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Chili

  • LUIS SEPULVEDA : LE VIEUX QUI LISAIT DES ROMANS D’AMOUR. DERNIERE FRONTIERE.

    luis sepulveda, le vieil homme qui lisait des romans d'amour, éditions metailiéIl y a de cela quarante ans, une éditrice se focalisait sur les publications lusitaniennes, italiennes et hispanophones, en se concentrant plus particulièrement sur les romanciers en provenance d'Amérique du sud. Enoncé ainsi, cela apparaît, de nos jours, dans un monde globalisé, comme une évidence, mais en 1979, Anne-Marie Métailié prenait des paris audacieux qui sont désormais l’une des particularités de cette maison d’éditions indépendante qui a pris pour nom le patronyme de sa fondatrice. Dans le domaine de la littérature noire, les éditions Métailié nous proposent des auteurs emblématiques comme l’islandais Arnaldur Indridason et son commissaire Erlendur Sveinsson, ou le cubain Leonardo Padura et son détective privé Mario Condé pour n’en citer que quelques uns. Mais comme plus d’un million de lecteurs, c’est avec Le Vieux Qui Lisait des Romans D’Amour, du romancier chilien Luis Sepúlveda que j’ai découvert cette maison d’éditions en 1992, avec ce premier roman d’un auteur dénonçant déjà les dérives d’un monde soi-disant civilisé qui n’est plus capable de respecter son environnement.

     

    A El Idilio, petit bled perdu de l’Equateur, niché dans les eaux du Nangaritza, les habitants attendent le dentiste comme le Messie débarquant du Sucre, un vieux cargo rouillé, ravitaillant les localités de la région. Antonio José Bolivar Proaño, vieil homme solitaire qui a vécu avec les indiens Shuars durant de nombreuses années, guette la venue du praticien pour une toute autre raison. Connaissant sa passion pour les romans d’amour, le dentiste lui en fournit régulièrement quelques exemplaires. Mais il n’est plus question de lecture, lorsque l’on découvre le cadavre d’un chercheur d’or. On accuse immédiatement les indiens Shuars d’être les auteurs du forfait. Mais fin connaisseur de la forêt amazonienne qu’il respecte, Antonio comprend rapidement qu’il s’agit d’une panthère qui marque son territoire. A contrecœur, le vieil homme va donc devoir abandonner ses chers romans d'amour pour traquer cet animal qui décime la population des aventuriers rôdant dans la forêt. Une chasse qui prend l’allure d’un duel douloureux.

     

    Emprisonné sous la dictature de Pinochet, puis exilé, Luis Sepúlveda parcourt l’Amérique du sud et passe même une année avec les indiens Shuars afin d’étudier l’impact de la colonisation sur les populations autochtones de l’Amazonie. Une expérience dont il s’inspirera pour son premier roman, Le Vieux Qui Lisait Des Romans D’amour qui prend la forme d’un récit d’aventure afin de mettre en exergue tous les excès de ces hommes pillant les richesses de la forêt sans aucun respect pour la faune et la nature. De ce bref récit, il émane une sensation d’immersion totale dans un cadre déconcertant, à la lisère du monde sauvage et de la civilisation dont la limite s’incarne par le biais d’Antonio, ce vieil homme capable d’appréhender toute la beauté brute de la forêt amazonienne et toute la force de l’intensité de ces romans d’amour qu’il affectionne tant. On se régale également avec cette galerie de personnages hauts en couleur à l’instar du maire, renégat du monde civilisé, ou du docteur Loachamin, dentiste itinérant, aux pratiques plutôt frustres puisqu’il arrache les dents de sa clientèle sans anesthésie, ceci sur le quai des localités où il débarque avec son fauteuil de praticien. Luis Sepúlveda dépeint donc un univers brutal composé de chercheurs d’or et autres aventuriers d’infortune, où l'on règle ses comptes à coups de fusil ou de machette, qu'il décline sous une forme poétique qui n'est pas dénuée d'humour. Au sein de cette localité de laissés-pour-compte sans foi ni loi, Antonio José Bolivar Proaño fait figure d’original, lui qui a partagé le quotidien des indiens Shuars en séjournant des années durant au cœur de la forêt amazonienne, ceci jusqu’au décès de son épouse dont il chérit encore le souvenir. On partage ainsi les habitudes de ce vieil homme qui souhaite couler des jours tranquilles en se plongeant dans la rêverie de ces récits romantiques, bien éloignés de la dureté du monde qui l’entoure. Il se dégage ainsi une sensation diffuse de mélancolie en parcourant les ruelles pittoresques de cette localité perdue au beau milieu de la forêt, jusqu’à l’apparition de cette panthère semant la terreur parmi les habitants. Le récit prend alors une autre tournure avec cette tension diffuse qui nous accompagne tout au long d’une expédition au cœur de la forêt amazonienne afin de débusquer le fauve. Pluies diluviennes, moiteur oppressante, faune hostile, Luis Sepúlveda décline toute la beauté d’une jungle mortelle, recelant mille dangers que seul le vieil homme est en mesure de surmonter en faisant communion avec la nature. Cette tension narrative prend d’avantage d’ampleur à mesure d'une traque laissant place à un duel entre l’animal et le vieil homme qui peine à accepter l’inéluctable mise à mort qu’il considère comme une véritable trahison mais à laquelle il ne peut se dérober tout en maudissant la barbarie des hommes.

     

    Nimbé d’un suspense qui n’a rien à envier aux meilleurs thrillers, fable écologique d’une nature qu’il faut préserver, brève tragédie autour de la dualité d’un homme tourmenté, Le Vieux Qui Lisait Des Romans D’Amour est surtout une puissante ode poétique et un récit d’amour bouleversant à l’égard de la beauté d’un territoire sauvage subissant l’avanie d’une société qui n’a plus considération pour sa faune et sa flore. Un véritable plaidoyer qui reste toujours d’actualité.

     

    Luis Sepúlveda : Le Vieux Qui Lisait Des Romans D’Amour. Editions Métailié 2004. Traduit de l’espagnol (Chili) par François Maspero.

    A lire en écoutant : Sin Venganza de Julio Jamarillo. Album : Julio Jamarillo Canta Boleros 15 Temas. 2012 Producciones AR.

  • Boris Quercia : La Légende De Santiago. Chute libre.

    la légende de santiago,boris quercia,éditions asphalteService de presse.

     

    Les services de presse sont d'autant plus agréables lorsqu'ils se font rares et qu'ils proviennent de maisons d'édition que vous appréciez et qui semblent avoir une certaine estime pour quelques uns de vos retours de lecture qu'ils ont pris le temps de parcourir. Néanmoins le côté spontané de la démarche peut avoir son revers de médaille avec le risque d'acheter l'ouvrage en librairie avant même de l'avoir réceptionné comme ça a faillit être le cas pour La Légende De Santiago de Boris Quercia, dernier opus des aventures de l'inspecteur Santiago Quiñones, flic chilien borderline, grand amateur de cocaïne qu'il consomme sans modération pour se remonter le moral. On avait rencontré le personnage dans un premier roman intitulé Les Rues De Santiago (Asphalte éditions 2014) pour le retrouver une seconde fois aux prises avec une sombre affaire de pédophilie et de narcotrafiquants dans Tant De Chiens (Asphalte éditions 2015) qui avait obtenu Le Grand Prix de la Littérature Policière – Etrangère. Furieusement déjantée, la série Quiñones mérite que l'on s'y attarde ne serait-ce que pour découvrir cette ville de Santiago du Chili que Boris Quercia dépeint avec une affection certaine, mais également pour se laisser entraîner dans une suite d'aventures rocambolesques qui présentent parfois quelques entournures mélancoliques d'autant plus appréciables lorsqu'elles prennent le pas sur le rythme effréné que nous impose l'auteur.A n’en pas douter, les romans de Boris Quercia ont suscité l’adhésion des lecteurs francophones puisque La Légende De Santiago est publié dans sa version française avant même sa parution dans sa langue d’origine, prévue en 2019.

     

    Rien ne va plus pour l’inspecteur Santiago Quiñones qui vient d’euthanasier son beau-père grabataire en l’étoufant avec un oreiller afin de soulager sa mère qui supportait mal la situation. Un geste vain puisque celle-ci ne se remet pas de ce décès. Du côté de sa vie sentimentale, la situation n’est guère plus reluisante car sa compagne Marina, ne supportant plus ses frasques et ses infidélités, a décidé de le quitter. Et ce n’est pas au boulot que Santiago trouvera du réconfort avec des collègues qui le craignent ou qui le méprisent en rêvant de le voir chuter. D’ailleurs cela ne saurait tarder, non pas parce qu’on lui a confié une enquête délicate de meurtres racistes, mais parce qu’il a subtilisé une demi-livre de cocaïne en découvrant le cadavre d’un trafiquant dans une gargotte tenue par des chinois qui souhaitent récupérer leur bien. Et ils ne vont pas le demander bien gentiment.

     

    Un long dérapage, une embardée sans fin, c’est sur cette sensation d’absence totale de contrôle que Boris Quercia entraine le lecteur dans le sillage de son inspecteur fétiche, fréquemment dépassé par les événements. Du flic maladroit, un brin magouilleur qu’il était autrefois, Santiago Quiñones est devenu un policier borderline, beaucoup plus prompt à utiliser la violence pour régler ses problèmes. Une évolution d’autant plus intéressante qu’avec ce personnage toujours en proie au doute et à la mélancolie, nous allons découvrir les rapports complexes qu’il entretenait avec son père dont il ne semble pas avoir vraiment fait le deuil. Des sentiments exacerbés avec la mort de son beau-père et la rencontre d’un demi-frère qu’il a toujours ignoré, Santiago Quiñones va donc replonger dans ses souvenirs d’enfance. Avec une intrigue échevelée où meutres racistes et réglements de compte entre trafiquants se succèdent à un rythme complètement déjanté, on appréciera ces phases un peu plus introspectives qui nous permettent de souffler un peu tout en discernant les raisons du mal être d’un individu complètement perdu qui n’en demeure pas moins extrêmement attachant. Mais au-delà de ces aspects introspectifs, on se délectera bien évidemment avec ces soudaines explosions de violence, parfois complètement déconcertantes qui prennent certaines fois une dimension complètement burlesque au gré d’une intrigue policière chaotique.

     

    Si l’on prend toujours autant de plaisir à découvrir le quotidien de la ville de Santiago avec ses rues grouillantes de monde, ses cafés bondés et ses marchés bigarrés servant de décor pour ce récit explosif, Boris Quercia nous entraîne également du côté de Valparaiso et de la côte chilienne où l’on décèle la présence de quelques fantômes du passé distillant ainsi une atmosphère plus pesante. Une autre ambiance, une autre tonalité pour mettre en place une scène finale extrêmement poignante qui marquera les lecteurs les plus blasés tout en confirmant le talent d’un auteur qui sait jouer brillamment avec toute la palettes des émotions sans jamais en faire trop.

     

    Récit épique, jouant sur le passif d’un personnage torturé, La Légende De Santiago, possède cette énergie saisissante et entraînante caractérisant l’écriture de Boris Quercia qui nous livre, une fois encore, un roman détonnant et terriblement addictif... pour notre plus grand malheur.

     

    Boris Quercia : La Légende De Santiago (La Sangre No Es Agua).  Asphalte éditions 2018. Traduit de l'espagnol (Chili) par Isabel Siklodi.

    A lire en écoutant : Malagradecido de Mon Laferte. Album : Mon Laferte, Vol. 1. 2016 Universal Music S.A. de C.V.

  • BORIS QUERCIA : TANT DE CHIENS. ET TANT DE LARMES.

    Capture d’écran 2016-10-08 à 13.35.13.pngLes prix littéraires valent ce qu’ils valent et sont souvent sujets à caution mais peuvent parfois s’avérer positivement surprenant surtout lorsque Le Grand Prix de la Littérature Policière - Etrangère est décerné à Boris Quercia pour son roman, Tant de Chiens qui met en scène, pour la seconde fois, l’inspecteur Santiago Quiñones que l’on avait découvert dans Les Rues de Santiago, récit décoiffant s’il en est, vous arrachant les tripes avec le punch d’un texte mordant. Si le prix consacre l’auteur, il récompense également la maison d’éditions Asphalte qui met régulièrement en avant de véritables joyaux du roman noir, issus de la littérature hispanique.

     

    Fusillade et chiens féroces. Les narcotrafiquants sont déchaînés et accueillent la police sous un déluge de feu. Chiens de l’enfer ! Il faut dire qu’il la sentait mal cette descente l’inspecteur Santiago Quiñones et il n’a pas été déçu car son partenaire Jiménez et tombé sous le feu. Chiens fidèles ! Une mort d’autant plus troublante que Santiago découvre que son collègue faisait l’objet d’une enquête auprès des affaires internes suite à la mise à jour d’obscurs réseaux pédophiles. Chiens de misère ! Clairement dépassé, Santiago Quiñones tente de démêler les tenants et aboutissants de cette affaire complexe et croise ainsi le chemin de Yesenia, une amie d’enfance qui a connu la douleur de la séquestration, du viol et de la prostitution forcée. Chiens battus ! Assoiffée de vengeance, la jeune femme demande à Santiago d’abattre son bourreau de beau-père. Chiens de miséricorde !

     

    Pas de préambule avec Boris Quercia. Sur deux pages à peine, Tant de Chiens débute avec une scène de fusillade complètement barrée, dans un concentré de fureur et d’action, marque de fabrique de l’auteur qui ne s’embarrasse pas de longs descriptifs lénifiants pour installer son intrigue. Pourtant on ne saurait résumer ce roman brillant à un simple condensé d’actions et de rage car on perçoit tout au long du récit ce bel équilibre entre l’introspection d’un flic atypique et les actes qui le conduisent parfois, à son corps défendant, sur la voie obscure d’investigations bancales et maladroites. Santiago Quiñones est un flic qui sort complètement des schémas et des clichés. Il n’est ni le preux chevalier sauvant la veuve et l’orphelin, ni l’infâme flic complètement corrompu. Dans le contexte d’un pays gangrené par la corruption et la violence, il ne fait que survivre en tentant de louvoyer entre règlements et débrouillardise lui permettant de mener sa barque, sans se faire remarquer. Pourtant, il relève parfois la tête et s’immisce dans des affaires qui le dépasse rapidement et le conduise sur la voie des excès qu’il ne parvient pas à maîtriser à l’instar de sa consommation de cocaïne et de son penchant pour les femmes.

     

    Ainsi pour résoudre cette sombre affaire de pédophilie, Santiago Quiñones devra s’adjoindre les compétences de son collègue mapuche prénommé Marcelo, qui se révélera être un partenaire salutaire pour le tirer des mauvaises situations dans lesquels il se fourre régulièrement et lui permettre d’avancer de manière significative dans ses investigations. Abandonné dans une caisse de pommes déposée à l’entrée d’un commissariat, Marcelo incarne toute la douleur de ces enfants délaissés et maltraités. Autres incarnations de cette jeunesse brisée, il y a Yesenia, amie d’enfance de Santiago, qui a subi les brimades abjectes d’un beau-père libidineux mais également Romina, toutes deux victimes des réseaux pédophiles que l’auteur évoque en filigrane tout au long d’une intrigue extrêmement âpre, cruelle et poignante.

     

    Avec Tant de Chiens, on assiste également au lent délitement du couple que Santiago Quiñones formait avec Marina, belle infirmière sensuelle que l’on avait découverte dans Les Rues de Santiago. Désemparée, la jeune femme ne peut plus comprendre les tergiversations et les incartades d’un homme qui, constamment en proie au doute, refuse obstinément de s’engager dans une relation durable. Durant ces instants, Boris Quercia diffuse une atmosphère mélancolique qui déteint sur l’ensemble d’un récit qui oscille entre la férocité des scènes d’actions, la sensualité des relations amoureuses et la nostalgie des souvenirs d’enfance. Et puis, il y a également en toile de fond le décor trépident de cette capital chilienne que l’on découvre presque fortuitement par l’entremise de scènes de rues dans lesquelles notre inspecteur tourmenté déambule, en quête d’oubli et de vérité.

     

    Roman fulgurant Tant de Chiens est une alliance amère de noirceur, adoucie par la sensibilité et la pertinence de personnages remarquables que l’auteur plonge dans l’abîme d’une intrigue puissante et nerveuse.

     

    Boris Quercia : Tant de Chiens (Perro Muerto). Editions Asphalte 2015. Traduit de l’espagnol (Chili) par Isabel Siklodi.

    A lire en écoutant : Matador de Los Fabulosos Cadillacs. Album : Obras Cumbres. Sony Music Entertainement (Argentina) SA 1998.

  • Boris Quercia : Les Rues de Santiago. A feu et à sang.

    polar chili,éditions asphalte,boris quercia,les rues de santiagoBon d’accord, le roman noir rural. Ok, le polar nature writing. Mais tout de même, quel plaisir de retrouver cet environnement urbain qui sent bon le bitume surchauffé, le gaz d’échappement asphyxiant. Il y a le bruit, la foule et cette ambiance survoltée propice aux intrigues les plus violentes. Bref un bon bol de pollution pour se remettre de toute cette chlorophylle absorbée durant ces pérégrinations campagnardes. C’est d’autant plus agréable lorsque l’on se rend dans un pays comme le Chili pour arpenter Les Rues de Santiago de Boris Quercia qui est certainement l’une des très belles découvertes du polar hardboiled que l’on doit aux Editions Asphalte.

     

    L’inspecteur Santiago Quiñones n’a vraiment pas envie de tuer aujourd’hui. Il planque avec son équipe pour faire tomber des membres du gang des Guateros. Mais à Santiago du Chili les opérations policières ont une fâcheuse tendance à se conclure par une fusillade et c’est un gangster de 15 ans qui est abattu par Quiñones. Un peu de paperasse et une ballade dans les rues de la ville pour décompresser et se changer les idées en suivant une belle jeune femme sans se rendre compte qu’elle est également filée par un ex collègue devenu détective privé. De planques en filatures, le jeu tourne mal, lorsque le détective privé est poignardé en pleine rue, quasiment sous les yeux de Quiñones. Qui pouvait donc en vouloir ainsi à son ex partenaire ?

     

    On est tout d’abord surpris par ce personnage de flic magouilleur, qui tente de se fondre dans ce paysage de corruption institutionnalisée. Amateurs de belles femmes il se lance, parfois à son corps défendant, dans des combines véreuses et ne refuse pas, de temps à autre, un petit rail de coke pour se remonter le moral. Néanmoins derrière cette image peu reluisante, l’homme est souvent en proie au doute et se livre à des introspections d’une acuité saisissante sur son métier, sa relation avec la belle Marina mais également sur tout ce qui concerne sa jeunesse et notamment ses relations avec son père. Au final, Santiago Quiñones est un flic lambda, ni bon, ni mauvais, qui fait son métier du mieux qu’il peut dans un univers brutal et violent. Parfois veule, parfois courageux, souvent absorbé par ses réflexions, Santiago Quiñones incarne toute l’ambivalence d’un personnage profondément humain qui peut se révéler complètement démuni et terrorisé lorsqu’il doit faire face à un gang avide de vengeance.

     

    Avec Les Rues de Santiago le nœud de l’intrigue tourne autour d’une escroquerie immobilière qui illustre parfaitement l’ambiguïté de ces institutions corrompues par le biais de ces flics un peu véreux, mais pas foncièrement malhonnêtes qui vont apporter du soutien à une vieille dame tout en servant leurs propres intérêts lors d’une scène à la fois cocasse et morbide. Entre pragmatisme, débrouillardise et respect du règlement chacun fait rapidement son choix pour tirer son épingle d’un jeu qui est forcément biaisé au sein d’une société en pleine décomposition. Mais forcément, la corruption engendre son lot d’actes déloyaux et de magouilles peu reluisantes qui ne resteront pas sans conséquence et qui altéreront la confiance entre les différents protagonistes.

     

    Même si le fond est désespéré et décourageant, Boris Guerçia ne cède pas à cette noirceur exacerbée propre au genre et l’on est ainsi surpris par la tonalité optimiste et enjouée d’un texte vif qui livre par l’entremise de la voix de son personnage principal le fruit de réflexions et d’observations constamment teintées d’un humour parfois malicieux. L’ouvrage oscille entre la violence assez rude de certaines scènes qui n’épargne pas le lecteur et l’envoûtement des réminiscences d’une jeunesse perdue où l’émotion latente habille un personnage captivant.

     

    Et puis il y a cette ville trépidante, turbulente que l’on arpente à longueur de chapitres dans une déclinaison de petits instants quotidiens où l’auteur dépeint, par petites touches très visuelles, une cité que l’on se prend à apprécier au gré de ses cafés bruyants aux effluves enivrantes et de ses rues animées par une foule bigarrée. C’est dans ce décor urbain que Boris Quercia met en scène des règlements de compte entre avocats véreux et flic douteux qui doivent également faire face à la violence de gangs n’hésitant pas à faire usage de leurs armes. Et puis il y a les femmes qui sont forcément fatales en générant rivalités, jalousies dans un climat à la fois sensuel et malsain. Mais au delà du cliché machiste il y a également cette idylle naissante entre Quiñones et Marina générant de très belles scènes de tendresse qui ne sombrent jamais dans la mièvrerie.

     

    Rudes et fiévreuses Les Rues de Santiago déchaînent leurs lots de violences et de passions sur fond de corruption et de combines douteuses. Un polar percutant dont la force de l’impact n’a pas fini de vous faire frémir. Déroutant et séduisant.

     

    Boris Quercia : Les Rues de Santiago (Santiago Quiñones, Tira). Editions Asphalte 2014. Traduit de l’espagnol (Chili) par Baptiste Chardon.

    A lire en écoutant : Loca de Chico Trujilo. Album : Chico de Oro. Barbès Records 2010.