrages emblématiques qui ont émancipé le genre policier de la caste secondaire dans laquelle il a été bien trop souvent relégué et qu’il vous faut impérativement découvrir toutes affaires cessantes.

     

    En prime, cet extrait d’une interview d’Ellroy pour The Paris Review, rendant tout de même «hommage » au roman de John Gregory Dunne.

     

     INTERVIEWER

    Why did it take so long for you to turn to the Black Dahlia case in your writing? It’s your seventh novel, after all.

    ELLROY

    Because I thought for a long time that the success of John Gregory Dunne’s novel about the Black Dahlia, True Confessions, would preclude a successful publication. That’s a wonderful novel, but it doesn’t truly adhere to the facts of the Black Dahlia murder case. Mr. Dunne calls the Black Dahlia “the Virgin Tramp.” Elizabeth Short becomes “Lois Fazenda.” When I took on the murder for my novel, ten years later, I adhered to the facts of the case more than Mr. Dunne did. His book is phantasmagoria. My book is a much more literal rendering of the truth.

    INTERVIEWER

    How did that book change your career?

    ELLROY

    It liberated me. It was a best seller, I was earning a living as a writer for the first time, and I was exponentially more committed to creative maturity. I’m the most serious guy on earth, but I can bullshit with the best of them, and I play to my audience. There’s a concept in boxing that you fight to the level of your competition. You’re in with a big guy, you bring the fight. You’re in with a bum, you do just enough to win. But if you get lazy, then you put yourself at risk. I’ve always come to fight, from the very first page.

     

    John Gregory Dunne : True Confessions. Editions Seuil/Policier 2015. Traduit de l’anglais (Etat-Unis) par Patrice Carrer.

    A lire en écoutant : Bach The Goldberg Variation Glenn Gould. BMW 988 (1981 recording). 1982 Sony Music Entertainment.

  • David Thomas : Ostland. Dans la perpective de l'abîme.

    Capture d’écran 2015-11-15 à 23.01.31.pngDépeints comme des monstres presque surnaturels, les auteurs s’attachent bien souvent aux portraits originaux de sérials killers qu’ils façonnent et dont les destins troubles et parfois outranciers fascinent le lecteur, ceci au détriment de l’éternel enquêteur ou profileur en quête de rédemption, devant, au prix d’une souffrance parfois insurmontable, se mettre dans la peau de l’odieux suspect qu’il traque sans relâche. Ostland de David Thomas se démarque de ces récits formatés puisqu’il dresse l’étrange parcours de Georg Heuser, un inspecteur de police affecté au sein d’une unité traquant un sérial killer sévissant à Berlin pour devenir ensuite un officier de la SS chargé de l’élimination des déportés juifs dans le ghetto de Minsk.

     

    Le 23 juillet 1959, la police interpelle Georg Heuser alias Le Limier, honorable citoyen de la République Fédéral d’Allemagne et accessoirement chef de la police criminelle. Mais pourquoi en voudrait-on à cet honorable citoyen qui a notamment traqué en 1941, le mystérieux tueur sévissant sur la ligne du S-Bahn à Berlin ? Sous les ordres d’Heydrich, le policier n’a fait que son devoir en interpellant un fou furieux qui terrorisait la ville. Devenu officier au sein de la SS, n’en a-t-il pas fait de même en administrant le ghetto de Minsk et en se chargeant de l’élimination des déportés juifs ? Le parcours d’un policier héroïque, devenu criminel de guerre.

     

    Même s’il prend parfois la  forme d’un thriller, Ostland se détache singulièrement de la kyrielle d’ouvrages consacrés aux sérials killers puisqu’il se base sur des faits réels. En effet, l’auteur a choisi de romancer le parcours atypique de cet inspecteur de police traquant un sérial killer puis devenant lui-même un tueur sanguinaire à la solde du nazisme. La partie la plus romancée est celle qui s’intéresse aux divers éléments que les enquêteurs recueillent dans le cadre du procès pour crime de guerre à l’encontre de Georg Heuser. On y découvre Paula Siebert, jeune femme juriste à une époque où l’on peine à accepter la gent féminine à de tels postes et son mentor, Max Kraus, ancien soldat de l’Afrika Korps, dirige l’enquête. Ce sont les personnages fictifs de ce roman qui mettent en perspective toute la monstruosité de ces citoyens ordinaires revenus à la vie civile qui paraissent avoir oublié tous les actes odieux qu’ils ont commis durant la guerre.

     

    A mesure que l’on progresse dans les différentes phases de préparation au procès, nous découvrons le parcours de Georg Heuser. Il y a tout d’abord l’enquête classique où l’on nous présente une équipe de la police criminelle traquant un tueur sévissant dans la ville de Berlin. Georg Heuser est un policier novice qui fait ses armes auprès d’un commissaire de police expérimenté qui lui apprend l’obéissance mais également la loyauté envers ses collègues. Impliqué, le jeune policier va tout faire pour appréhender ce criminel, ceci sous la férule du sinistre général Heydrich qui dirigeait alors la Gestapo mais également la Kriminalpolizei. On y décèle déjà cette ambivalence où un officier programmant la solution finale se souciait des actes odieux d’un tueur en série.  David Thomas dresse le portrait sombre d’une ville Berlin qui n’a pas encore plongé dans le chaos. Les cabarets y sont encore présents et l’on parvient encore à faire la fête dans une atmosphère pesante alors qu’un criminel court dans les rues glacées de la ville. L’ombre de Peter Kurten, surnommé le vampire de Düsseldorf, qui inspira Fritz Lang plane sur cette partie du récit.

     

    Promu au sein de la SS, Georg Heuser est désormais affecté à Minsk où il doit prendre en charge des convois de déportés juifs qui sont méthodiquement exécuté par ses soins. Dans un contexte de devoir et d’obéissance, l’officier devient ainsi le monstre qu’il a traqué quelques mois auparavant sans qu’il n’en prenne vraiment conscience à l’instar de la confrontation qu’il a avec une jeune juive dont il tombe amoureux et qu’il tente de sauver. Il peine à comprendre que la jeune femme puisse le rejeter, lui son sauveur. Un déni qui persistera au-delà de ces années de guerre. Néanmoins il y a l’alcool pour oublier et quelques conversations sur le sens de ces massacres qui n’excusent pas les actes auxquels il adhère de manière particulièrement zélée. C’est donc une succession de descriptions poignantes, parfois difficilement soutenables que l’auteur aborde sans complaisance. On y perçoit l’influence de l’entourage direct qui accepte l’inacceptable sous le prétexte de la guerre en s’acclimatant à l’horreur quotidienne. On y distingue également l’odieux sens du devoir que son ancien mentor l’enjoint à accomplir sans aucune distinction entre le bien et le mal. Tout cela n’excuse évidemment pas Georg Heuser, mais au-delà de ces notions de mal et de bien, l’ouvrage pose, de manière sous-jacente, la question ultime qui est de savoir ce que l’on aurait fait à la place de cet officier SS dans de telles circonstances.

     

    Héro devenu bourreau, Ostland de David Thomas pose donc les différents contextes qui font d’un homme un tueur en série ou un officier zélé et sérieux. Intriguant, édifiant et effrayant.

     

    David Thomas : Ostland. Editions Presse de la Cité/Sang D’encre 2015. Traduit de l’anglais par Brigitte Hébert.

    A lire en écoutant : Mahler : Piano Quartet n° 1 in G Minor. Op 25, Allegro. The Villiers Piano Quartet. Etcetera 1989.