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04. Roman noir - Page 43

  • Hugues Pagan : Profil Perdu. Au bout de la route.

    hugues pagan, profil perdu, rivagesC’était à la fin des années 90 que Hugues Pagan nous livrait son neuvième et dernier polar intitulé Dernière Station Avant l’Autoroute (Rivages 1997) avant de se tourner vers des activitiés plus lucratives telles que l’écriture de scénarios pour des séries comme Mafiosa, Un Flic et Police District. Après 20 ans d’absence, le retour de Hugues Pagan sur la scène littéraire constitue donc une belle surprise nous permettant de retrouver cette langue et cet état d’esprit si particuliers, propre aux flics, que cet ancien fonctionnaire de police était parvenu à restituer tout au long de son oeuvre et qui inspira par la suite bon nombre d’auteurs également issus des rangs de la grande maison ainsi que des réalisateurs comme Olivier Marchal avec qui il collabora régulièrement. Mais outre le language si atypique, on retrouve avec Profil Perdu, cette atmosphère de noirceur et de froideur conjuguée à l’ambiance amère d’un commissariat abritant les aléas de flics à la dérive et les intrigues de brigades rivales.

     

    En 1979, on célèbre la fin de l’année comme on peut à l’Usine, surnom donné au commissariat de cette ville de l’est de la France. Bugsy, un dealer du coin se fait cuisiner par Meunier, un inspecteur des stups, au sujet d’une photo où figure une mystérieuse jeune femme. Schneider le responsable du Groupe criminelle contemple le parking qui se vide peu à peu avant d’entamer sa tournée nocturne avec son adjoint. Un début de nuit calme avant d’affronter les hostilités des fins de réveillons trop arrosés. Mais durant la nuit tout bascule. Pour Schneider c’est une rencontre en forme de coup de foudre avec la belle Cheroquee. Pour Meunier la nouvelle année s’achève rapidement. Il est abattu froidement par un motard alors qu’il faisait le plein dans une station service. Schneider et son équipe sont sous pression. Un tueur de flic c’est loin d’être une affaire ordinaire.

     

    Parmi tous les policiers qui se sont lancés dans la littérature noire, Hugues Pagan se distingue par la qualité d’une écriture immersive teintée de résonnances poétiques permettant ainsi de découvrir les arcanes policières où évoluent des flics en bout de course qui travaillent à la marge et dont les destinées se révèlent bien trop souvent dépourvues de la moindre lueur d’espoir. Les enquêtes aux entornures incertaines servent de prétextes pour mettre en place les dérives de personnages aux lours passifs pour espérer une quelconque rédemption. Inexorablement, la balance penche vers une noire tragédie et malgré une trame policière, les récits de Hugues Pagan oscillent invariablement sur le registre du roman noir afin de mettre en scène toutes les vicissitudes de l’univers policier en révélant les antagonismes entre les différentes brigades ainsi que les excès de ces flics qui franchissent la ligne.

     

    A bien des égards, on trouve dans l’œuvre de Hugues Pagan l’ambiance lourde des films de Melville ou le climat oppressant des romans de Robin Cook avec cet aspect glacial qui habillent des personnages solitaires et mutiques évoluant dans un une dimension invariablement tragique. Avec Profil Perdu, on ne déroge pas à la règle et Hugues Pagan s’emploie à dresser un tableau réaliste et sans complaisance d’une équipe d’inspecteurs conduits par Schneider, un chef de groupe taciturne et sans illusion que l’on avait déjà croisé dans La Mort Dans Une Voiture Solitaire (Fleuve Noir 1982) et Vaines Recherches (Fleuve Noir 1984). En terme de temporalité, Profil Perdu se situe à une période antérieure aux deux opus précités et permet à l’auteur de s’attarder sur le portrait d’un flic saturé de désespoir en évoquant son passé et ses antécédants comme officier parachutiste engagé durant la guerre d’Algérie. L’auteur qui y est natif, en profite pour mettre en exergue les aspects troubles de ce conflit liés notamamnet à la pratique de la torture en expliquant ainsi l’aversion de Schneider pour les interrogatoires musclés que pratiquent certains de ses collègues. Dès lors, la traque d’un tueur de flic prend une tournure inatttendue lorsque ce policier désabusé entend dénoncer des inspecteurs tabassant un suspect peu coopérant sous l’œil complaisant d’une hiérarchie inspirant méfiance et défiance. On le voit, Schneider devient l'archétype du flic rebelle qui ne croit à plus grand-chose hormis peut-être cette relation naissante avec Cheroquee, une belle jeune femme rencontrée lors de la soirée de nouvel an. C'est probablement la seule lueur d'espoir que l'on entrevoit tout au long de ce roman avec cette liaison quelque peu surannée qui convient parfaitement à l'état d'esprit de l'époque. Car Hugues Pagan parvient à diffuser par petites touches subtiles cette atmosphère propre aux débuts des années 80 que l'on décèle notamment au gré de dialogues solides et maitrisés permettant d’appréhender ce climat si particulier de la police. 

     

    Loin de céder au misérabilisme ou à la compassion et encore moins au sensationnalisme que l'on ressent parfois à la lecture de certains ouvrages rédigés par des policiers, Profil Perdu est un roman qui dégage un parfum agréablement rétro pour un récit au rythme paisible, presque hypnotique, ponctué de quelques coups d’éclat, comme autant de sursauts pour tenter de s’extirper de toute cette logique fatalement tragique. Entre une vision romancée et une représentation naturaliste de l’univers de la police, Hugue Pagan a choisi la voie médiane en revenant aux fondamentaux pour nous livrer un de ces grands polars qui rend hommage à tout ce que l’on apprécie dans la littérature noire française.

     

    Hugues Pagan : Profil Perdu. Editions Rivages/Roman noir 2016.

    A lire en écoutant : La roue du temps de Paul Personne. Album : A l’Ouest – Face B. XIII Bis Records 2011.

  • Edyr Augusto : Pssica. Les maudites.

    edyr augusto, pssica, éditions asphalte, Bélem, Guyanne, CayenneRésolument orientées vers les auteurs hispaniques, la maison d’édition Asphalte nous a permis de découvrir des auteurs détonants comme l’espagnol Carlos Zanón (J’ai été Johnny Thunder), le chilien Boris Quercia (Les Rues De Santiago - Tant De Chiens) et le brésilien Edyr Augusto qui a pris l’habitude de situer ses romans dans l’état du Pará où il vit. Trop de sorties, trop de nouveautés et autres mauvaises excuses, il aura fallu attendre le quatrième opus de l’auteur, intitulé Pssica, pour que je découvre l’univers extrêmement violent d’Augusto Edyr qui dépeint la corruption qui gangrène cette région où règne un climat de déshérence sociale laissant la place à des situations d’une insoutenable abjection.

     

    Après avoir filmé leurs ébats, le petit ami de Janilice a décidé de diffuser la vidéo qui se retrouve sur tous les portables des camarades d’école de la jeune fille. Un scandale que ses parents ont de la peine à supporter, raison pour laquelle ils expédient la belle adolescente, à peine âgée de 14 ans, chez sa tante à Belém. Mais la colère fait rapidement place au désarroi lorsqu’ils apprennent que Janilice s’est fait kidnapper dans la rue, en plein jour. Aux portes de la région amazonienne, l’événement est loin d’être isolé. Les forçats de la jungle sont avides de chairs fraîches qui alimentent les bordels. Ne pouvant compter sur les autorités locales corrompues, le père de Janilice supplie Amadeu, un flic retraité, de se lancer à la recherche de la jeune fille. De Belém à Cayenne, débute alors un périple halluciné aux confins de la jungle amazonienne dans laquelle on croise des pirates du fleuve barbares, des garimpeiros brutaux et des macros cruels qui végètent dans un environnement où la vie humaine n’a que bien peu de prix.

     

    Ce qu’il y a de déroutant avec un romans comme Pssica, c’est que l’auteur ne s’embarrasse d’aucune fioriture aussi bien dans le texte que dans sa mise en forme à l’instar des dialogues qui s’enchaînent sans le moindre saut de page en procurant ainsi une sensation de fulgurance encore bien plus intense pour un ouvrage dépourvu du moindre temps mort. Afin d’achever le lecteur, il faut prendre en compte le fait que Pssica est exempt de toute espèce de transition et se dispense de descriptifs servant à magnifier un environnement pourtant peu ordinaire, dans lequel évoluent des personnages aux destinées plus qu’aléatoires. On se retrouve ainsi avec un texte au travers duquel émane une violence quotidienne, d’une rare cruauté puisqu’elle touche particulièrement des enfants asservis à la concupiscence d’adultes dépourvus du moindre scrupule. Âpres et sans fard, les sévices que dépeint Edyr Augusto suscitent un sentiment de malaise parce qu’ils s’inscrivent dans un réalisme qui fait frémir. Mais loin d’être esthétique ou complaisante, la crudité des scène ne fait que souligner la thématique abordée par l’auteur en dépeignant la corruption institutionnalisée dans une région où l’absence de règles et de contrôles qu’ils soient formels ou informels ne font que renforcer ce sentiment de sauvagerie qui règne tout au long d’un récit sans concession. Ainsi les actes brutaux, qui s’enchaînent tout au long de cet ouvrage à l’écriture sèche et dépouillée, ne deviennent plus qu’une espèce de résultante mettant en lumière cet univers sans foi ni loi où l’expression « loi de la jungle » s’éloigne de son sens figuratif pour prendre une dimension plus littérale.

     

    Avec Pssica, nous suivons donc le parcours de Janilice dont le destin prend la forme d’une espèce de malédiction (Pssica) donnant ainsi son titre au roman. Comme une colonne vertébrale dramatique, les péripéties de la jeune adolescente, soumise aux affres des viols à répétition, de la prostitution forcée et dont la tragique beauté va attiser toutes les convoitises, révèlent les sombres desseins des autres protagonistes du roman qui, tour à tour, semblent comme envoûtés à la simple vue de cette jeune fille au charme ravageur. C’est un peu le cas pour Amadeu, cet ancien flic qui s’engage sans grande conviction dans un périple aux résultats incertains, mais dont les recherches vont virer à l’obsession à mesure qu’il remonte les travées du fleuve qui s’enfonce dans la jungle. Ancien militaire angolais, Manoel Toreirhos pensait avoir trouvé refuge au fin fond de cette forêt équatoriale jusqu’à ce qu’il croise le chemin de Preá, membre d’une bande de pirates qui sévissent dans l’estuaire. Une escalade de vengeances poussent les deux hommes à se confronter dans une succession de règlements de comptes qui virent aux carnages en laissant sur le carreau un bon nombre de leurs compères respectifs. Dans ce monde cruel où chacun rend justice à sa manière, les destins s’entremêlent au gré de rebondissements dont les circonstances aussi brutales qu’abruptes remettent en cause tous les parcours des différents acteurs du roman.

     

    A l’image d’une fièvre malsaine, qui brouille l’esprit, Pssica ensorcellera le lecteur pour l’emmener dans cet univers de violence qui agit comme une véritable catharsis afin d’offrir une possibilité de rédemption qui se révélera bien aléatoire. Puissant, troublant et déroutant.

     

    Edyr Augusto : Pssica (Pssica). Editions Asphalte 2017. Traduit du portugais (Brésil) par Diniz Galhos.

    A lire en écoutant : Até o Fim de Madame Saatan. Album : 11 Anos Naas Missào. Doutromundo Musica 2011.

  • James Crumley : Le Dernier Baiser. L’ivresse du voyage.

    james crumley, le dernier baiser, éditions gallmeisterUn bon roman policier doit-il forcément être mal écrit ? Telle était la question que se posait un chroniqueur commentant un mauvais roman policier helvétique que je ne citerai pas. Pour y répondre, il suffit de recommander, parmi tant d’autres, toute l’œuvre de James Crumley qui ne laisse place à aucun doute quant à la qualité de l’écriture et du style d’un auteur qui n’a pourtant jamais bénéficié d’une grande notoriété, ce qui est fort regrettable. Afin de réparer cette injustice, les éditions Gallmeisters ont décidé de publier l’intégralité de ses romans en nous proposant une nouvelle traduction de Jacques Mailhos qui rend davantage justice aux textes originaux de ce romancier hors norme. Cette belle démarche éditoriale a débuté avec Fausse Piste et se poursuit avec Le Dernier Baiser qui met en scène, pour la première fois, les aventures du détective C. W. Sughrue.

     

    C’est n’est pas une sinécure lorsque le détective privé C. W. Sughrue doit se lancer à la poursuite de Trahaerne, une célèbre poète qui s’est mis en tête de fréquenter tous les bars de l’ouest du pays. Mais il faut admettre que la famille de l’écrivain s’est montrée plutôt généreuse, ceci d’autant plus que les notes de frais sont illimitées. De motels décatis en rades atypiques, le détective retrouve l’écrivain dans un bar miteux de la côte ouest et fait la connaissance de Rosie, une vieille barmaid, qui lui confie une nouvelle affaire. Il s’agit de retrouver sa fille Betty Sue Flowers qui n’a pas donné signe de vie depuis dix ans. En compagnie du poète alcoolique, Sughrue entame une longue quête fiévreuse afin de retrouver la jeune fille disparue. Un parcours chaotique, nimbé de violence, d’alcool et d’une pointe acide d’humour.

     

    Avec James Crumley, il faut toujours s’attendre à être quelque peu bousculé en s’embarquant à la suite de héros déjantés, portés sur la boisson. Et il faut bien l’avouer, l’auteur s’y connaît en la matière en distillant son goût immodéré pour la bibine au fil de pages qui exhalent de forts relents d’alcool tout en donnant le tournis. C’est d’ailleurs lorsqu’il se lance dans le descriptif de libations outrancières qu’il parvient à mettre en place des actions dantesques où la folie et la violence virent parfois au burlesque. Mais on aurait tord de s’arrêter uniquement sur l’aspect insensé d’un texte qui révèle davantage d’émotions qu’il n’y paraît. C’est ce qui transparaît de manière particulièrement flagrante avec Le Dernier Baiser où l’on fait la connaissance de Chauncey Wayne Sughrue qui, tout comme Milo Milodragovich, officie en tant que détective privé dans la petite ville de Meriwether. Probablement moins extraverti que son collègue, ceci particulièrement lorsqu’il perd le contrôle après un excès de boisson, Sughrue possède une sensibilité à fleur de peau qui le pousse à s’impliquer plus qu’il ne le devrait dans une enquêtes pour laquelle sa fascination pour cette jeune femme disparue joue un rôle prépondérant, tout comme les autres personnages secondaires féminins qui prennent le contrôle d’une intrigue riche en péripéties. Émancipées, elles se révèlent parfois vulnérables mais également extrêmement redoutables aussi bien dans leur quête d’indépendance que dans le contrôle de leur entourage. James Crumley nous propose ainsi une galerie de portraits de femmes fortes, déterminées autour desquelles se met en place, de manière aussi subtile qu’insidieuse le drame qui clôturera le récit.

     

    Succédant à Chabouté, c’est Thierry Murat qui s’est chargé d’agrémenter Le Dernier Baiser avec une succession d’illustrations qui subliment un roman exceptionnel. De cette manière, le lecteur peut s’élancer sur la route des grands espaces de l’ouest américain que l’auteur s’emploie à dépeindre avec la force lyrique d’une écriture précise et soignée. Chaque mot semble avoir été considéré, pesé et travaillé afin de nourrir des phrases racées permettant d’illustrer, parfois de manière audacieuse, les paysages mais également les ressentis des personnages qui jalonnent le roman. Par l’entremise de dialogues à la fois incisifs et envoûtants, dotés de répliques percutantes, on perçoit une espèce de souffle épique et un certain romantisme nuancé par une sensation de désenchantement qui transparaît tout au long d’un roman qui se dispense de toute forme d’illusion. Car avec Le Dernier Baiser, James Crumley, en narrateur chevronné qu’il est, détient l’art redoutable de clouer le cœur du lecteur au travers d’un roman noir d’une puissance peu commune.

     

    James Crumley : Le Dernier Baiser (The Last Good Kiss). Editions Gallmeister 2017. Traduit de l’anglais (USA) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : Long Lonely Road de Valerie June. Album The Order Of Time. Concord Music Group, Inc 2017.

  • HERVE LE CORRE : PRENDRE LES LOUPS POUR DES CHIENS. LES HOMMES VIVENT AINSI.

    hervé le corre, rivages noir, prendre les loups pour des chiensLorsque l’on me demande de citer quelques auteurs de polar français que j’apprécie, il me vient spontanément à l’esprit le nom d’Hervé Le Corre dont l’écriture exceptionnelle se conjugue à la qualité d’intrigues originales qui se jouent toujours dans un contexte social déliquessent que cet écrivain s’emploie à dénoncer au travers d’un texte extrêmement abouti. Parce qu’il se fait plutôt rare, la sortie de son nouvel ouvrage, intitulé Prendre Les Loups Pour Des Chiens, constitue donc un événement d’autant plus important que l’auteur était très attendu après la sortie de Après La Guerre, un grand roman d’envergure évoquant les contours obscurs de la guerre d’Algérie.

    Frank n’a pas parlé et son frère Fabien est parvenu à s’enfuir avec le butin du braquage qu’ils ont commis ensemble. Frank n’a pas parlé et a purgé une peine de cinq ans. Pourtant Fabien n’est pas là pour l’accueillir à sa sortie et c’est sa compagne, Jessica qui le prend en charge pour le conduire chez ses parents. Le père bricole des voitures volées pour le compte d’un gitan tandis que la mère effectue quelques ménages dans une maison de retraite ainsi que d’autres jobs temporaires. Frank fait ainsi la connaissance d’une charmante petite famille de cas sociaux. Dans ce climat délétère, Jessica distille son charme sulfureux et son mal de vivre tout en s’en prenant régulièrement à sa fille Rachel, une jeune enfant mutique qui ne mange pratiquement rien. Entre la séduction de Jessica, les magouilles du père, les rancoeurs de la mère et un gitan hostile, Frank se retrouve rapidement comme un animal acculé, pris au piège. Et Fabien qui ne revient pas.

    Surfant régulièrement sur la variété des thèmes propre aux romans noirs, Hervé Le Corre a opté, cette fois-ci, pour la mise en scène d’un drame contemporain se déroulant dans l’intimité d’un cadre familiale où le piège s’installe impitoyablement pour broyer les différents protagonistes. Des hommes et des femmes prisonniers des liens qui les unissent et dont ils ne peuvent se défaire à l’instar de Frank passant d’une prison à une autre forme d’enfermement pour s’empêtrer dans une inextricable logique de confrontations de plus en plus violentes qui semblent le dépasser. Même s’il en a l’apparence, Prendre Les Loups Pour des Chiens s’éloigne résolument de ce fameux courant rural noir pour n’exploiter que l’atmosphère étouffante de ce coin de campagne brûlé par la chaleur estivale. Un climat malsain, permettant à l’auteur de mettre en place les rouages d’une folie ordinaire qui se mue peu à peu en un véritable cauchemar sordide. Hervé Le Corre n’a pas son pareil pour désagréger ainsi le quotidien de ses personnages afin de les bousculer avant de les mener vers la tragédie impitoyable du fait divers. Et dans le registre de la femme fatale, c’est Jessica qui est le mieux à même d’incarner le titre du roman, extrait d’un poème d’Aragon, car au-delà du charme toxique dont elle abuse pour séduire Frank, la jeune femme draine un indéfinissable trouble que l’on décèle notamment dans les rapports tourmentés qu’elle entretient avec ses parents et sa fille Rachel. Ainsi la trame de l’intrigue se noue autour cette relation houleuse qui s’instaure entre Frank et Jessica en les emportant vers une succession de confrontations toujours plus conflictuelles.

    Ainsi Prendre Les Loups Pour Des Chiens se concentre essentiellement sur les interactions entre les différents personnages qui évoluent au gré d’une dramaturgie somme toute assez classique. Néanmoins on aurait tort de sous-estimer cette capacité de l’auteur à se démarquer des stéréotypes propre à ce genre de récit car avec cette écriture redoutable, Hervé Le Corre nous entraîne dans les vicissitudes de personnages qui se révèlent bien plus suprenants qu’il n’y paraissent. C’est d’autant plus frappant que dans la banalité des scènes, l’auteur instille des éléments de tensions qui prennent de plus en plus d’ampleur pour nous emporter, sans qu’il n’y paraisse, vers un dénouement final qui se révèle extrêmement abrupt . Et puis on se laisse rapidement séduire par un texte tout en maîtrise qui se dispense d’esbrouffe et d’aritifice pour permettre au lecteur de se plonger dans ce fragile équilibre du verbe toujours bien calibré, précis et inspirant.

    Résolument ancré dans l’incarnation du roman noir social Prendre Les Loups Pour des Chiens dépeint cette frange des laissés-pour-compte qui se déchirent pour maintenir un semblant d’illusion se dissolvant dans la cruauté des ressentiments. Ainsi, les chiens deviennent des loups féroces prêts à s’entretuer.

     

    Hervé Le Corre : Prendre Les Loups Pour Des Chiens. Editions Rivages/Noir 2017.

    A lire en écoutant : Est-ce Ainsi Que Les Hommes Vivent interprété par Bernard Lavilliers. Album : O’Gringo. Barclay 1980.

  • Joe Meno : Le Blues De La Harpie. Solder sa dette.

    Capture d’écran 2017-03-07 à 17.20.25.pngLorsque deux anciens taulards, en quête de rédemption, entrent en scène, on peut être quasiment certain qu’une référence à Johnny Cash ne sera jamais bien loin à l’instar de Joe Meno qui lui rend hommage dans Le Blues De La Harpie une des dernières découvertes de la maison d’édition Agullo. Et puisqu’il s’agit d’une sombre histoire d’amour où la tragédie s’immisce au détour de chacune des rues de cette petite bourgade du Midwest il conviendra d’écouter I Walk On The Line, une des plus belles déclarations d’amour correspondant parfaitement à l’état d’esprit de ce récit poignant dans lequel on décèle quelques tonalités rappelant les romans de John Steinbeck.

     

    Au volant de sa voiture, Luce Lemay prend la fuite après le minable braquage d’un magasin de spiritueux. Dans le crépuscule, il fonce sur la Harpie Road et ne voit pas cette femme qui traverse la route avec son landau qu’il renverse. Le bébé qui s’y trouvait décède sur le coup. Après trois ans de prison, Luce est de retour à La Harpie où l’attend Junior Breen qui vient de purger une peine de 25 ans. Même si leurs nuits sont peuplées de cauchemars, nos deux compères tentent de jouer profil bas en travaillant dans une station service afin de rester dans le droit chemin. Mais quand Luce tombe éperdument amoureux de la belle Charlène, les passions se déchaînent avec une cohorte de ressentiments exacerbés par la découverte du passé criminel de Junior. Au-delà de l’atrocité du crime, a-t-on droit à une seconde chance ?

     

    C’est au travers d’un texte sobre, aux phrases courtes dépouillées de toutes fioritures que Joe Mendo aborde avec efficacité les thèmes de la réinsertion et de la rédemption en accompagnant le destin de Luce Lemay et de Junior Breen, ce duo d’anciens prisonniers aspirant à une vie normale qui rappelle forcément la paire de trimardeurs que formait Lenny et Georges dans Des Souris et des Hommes. Paradoxalement, Luce fait preuve de davatange de naïveté que Junior, ce colosse ravagé par la culpabilité d’une crime odieux, en estimant avoir payé sa dette à la société et pouvoir ainsi refaire sa vie dans sa ville natale, lieu de la tragédie qui l’a envoyé en prison. Il s’enferme ainsi dans cette certitude du bon droit retrouvé, même si le remord le cueille régulièrement au cœur de la nuit où il distille ses cauchemards dans cette sinistre pension de famille tenue par une vieille folle qui n’a pas supporté la perte de son mari qui s’est suicidé après avoir assassiné l’amant de cette épouse volage. Junior Breen, lui ne souhaite que se plonger dans l’anonymat de cette petite petite ville provinciale en espérant pouvoir surmonter la douleur d’une faute qu’il ne pourra sans doute jamais oublier. Tout comme Luce, c’est également durant la nuit que le poids de la faute s’instille dans l’inconscience de ses pensées qui l’empêchent de trouver le sommeil. Le quotidien de ces deux personnage est fait d’instants joyeux et de phases plus sombres alors qu’ils travaillent dans une station service tenue par un ancien prisonnier qui les a pris sous son aile.

     

    Outre le remord et la rédemption, il est beacoup question d’amour dans Le Blues de La Harpie avec cette relation passionnelle entre Luce Lemay et la belle Charlène, la jeune serveuse du diners de la ville mais également avec ces petits poèmes sybillins que Junior affiche sur le panneau de promotion de la station service et qui sont peut-être adressé à la mystérieuse jeune femme sur la photographie qu’il conserve précieusement :

     

    « Méga promo sur tous les pneus d’occasion

    clairs et ronds comme des yeux envoutés

    où coule l’amour telle la sève. »

     

    On le voit, Joe Meno distille tout au long de ce roman une atmosphère étrange et décalée qui prend parfois des tournures poétiques, quelquefois comiques, mais qui tendent résolument vers un climat inquiétant et sinistre à l’image de cet enterrement de la tante de Charlène dont le corps exposé sur son lit de mort abrite toute une cohorte de petits animaux qui y ont trouvé refuge. C’est sur cette configuration originale que l’auteur nous entraîne dans une spirale où la violence devient de plus en plus pregnante pour trouver son paroxysme dans une confrontation presque surréaliste avec les citoyens hostiles d’une ville qui paraît de plus en plus insolite. Dissimulés derrière les phares des véhicules qui pourchassent Luce et Junior, les silhouettes deviennent presque surnaturelles pour former une entité désincarnée qui semble vouée à leur perte.

     

    Avec des personnage baroques et émouvants Le Blues de La Harpie est peuplé d’individus dont la fuite en avant éperdue devient presque onirique pour saisir le lecteur à la lisière du désespoir et de la folie. L’étrangeté poétique d’un roman qui résonne furieusement dans les confins de la noirceur. A lire sans détour.

     

    Joe Meno : Le Blues De La Harpie (How The Hula Girl Sings). Editions Agullo 2016. Traduit de l’anglais (USA) par Morgane Saysana.

    A lire en écoutant : I Walk The Line de Johnny Cash. Album : At Saint Quentin (Live). Columbia 1968.