Jo Nesbo : Fantôme. Les héros sont fatigués.
Avec "Fantôme", dernier opus des enquêtes de Harry Hole, Jo Nesbo est peut-être en train de nous faire la démonstration d’une équation littéraire qui consiste à dire que plus grand est le nombre de lecteur plus médiocre est le récit. C’est probablement pour satisfaire ce lectorat grandissant que l’on observe une certain conformisme déjà décelable avec le « Bonhomme de Neige » et confirmé avec le « Léopard » et si l’on analyse plus finement la série Harry Hole, on peut mettre ce déclin en corrélation avec le final de l’arche narrative qui reliait les romans précédents jusqu’à sa conclusion dans les dernières pages du « Sauveur ». Avec la disparition de plusieurs protagonistes c’est un peu comme si l’on enlevait du relief au personnage principal qui devient désormais un énième flic alcoolique en quête de rédemption et les artifices opérés par l’auteur n’y changent désormais pas grand chose.
Il faut bien le dire, Harry Hole, n’a jamais été un personnage très riche et très épais dans les trames narratives de Jo Nesbo. C’était les situations et les personnages secondaires qui animaient l’inspecteur dont la vie personnelle paraissait quelque peu vide de sens hormis sa relation avec Rakel.
C’est d’ailleurs sur la base de cette relation fluctuante que Harry Hole, retourne à Oslo pour aider le jeune Oleg, fils de Rakel, qui outre ses problèmes de drogue est accusé d’avoir assasiné un de ses condisciples d’infortunes. En apportant son aide, Harry Hole, met à jour un dangereux réseau de trafiquants conduit par un mystérieux Dubaï, sorte de « Keyser Söze » du crime organisé qui apparaît au moment où est mis sur le marché une nouvelle drogue de synthèse qui déferle sur la capitale norvégienne. Guerre de gangs, corruptions et filières mafieuses, c’est tout cela que va devoir affronter Harry Hole qui se contraint de se surpasser pour parvenir à sauver Oleg.
Ce ne sont pas les quelques rebondissements émaillant l’histoire de quelques artifices qui parviendront à nourrir ce récit archi convenu où les différents acteurs apparaissent dans des rôles stéréotypés. L’auteur est désormais tourné vers l’intrigue au détriment de la description social dans laquelle évoluent les personnages et c’était pourtant ce qui donnait tout son sel aux précédents romans, comme « Rouge-Gorge », « Rue Sans-Souçi » où « L’Homme Chauve-Souri ». Un temps lointain où les livres de Nesbo étaient édités aux éditions Gaïa avant qu’il ne passe chez Gallimard. Mais peut-être est-ce là la rançon du succès qui contraint un auteur à donner toujours plus au lecteur quitte parfois à verser dans le spectaculaire qui vire à l’esbrouffe.
Avec ses travers, "Fantôme", demeure un livre extrèmement bien construit sur le plan narratif qui conviendra parfaitement à l’atmosphère estivale de ces derniers jours et jouera son rôle de best-seller trônant sur les chaises longues alignées au bord des plages et des piscines.
Il ne restera de tout cela que quelques chapitres consacrés à l’agonie de la victime de Oleg qui amènent cette dimension sociale en décrivant les affres des petits trafiquants/consommateurs qui hantent les rues sombres d’Oslo. Le final qui se voudrait percutant, manque finalement de mordant et apparaît, si l’on consulte le site de l’auteur, comme un ultime artifice pour tenter de raviver une série moribonde. Mais n’est pas sir Arthur Conan Doyle qui veut ! Néanmoins, fan de Nesbo de la première heure, je ne désespère pas de retrouver le grand auteur que j’ai apprécié au fil des années.
Jo Nesbo : Fantôme. Editions Série Noire/Gallimard 2013. Traduit du norvégien par Paul Dott.
A lire en écoutant : Ghostwriter de Headphone. Album : Ghostwriter. 2008 Play It Again Sam (PIAS).