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Auteurs C - Page 4

  • DAVID L. CARLSON & LANDIS BLAIR : L'ACCIDENT DE CHASSE. REDEMPTION.

    l'accident de chasse, editions sonatine, David L. Carlson, Landis BlairA ma connaissance les éditions Sonatine n'ont jamais publié de bandes dessinées, la maison étant davantage connue pour ses ouvrages ayant trait aux thrillers et aux romans noirs à l'instar de David Joy que je vous recommande. Pourtant on peut bien imaginer qu'à la découverte d'un album somptueux tel que L'Accident De Chasse dans sa version originale les éditeurs n'aient pas longtemps hésité à se lancer dans la traduction et la publication de la version française de ce qui apparaît comme l'un des plus beau roman graphique qui clôturera cette année 2020. Roman graphique ? Le mot a souvent été galvaudé pour enrober quelques bandes dessinées d'une certaine élégance marketing ou quelques adaptations de romans classiques. En ce qui concerne L'Accident de Chasse on entre pourtant bien dans le cadre de la définition de ce que peut être un roman graphique où le texte conséquent se marie parfaitement à la grâce du dessin de Landis Blair qui anime cette intrigue tirée d'une histoire vraie que Charlie Rizzo, personnage central de l'intrigue, a raconté à son ami, le scénariste David L. Carlson. Il en résulte un ouvrage improbable de plus de 400 pages sur l'univers carcéral et la rédemption par le biais de l'amitié et de la littérature.

     

    A Chicago en 1959, Charlie Rizzo a toujours cru que son père Matt était devenu aveugle suite à un terrible accident de chasse, comme il l'a toujours prétendu. Pourtant lorsque Charlie tombe dans la délinquance, son père lui dévoile la vérité en lui révélant qu'il a perdu la vue lors d'un braquage qui a mal tourné et qui l'a conduit en prison pour y purger une peine de cinq ans. En détention, Matt partage sa cellule avec Nathan Leopold détenu célèbre pour avoir défrayé la chronique des faits divers lorsqu'il a assassiné, avec son complice Richard Loeb, une jeune garçon de 14 ans afin de démontrer qu'il était possible de commettre une crime parfait. Au comble du désespoir, le jeune détenu aveugle souhaite mettre fin à ses jours. Mais avec l'aide Nathan, Matt va connaître le pouvoir sans limite de la littérature qui va lui permettre de s'évader de cet univers carcéral sans pitié.

     

    Il s'agissait pour David L. Carlson de mettre en scène une histoire d'autant plus extraordinaire qu'elle est tirée d'un ensemble de récits véridiques à l'instar de cet horrible fait divers où deux jeunes hommes de bonne famille, Nathan Leopold et Richard Loeb ont décidé de mettre à exécution leur théorie du meurtre parfait, alors qu'ils avaient à peine vingt ans, en enlevant un enfant et en l'assassinant froidement. Un meurtre qui a bouleversé la population de Chicago, ceci d'autant plus que les deux jeunes criminels ont été condamné à la prison à vie en évitant la peine capitale par pendaison qui se pratiquait au début des années 1900. Mais pour David L. Carlson il importait, avant tout, de mettre en avant la relation père-fils qu'entretiennent Matt et Charlie en choisissant l'angle de la révélation d'un secret familial pour mettre en scène ce fabuleux récit tournant autour des regrets et de l'infini pouvoir de rédemption qu'offre la littérature. C'est donc autour de ce mensonge de L'Accident De Chasse et de la vérité que Matt va dévoiler peu à peu à son fils que l'on découvre la manière dont il s'est construit avec l'aide de Nathan Leopold en faisant connaissance avec les grands classiques de la littérature dont les récits de Dante qui vont repousser les murs d'un univers carcéral oppressant. Au fil de ces révélations on revient régulièrement auprès de Charlie et de Matt pour prendre la pleine mesure de l'émotion qui s'installe entre ces deux individus qui apprennent à se connaître avec un fils qui découvre le parcours d'un père qu'il déconsidérait. Ainsi, sur ces deux trames parallèles, on observe de cette manière les liens qui vont unir un fils à son père au rythme des révélations de ce dernier mais surtout l'amitié qui se forge au rythme des années de prison entre Matt et Leopold qui apprend à lire en braille afin de transmettre son savoir au jeune aveugle désespéré. 
     
    Mais la densité du récit prend une toute autre ampleur avec les illustrations de Landis Blair qui se charge de mettre en image avec une virtuosité déconcertante et une inventivité peu communes les passions qui animent Matt et Leopold ainsi que l'oppression de l'univers carcéral qui les entoure tout comme le désespoir de Matt lorsqu'il devient aveugle. Le dessinateur restitue la noirceur du récit, mais également l'espoir habitant les deux prisonniers sur une déclinaison d'image en noir et blanc qui passent par toutes les nuances de gris au gré d'une technique de hachure rarement aussi bien maîtrisée qui souligne les heures de travail qu'il a fallut pour arriver au bout de cette oeuvre à la fois bouleversante et passionnante. On appréciera particulièrement les dessins illustrant l'oeuvre de Dante ainsi que la partition d'une suite de Bach qui résonne sur les murs de la prison au rythme des craquement du disque vinyle. Bref on ne se lasse pas, une fois l'ouvrage terminé, de revenir pour feuilleter les pages en s'attardant plus que de raison, sur quelques illustrations sublimes qui soulignent la beauté d'une histoire extraordinaire.

     

    Roman graphique somptueux, L'Accident De Chasse vous donne, à n'en pas douter, l'idée de ce que peut être un chef-d'oeuvre qui clôturera en beauté cette année 2020 si particulière.

     

     

    David L. Carlson & Landis Blair : L'Accident De Chasse (The Hunting Accident). Editions Sonatine 2020. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Julie Sibony.

     

    A lire en écoutant : Suite n° 1 en Sol Majeur, BMW 1007 de Jean-Sebastien Bach interprétée par Christian-Pierre La Marca. Album : Bach : Suites pour violoncelle. Christian-Pierre La Marca. 2013 SME France.

  • JEANINE CUMMINS : AMERICAN DIRT. SANG FRONTIERE.

    Capture d’écran 2020-11-29 à 17.35.40.pngC’était portant réglé comme sur du papier à musique. L’annonce d’un contrat à sept chiffres pour l’achat du manuscrit, des auteurs en vue comme John Grisham ou Stephen King qui encensent l'ouvrage, nul doute que American Dirt, nouveau roman de Jeanine Cummins, allait connaître le parcours fulgurant du best-seller à l’américaine. Mais peut-on parler d’immigration clandestine, et plus particulièrement de celle provenant de la frontière avec le Mexique, lorsque l’on n’est pas soi-même issue de cette communauté ? Aux Etats-Unis où le communautarisme est désormais bien ancré, la question a suscité une polémique au point tel que la romancière a dû interrompre sa tournée pour des raisons de sécurité tandis qu’une pétition signée par une centaine d’auteurs demandait le retrait de l’ouvrage des recommandations de la papesse de la télévision, Oprah Winfrey. A l’heure d’un thème sulfureux comme l’appropriation culturelle qui porte désormais des connotations négatives, une grande partie de la diaspora latino a donc estimé que même si Jeanine Cummins a une grand-mère portoricaine et un mari européen qui fut un temps sans papier, elle n’était pas autorisée à évoquer un sujet si sensible que l’immigration clandestine à une période où un président parlait de bâtir un mur pour régler le problème. Voilà où nous en sommes aux Etats-Unis, lorsqu’il s’agit de choisir le thème d’un roman. Pourtant, même s’il est imparfait ou comporte quelques inexactitudes comme le mentionne certains écrivains, doit-on se priver d’un roman qui évoque le drame quotidien de migrants qui tentent de franchir la frontière américaine, en quête d’un monde meilleurs ? La réponse est assurément non quand bien même pourrait-on éprouver quelques déceptions tant les promesses sont grandes à l’instar d’un bandeau racoleur de Don Winslow évoquant « les raisins de la colère de notre temps ».

     

    Libraire à Acapulco, Lydia est mariée à Sebastián, un journaliste qui traite du sujet délicat des narcotrafiquants qui sévissent dans la région. Alors qu’il publie un portrait du chef d’un des cartels, Lydia découvre qu’il s’agit de Javier un étrange client érudit, fan comme elle de Gabriel Garcia Marques, et avec qui elle s’est liée d’amitié. La parution de l’article bouleverse la vie de Lydia qui doit prendre la fuite avec son fils de huit ans, prénommé Luca et désormais seul survivant du massacre qui a décimé l’ensemble de sa famille. Traqués par les membres du cartel, Lydia et Luca entame le périple des migrants en provenance du sud du continent qui font route vers les Etats-Unis. Un périple dantesque, sur le toit de la Bestia, dénomination des trains de marchandises qui roulent vers le nord. Une route semée d’embûches où il faut affronter policiers corrompus et sicarios déterminés pour franchir cette frontière hostile où le désert devient un piège mortel.

     

    American Dirt débute assurément comme un roman noir avec une mise en scène à la fois subtile  et bouleversante où la romancière décline le massacre d’une famille par le prisme de son héroïne et de son fils trouvant refuge dans une salle de bain tandis que les coups de feu résonnent tout autour d’eux. Dès lors il ne s’agit plus que de sensations terribles  avec cette mise en exergue de la frayeur latente d’être découvert par les sicarios qui achèvent tous les membres de la famille réunis autour d’un barbecue qui vire à la tragédie. A partir de là, on observe la fuite de Lydia et de son fils Luca qui n’ont pas d’autre choix que prendre la route qu'empruntent tous les migrants du sud du continent américain, afin de trouver refuge aux Etats-Unis. Durant ce parcours dantesque, Lydia se remémore ses liens avec Javier, le commanditaire du massacre, avec qui elle s’était liée d’amitié sans savoir qu’il s’agissait du chef du Cartel de Jadineros sévissant dans l’état de Guerrero. S’attendant à une confrontation avec ce personnage ambivalent qui semblait assez prometteur, on regrettera son absence au fur et à mesure d’un périple qui manque singulièrement d’ampleur pour se concentrer sur la fuite de Lydia et de Luca, deux personnages attachants qui se fraient un chemin dont les embûches semblent se régler miraculeusement, un peu à l’américaine, à l’instar de la manière dont ils trouvent le moyen de combler le manque d’argent qu’ils doivent remettre à leur passeur. On assiste ainsi à une succession de rencontres comme celles de Rebeca et Soledad, deux soeurs au parcours terrible qui viennent du Honduras ou de Beto, une jeune garçon asthmatique que Lydia prend sous son aile. Une manière comme une autre de découvrir des parcours différents de migrants qui semblent pourtant sonner assez faux en se demandant, entre autre, comment ces individus ont pu amasser une somme si importante pour franchir la frontière. Parce qu’en se concentrant sur la fuite de Lydia et de Luca, Jammie Cummins semble oublier l’ensemble de la situation des migrants avec une vision assez étriquée du problème occultant ainsi une vision globale de la situation qui n'en fera donc pas « les raisins de la colère de notre temps ». Toutefois, même si le récit est effectivement truffé d’inexactitudes ou d’approximations quand ce ne sont pas tout simplement des stéréotypes à l’image d’un Mexique qui semble uniquement gouverné par les trafiquants, on appréciera cette aventure qui a tout de même le mérite de nous donner l’image de ce que peut être l’enfer que vivent ces migrants en tentant de franchir la frontière en quête d’une vie meilleure.

     

    Parfois traité sur un mode un peu trop sensationnaliste, American Dirt devient un thriller assez convenu dont on devine un épilogue à l’américaine, assez commun, qui décevra quelque peu des lecteurs qui attendaient, tout comme moi, beaucoup de ce roman que l’on disait pourtant prometteur. Décevant au final.

     

    Jeanine Cummins : American Dirt (American Dirt). Editions Philippe Rey 2020. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Françoise Adelstain et Christine Auché. 

     

    A lire en écoutant : La Pistola Y El Corazón de Los Lobos. Album : La Pistola Y El Corazón. 1988 Slash Records Inc.

  • Cabanes/Manchette : Nada. Révolution manquée.

    Capture d’écran 2020-08-31 à 20.35.43.pngEntre les éditions originales, les réimpressions, les rééditions dans d'autres collections, les recueils et les adaptations BD, on ne compte plus le nombre d'illustrations ou photos qui ont orné les romans de Jean-Patrick Manchette. Il faut bien l'avouer beaucoup d'entre elles sont assez médiocres à l'exception des adaptations BD et plus particulièrement la couverture du dessinateur Max Cabanes pour Nada qu'il a adapté avec Doug Headline qui n'est autre que le fils de Jean-Patrick Manchette. On y voit cette femme, les yeux fermés, exhalant la fumée de la cigarette qu'elle tient entre ses doigts. Il s'agit de Veronique Cash l'une des membres d'un groupuscule d'extrême-gauche composé d'amateurs qui s'est mis en tête de kidnapper l'ambassadeur des Etats-Unis, stationné à Paris. On y perçoit ce qui fait la quintessence de l'œuvre de Manchette que sont l'élégance, la désinvolture, la séduction et le danger omniprésent qui précède les éclats de violence marquant ce récit politique d'un auteur résolument engagé à une époque où les groupuscules révolutionnaires sévissaient dans le contexte des années de plomb.

     

    On ne s'est pas encore vraiment remis des lendemains désenchantés de mai 68 et l'heure est à la lutte armée comme le décrète ces six paumés composant le groupe Nada qui ne trouvent rien de mieux que d'enlever l'ambassadeur des Etats-Unis en goguette dans une maison close de Paris. Contre toute attente, les révolutionnaires amateurs parviennent à leur fin, même si l'opération tourne au vinaigre avec une fusillade laissant plusieurs membres des forces de l'ordre sur le carreau. Désormais sur la sellette, le ministre de l'intérieur est bien décidé à neutraliser les membres du groupuscule et laisse donc carte blanche au commissaire Goémond pour faire le ménage. Un nettoyage définitif qui va virer au carnage au bout duquel il ne restera "nada".

     

    Publié en 1972, Nada s'inscrit dans le contexte particulier de la stratégie de la tension qui sévissait dans toute l'Europe et plus particulièrement en Italie et en Allemagne avec des mouvements d'extrême gauche entrés dans la clandestinité afin d'entamer une lutte armée à l'instar de la Fraction armée rouge ou des Brigade rouges. "Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique que leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à con.» fait partie de ces phrases cinglantes qui caractérisent le style de Manchette en résumant parfaitement le thème abordé dans un roman qui met en scène un groupe d’amateurs se lançant dans un projet d’enlèvement d’un diplomate américain sans que l’on ne connaisse la raison de leurs actes. On découvre ainsi six individus aux profils différents, plutôt pathétiques qui s’engouffrent dans un cycle de violence qui prend de plus en plus d’ampleur à la mesure de la réponse des institutions étatiques et des forces de police qui répliquent dans un déferlement de violence qui dépasse l’ensemble des protagonistes.

     

    Dans cette excellente adaptation du roman, il faut saluer l'énergie du trait de Cabanes qui restitue parfaitement cette période dynamique des années 70  et plus particulièrement les fusillades qui jalonnent le récit. On reste particulièrement fasciné par la prise d'assaut des forces de l'ordre qui encerclent le corps de ferme dans lequel s'est réfugié le groupe Nada. Une mise en image sublime de cette escalade de la violence qui devient incontrôlable avec la confrontation entre Véronique Cash et le commissaire Goémond qui vire à l'exécution pure et simple en nous donnant une idée de cette raison d'état qui autoriserait les pires exactions. Trench coat pour André Epaulard, gilet de berger pour Buenaventura Diaz, pantalon "patte d'éph" pour Véronique Cash, on apprécie le look des séventies des personnages ainsi que les voitures de l'époque que Cabanes restitue avec cette précision qui rend hommage aux descriptions très méticuleuses sur lesquels s'attardaient Manchette, notamment pour ce qui à trait aux véhicules et aux armes utilisés par les protagonistes du récit.

     

    Incarnation du schéma béhavioriste, cher à l'auteur, Nada est une superbe adaptation d'un récit cinglant qui s'inscrit dans l'air du temps d'une époque tragique où la violence devient l'unique échappatoire d'un groupuscule qui n'est plus en mesure de contrôler les conséquences des actes qu'ils ont déclenchés. Un album somptueux.

     

    Max Cabanes/Jean-Patrick Manchette : Nada. Dupuis/Aire Libre 2018.

    A lire en écoutant : Route 66 : Chuck Berry. Album : Blues. 2003 Geffen Records.

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LA CITE DES REVES. PULP FICTION.

    Capture d’écran 2020-08-06 à 13.31.10.pngIl importe désormais d'avoir une certaine attention pour les romans policiers en provenance des pays de l’est et plus particulièrement à la littérature noire issue de la Pologne avec ce que l’on peut considérer comme de grandes figures du genre comme Zygmunt Miloszewski qui s’est tourné vers la littérature blanche ou Wojciech Chmielarz qui devient la nouvelle référence dans le domaine du polar polonais avec sa série mettant en scène l’inspecteur Jakub Mortka surnommé Le Kub. Publiée chez Agullo, on découvrait cette nouvelle série policière avec Pyromane en suivant l’enquête de ce policier revêche affecté  à la brigade criminelle de Varsovie qui tournait autour d’une série d’incendies meurtriers. Avec La Ferme Aux Poupées Le Kub nous entrainait dans son exil dans les Carpates où il mettait à jour un trafic de traite de femmes destinées à la prostitution. Avec La Colombienne on assistait au retour en grâce de cet inspecteur opiniâtre réaffecté à Varsovie afin de s’atteler à une enquête périlleuse portant sur un trafic international de stupéfiant. Davantage focalisé sur le domaine de la politique et du trafic d’influence qui peut en résulter, Wojciech Chmielarz nous invite à retrouver, avec La Cité Des Rêves, son policier fétiche dont les investigations tournent autour d'un meurtre commis au sein d'une résidence cossue de la capitale polonaise.

     

    Les habitants de La Cité des Rêves sont en émoi lorsqu’ils apprennent que le gardien de cette résidence protégée a découvert le cadavre d’une jeune femme dans la cour de ces immeubles modernes, tout confort. C’est l’inspecteur Jakub Mortka qui est en charge de l’enquête secondé de la lieutenante Suchoka, surnommée La Seiche. Rapidement leurs soupçons portent sur une femme de ménage ukrainienne qui a pris la fuite le matin même du meurtre. Mais au fil de leurs investigations, les deux policiers vont mettre à jour les étranges comportements de certains habitants dont un ancien jeune député ambitieux tombé en disgrâce qui affiche la volonté d'effectuer un retour en force dans les affaires politiques du pays. Mais quels sont les atouts de cet individu qui semble bénéficier de l’appui de quelques personnalités louches de la pègre polonaise auquel Jakub Mortka a déjà dû côtoyer pour son plus grand déplaisir.

     

    L’intérêt d’une intrigue telle que La Cité Des Rêves repose sur la multitudes de personnages qui entrent en ligne de compte dans un récit où chacun d’entre eux prend autant d’importance, si ce n’est plus, que les protagonistes principaux du livre qui semblent davantage en retrait, en particulier pour ce qui concerne Jakub Mortka devenant le centre névralgique des interactions entre les différents individus intervenant dans le cours de cette histoire complexe. On apprécie ainsi cette rigueur dans la construction narrative où chaque chapitre met en exergue à un intervalle régulier les différentes actions des nombreux personnages du roman qui nous fait penser au rythme d’un film tel que Pulp Fiction auquel l’auteur fait d’ailleurs référence. Plus que Le Kub ou La Seiche, les deux policiers chargés de l’enquête, on s’intéressera davantage à des individus tels que Piort Celtycki nous donnant une vision peu glorieuse du système politique polonais ou à un malfrat comme Mieszko qui se révèle moins balourd qu’il n’y paraît. Trafics d’influence, chantages, extorsions, le monde polonais tel que présenté par Wojciech Chmielarz est assez sombre ceci d’autant plus lorsqu’il dépeint le milieu politique mais également le milieu journalistique auquel il appartient. Tout cela nous donne une vision lugubre d’un pays qui n’a pas encore totalement rompu avec les anciennes pratiques d’un régime communiste corrompu et qui s'engouffre dans une logique capitaliste ne présentant pas ses meilleurs atours comme le démontre des jeunes polonais tels que Aleksandr Chelmonski et ses camarades d’infortune en quête d’argent pour financer leurs concepts informatiques les entraînant vers des dérives qu’ils ne peuvent plus maitriser. Victimes intègres ou personnes vulnérables, on s’intéressera également aux femmes qui interviennent dans le récit à l’instar de la courageuse étudiante journaliste Suzanna Latkowska ou de Svitlana, cette femme de ménage ukrainienne contrainte d’endosser un meurtre qu’elle se défend d’avoir commis. C’est d’ailleurs autour de ce personnage ambivalent que l’on appréciera le coup de génie Wojciech Chmielarz qui parvient toujours à nous surprendre avec quelques éléments ou détails qui révéleront toute leur importance au terme d’un épilogue qui laisse sans nul doute place à une suite. Outre ces nouveaux intervenants on prend également plaisir à revoir quelques personnages récurrents comme Dariusz Kochan, ancien adjoint du Kub qui est relégué aux archives pour déterrer quelques « cold case » lui permettant d’obtenir un certain succès, ceci presque à son corps défendant dont une affaire tournant autour du caïd Borzestowski que l’on avait croisé dans les romans précédents de la série.

     

    Complexe, mais extrêmement bien mené, La Cité Des Rèves révèle tout le talent de Wojciech Chmielarz qui, dans la précision du détail, parvient à nous surprendre jusqu’à la toute dernière ligne d’un texte plaisant et abouti.

     

     

    Wojciech Chmielarz : La Cité Des Rêves (Osiedle Marzen). Editions Agullo Noir 2020. Traduit du polonais par Erik Veaux.

     

    A lire en écoutant : Eden de Talk Talk. Album : Spirit of Eden. 1997 Parlophone Records Ltd.

     

     

  • LUC CHOMARAT : LE DERNIER THRILLER NORVEGIEN. PARODIE NORDIQUE.

    Luc Chomarat, le dernier thriller norvégien, la manufacture de livresMode éditoriale propre aux thrillers, c’est bien souvent au terme de ce type de fictions que vous trouverez quelques remerciements où l’auteur s’ingénie à vous démontrer, avec une subtilité plus ou moins affichée, que son récit s’inscrit bien dans la réalité d’un univers qu’il a su capter au gré de connaissances et de références qu’il puise essentiellement sur internet en intégrant au mot près dans son texte, avec une conscience qui l’honore, quelques extraits de la fiche wikipédia qu’il a consultée. Il s’agit bien d’en rire et de traiter le sujet des dérives du monde de l'édition avec la dérision et l’humour qui s’impose comme l’a fait Luc Chomarat avec Le Dernier Thriller Norvégien, roman à la fois détonnant et subtil, nous entraînant dans le tourbillon d’une intrigue délirante où la fiction et la réalité se télescopent pour devenir des perceptions toutes relatives.

     

    A Copenhague, l’éditeur parisien Delafeuille s’apprête à rencontrer Olaf Grundozwkzson, grand maître du thriller nordique,  afin de le convaincre d’intégrer le catalogue de sa maison d’édition et de négocier les droits de traduction de son dernier roman à succès. Confortablement installé dans un luxueux hôtel de la capitale danoise, Delafeuille prend connaissance du manuscrit de l’auteur pour se rendre compte que la fiction devient réalité et qu’il est devenu la proie de l’Esquimau, machiavélique tueur en série sévissant dans la région en démembrant ses victimes qu’il abandonne dans les forêts des environs. Acculé, l’éditeur n’a pas d’autre choix que de poursuivre la lecture du manuscrit afin de connaître l’identité du meurtrier. Mais l’ouvrage disparaît mystérieusement et Delafeuille comprend que l’aide de Sherlock Holmes, séjournant dans le même hôtel, ne sera pas de trop afin de déjouer cet effroyable imbroglio qui prend une tournure inquiétante.

     

    Bien loin du simple pastiche où il se contenterait de démonter les codes qui régissent le genre du thriller, Luc Chomarat construit une intrigue étonnante en entraînant le lecteur dans la mise en abîme de personnages évoluant au gré de la fiction d’un ouvrage qui rythme désormais leur propre réalité avec l’apparition de Sherlock Holmes dont on ne sait plus s’il s’agit du célèbre héros sorti de l’imagination de Conan Doyle où tout simplement de l’incarnation de la réalité de Delafeuille protagoniste central d’un roman complètement loufoque qui nous interpelle sur notre propre perception de l’imaginaire. A partir de là, le récit s’oriente vers une franche partie de rigolade extrêmement rafraîchissante où les situations les plus ubuesques prennent une tournure délirante au gré de dialogues surréalistes. C’est donc au détour de l’absurdité de scènes parfois cocasses que Luc Chomarat égratigne avec cette plume corrosive qui le caractérise, les arcanes du monde littéraire et les travers du thriller. Et tout y passe que ce soit les poncifs les plus éculés que l’on peut imaginer en lien avec le polar nordique dont le titre du roman vous donne déjà un aperçu puisqu’il n’est nullement question de Norvège ou que ce soit les considérations d’éditeurs plus enclin à parler chiffres que lettres. Ainsi on s’amuse de tout avec une multitude de clins d’œil comme les éditions Mirages ou la rencontre des inspecteurs Bjonborg et Willander tout en accompagnant des personnages déboussolés s’étonnant de passer d’un chapitre à l’autre de manière brutale ou d’une scène à l’autre presque comme par magie pour mieux comprendre les mécanismes de l’ellipse. Il en va de même pour l’environnement et l’atmosphère d’un genre extrêmement convenu, que l’auteur s’amuse à décortiquer avec une sagacité pleine d’humour à l’exemple de cette ville de Copenhague prenant soudainement l’allure d’une ville africaine pour mettre en exergue la multitude de clichés que l’on peut trouver dans ce type de romans ou cette soudaine vulgarité dans les échanges entre Holmes et Delafeuille se retrouvant tout d’un coup dans un récit aux allures de hard-boiled.

     

    Avec la finesse d’un humour au service d’un texte d’une belle intelligence nous permettant d’avoir un regard acéré sur un monde de la littérature qui se prend parfois bien trop au sérieux , Luc Chomarat fait exploser, avec Le Dernier Thriller Norvégien, l’univers extrêmement convenu du thriller nordique pour nous entraîner dans la folie d’une intrigue qui ne manquera pas de vous laisser avec un grand sourire, ceci bien longtemps après avoir refermé cet ouvrage détonant. Salutaire et indispensable.

    Luc Chomarat : Le Dernier Thriller Norvégien. La Manufacture de livres 2019.

    A lire en écoutant : Gravity de Hooverphonic. Album : Reflection. Sony Music Entertainment Belgium.