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MON ROMAN ? NOIR ET BIEN SERRE ! - Page 100

  • James Lee Burke : L’Arc-en-Ciel de Verre. Les héros sont fatigués (suite et fin)


    james lee burke,l'arc-en-ciel de verre,robicheaux,purcell,louisianne,new iberiaIl est indéniable que James Lee Burke est un monument dans le paysage du polar et tout le monde se met au garde-à-vous lors de la sortie annuelle des aventures de son héros fétiche, l’innénarable Lieutenant de police de New Ibéria, Dave Robicheaux.

     

    Le talent principal de l’auteur réside dans le fil tortueux de ses longues phrases magiques qui traduisent tout l’amour qu’il porte à sa Louisianne chérie à un point tel que je suis parti il y a de cela quelques années visiter cet état extraordinaire. J’ai retrouvé les paysages, les odeurs, les saveurs et les endroits fréquentés par le célébrissime lieutenant de police et il se peut même que j’aie croisé, au détour des marais brumeux, la silhouette fantomatique de quelques personnages imaginés par l’auteur. Il y a donc une émotion particulière qui se dégage lors de chaque nouvelle lecture et une joie de retrouver des personnages qui nous ont accompagné pendant plus d’une décennie.

     

    Mais voilà après dix-sept volumes, il faut bien admettre que le filon s’épuise, même si personne ne semble vouloir le reconnaître. On ne touche pas aux monuments de la littérature ! Pour L’arc-en-Ciel de Verre, dernier roman de James Lee Burke, critiques et bloggeurs s’accordent à dire que l’auteur est au sommet de son art, même si l’on reconnaît parfois une espèce de répétion dans le nœud de l’intrigue. Dans cet ouvrage, nous retrouvons Dave Robicheaux et Clete Purcell confrontés à une famille nantie, avide de terres et d’argent, un serial killer qui œuvre dans l’ombre et un bâteau fantomatique qui hante les marais. Ce condensé simpliste vous pourriez le retrouver, à quelques nuances près, pour résumer plusieurs romans de l’auteur dont le fameux Dans la Brume Electrique avec les Morts Confédérés adapté avec maestria au cinéma  par Bertrand Tavernier. Hormis Swan Peak où l’auteur changeait de décor, et bien évidemment La Nuit la Plus Longue qui relatait avec beaucoup d’émotions les affres d’une Louisianne balayée par l’ouragan Katerina et abandonnée par le reste du pays, James Lee Burke ne parvient plus à sortir du schéma qui a fait son succès. Il y a donc comme une espèce de routine qui s’installe lorsque l’on lit ce dernier ouvrage qui finit par dégager une espèce de déception que l’on peine à accepter. Disons le tout net, même si l’on retrouve toute la ferveur des convictions de l’auteur et toute la mécanique relationnel de différents personnages récurrents de la série, c’est vraiment sur le plan de l’intrigue à mainte fois répétée et qui ne récèle donc plus aucune surprise, que l’on ressent un malaise que la fluidité du phrasé et la beauté des descriptions ne parviennent plus à masquer.

     

    C’est donc avec cet auteur monumental que j’achève cette série de héros fatigués qui trustent le paysage de la littérature policière, même si l’on pourrait en évoquer bien d’autres comme Harry Bosch de Michael Connelly, Lincoln Rhyme de Jeffery Daever, Alex Cross de James Patterson ou même Kurt Wallander de Henning Mankell qui a courageusement mis un terme à sa série. Une démarche téméraire qui a le mérite pour l’auteur de se remettre sur les rails de la créativité en tournant le dos aux sirènes du markéting.

     

    James Lee Burke : L’Arc-en-Ciel de Verre. Editions Rivages/Thriller 2013. Traduit de l’anglais (USA) par Chrsitophe Mercier.

    A lire en écoutant : Trème Song de John Boutté. Album : Jambalaya. CD Baby 2003.

     

  • ARNALDUR INDRIDASON : ETRANGES RIVAGES. LES HEROS SONT FATIGUES (suite).

    arnaldur indridason,étranges rivages,métalié,erlendur,islandeC’est bien tardivement que j’ai découvert les romans d’Arnaldur Indridason avec la série  des enquêtes du commissaire Erlendur ce qui m’a permis de lire dans la foulée les quatre premiers romans qui étaient avant tout un prétexte pour explorer le passé d’une Islande aussi mystérieuse que méconnue et qui devient, pour ainsi dire, l’acteur central de tous les récits de l'auteur.

     

    La Cité de Jarre, La Femme en Vert, la Voix et L’Homme du Lac abordaient des faits historiques réels et tumultueux couplés à des souvenirs lointains qui sont les principaux ingrédients composant les investigation de ce policier bourru paraissant émerger d’une autre époque. Avec Erlendur, on déterre, on exhume (parfois au sens propre) les éléments du passé pour pouvoir progresser au gré de ses enquêtes crépusculaires qui lui confèrent un petit côté décalé. C’est peut-être sur la base de ce décalage que l’on peut d’ailleurs expliquer les relations tumultueuses qui régissent les rapports entre le commissaire et sa fille Eva Lind et qui peuvent être considérés comme le facteur primordial pour agrémenter en émotion et en humanité un personnage qui pourrait sans cela se révéler assez terne.

     

    Pour éviter de se répéter Arnaldur Indridason avait courageusement abandonné cette double mécanique au détriment d’une intrigue qui se révélait finalement assez classique, voire banale. On pouvait particulièrement le ressentir avec Hiver Arctique où l’auteur, se penchait sur la thématique de l’intégration des communautés étrangère qui n’est, de loin pas, un particularisme de l’Islande. Le roman suivant, Hypothermie, était une espèce de sursaut et mettait en excergue les relations père-fille et surtout, en guise de nouveauté, le poids d’un traumatisme issu de l’enfance du policier avec la disparition de son frère dans une tempète de neige où lui-même avait miraculeusement survécu.

     

    Toujours dans un désir d’éviter de lasser le lecteur, Arnaldur Indridason mettait de côté son commissaire fétiche pour s’intéresser aux seconds couteaux qu’étaient les subordonnés d’Erlendur. Essai peu concluant avec La Rivière Noire et plus intéressant avec La Muraille de Lave commenté ici.  

     

    En délaissant Erlendur, on peut bien imaginer le courrier des lecteurs avec cette sempiternelle question qui devait probablement revenir continuellement lors des salons littéraires ou des séances de dédicaces : quand est-ce que l’on allait retrouver le commissaire Erlendur ?

     

    Avec Etrange Rivage, Arnaldur Indridason répond à cette question « essentielle » et restitue au lectorat avide, un Erlendur décomposé qui campe désormais dans la demeure familiale devenue masure abandonnée, à l’image du personnage principal. A la recherche des restes de son petit frère disparu, Erlendur erre dans ces paysages sauvages et désolés et se prend à déterrer une autre histoire de disparition si ancienne qu’elle ne concerne désormais plus qu’une poignée de vieillards qui n’aspirent plus qu’à l’oubli. Mais dans une démarche aussi personnelle qu’égoïste, Erlendur va s’employer à mettre à jour les circonstances réelles qui entourent la disparition de Mattildur emportée lors d’une tempête similaire à celle où le jeune frère d’Erlendur avait trouvé la mort.  

     

    Cimetière, cadavres déterrés, paysages désolés, il y a comme une ambiance gothique à la Edgar Allan Poe qui émane de ce récit, sans pour autant atteindre le niveau du célèbre écrivain de Baltimore. Pour la note historique, vous trouverez des soldats britanniques qui occupaient l’île durant la seconde guerre mondiale et dont on se demande ce qu’elle apporte de vraiment pertinent à l’ensemble de l’histoire. En mettant à nouveau en exergue la disparition de ce frère, on ne peut s’empêcher d’avoir un sentiment de redondance, tant il m’a semblé que tout avait été dit sur le sujet. On peine donc à trouver ce qu’il y a de nouveau dans ce récit qui s’avère plutôt linéaire et parfois, il faut bien le dire, quelque peu poussif. Désormais isolé, Erlendur semble perdu dans le périple de cette introspection qui accumule les clichés comme par exemple ce dialogue avec un personnage mystérieux qui hante les ruines de la maison familiale. Finalement la question essentielle réside dans le fait de savoir si la joie de retrouver le commissaire Erlendur valait la déception d’un récit qui s’avère finalement bien trop conventionnel. Les milliers d’exemplaires vendus et l’enthousiasme convenu des critiques ne suffiront pas à me convaincre.

     

    Arnaldur Indridason : Etranges Rivages. Editions Métalié 2013. Traduit de l’islandais par Eric Boudry.

    A lire en écoutant : Talk Talk : I Believe In You. Album : Spirit of Eden. EMI 1988.

     

  • Jo Nesbo : Fantôme. Les héros sont fatigués.

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    Avec "Fantôme", dernier opus des enquêtes de Harry Hole, Jo Nesbo est peut-être en train de nous faire la démonstration d’une équation littéraire qui consiste à dire que plus grand est le nombre de lecteur plus médiocre est le récit. C’est probablement pour satisfaire ce lectorat grandissant que l’on observe une certain conformisme déjà décelable avec le « Bonhomme de Neige » et confirmé avec le « Léopard »  et si l’on  analyse plus finement  la série Harry Hole, on peut mettre ce déclin en corrélation avec le final de l’arche narrative qui reliait les romans précédents jusqu’à sa conclusion dans les dernières pages du « Sauveur ». Avec la disparition de plusieurs protagonistes c’est un peu comme si l’on enlevait du relief au personnage principal qui devient désormais un énième flic alcoolique en quête de rédemption et les artifices opérés par l’auteur n’y changent désormais pas grand chose.

     

    Il faut bien le dire, Harry Hole, n’a jamais été un personnage très riche et très épais dans les trames narratives de Jo Nesbo. C’était les situations et les personnages secondaires qui animaient l’inspecteur dont la vie personnelle paraissait quelque peu vide de sens hormis sa relation avec Rakel.

     

    C’est d’ailleurs sur la base de cette relation fluctuante que Harry Hole, retourne à Oslo pour aider le jeune Oleg, fils de Rakel, qui outre ses problèmes de drogue est accusé d’avoir assasiné un de ses condisciples d’infortunes. En apportant son aide, Harry Hole, met à jour un dangereux réseau de trafiquants conduit par un mystérieux Dubaï, sorte de « Keyser Söze » du crime organisé qui apparaît au moment où est mis sur le marché une nouvelle drogue de synthèse qui déferle sur la capitale norvégienne. Guerre de gangs, corruptions et filières mafieuses, c’est tout cela que va devoir affronter Harry Hole qui se contraint de se surpasser pour parvenir à sauver Oleg.

    Ce ne sont pas les quelques rebondissements émaillant l’histoire de quelques artifices qui parviendront à nourrir ce récit archi convenu où les différents acteurs apparaissent dans des rôles stéréotypés. L’auteur est désormais tourné vers l’intrigue au détriment de la description social dans laquelle évoluent les personnages et c’était pourtant ce qui donnait tout son sel aux précédents romans, comme « Rouge-Gorge »,  « Rue Sans-Souçi » où « L’Homme Chauve-Souri ». Un temps lointain où les livres de Nesbo étaient édités aux éditions Gaïa avant qu’il ne passe chez Gallimard. Mais peut-être est-ce là la rançon du succès qui contraint un auteur à donner toujours plus au lecteur quitte parfois à verser dans le spectaculaire qui vire à l’esbrouffe.

     

    Avec ses travers, "Fantôme", demeure un livre extrèmement bien construit sur le plan narratif qui conviendra parfaitement à l’atmosphère estivale de ces derniers jours et jouera son rôle de best-seller trônant sur les chaises longues alignées au bord des plages et des piscines.

     

    Il ne restera de tout cela que quelques chapitres consacrés à l’agonie de la victime de Oleg qui amènent cette dimension sociale en décrivant les affres des petits trafiquants/consommateurs qui hantent les rues sombres d’Oslo. Le final qui se voudrait percutant, manque finalement de mordant et apparaît, si l’on consulte le site de l’auteur, comme un ultime artifice pour tenter de raviver une série moribonde. Mais n’est pas sir Arthur Conan Doyle qui veut ! Néanmoins, fan de Nesbo de la première heure, je ne désespère pas de retrouver le grand auteur que j’ai apprécié au fil des années.

     

    Jo Nesbo : Fantôme. Editions Série Noire/Gallimard 2013. Traduit du norvégien par Paul Dott.

    A lire en écoutant : Ghostwriter de Headphone. Album : Ghostwriter. 2008 Play It Again Sam (PIAS).

  • DENNIS LEHANE : ILS VIVENT LA NUIT. L’ETHIQUE MYTHIQUE DES TRUANDS.

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    J’ai toujours eu un doute sur la qualité des œuvres auxquelles on attribuait des prix littéraires et cette règle n’échappe pas à l’univers du polar avec cet Edgar 2013 du meilleur roman décerné à Dennis Lehane pour son dernier roman Ils Vivent la Nuit. On est en droit de se demander si ce n’est pas pour ses ouvrages précédents comme Gone Baby Gone, Ténèbres Prenez-moi la Main, Shutther Island, Mystic River et Un Pays à l’Aube que Dennis Lehanne a été récompensé cette année. Mais alors n’aurait-il pas été plus judicieux de lui donner l’Edgar « Grand Maître » qui récompense l’ensemble d’une œuvre plutôt que lui octroyer une distinction pour un roman qui est certes assez bon, sans toutefois atteindre le niveau que l’on peut attendre de la part d’un des grands auteurs du polar américain.

     

    Avec Ils Vivent la Nuit, Dennis Lehane se penche à nouveau sur la fatrie Coughlin qu’il nous avait présenté dans Un Pays à l’Aube.  En 1926, période faste de la Prohibition, la ville de Boston est gangrénée par la corruption et les luttes de pouvoir intestine de la pègre. C’est dans ce milieu qu’évolue le plus jeune des frères Coughlin, prénommé Joe qui décide d’embrasser la carrière de gangster au grand dam de son père, officier de police respecté bien que corrompu. Après un séjour en prison où il fait ses classes auprès d’un vieux parrain de la Mafia, Joe va se rendre à Ybor en Floride pour mettre en place tout un empire clandestin qui prendra de plus en plus d’essort. Au gré des alliances, des trahisons Joe Coughlin va se faire une place dans ce monde interlope des trafiquants et découvrir, en toile de fond historique, par l’entremise de la belle Graciella, les prémices des remous révolutionnaire qui vont secouer l’île de Cuba.

     

    Avec l’annonce très rapide du rachat des droits du livre afin de l’adapter au cinéma on est en droit de se demander si ce roman, contrairement au trois adaptations précédentes (Mystic River, Gone Baby Gone et Shutter Island) n’a pas été rédigé en prenant en compte les canons d’Hollywood. Car Ils vivent la Nuit est  un roman extrèmement prenant sur le plan de l’intrigue et très percutant au niveau des dialogues admirablement bien ficelés qui se lit d’une traite sans que l’on ne s’en rende compte. Mais pour y parvenir, on ne peut s’empêcher d’avoir cette sensation de lissage qui se traduit notamment au niveau du personnage principal. Car Joe Coughlin est certes bien un truand, mais pour un gangster d’envergure le personnage est emprunt d’une morale et d’une éthique qui ne colle pas avec le cadre dans lequel il évolue. Joe bien trop noble, tue parfois des hommes, mais ceux-ci sont de tels véritables salauds que son honneur reste sauf et c’est bien dommage. Pas de dilemme ou de choix cornelien pour ce jeune héro qui n’aura donc pas l’envergure des nombreux personnages qui ont habité les histoires de Dennis Lehane. Où sont donc passés ces âmes torturées comme Jimmy Marcus ex-truand et père ravagé par la perte de sa petite fille dans Mystic River ou Teddy Daniels habité d’une sombre folie dans Shutter Island et même Patrick Kenzie contraint de prendre une décision douloureuse dans Gone Baby Gone ?

     

    Cette sensation de lissage on peut également la retrouver sur le plan historique où les heures sombres de la Prohibition sont abordées d’une manière plutôt édulcorée. Le récit y gagne peut-être en clarté au détriment de sa dimension dramaturgique. Tout y est trop simple, presque manichéen. Pour un peu l’auteur, plutôt que de déconstruire le mythe à la manière d’un James Ellroy, nous présenterait même les trafiquants d’alcool comme des gens ayant œuvrés pour la santé public du pays. Un roman plus simpliste donc qui tranche avec son précédent opus, Un Pays à l’Aube habité d’une part obscure et d’un souffle épique que l’on peine à retrouver dans ce dernier roman. On le ressent particulièrement lorsque l’auteur évoque les personnages réels qui peuplent son récit à l’instar d’un Lucky Luciano assez terne qui manque singulièrement d’envergure.

     

    De belles images de carte postal, de « braves » gentils et de « vilains » salopards, Ils Vivent la Nuit s’attache à respecter les codes des histoires de gangters et sera donc un roman facilement adaptable au cinéma, mais est-ce que cela sera suffisant pour en faire un bon film ? A force de côtoyer les sirènes d’Hollywood, Dennis Lehane n’est-il pas en passe de céder son âme au diable. Gageons qu’il n’en sera rien. Il ne reste plus à Ben Affleck, acquéreur des droits de Ils Vivent la Nuit, qu’à nous séduire comme il l’avait fait en réalisant Gone Baby Gone.

     

    Dennis Lehane : Ils vivent la nuit. Editions Rivages/Thriller 2012. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Isabelle Maillet.

     

    A lire en écoutant : Chan Chan. Buena Vista Social Club. World Circuit 1997.

     

     

     

     

  • Manu Larcenet : Blast, le souffle de la vérité.

    blast,larcenet,grasse carcasse,dargaud,évangile selon saint jacky,tête la première« La vérité c’est plus facile à dire qu’à entendre. »

    Polza Mancini

     

    Dans le milieu de la BD, Manu Larcenet n’est de loin pas un inconnu que l’on peut d’ailleurs considérer comme l’un des principal auteurs francophones qui a obtenu, entre autre, le prix du meilleur album du Festival d’Angoulème. C’était en 2004, l’année où Zep recevait le Grand Prix de ce même festival.

     

    Conte de la Vie Ordinaire et Retour à la Terre sont les deux séries phares de l’auteur qui l’on fait connaître du grand public. Deux histoires d’une vie quotidienne, presque banal qui oscillent pourtant entre rire et émotion. Mais le choc visuel et scénaristique débarque en 2009 avec le premier opus de la série Blast, Grasse Carcasse. De la beauté et du silence, c’est ce que l’on découvre tout au long des 200 pages  de ce que l’on peut considérer comme le « Garde à Vue » de la BD. Mais point de notaire bourgeois ou de flic bourru, nous sommes bien loin de la célèbre confrontation entre Lino Ventura et Michel Serraut. Place désormais à Polza Mancini, ancien critique gastronomique qui a tourné le dos au monde après avoir vécu son premier blast lors de la mort de son père. En quête de cette explosion psychique qui a sécoué tous ses sens, Polza livre sa vie d’errance, d’alcool et de déliquescence mentale aux deux flics anonymes qui l’interroge lors de sa garde à vue après qu’il ait sauvagement agressé Carole Oudinot. Bien plus qu’un interrogatoire, Polza homme aussi obèse qu’intelligent mêne le bal en distillant avec une lenteur précise le fil de sa sombre existence.

     

    Un récit en noir et blanc, ponctué de longue plage de silence où le dessin seul révèle l’indicible et l’horreur d’une existence empreinte de folie et de liberté qui se paie parfois au prix fort.  On y découvre une déclinaison de personnages aux traits caricaturaux qui renforcent la noirceur d’une histoire où l’ordinaire côtoie l’onirique. En marge d’une société labelisée, Polza promène sa masse dans les campagnes pour s’ancrer dans un monde marginal aussi généreux que cruel, aussi lucide que déphasé. Le luxe de cette histoire réside dans le fait que l’auteur prend le temps de placer l’action au fil des cases qui se déclinent comme des tableaux.

     

    Il faut se frotter au récit de Polza Mancini, dont la subjectivité est sujette à caution, pour pénétrer dans l’humanité foudroyante d’un homme qui cherche au travers de sa propre destruction le chemin dont personne ne connaît la destination finale. Dans le dessin on ressent la douleur de l’auteur pour accoucher d’une histoire qui prend toute sa force et son amplitude dans les phases de transe d’un personnage qui va au bout de lui-même et peut-être même un petit peu au-delà. Qui osera suivre la folle errance de Polza Mancini !?

     

    Avec Blast vous retrouverez les belles sensations de quelques BD fabuleuses comme Silence de Comès, l’Espace Bleu entre les Nuages de Cosey ou  L’homme qui Marche de Taniguchi. Comme le roman noir ou le polar, la bd est encore bien trop souvent considérée comme un art mineur. Blast, comme beaucoup d’autres chefs-d’œuvre prouve le contraire. Il suffit de découvrir les trois tomes de cette magnifique série pour s’en convaincre.

     

    Manu Larcenet : Blast – Tome 1  Grasse Carcasse. Blast – Tome 2  L’apocalypse selon Saint Jacky – Blast Tome 3  La Tête la Première. Editions Dargaud.

    A lire en écoutant : Noir Désir : Tostaki. Dies Irae (live). Barclay 1994