DOA : RETIAIRE(S). LE CRIME PAIE.
Finalement on ne sait que bien peu de chose sur DOA dissimulant son identité derrière l'acronyme charmant de Dead On Arrival tout en se gardant bien de se faire photographier pour s'afficher avec la pose étudiée du romancier inspiré que l'on peut découvrir parfois sur les quatrièmes de couverture. DOA cultive donc la discrétion en étant toutefois un peu plus disert lors d'entretiens passionnants et pertinents pour évoquer son oeuvre ou la discrimination qui entache la littérature noire, ceci plus particulièrement dans le domaine des grands prix littéraires systématiquement attribués à une tout autre catégorie de romans ne portant pas l'infâme appellation de collection noire ou polar. Mais pour en revenir aux récits de l'auteur, celui-ci a immédiatement marqué les esprits avec Citoyens Clandestins (Série Noire 2007) en intégrant ainsi la fameuse Série Noire qu'il n'a plus quittée pour publier également Le Serpent Aux Milles Coupures (Série Noire 2009) ainsi que les deux volumes Pukhtu I et II (Série Noire 2015 et 2016) et dont l'ensemble constitue le Cycle clandestin qui donne le vertige. Tout aussi vertigineux, on a pu lire des romans tels que L'Honorable Société (Série Noire 2011) aux connotations politiques et écrit en collaboration avec Dominique Manotti ou le très sombre Lykaia (Gallimard 2018) se déroulant dans le milieu BDSM. Mais outre son activité de romancier, DOA écrit également des scénarios, tâche des plus ingrates et des plus laborieuses, comme il l’évoque d’ailleurs dans la postface de son nouvel ouvrage. Et c'est l'un d'entre eux, n'ayant pas eu l'heur de plaire aux grands diffuseurs du paysage audiovisuel français, qui a fait l'objet de tout un travail de réécriture pour nous proposer ainsi ce dernier roman intitulé Rétiaire(s) se déroulant dans le milieu du grand banditisme, de l'univers carcéral et des grands offices de la police luttant contre le trafic de drogues.
Que l'on soit flic ou truand, dans le domaine des stupéfiants on a parfois l'impression de se retrouver sur la piste sanglante d'un cirque antique où les alliances se font et se défont au gré des opportunités de chacun. C'est ainsi que Théo Lasbleiz, commandant au sein d'une brigade des stups à Paris, exécute froidement, devant ses camarades policiers, un trafiquant transféré chez le juge. La nouvelle fait l'effet d'une bombe et bouleverse les équilibres. Du côté du clan Cerda, il faut se réorganiser pour faire entrer dans le pays une grosse quantité de cocaïne qui se chiffre en tonne alors que la famille est fragilisée avec le clivage entre Momo et Manu, deux demi-frères qui se disputent la direction des affaires tandis qu'émerge Lola, la soeur cadette qui souhaite également à s’emparer des commandes. Du côté de la police, on est pas en reste avec Amélie Vasseur, jeune capitaine de gendarmerie qui a tout à prouver. Déjouer les plans de la famille Cerda lui permettrait peut-être d'accéder au commandement d'un groupe, ce à quoi elle aspire depuis toujours. Entre la défiance et les trahisons rythmant le cheminement de la drogue, les jeux de pouvoir peuvent commencer. Personne ne sera épargné.
Rétiaire(s) est assurément un roman que tous policiers ou truands, reconvertis comme écrivain, aimeraient avoir écrit tant l'on se trouve plongé au coeur d'une intrigue policière à la tonalité résolument réaliste ce qui caractérise d’ailleurs son auteur habitué à digérer une somme considérable de documentation qu'il restitue avec une redoutable précision sans pour autant alourdir un texte d'une efficacité impressionnante. Comme tout grand roman, il convient de souligner que le récit se mérite en fournissant notamment un bel effort de concentration afin d'assimiler l'abondance de patronymes, surnoms et abréviations d'offices étatiques qui jalonnent cette intrigue tournant autour d’un chargement de cocaïne dont DOA dépeint avec une belle justesse toute la trajectoire internationale ainsi que l’aspect géopolitique que génère un tel trafic et dont on peut découvrir la teneur dans les interludes ponctuant chacune des parties de l’ouvrage. Au milieu de toute cette quantité impressionnante de personnages, émerge bien évidemment Théo Lasbleiz, ce flic destitué et brisé qui traverse ainsi les trois mondes de la police, des truands et des détenus et dont les interconnections ne manqueront pas de déstabiliser le lecteur au rythme de rebondissements à la fois intenses et surprenants. Dans sa trajectoire tragique, Théo Lasbleiz incarne ainsi cette troublante ambivalence qui habite d'ailleurs l'ensemble des protagonistes de Rétiaire(s). Avec de tels traits de caractères corsés, DOA nous entraine habilement dans la complexité des rapports qui régissent ces trois univers distincts, ceci au gré des chocs qui s'ensuivent lorsque les accords plus ou moins tacites volent en éclat. A l'image des gladiateurs et auquel le titre Rétiaire{s) fait donc allusion, DOA décline ainsi les enjeux cruels d'une espèce de joute mortelle qui se joue sur le théâtre dramatique du trafic de stupéfiants avec toutes les circonvolutions alambiquées que cela implique. Et c'est tout le talent de l'auteur de nous permettre d'assimiler, avec une limpidité exceptionnelle, la complication de ces enjeux variés qui vont faire basculer la destinée de l'ensemble des personnages dont il est permis d'espérer, au terme de l'intrigue qui le laisse penser, en retrouver un certain nombre dans un nouveau roman à venir. Scénario voulant s'approcher de la série The Wire, comme l'évoque son créateur dans l'intéressante postface de l'ouvrage, Rétiaire(s) devient donc ainsi un roman d'envergure pouvant faire partie, à n'en pas douter, des grandes références de la littérature noire.
DOA : Rétiaire(s). Editions Gallimard/Série Noire 2023.
A lire en écoutant : Marché Noir de SCH. Album JVLIVS II. Label Rec. 118.