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Auteurs C - Page 3

  • ANTOINE CHAINAS : BOIS-AUX-RENARDS. CONTES, LEGENDES ET MYTHES.

    Antoine chainas, série noire, bois-aux-renardsAvant de lire son oeuvre, j'avais croisé la route littéraire d'Antoine Chainas par le biais de son travail de traducteur alors qu'il nous proposait la version en français de Donnybrook (Série Noire 2014), récit à la fois brut et hallucinant de Frank Bill nous entrainant dans le monde âpre d'un tournoi de combats clandestins se situant au coeur de l'Indiana. Pour ce qui concerne son travail de romancier, on ne va pas se mentir, on parlera d'un rendez-vous manqué avec un auteur singulier de la littérature noire française jusqu'à ce que je ne découvre que très récemment le fameux Empire Des Chimères (Série Noire 2019) dont il faudra prendre le temps d'évoquer le contenu un jour, même si tout semble avoir été déjà dit au sujet de ce roman emblématique faisant l'objet d'un flot considérable d'éloges enthousiastes pour un récit s'articulant autour d'un empire du divertissement se diluant dans une étourdissante succession d'univers parallèles s'imbriquant au gré d'une construction narrative maîtrisée de bout en bout. Alors qu'il a toujours publié ses romans au sein de la mythique collection Série Noire, Antoine Chainas reste chez Gallimard en intégrant désormais la non moins mythique collection La Noire, reflétant parfaitement la singularité de l'univers de l'auteur se situant à la marge de la littérature noire, en nous proposant ainsi Bois-Aux-Renards, intrigue aux allures de thriller qui bascule subtilement dans le monde chimérique des mythes, contes et légendes d'une forêt perdue où réside une étrange communauté.
      

    Traversant cette région perdue, c'est un soir de l'an 1951 que la voiture sort de la route et que ses occupants trouvent la mort, hormis Chloé, une fillette désormais orpheline et estropiée. En marge de la société, les sauveteurs prennent en charge la gamine et dissimulent toute trace de l'accident. En 1986, comme chaque année durant la période estivale, Yves et Bernadette profitent de leur congé en sillonnant la région avec leur camping-car Transporter T3, en quête d'auto-stoppeuses qu'ils exécutent froidement. Anna, une jeune fille vivant avec sa mère dans une caravane, est la témoin malencontreuse du premier meurtre de leur saison criminelle. Parvenant à s'enfuir, avec Yves à ses trousses, Anna trouve refuge auprès d'une étrange femme boiteuse vivant au coeur d'un bois peuplé de renards. Traquant la fillette sans relâche, le couple de tueurs en série vont croiser le chemin d'une communauté énigmatique qui s'est éloignée du monde moderne pour vivre selon des rites ancestraux que ses femmes et ses hommes au caractère farouche comptent préserver quoi qu'il en coûte.

     

    Les romans noirs se sont-ils substitués aux contes d'autrefois ? Les tueurs en série succèdent-ils aux ogres du passé ? C'est autour de ces interrogations qu'Antoine Chainas nous invite à côtoyer deux dimensions parallèles que sont les légendes cruelles circulant au sein de ce Bois-Aux-Renards envoûtant et qu'entretiennent une communauté recluse, lorsque débarque ce couple de tueur incarnant la cruauté brut d'un monde contemporain qui bascule dans l'ère numérique en se détournant ainsi des rites et traditions surannés. Une déflagration brutale et d'une noirceur absolue qui gravite autour de l'univers meurtrier de Bernadette et de Yves se confrontant aux rituels énigmatiques des habitants d'un hameau perdu, ceci sous la redoutable férule d'Admète et d'Hermione, deux aînés au comportement effrayant. Le monde d'Anna, cette jeune fille souffrant d'une légère déficience mentale, se révèle tout aussi inquiétant alors que sa mère la transbahute de camping en camping pour fuir deux individus malintentionnés circulant à bord d'une Mercedes noire. Témoins des exactions de Yves et de Bernadette, elle trouve refuge auprès de Chloé, gardienne des légendes d'autrefois qui vit isolée au sein de cette forêt énigmatique, entourée d'une cohorte de renards au comportement singulier et qu'elle a étudié toute sa vie durant en compulsant grimoires et ouvrages scientifiques. Au gré d'un texte au vocabulaire érudit, parfois un brin sophistiqué, qui s'inscrit parfaitement dans le registre d'une légende perdue, Antoine Chainas oscille, dans un indéfinissable chaos ingénieusement agencé, entre le récit noir et le conte obscur dans lequel se désagrège la personnalité des protagonistes paraissant comme ensorcelés, à leur corps défendant, par l'atmosphère à la fois envoutante et poétique qui se dégage du Bois-Aux-Renards. Incarnant la jonction des antagonismes entre un monde perdu et la société d’aujourd'hui, la rencontre entre ces différents personnages s'inscrit ainsi dans une succession de confrontations au caractère féroce qui font de Bois-Aux-Renards un roman fantasmagorique au charme indéfinissable et à nul autre pareil. 


    Antoine Chainas : Bois-aux-Renards. Editions Gallimard/Collection La Noire 2023.

    A lire en écoutant : Gaspard de la nuit : Le Gibet interprété par Ivo Pogorelich. Album : Ravel: Gaspar de la Nuit - Prokofiev: Piano Sonata No. 6. 1984 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Sandrine Collette : On Etait Des Loups. Amour vorace.

    Sandrine Collette, on était des loups, Jean-Claude lattès

    Il y a la nature et la tragédie qui animent depuis toujours les romans de Sandrine Collette pour en faire une des grandes figures de la littérature noire, ceci même si elle a toujours débordé des cases avec une écriture épurée nous entraînant dans les méandres de l'âme humaine avec son cortège de contradictions où la monstruosité des sentiments côtoie la beauté des émotions dans une lutte âpre et sombre, souvent sublimée par l'immensité d'espaces sauvages plutôt hostiles. Intégrant la collection Sueurs froides chez Denoël, la romancière a rapidement fait l'unanimité auprès des lecteurs du genre en obtenant des prix prestigieux comme le Grand Prix de la Littérature Policière pour son premier roman Des Noeuds d'Acier (Denoël/Sueurs froides 2008) ou le Prix Landerneau du polar pour Il Reste La Poussière (Denoël/Sueurs froides 2016). En étant désormais publiée dans la collection blanche des éditions Jean-Claude Lattès depuis trois ans, Sandrine Collette n'a rien changé de ses thèmes de prédilection mais atteint désormais un lectorat plus large comme l'atteste d'ailleurs l'attribution de récompenses littéraires qui ne souffriraient pas de célébrer un ouvrage estampillé dans une collection noire. Et même si elle a de quoi agacer, on connaît le résultat de la démarche, puisque son nouveau roman On Etait Des Loups est désormais auréolé de distinctions issues d'une tout autre catégorie littéraire telles que le Renaudot des lycéens ou le Prix Jean Giono qui font l'éloge d'un roman à la fois sobre et puissant. 

     

    En revenant de sa traque d'un loup qui s'était approché trop près du domaine, Liam se doute bien qu'il s'est passé quelque chose, lorsqu'il se rend compte que son fils Aru ne court pas à sa rencontre comme à l'accoutumée. A proximité de la maison, il découvre les empreintes d'un ours puis le corps lacéré de sa femme sans vie qui est parvenue à protéger son petit garçon de cinq ans encore vivant. Tout un univers qui s'écroule avec la certitude pour Liam qu'un enfant ne peut vivre seul avec son père dans cet environnement sauvage. Bien décidé à confier son fils à son oncle qui habite le bourg lointain, Liam entame un périlleux voyage à dos de cheval en tentant de contenir la détresse qui le submerge. Mais sur un chemin parsemé d'embûches, nul ne peut dire ce qu'il va advenir d'un père désemparé et d'un fils mutique qui semble de plus en plus terrifié par la tournure des événements dont il ne peut saisir le sens. 


    Le rythme lent et régulier du pas des chevaux qui résonnent dans l'immensité d'un paysage sauvage, les allusions au climat qui se détraque avec ces orages d'une tout autre nature ou ce tapis de neige qui se fait moins épais, il n'y a rien d'anodin dans On Etait Des Loups où Sandrine Collette prend soin de nous livrer un texte dépourvu de fioritures pour se concentrer sur l'essentiel d'une relation entre un père et une fils qui se construit dans la douleur d'une femme/d'une mère absente. On adopte ainsi le point de vue de Liam et de son désarroi quant au devenir de son fils qui lui pose un véritable dilemme comme la romancière sait le mettre en scène d'une manière à la fois habile et prenante afin de nous entrainer dans le sillage d'un parcours chaotique et oppressant à l'image de la nature qui entoure les personnages. Il ne s'agit d'ailleurs pas que d'un simple décor, mais du refuge de Liam qui a choisi de fuir la compagnie des hommes afin de se recentrer sur l'essentiel mais en acceptant tout de même la présence de sa femme qui devenait le centre de son univers. Alors que tout s'écroule autour de lui, l'enjeu réside à savoir comment ce misanthrope vivant en autarcie va-t-il tolérer la présence de son fils qu'il juge trop vulnérable pour vivre dans un tel environnement. Mais ne s'agit-il pas d'un prétexte pour se débarrasser d'un poids trop encombrant où l'on décèle malgré tout des liens forts qui le lient à cet enfant dont il ne sait que faire. Tout cela se construit au gré d'un cheminement lent et incertain rythmé par la force de la colère et du désespoir qui se traduit soudainement par une scène dramatique au bord d'un lac désert où le père se heurte une nouvelle fois à la présence trop pesante de son fils. Puis le récit prend une autre allure avec la rencontre d'un vieillard singulier et inquiétant qui tourne à la confrontation en révélant toute la vulnérabilité de Liam. C'est sans doute dans ce registre du suspense et de la tension que Sandrine Collette révèle tout son savoir-faire tandis que la tournure des événements met en lumière la force des liens qui unissent un père à son fils au-delà de toutes considérations pratiques qui sont brutalement balayées par la détresse d'une perte imminente. D'un bout à l'autre du récit, on reste ainsi submergé par le poids des émotions que Sandrine Collette décline avec une belle sobriété pour nous entrainer dans ce périple sauvage et confondant de beauté où les liens du sang se révèlent bien plus forts que tout autre sentiment. Une alliance à la fois sombre et lumineuse pour ce récit d'une force incandescente.

     


    Sandrine Collette : On Etait Des Loups. Editions Jean-Claude Lattès 2022.

    A lire en écoutant : Lost de Coldplay. Album : Viva La Vida. 2008 Parlophone Music Ltd.

     

  • Séverine Chevalier : Jeannette Et Le Crocodile. Que reste-t-il ?

    Capture d’écran 2022-03-28 à 17.50.20.pngDurant ses onze années d'existence, ce site a pu assister à l'émergence de quelques romanciers et romancières exceptionnels à l'instar de Séverine Chevalier que l'on peut considérer comme l'une des grandes figures de la littérature noire, même si l'ensemble de son œuvre transcende les codes du genre et qu'elle reste encore bien trop méconnue du public au regard d'une écriture, d'un style qui vous happe le cœur afin de vous immerger dans la nuance de textes sombres aux reflets poétiques. C'est bien évidemment l'humain avec toutes ses fragilités et toutes ses failles que Séverine Chevalier place au centre de ses récits au gré d'intrigues imprégnées des tragédies du quotidien qui deviennent le miroir de notre réalité en nous interpellant sur notre propre sens de l'existence. Son premier roman, Recluses, publié dans la défunte maison d'éditions Ecorce, nous permettait de nous familiariser avec son univers en déclinant la douleur silencieuse d'un duo de femmes écorchées vivant isolées dans un corps de ferme perdu où la mémoire se dissout dans un torrent de pluie et de sang.  Puis c'est l'extraordinaire Clouer L'Ouest qui va bouleverser l'ensemble des lecteurs avec un récit hypnotique qui nous invite à suivre le parcours chaotique de Karl retournant au sein d'une famille honnie vivant sur le plateau enneigé de Millevaches. La justesse du mot, la précision de la phrase qui vous touche, on retrouve tout cela dans Les Mauvaises ainsi que dans son dernier roman Jeannette Et Le Crocodile où Séverine Chevalier, avec ce sens de la nuance qui la caractérise, nous questionne, sur fond de changements climatiques et de rapports dysfonctionnels avec la nature, au sujet du devenir d'une jeunesse qui ne trouve plus aucun sens dans le monde qui l'entoure. 

     

    A l'occasion de ses 10 ans, Jeannette n'a qu'un seul désir : se rendre au zoo de Vannes pour rencontrer Eléonore, un crocodile que l'on a retrouvé dans les égouts à proximité du Pont Neuf. Blandine, sa mère, a tout préparé. Le plein de la voiture est fait, les provisions sont emballées et il y a bien entendu l'argent pour payer les tickets d'entrée. Dans la cuisine, Jeannette dessine en attendant que sa mère veuille bien se lever pour entamer ce grand voyage. Mais il y a les aléas de la vie avec une usine qui ferme dans la région, le travail que l'on souhaite conserver en dépit de sa pénibilité, les factures qu'il faut payer et l'alcool qui s'invite dans la danse. Alors la rencontre avec Eléonore, ce sera pour une autre fois. En attendant, on gratte quelques petits moments de joie et quelques douces lueurs d'espoir qui ne sont probablement que des illusions tandis que les rêves d'une petite fille sont reportés à l'année prochaine. On ira au zoo à l'occasion de ses onze, douze ou peut-être treize ans jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Parce qu'il arrive bien une fois où les rêves s'enlisent définitivement dans les méandres des regrets.

     

    Chez Séverine Chevalier on trouve toujours un personnage au profil décalé pour énoncer sa vérité avec ses mots désarmants de sincérité qui ne font qu'amplifier l'ampleur de la tragédie. Pour Jeannette Et Le Crocodile, c'est Pascal l'oncle de Jeannette qui endosse ce rôle avec sa propre perception des rapports qu'il distingue dans la brume de ses raisonnements et qu'il distille dans le cours de sa narration qui devient, dans la conclusion du récit, criante de vérité et de lucidité. C'est par sa voix que l'on perçoit également, dès le début du récit, le devenir de Jeannette en se demandant ce qui l'a conduite vers un tel destin, vers une telle tragédie de l'ordinaire. Ainsi se construit l'intrigue autour de Jeannette et de sa mère Blandine et des rapports qui se distendent entre le désarroi d'une mère et la déception d'une jeune fille qui s'éloigne du monde des adultes qu'elle ne comprend plus. On observe ainsi cet éloignement par le biais des autres habitants du village, que ce soit Robinson l'ami d'enfance de Jeannette et son père Eric, Gégé le tenancier du bar du village ou Paul Gravière le maire et sa femme Samia qui est également la patronne de Blandine. Ainsi Séverine Chevalier décline toute une galerie de personnages dont l'équilibre est imperceptiblement perturbé avec l'arrivée de Dirck, le petit ami de Blandine qui va s'employer à subjuguer l'ensemble des protagonistes à l'exception de Jeannette qui ne voit pas d'un bon œil l'arrivée de ce bellâtre. Alors que se dessine en filigrane les interrogations sur le devenir d'un monde subissant les affres du changement climatique, Dirck incarne le rôle du salaud ordinaire, du manipulateur qui ne pense qu'à lui, de celui qui prend sans rien donner en nous renvoyant vers notre propre attitude avec ce manifeste qui interpelle le lecteur au terme d'un récit où il ne reste que bien peu d'espoir si ce n'est la poursuite d'une vie imprégnée de regrets et de tristesse.

     

    C'est tout cela que l'on perçoit avec la justesse des mots de Séverine Chevalier qui alimente cette émotion palpable à chaque instant et que l'on retrouve dans Jeannette Et Le Crocodile, un terrible récit sur la désagrégation de notre monde.   

     

    Séverine Chevalier : Jeannette Et Le Crocodile. Editions la Manufacture de Livres 2022.

    A lire en écoutant : Tu vois loin de Eiffel. Album : Le ¼ D'heure Des Ahuris. 2006 Le Label.

  • SANDRINE COHEN : ROSINE UNE CRIMINELLE ORDINAIRE. AU-DELA DES APPARENCES.

    Sandrine cohen, rosine une criminelle ordinaire, éditions du caïmanChroniqueur spécialiste du roman noir et policier, traducteur et écrivain, Maurice-Bernard Endrèbe a fondé en 1948 le Grand Prix de Littérature Policière qu'il a présidé jusqu'à sa mort en 2005. Dans le domaine, il s'agit de l'une des grandes références célébrant le genre qui se distingue par l'impressionnante liste des récipiendaires à l'instar de Manchette, Frédéric Dard, Léo Malet, Tito Topin, Patricia Highsmith, Giorgio Sabernenco, Elmore Leonard, Hervé Le Corre, James Sallis et Ron Rash pour n'en citer que quelques uns. Mais loin d'enfoncer des portes ouvertes, le Grand Prix de Littérature Policière célèbre des auteurs méconnus en contribuant ainsi à une reconnaissance du public comme il le démontre pour l'édition 2021 où il distingue pour la catégorie étrangère, L'Eau Rouge, premier roman policier croate traduit en français de Jurica Pavičić et pour la catégorie française, Rosine Une Criminelle Ordinaire de la primo-romancière Sandrine Cohen qui connaît un succès impressionnant avec des ruptures de stock régulières lors des dédicaces dans les différents salons du polar où elle est présente, à l'exemple de Toulouse Polars du Sud.

     

    Il y a la routine, le quotidien d'une femme ordinaire qui bascule soudainement sans que l'on ne comprenne ce qui a poussé Rosine Delsaux, mère aimante et amie admirable, à noyer ses deux petites filles lors du bain. La dynamique du fait divers se met alors en place avec une femme meurtrie ne contestant pas le double homicide qu'elle a commis. En prison, elle se mure dans le silence et la culpabilité en laissant un mari désemparé et un père rongé par la colère. Mais après l'enquête de police établissant sans aucun doute la culpabilité de la mère de famille, c'est au tour de la justice d'entrer en action avec Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité auprès des tribunaux qui doit déterminer les raisons pour lesquelles Rosine a commis un tel acte. Investigatrice sensible, à fleur de peau, Clélia va s'immiscer dans l'intimité de la famille afin de déterrer les traumatismes et les secrets d'hommes et de femmes accablés par les événements et qui peinent à se confier.

     

    Avec l'obtention d'un tel prix, c'est également l'occasion de mettre en lumière les éditions du Caïman, une petite maison stéphanoise indépendante qui publie de la littérature noire depuis plus de dix ans en se consacrant exclusivement aux auteurs francophones. Mais pour en revenir à l'ouvrage de Sandrine Cohen, on saluera tout d'abord le fait que le récit soit résolument orienté sur les codes du roman noir en se concentrant sur les raisons qui ont poussé une mère de famille ordinaire à commettre un double infanticide. Le crime se suffisant à lui-même dans le domaine du sordide, on appréciera également le fait que la romancière ne s'étale pas trop sur le déroulement des événements aussi terribles soient-ils et préfère jeter un voile de pudeur sur l'atrocité du crime pour se concentrer sur la personnalité des personnages et plus particulièrement de Rosine, bien évidemment, mais également de Clélia Rivoire qui va tenter de décortiquer les aspects sous-jacents de ce fait divers, ceci pour le compte de la justice qui doit juger cette meurtrière. A certains égards, les deux femmes présentent quelques similarités dont des secrets enfouis qui ont altéré leur trajectoire respective. Pour Rosine, on devine quelques secrets de famille que Clélia Rivoire va devoir déterrer envers et contre tout avec l'aide du juge d'instruction Isaac Delcourt qui apparaît comme son mentor, protecteur et père de substitution, mais également avec l'appui de l'inspecteur Samuel Varda chargé de l'enquête policière et dont l'interaction parfois acide avec la jeune enquêtrice auprès des tribunaux apporte un certain dynamisme au récit. Pour ce qui est de Clélia, le lecteur devra patienter pour entrevoir les failles qui entourent ce personnage à fleur de peau, ce qui est regrettable. On aurait aimé mettre en perspective le drame qui a touché cette femme à la fois forte et sensible avec les éléments qu'elle met à jour au gré de ses investigations dans l'entourage de Rosine. Néanmoins, Sandrine Cohen, comme bon nombre d'auteurs, a choisi d'opter pour une arche narrative entourant son personnage central que l'on retrouvera sans nul doute dans un prochain roman et dont on découvrira quelques éléments saillants de sa trajectoire auquel la romancière fait allusion.

     

    La particularité de Rosine Une Criminelle Ordinaire est de se concentrer sur l'aspect judiciaire du crime avec un enjeu central qui tourne autour du jugement et de la sanction en fonction des circonstances que l'on va découvrir peu à peu au cours du récit. Ainsi, la dernière partie de l'intrigue se focalise sur la joute oratoire entre la plaidoirie de l'avocate de Rosine et le réquisitoire du procureur chargé de l'accusation avec une atmosphère chargée de suspense qui relègue malheureusement Clélia Rivoire au second plan ce qui déséquilibre quelque peu la dynamique du récit sans pour autant gâcher l'ensemble d'un roman explorant avec sensibilité les contours d'un fait divers terrible qui va bouleverser l'ensemble d'une famille moins ordinaire qu'elle ne le laisse paraître.

     

    Sandrine Cohen : Rosine Une Criminelle Ordinaire. Editions du Caïman 2021

    A lire en écoutant : If de Bernard Lavilliers. Album : If. 1988 Barclay.

  • WOJCIECH CHMIELARZ : LES OMBRES. ABUS DE POUVOIR.

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    Service de presse.

    A l'évocation des cycles de romans policiers, j'ai beaucoup de peine à dire que les ouvrages peuvent se lire indépendamment les uns des autres même si cela peut être effectivement le cas à l'exemple des livres de Valério Varesi narrant les enquêtes du commissaire Soneri se déroulant dans la région de Parme et de la plaine du Pô. Néanmoins, en lisant les romans dans l'ordre, on découvre l'évolution d'un personnage complexe ainsi que ses rapports avec la cité où il vit qui s'impriment dans le passé et plus particulièrement dans son enfance avec les liens qu'il entretenait avec son père. Avec ces éléments, on prend ainsi la mesure de son positionnement dans le cours des investigations qu'il mène et parfois de la frustration qu'il éprouve lorsqu'il se heurte à un adversaire insaisissable tel que la mafia qui gangrène la ville. Lire dans le désordre une série policière devient d'ailleurs un exercice de plus en plus difficile puisque l'on constate que de nombreux romanciers élaborent parfois, sur l'ensemble des différents volumes, une arche narrative dont il sera difficile de saisir les contours si l'on ne respecte par l'ordre chronologique des parutions à l'exemple de la série emblématique de l'auteur polonais Wojciech Chmielarz mettant en scène l'inspecteur Jakub Morkta, surnommé Le Kub. Dans ce cycle, l'auteur prend la peine d'intégrer le cadre familial de son personnage central ainsi que celui de son acolyte l'inspecteur Darius Kochan en mettant en lumière l'inquiétant processus des violences domestiques qui semble frapper durement la société polonaise. L'autre aspect de l'arche narrative du cycle réside dans la confrontation récurrente entre le Kub et le truand Borzestowski qui trouve sa conclusion dans Les Ombres, dernier volet de la série.

     

    Rien ne va plus pour l'inspecteur Darius Kochan, un mari violent qui a été mis au placard en traitant de vieilles affaires criminelles qui sont restées irrésolues. Comme si cela ne suffisait pas, il est désormais soupçonné d'avoir abattu la femme d'un gangster disparu depuis des années ainsi que sa fille. Il faut dire que l'on a retrouvé son arme de service sur les lieux du crime et que sa fuite fait office d'aveux. Acculé, le fugitif va demander de l'aide à son ancien partenaire, Jakub Mortka dit Le Kub qui croit en son innocence et décide de faire la lumière sur cette étrange affaire. De son côté La Sèche, adjointe du Kub, a mis la main sur la vidéo d'un viol collectif mettant en cause des politiciens de haut rang. Persuadée que cette affaire va être étouffée par sa hiérarchie, elle décide de mener ses investigations seule. Mais les difficultés s'enchainent et la policière décide de se confier au Kub qui va rapidement constater que les deux affaires sont liées avec l'implication de Borzestowski, son ennemi de toujours, qui règne sans partage sur la pègre de Varsovie.

     

    Dans Les Ombres, le récit débute là où s'achevait l'intrigue du roman précédent, La Cité Des Rêves, en révélant notamment le contenu d'une mystérieuse clé USB où est stockée une vidéo compromettante qui implique d'importants dignitaires du gouvernement s'adonnant à un viol collectif sur un jeune prostitué. C'est l'occasion pour La Sèche d'enquêter sur les arcanes du monde politique et de découvrir l'ampleur du trafic d'influence incarné autour du personnage de Wiesek qui fraie avec les politiciens véreux, mais également avec les flics corrompus et bien évidemment avec les truands représentés par l'inquiétant Borzestowski. Un monde opaque que Wojciech Chmielarz dépeint à la perfection par le prisme des investigations d'une tempétueuse enquêtrice au caractère bien trempé qui détonne au milieu des portraits de femmes battues, phénomène social que l'auteur s'emploie à dénoncer, tant le problème semble être latent dans son pays. L'autre aspect de l'intrigue tourne autour de l'exécution de trois truands, une vieille affaire que Darius Kochan avait remis au goût du jour en découvrant leurs corps enterrés dans un coin reculé de la campagne polonaise. Reprenant l'enquête à son compte, Le Kub va rapidement découvrir que son vieil ennemi Borzestowski est impliqué dans cette triple exécution qui a fait de lui le caïd de la pègre de Varsovie. Deux enquêtes parallèles que Wojciech Chmielarz met en scène au gré d'une narration maîtrisée et qui vont trouver des liens surprenants pour s'achever au détour d'une scène finale dantesque se déroulant dans les entrailles d'un ancien bunker truffé de souterrains. On oscille donc entre l'intrigue sociale dénonçant les dérives d'une société polonaise en plein essor et le récit d'action captivant qui va nous amener son lot de révélations, ceci jusqu'aux dernières pages du roman en clôturant brillamment une série de polars passionnants qui font un état des lieux sans concession de la Pologne.

     

    Avec Les Ombres, Wojciech Chmielarz signe donc l'achèvement d'une série de romans policiers brillants dont l'arche narrative trouve une conclusion détonante qui ne manquera pas de saisir les lecteurs les plus blasés. A lire sans modération.

     

    Wojciech Chmielarz : Les Ombres (Cienie). Editions Agullo 2021. Traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez.

    A lire en écoutant : Fiolkowe Pole de Sobel, Piotrek Lewandowski. Single. 2021 DEF JAM Recordings Poland.