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LES AUTEURS - Page 25

  • Laurent Whale : Le Vol Du Boomerang. Retour de flammes.

    laurent whale, le vol du boomerang, éditions au diable vauverService de presse.

     

    Depuis bien des années, Laurent Whale auteur franco-britannique écrit et traduit des romans avec une prédilection pour le fantastique et la science-fiction même s'il a fait quelques incursions dans le genre thriller avec des récits mêlant faits historiques et intrigues policières dont les enquêteurs archivistes se surnomment "les rats de poussière" en déclinant ainsi ce titre autour d'une série composée de trois volumes. Mais c'est avec Skeleton Coast (Au Diable Vauvert 2021) que le romancier se fait remarquer du grand public en abordant les thèmes de l'écologie et de la corruption au cœur d'un roman prenant pour cadre la face atlantique Namibienne. Avec Le Vol Du Boomerang, son dernier roman, c'est davantage sur le registre de l'aventure se déroulant en Australie que Laurent Whale reprend le thème de l'écologie autour de la Bridgestone World Solar Challenge, une course de voitures propulsées à l'énergie solaire de 3000 kilomètres dont le départ se situe à Darwin pour s'achever l'autre bout du pays, à Adelaide. 

     

    Après avoir obtenu son doctorat en physique des particules, Jimmy Stonefire est retourné auprès de sa communauté aborigène dans les Territoires du Nord de l'Australie. C'est dans un atelier sommaire perdu dans le désert qu'il a mis au point une voiture à propulsion solaire afin de remporter la fameuse Bridgestone World Solar Challenge, une compétition mettant en concurrence ce type de véhicule en provenance du monde entier. Plus que des rêves de gloire, le jeune aborigène souhaite surtout sensibiliser la population à la cause de son peuple martyrisé et ostracisé. De son côté Tony Mulatier, un routier français qui a émigré en Australie, conduit désormais ces fameux "Road Train" à travers tout le pays en rêvant de réunir suffisamment de fond pour acquérir un de ces géants des routes afin de devenir indépendant. Avec les gigantesques incendies qui ravagent la région, Andy Sweeger a fermé son restaurant et tout abandonné pour emmener sa femme et ses deux enfants sur les routes embouteillées de réfugiés climatiques comme lui qui se retrouvent dans des camps de fortune où règne la loi du plus fort. Trois destins qui vont croiser leurs routes respectives autour d'un périple des plus périlleux.

     

    Le Vol Du Boomerang se concentre essentiellement autour de cette fameuse course à laquelle participe Jimmy Stonefire permettant à Laurent Whale de nous sensibiliser à la cause des aborigènes tout en évoquant les dysfonctionnements écologiques qui frappent la plupart des territoires de ces communautés, notamment victimes de l'exploitation outrancière des sous-sol. On ne peut donc que se féliciter de la démarche de l'auteur qui a sans nul doute fournit un gros effort pour se documenter afin de nous restituer les péripéties de cette compétition qui ne manque pas d'allure. Choisissant de situer l'action entre 2019 et 2020, Laurent Whale dresse un tableau plutôt cataclysmique d'une Australie touchée de plein fouet par les gigantesques incendies qui ravagent le pays avant de se retrouver confrontée aux aléas de l'épidémie de COVID19. Mais à force d'aborder une multitude de sujets, Laurent Whale s'égare à plusieurs reprises dans le cours de son récit qui manque singulièrement de tenue, ce d'autant plus que l'on abordera également le point de vue d'un routier français parcourant les routes de cette île–continent ainsi que celui d'une famille australienne fuyant les incendies et trouvant notamment refuge dans des camps dénués de toute forme d'autorité en laissant des milliers d'individus livrés à eux-mêmes. Il résulte un sentiment de frustration, ce d'autant plus que l'on aurait aimé en savoir plus en ce qui concerne la destinée de ces réfugiés climatiques qui disparaissent soudainement du paysage, ceci même durant l'épilogue où ils croisent de manière très fortuite la route de Jimmy Stonefire avec cette impression que l'auteur a supprimé quelques éléments de leur parcours. Pour ce qui a trait au chauffeur routier on ignore également ce que sera son devenir et s'il a pu réaliser son rêve en devenant un chauffeur indépendant. Tout cela nous donne l'impression d'un récit foutraque qui perd de vue l'essentiel d'une aventure s'achevant sur un concert déconcertant des Midnight Oil en pleine crise sanitaire dont Laurent Whale ne semble plus tenir compte. Des belles intentions pour un roman qui ne tient pas toutes ses promesses. Dommage.

     

    Laurent Whale : Le Vol Du Boomerang. Editions Au Diable Vauvert 2023.

    A lire en écoutant : Arctic World de Midnight Oil. Album : Diesel and Dust. Sprint/Columbia Records 1987.

  • COLSON WHITEHEAD : HARLEM SHUFFLE. POUR UNE POIGNEE DE CAILLOUX.

    Capture.PNGPeu lui importe les genres, peu lui importe la posture du romancier reconnu, Colson Whitehead, après avoir obtenu coup sur coup deux Pulitzer pour Underground Railboard (Albin Michel 2017) et Nickel Boys (Albin Michel 2020), se lance dans le polar et plus précisément dans un récit assumé de roman noir au titre évocateur, Harlem Shuffle, prenant pour cadre la période trouble des années soixante de ce quartier mythique de Manhattan en rendant hommage aux intrigues de Chester Himes et de Donald Westlake. On appréciera ce rapport décomplexé aves les genres quels qu'ils soient, pour cet auteur qui nous avait déjà surpris avec Zone 1 (Gallimard 2014) en empruntant les codes du fantastique et de l'anticipation afin de nous entrainer dans une ville de New-York post-apocalyptique, infestée de zombies.  Mais bien au-delà des genres, Colson Whitehead ne cesse de nous interpeller avec ce thème lancinant consistant à savoir ce que l'on fait de notre vie et qui revient dans chacun de ses romans, ceci plus particulièrement dans Harlem Shuffle

     

    Ray Carney tient un magasin de meuble sur la 125ème rue, en plein cœur du quartier de Harlem. Marié et père de deux enfants, ce commerçant aspire à offrir tout le confort à sa famille en lorgnant notamment des appartements d'un plus haut standing que celui qu'il loue actuellement. Mais pour cela, il faut de l'argent et son cousin Freddie lui propose justement de braquer la salle des coffres du fameux hôtel Theresa, nec plus ultra des établissements du quartier. N'aspirant pas à devenir truand, Ray Carney se contentera d'écouler les bijoux de l'éventuel butin à venir. Il croisera ainsi sur son chemin, Pepper le vétéran de la Seconde Guerre Mondiale et Miami Joe gangster notoire tout de violet vêtu ainsi que toute une panoplie de flic véreux qui hantent le quartier de Harlem en réclamant leur enveloppe. Avec ces combines douteuses et l'essor de son négoce, Ray Carney va louvoyer entre les notables et la pègre du quartier en espérant ne pas faire de faux pas. Mais du côté de Harlem, rien n'est jamais simple.

     

    Harlem Shuffle s'inscrit dans une trilogie se déroulant au cœur de ce fameux quartier de New-York rassemblant une grande partie de la communauté afro-américaine et dont le second ouvrage, intitulé Crook Manifesto, va paraitre prochainement en anglais avec un récit reprenant l'ensemble des personnages du premier volume qui évoluent désormais durant la décennie des seventies. Mais pour en revenir à Harlem Shuffle, on se réjouit de cette intrigue tonitruante se divisant en trois parties pour nous entrainer successivement autour d'une histoire de braquage, d'un chantage et d'un vol au détriment d'une famille aisée, en nous permettant ainsi de survoler l'ensemble de la décennie des sixties. En restituant avec précision l'atmosphère électrique régnant dans ce quartier, Colson Whithead se focalise sur le quotidien de Ray Carney et de sa famille dont il est nécessaire de souligner l'importance avec une épouse officiant au sein d'une agence de voyage se substituant au fameux guide Green Book afin de permettre aux afro-américains d'éviter quelques déconvenues raciales lors de leurs périples dans les différents Etats d'un pays pratiquant la ségrégation. Une illustration parfaite du contexte de l'époque. Ray Carney incarne ainsi cette ambivalence et cette débrouillardise nécessaire pour un commerçant en quête de respectabilité qui doit pourtant marcher dans quelques combines de recel afin de pouvoir acquérir l'appartement de ses rêves, en mettant ainsi en exergue tout l'aspect social de la lutte des classes et ceci plus particulièrement lorsqu'il souhaite accéder à un club de notables dont son beau-père fait partie et qui lui en empêche l'accès au vu de sa condition, voire même de sa couleur de peau trop foncée, que l'on juge toutes deux inadéquates pour intégrer une telle association. En toile de fond de Harlem Shuffle, se dessine également le thème de la discrimination qui est omniprésente en évoquant notamment les six jours d'émeutes qui ont secoué le quartier en 1964 avec la mort d'un adolescent afro-américain abattu par un officier de police blanc en service. Triste constat d'une situation qui n'a guère évolué comme nous le rapporte les actualités qui rattrapent le passé. Mais en dépit de la gravité des thèmes évoqués, Colson Whitehead n'a rien d'un romancier moralisateur. Il nous livre ainsi un roman chargé d'énergies et de vibrations positives, parfois piqueté d'un humour acide, émanant d'un quartier en ébullition où évolue toute une galerie de personnages hauts en couleur à l'image de ces truands outranciers, de ces flics véreux et de toute cette population bigarrée qui composent cette agglomération à nulle autre pareil et que l'auteur dépeint avec ce texte étincelant aux dialogues savoureux qui ne peuvent que nous faire chavirer.

     

    Colson Whitehead : Harlem Shuffle. Editions Albin Michel/Terres d'Amérique 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Charles Recoursé.

    A lire en écoutant : Harlem Shuffle de Bob & Earl. Single : Harlem Shuffle. 1963 Marc Records 104.

  • Joris Mertens : Nettoyage A Sec. Gros lot pour un perdant.

    Capture d’écran 2023-01-30 à 19.13.09.pngIl étudie la BD à l'école supérieure des arts de Saint Luc en Belgique avant de se lancer dans une longue carrière de plusieurs décennies dans l'audiovisuel en occupant notamment les fonctions de photographe, d'accessoiriste et de storyboarder. Mais c'est à l'aube de la cinquantaine que Joris Mertens entame une carrière dans le 9ème art avec Béatrice (Rue de Sèvres 2020), un album sans parole laissant la place aux éclats somptueux d'une ville dégoulinante de pluie en empruntant l'architecture de Paris, d'Anvers et de Bruxelles et dans laquelle évolue une héroïne vêtue d'un manteau rouge comme pour s'extraire de ces nuances de gris, d'ocre et de noir qui enrobent le mouvement sophistiqué de cette longue perspective d'images envoutantes nous entrainant dans un récit faustien aux contours oniriques. Un exercice particulier que cette absence de texte qui nous laisse tout de même un peu sur notre faim. Il en va tout autrement pour Nettoyage A Sec, son nouvel album, où Joris Mertens nous invite dans la même atmosphère brouillée d'une cité pluvieuse des seventies avec un récit qui s'articule autour des codes du roman noir en nous rappelant le climat oppressant des grands films de Jean-Pierre Melville. 

     

    nettoyage à sec,rue de sèvres,joris mertensFrançois est un vieux garçon à la vie bien rangée qui travaille comme chauffeur-livreur pour la teinturerie Bianca et qui écluse quelques bières au Monico où il a ses habitudes. Une vie de solitude avec quelques séances au cinéma et des rêves plein la tête en contemplant les voitures exposées dans les vitrines. Toutes les semaines, il joue les mêmes numéros pour tenter de gagner le gros lot au Lotto ce qui lui permet de converser avec Maryvonne qui tient le kiosque à journaux . C'est sûr qu'il a plus de chance de gagner au jeu plutôt que de compter sur une éventuelle augmentation de son employeur. Et puis il en ferait des choses s'il empochait le jackpot. Il pourrait payer une belle maison à Maryvonne et à sa fille Romy qui est asthmatique. Mais le destin va bousculer sa petite vie bien tranquille avec une opportunité à laquelle il ne peut résister en le projetant dans une cavalcade foireuse qui risque de mal tourner.

     

    nettoyage à sec,rue de sèvres,joris mertensOn évoquera tout d'abord de la reliure cousue qui confère à l'ouvrage une certaine élégance avec son liseré en toile rouge ornant le dos de l'album. Outre l'aspect esthétique, ce type de reliure permet de déployer de manière plus adaptée les sublimes doubles pages qui ponctuent le récit en nous offrant la beauté des perspectives ahurissantes de cette ville fantasmée qui devient un personnage à part entière. Avec Joris Mertens, on parlera davantage de lumières que de couleurs qui s'affichent déjà sur la couverture avec cette conjugaison de pluie, d'éclairage public et de gigantesques panneaux publicitaire lumineux parcourant les élégantes façades tarabiscotées des immeubles de la ville pour nous offrir cette atmosphère trépidante d'un centre congestionné par la circulation au travers de laquelle le flux de piétons se faufilent avant d'arpenter les trottoirs humides. C'est dans cet environnement tumultueux qu'évolue François dont on découvre, dans une première partie, son parcours quotidien au coeur de ce lacis de rues et de boulevards qu'il parcourt d'un pas pressé, puis à la place passager de sa fourgonnette de livraison qu'Alain, le nouveau chauffeur qu'il doit former, conduit maladroitement. On devine la solitude du personnage qui aspire à une autre vie en misant les mêmes numéros à la loterie depuis plusieurs années ; on perçoit l'affection maladroite qu'il éprouve pour Maryvonne et sa fille Romy et puis cette succession de scènes urbaines qui soulignent son isolement au milieu du fracas de la ville. La seconde partie prend une tournure beaucoup plus sombre avec la découverte d'une scène de crime et d'un sac abandonné dont François s'empare pour l'entraîner dans une succession d'ennuis au coeur d'un environnement boisé plutôt sinistre. Oscillant entre la chronique sociale et le fait divers, ponctué d'un humour parfois grinçant, Joris Mertens nous offre au final une superbe fresque urbaine dans laquelle se débat cet homme solitaire tandis que le destin livre son dessein cruel dont on découvre l'ultime coups du sort dans la dernière case d'un album éblouissant.

     

    Joris Mertens : Nettoyage A Sec. Editions Rue de Sèvres 2022. Traduit du flamand par Maurice Lomré.


    A lire en écoutant : Album Ascenseur pour l'échafaud de Miles Davis. 1958 Decca Records France.

  • DOA : RETIAIRE(S). LE CRIME PAIE.

    DOA, Rétiaire(s), série noireFinalement on ne sait que bien peu de chose sur DOA dissimulant son identité derrière l'acronyme charmant de Dead On Arrival tout en se gardant bien de se faire photographier pour s'afficher avec la pose étudiée du romancier inspiré que l'on peut découvrir parfois sur les quatrièmes de couverture. DOA cultive donc la discrétion en étant toutefois un peu plus disert lors d'entretiens passionnants et pertinents pour évoquer son oeuvre ou la discrimination qui entache la littérature noire, ceci plus particulièrement dans le domaine des grands prix littéraires systématiquement attribués à une tout autre catégorie de romans ne portant pas l'infâme appellation de collection noire ou polar. Mais pour en revenir aux récits de l'auteur, celui-ci a immédiatement marqué les esprits avec Citoyens Clandestins (Série Noire 2007) en intégrant ainsi la fameuse Série Noire qu'il n'a plus quittée pour publier également Le Serpent Aux Milles Coupures (Série Noire 2009) ainsi que les deux volumes Pukhtu I et II (Série Noire 2015 et 2016) et dont l'ensemble constitue le Cycle clandestin qui donne le vertige. Tout aussi vertigineux, on a pu lire des romans tels que L'Honorable Société (Série Noire 2011) aux connotations politiques et écrit en collaboration avec Dominique Manotti ou le très sombre Lykaia (Gallimard 2018) se déroulant dans le milieu BDSM. Mais outre son activité de romancier, DOA écrit également des scénarios, tâche des plus ingrates et des plus laborieuses, comme il l’évoque d’ailleurs dans la postface de son nouvel ouvrage. Et c'est l'un d'entre eux, n'ayant pas eu l'heur de plaire aux grands diffuseurs du paysage audiovisuel français, qui a fait l'objet de tout un travail de réécriture pour nous proposer ainsi ce dernier roman intitulé Rétiaire(s) se déroulant dans le milieu du grand banditisme, de l'univers carcéral et des grands offices de la police luttant contre le trafic de drogues.

     

    Que l'on soit flic ou truand, dans le domaine des stupéfiants on a parfois l'impression de se retrouver sur la piste sanglante d'un cirque antique où les alliances se font et se défont au gré des opportunités de chacun. C'est ainsi que Théo Lasbleiz, commandant au sein d'une brigade des stups à Paris, exécute froidement, devant ses camarades policiers, un trafiquant transféré chez le juge. La nouvelle fait l'effet d'une bombe et bouleverse les équilibres. Du côté du clan Cerda, il faut se réorganiser pour faire entrer dans le pays une grosse quantité de cocaïne qui se chiffre en tonne alors que la famille est fragilisée avec le clivage entre Momo et Manu, deux demi-frères qui se disputent la direction des affaires tandis qu'émerge Lola, la soeur cadette qui souhaite également à semparer des commandes. Du côté de la police, on est pas en reste avec Amélie Vasseur, jeune capitaine de gendarmerie qui a tout à prouver. Déjouer les plans de la famille Cerda lui permettrait peut-être d'accéder au commandement d'un groupe, ce à quoi elle aspire depuis toujours. Entre la défiance et les trahisons rythmant le cheminement de la drogue, les jeux de pouvoir peuvent commencer. Personne ne sera épargné.

     

    Rétiaire(s) est assurément un roman que tous policiers ou truands, reconvertis comme écrivain, aimeraient avoir écrit tant l'on se trouve plongé au coeur d'une intrigue policière à la tonalité résolument réaliste ce qui caractérise d’ailleurs son auteur habitué à digérer une somme considérable de documentation qu'il restitue  avec une redoutable précision sans pour autant alourdir un texte d'une efficacité impressionnante. Comme tout grand roman, il convient de souligner que le récit se mérite en fournissant notamment un bel effort de concentration afin d'assimiler l'abondance de patronymes, surnoms et abréviations d'offices étatiques qui jalonnent cette intrigue tournant autour d’un chargement de cocaïne dont DOA dépeint avec une belle justesse toute la trajectoire internationale ainsi que l’aspect géopolitique que génère un tel trafic et dont on peut découvrir la teneur dans les interludes ponctuant chacune des parties de l’ouvrage. Au milieu de toute cette quantité impressionnante de personnages, émerge bien évidemment Théo Lasbleiz, ce flic destitué et brisé qui traverse ainsi les trois mondes de la police, des truands et des détenus et dont les interconnections ne manqueront pas de déstabiliser le lecteur au rythme de rebondissements à la fois intenses et surprenants. Dans sa trajectoire tragique, Théo Lasbleiz incarne ainsi cette troublante ambivalence qui habite d'ailleurs l'ensemble des protagonistes de Rétiaire(s). Avec de tels traits de caractères corsés, DOA nous entraine habilement dans la complexité des rapports qui régissent ces trois univers distincts, ceci au gré des chocs qui s'ensuivent lorsque les accords plus ou moins tacites volent en éclat. A l'image des gladiateurs et auquel le titre Rétiaire{s) fait donc allusion, DOA décline ainsi les enjeux cruels d'une espèce de joute mortelle qui se joue sur le théâtre dramatique du trafic de stupéfiants avec toutes les circonvolutions alambiquées que cela implique. Et c'est tout le talent de l'auteur de nous permettre d'assimiler, avec une limpidité exceptionnelle, la complication de ces enjeux variés qui vont faire basculer la destinée de l'ensemble des personnages dont il est permis d'espérer, au terme de l'intrigue qui le laisse penser, en retrouver un certain nombre dans un nouveau roman à venir. Scénario voulant s'approcher de la série The Wire, comme l'évoque son créateur dans l'intéressante postface de l'ouvrage, Rétiaire(s) devient donc ainsi un roman d'envergure pouvant faire partie, à n'en pas douter, des grandes références de la littérature noire.

     


    DOA : Rétiaire(s). Editions Gallimard/Série Noire 2023.

    A lire en écoutant : Marché Noir de SCH. Album JVLIVS II. Label Rec. 118.

  • Brian Evenson : Immobilité. La raison d'être.

    Capture d’écran 2023-01-20 à 18.17.20.png

    Cela devient presque une tradition de débuter l'année avec un ouvrage issu de la maison d'éditions Rivages et plus particulièrement de sa collection noire en évoquant des grands romanciers tels que Hugues Pagan en 2022 avec Le Carré Des Indigents ou Hervé Le Corre en 2021 avec le bouleversant Traverser La Nuit. Pour 2023, on s'éloignera de la littérature noire pour se pencher sur la nouvelle collection Imaginaire dirigée par Valentin Baillehache en se focalisant sur Immobilité, un roman d'anticipation de Brian Evenson dont la parution dans sa langue d'origine date de 2012. Drôle de parcours pour cet écrivain, ancien prêtre mormon qui, après la publication de son premier recueil de nouvelles, doit choisir entre l'écriture ou la carrière ecclésiastique en se lançant pour notre plus grand plaisir dans la rédaction de récits étranges et dérangeants, à la lisière du fantastique, de l’horreur et de la science-fiction, en collaborant entre autre avec des artistes tels que Rob Zombie ou James DeMonaco et dont certains ouvrages ont été traduits par Claro. Dans nos contrées francophones, Brian Evenson est principalement connu des amateurs du genre noir par le biais de La Confrérie Des Mutilés, un roman culte, qui semble désormais indisponible, nous plongeant dans l'étrange milieu d'une congrégation des mutilés volontaires. Hasard du calendrier ou démarche concertée qu’importe, il faut signaler qu'Immobilité paraît en français en même temps que L’Antre, autre roman de Brian Evenson traduit et publié chez Quidam Editeur avec pour cadre commun entre les deux ouvrages, l’ambiance oppressantes d'un univers post-apocalyptique.


    Un réveil brutal après une gestation de plusieurs dizaines d'années, il ignore qui il est et d'où il vient. Il évolue dans un environnement ravagé par une catastrophe qui a détruit le monde d'autrefois. Paraplégique, il lui faut accomplir une mission : rechercher un boitier au contenu mystérieux. Le voici donc projeté dans un univers en ruine où l'air vicié annihile tous les organismes, en progressant sur le dos de deux hommes en combinaison qui semblent avoir été destinés à cette unique fonction. Il lui faut comprendre la raison de cette démarche étrange et plus particulièrement sa résistance à cette pollution mortelle alors que ses deux compagnons de voyage dépérissent peu à peu, en dépit de leurs protections, à mesure qu'ils progressent vers cette montagne abritant un bunker renfermant cet objet tant convoité qui semble être en mesure de faire basculer le destin de ce qu'il reste de l'humanité. Mais peut-il y avoir un avenir dans ce monde dévasté ? Il ne s'agit pas de la seule interrogation de Josef Horkaï. Obtiendra-t-il les réponses ?


    Qui sommes-nous ? Vers quel destin aspirons-nous ? Les questions existentialistes traversent ainsi ce récit d'anticipation apocalyptique où Brian Evenson pose ces interrogations par le prisme des aspects triviaux de l'amnésie de Josef Horkaï, personnage central du récit, et de sa quête mystérieuse le conduisant à traverser cette région de Salt Lake City dévastée par un cataclysme, tout comme le reste de la terre, et dont on ignore l'origine. C'est l'occasion pour Brian Evenson, prêtre mormon défroqué, de fustiger son ancienne congrégation en mettant par exemple en perspective les ruines du temple de Salt Lake City puis en déclinant le côté mystique de ces communautés survivalistes, que l'on désigne sous l'appellation de ruches, s'entredéchirant pour évoluer dans le déclin de cet univers dévasté. Autant dire que Brian Evenson ne se fait guère d'illusion quant au devenir de l'humanité qui s'ingénie à s'entretuer autour des reliquats d'un monde déclinant en projetant Josef Horkaï sur une route qui rappelle celle de Cormac McCarthy ou celles que parcourt Mad Max. Mais avec Brian Evenson tout est plus dérangeant et plus étrange, à l'instar de ce titre Immobilité qui fait référence au handicap de Josef Horkaï ce qui le contraint à évoluer sur le dos de deux compères qui ont été programmés, et le mot n'est pas galvaudé, pour cette unique fonction. Ainsi pour l'auteur, le monde n'a donc pas fondamentalement changé, malgré le cataclysme et l'on découvre qu'iI existe plusieurs castes d'humains plus ou moins taillés pour résister à cette pollution suffocante et meurtrière qui enveloppe l'atmosphère en détruisant toutes formes de vie à l'exception de Josef Horkaï semblant bien plus solide qu'il n'y paraît. Allégorie ou conte cruel, on appréciera la sobriété d'une écriture au service de scènes effroyables et douloureuses qui font d'Immobilité un texte puissant et perturbant ne nous laissant guère d'espoir quant à l'avenir de l'homme.

     

    Brian Evenson : Immobilité (Immobility). Rivages/Imaginaire 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jonathan Baillehache.


    A lire en écoutant : Blackstar de David Bowie. Album : Blackstar. 2016 ISO Records.