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12. Fantastique/horreur

  • COLIN NIEL : WALLACE. FORET CHIMERIQUE.

    Wallace, Colin Niel, éditions du rouergueC'est en s'aventurant sur le terrain de la forêt amazonienne et plus particulièrement celle de la Guyane française, que cet ancien ingénieur des eaux et forêts s'est fait connaître en lançant une série de romans policiers mettant en scène le capitaine André Anato, un gendarme noir-marron en quête de ses origines guyanaises et dont on suit les enquêtes débutant avec Les Hamacs De Carton (Rouergue/Noir 2012)  où il est justement question d'identité, puis se poursuivant au cœur de la jungle avec Ce Qui Reste En Forêt (Rouergue noir 2013) tandis que Obia (Rouergue noir 2015) prenait une allure un peu plus mystique alors que Sur Le Ciel Effondré (Rouergue noir 2015) nous permettait de nous immerger au sein du peuple Wayana, une communauté autochtone vivant sur les rives du fleuve Maroni.  Si le genre policier convient parfaitement à Colin Niel, il n'est pas en reste lorsqu'il se lance dans le roman noir où l'on découvre l'aspect rural de la région des Grandes Causse avec Seules les Bêtes (Rouergue noir 2017), dont l'adaptation au cinéma par le réalisateur Dominik Moll a connu un succès retentissant. Adoptant une nouvelle fois les codes du roman noir, avec une alternance entre le massif pyrénéen et les contrées sauvages de la Namibie, les thèmes de la faune et de la nature demeurent omniprésents avec Entre Fauves (Rouergue noir 2020) où l'intrigue s'articule également autour du délicat sujet de la chasse. Et puis il y a Darwyne (Rouergue noir 2022) roman aux connotations à la fois sociales et fantastiques avec lequel Colin Niel nous entraîne une nouvelle fois en Guyane au gré du parcours singulier d'un petit garçon partagé entre l'amour de sa mère qui le rejette et sa fascination pour la forêt amazonienne. C'est peu dire que l'on avait été marqué par cette intrigue à la fois sombre et poignante où le rapport à la magie nous offrait une toute autre vision de l'environnement forestier, en allant à la rencontre de créatures issues des contes et légendes de la région. Cet aspect chimérique de la faune et de la flore de la Guyane, on va le retrouver avec Wallace qui prend l'allure d'une suite, sans en être vraiment une, puisque l'on retrouve bon nombre des protagonistes principaux de Darwyne, dix ans après les péripéties de ce précédent récit. A l'occasion de la sortie de ce nouveau roman, il ne faudra pas manquer d'aller à la rencontre de Colin Niel qui sera présent lors du festival Le Livre Sur Les Quais se déroulant sur les bords du lac Léman à Morges.

     

    Au service social de la protection de l'enfance d’une ville de Guyanne, on peut toujours compter sur les compétences de Mathurine qui s'investit corps et âme dans son travail d’assistante sociale tout en élevant seule son fils Wallace, âgé de neuf ans. Passionné de jeux vidéo, le jeune garçon ne comprend pas l'intérêt que sa mère porte à tout ce qui a trait à cette forêt si dense qu'elle fait presque peur, tant et si bien que les relations deviennent de plus en plus tendues, ce d'autant plus que Mathurine est encore bouleversée par la mort d'une jeune fille placée en famille d'accueil et que l'on a retrouvé noyée dans le lit d’une rivière. Et lorsque le père de l'enfant décédée confie à l'assistante sociale avoir vu une étrange apparition à la lisière de cette jungle qu'il connaît bien, il y a les souvenirs qui remontent à la surface. Ceux de ce petit garçon qu'elle a croisé il y a de cela bien des années et dont elle est persuadée qu'il n'a pas pu disparaître au cœur de cette forêt qu'il affectionnait tant et dans laquelle il évoluait comme s'il était chez lui.

     

    On appréciera tout d'abord cette superbe couverture colorée de Wallace illustrant parfaitement le thème de cette nature luxuriante à laquelle se mêlent quelques créatures légendaires de la forêt amazonienne que l'on avait déjà croisées lors de la lecture de Darwyne, tout en notant que ce récit n'intègre plus la collection noire des éditions du Rouergue, ce qui n'enlève rien à ses qualités, bien au contraire puisque l'on retrouve cette construction narrative chargée en tension, caractéristique intrinsèque de l'auteur qui sait également jouer avec les émotions. Avec Wallace, Colin Niel se concentre principalement autour du personnage de Mathurine qui a bien évidemment évolué avec le temps, ce d'autant plus qu'elle a donné naissance à l'enfant qu'elle désirait tant et qu'elle élève seule du mieux qu'elle le peut. On observera les rapports complexes qu'elle entretient avec son fils dont on adopte également le point de vue au rythme de l'alternance des chapitres qui se concentrent également sur le personnage de Tiburce, ce père meurtri par la perte de sa fille et qui veut en faire porter la responsabilité sur quelqu'un d'autre que lui car il ne peut supporter un tel poids sur ses épaules. Ainsi, Colin Niel dépeint habilement la difficulté des rapports entres parents et enfants, du manque qui peut en découler parfois, de l'incompréhension générant colère et frustration et surtout de cet amour qui déborde mais que l'on ne sait pas toujours formuler de manière correcte. Et puis en arrière-plan, à la lisière du parcours chaotique de ces trois protagonistes, il y a la personnalité de Darwyne qui plane sur l'ensemble de l'intrigue où l'enjeu consiste à déterminer si cet enfant d'autrefois a vraiment existé en endossant les aspects du Maskilili, ce petit être issu du folklore guyanais dont les pieds retournés lui permettent d'égarer dans la forêt ceux qui se seraient mis en tête de le suivre. A partir de là, le récit bascule dans une dimension fantastique tout en maîtrise car elle oscille sur un certain réalisme en nous permettant de découvrir d'autres créatures étranges, issues de cette forêt primaire dont on dit qu'une partie de la faune et de la flore n'a pas encore été répertoriée et qui recèle donc quelques secrets dont l'homme n'a pas encore eu accès et qu'il convient sans doute de préserver. Mais au-delà de l'égarement dont il est question, le passage dans la forêt prend l'allure d'un voyage initiatique permettant à Mathurine, Wallace et Tiburce de retrouver un certain sens dans leur vie et peut être de dégager ce qui parait essentiel, à savoir cet amour qu'ils gardaient en eux, par crainte de faiblesse ou de maladresse. Mais plutôt que d'apparaître comme une évidence, Colin Niel joue avec l'incertitude et la peur générant cette fameuse tension émanant d'un texte prenant et tout en émotion, ceci jusqu'au terme d'un récit séduisant qui sort de l'ordinaire tout en appréciant ces petits clins d'oeil, pour les connaisseurs, à Obia, troisième opus des enquêtes du capitaine Anato, dont on découvre le devenir de l'entourage de certains de ses protagonistes. Ainsi, c’est tout l’univers de la Guyane que l’on découvre encore une fois, sans d’ailleurs que la région soit explicitement évoquée, ce qui confère à Wallace un caractère universel, tant dans les domaines sociaux qu’environnementaux tout en s’agrégeant dans le substrat foisonnant des légendes au gré d’une intrigue habile qui ne manquera pas de bouleverser les lecteurs qui vont s’aventurer dans monde à nul autre pareil.

     

    Colin Niel : Wallace. Editions du Rouergue 2024.

    A lire en écoutant : Ti Péyi-a de Saïna Manotte. Album : Poupée Kréyol.2018 Saïna Manotte.

  • Gabino Iglesias : Le Diable Sur Mon Epaule. La malédiction du sicario.

    IMG_2406.jpegUn mur n'y changerait rien et les histoires parfois violentes émergeant de la frontière entre le Mexique et les Etats-unis continueront d'alimenter la richesse de deux cultures qui s'entremêlent et que l'on découvrait déjà dans de nombreux romans de Cormac McCarthy au gré de tragédies puissantes. C'est probablement dans cette continuité que s'inscrit Gabino Iglesias natif de Puerto Rico et résidant désormais à Austin au Texas où il exerce notamment les professions de journaliste et d'enseignant tout en pratiquant le culturisme et en entretenant la culture populaire de sa communauté qui rejaillit dans l'ensemble de ses textes oscillant entre roman noir et fantastique et que l'on regroupe désormais sous l'appellation barrio noir illustrant parfaitement cette fusion détonante et violente rappelant, à certains égards, un film tel que Une Nuit En Enfer de Roberto Rodriguez. On découvrait ce mélange au détour de Santa Muerte (Sonatine 2020), premier roman de l'auteur, combinant une intrigue sombre, sur fond de guerre des gangs, avec les rites magiques de la Santerìa en conférant à l'ensemble du récit une dimension tant sociale que surnaturelle illustrant cette culture populaire du barrio. On retrouve cette singularité dans Les Lamentations Du Coyote (Sonatine 2021) où la frontière prend une allure mystique autour des individus qui en arpentent les confins, ainsi que dans Le Diable Sur Mon Epaule, dernier roman en date de Gabino Iglesias nous entrainant vers l'univers inquiétant des tunnels creusés par les narcotrafiquants mexicains afin d'acheminer migrants et cargaisons de stupéfiants vers les Etats-Unis. 

     

    Les ennuis s'accumulent pour Mario qui doit faire face à la leucémie dont sa fille Anita est victime. Il sait bien que s'il lui arrive malheur son mariage n'y survivra pas. Avec sa femme Melisa, il fait régulièrement les trajets entre Austin et Houston où leur enfant est hospitalisée. Pour couronner le tout, son employeur le licencie tandis que les factures médicales, que l'assurance ne couvre pas, s'accumulent à son grand désespoir. Il ne lui reste pas d'autre choix que de contacter Brian, un ancien collègue qui s'est reconverti dans le trafic de stupéfiant et qui lui propose six mille dollars pour exécuter un concurrent. Sans l'ombre d'une hésitation, Mario s'acquitte du contrat avec une facilité déconcertante. Mais le sort semble s'acharner sur lui, ce qui le contraint à se montrer plus audacieux pour empocher davantage d'argent. Avec Brian, il va donc se ranger sous la coupe de Juanca, un narcotrafiquant leur promettant pas moins de deux cents mille dollars chacun pour s'attaquer à un gang rival, responsable de la mort de son frère. D'Austin à Juarez, les trois compères vont donc entamer un périple dantesque et périlleux, à la lisière d'une frontière où la mort et les créatures les plus étranges semblent s’être donnés rendez-vous. 

     

    Il faut bien avouer que l’on est totalement envoûté par cette intensité baroque, parfois déjantée, qui émane d’un récit où l’horreur prend une dimension à la fois fantastique et angoissante tout en se conjuguant avec la noirceur d’un parcours ponctué d’éclats d’une violence âpre. On côtoie ainsi des créatures inquiétantes arpentant l’obscurité de ces fameux tunnels clandestins et l’on découvre quelques rituels macabres permettant aux morts de revenir à la vie dans d’atroces conditions en invoquant des entités maléfiques. C’est autour de ces croyances et de ces maléfices que l’on va accompagner Mario, Brian et Juanca dans un périple hallucinant entre Austin et Juarez en rencontrant une cohorte d’individus tous plus sinistres les uns que les autres dans ce qui apparaît comme une mission à haut risque et dont l’enjeu narratif consiste à savoir qui va bien pouvoir s’extirper de ce bourbier sanglant. Mais s’il est question de sorcellerie et d’invocations païennes, Gabino Iglesias n’édulcore en rien la réalité du milieu des narcotrafiquants et de la guerre qui se joue entre les différents cartels avec ses stratégies faites d’alliances et de trahisons qui vont ponctuer un parcours se révélant d’une cruauté sans limite. Dans ce contexte tragique, l’auteur distille quelques scènes intenses à l’instar de cette traversée souterraine de la frontière ou de cette exécution atroce d’un comparse qui n’a pas répondu aux attentes du chef du cartel. Et puis de manière sous-jacente émerge les conditions de vie précaires des migrants latino-américains en quête d’une vie meilleure mais qui se heurtent notamment à cette discrimination latente comme en témoigne cette confrontation dans un diners où Juanca et Mario vont encaisser les affronts racistes dont ils font l’objet jusqu’à une certaine limite. Mélange glaçant d’une horreur surnaturelle s’intégrant parfaitement dans le réalisme de ce contexte explosif de guerre de cartels mexicains, Le Diable Sur Mon Épaule est un roman d’une redoutable sauvagerie nous entraînant dans un périple sans retour où la noirceur et le désespoir se déclinent  jusqu’à l’ultime ligne d’un texte saisissant et passionnant.

     

    Gabino Iglesias : Le Diable Sur Mon Epaule (The Devil Take Your Home). Editions Sonatine 2024. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Pierre Szczeciner.

    A lire en écoutant : Nueva Vida de Peso Pluma. Album : GENESIS. 2023 Double P Records.

  • Brian Evenson : Immobilité. La raison d'être.

    Capture d’écran 2023-01-20 à 18.17.20.pngCela devient presque une tradition de débuter l'année avec un ouvrage issu de la maison d'éditions Rivages et plus particulièrement de sa collection noire en évoquant des grands romanciers tels que Hugues Pagan en 2022 avec Le Carré Des Indigents ou Hervé Le Corre en 2021 avec le bouleversant Traverser La Nuit. Pour 2023, on s'éloignera de la littérature noire pour se pencher sur la nouvelle collection Imaginaire dirigée par Valentin Baillehache en se focalisant sur Immobilité, un roman d'anticipation de Brian Evenson dont la parution dans sa langue d'origine date de 2012. Drôle de parcours pour cet écrivain, ancien prêtre mormon qui, après la publication de son premier recueil de nouvelles, doit choisir entre l'écriture ou la carrière ecclésiastique en se lançant pour notre plus grand plaisir dans la rédaction de récits étranges et dérangeants, à la lisière du fantastique, de l’horreur et de la science fiction, en collaborant entre autre avec des artistes tels que Rob Zombie ou James DeMonaco et dont certains ouvrages ont été traduits par Claro. Dans nos contrées brian evenson,immobilité,rivages imaginairefrancophones, Brian Evenson est principalement connu des amateurs du genre noire par le biais de La Confrérie Des Mutilés, un roman culte, qui semble désormais indisponible, nous plongeant dans l'étrange milieu d'une congrégation des mutilés volontaires. Hasard du calendrier ou démarche concertée qu’importe, il faut signaler que Immobilité paraît en français en même temps que LAntre, autre roman de Brian Evenson traduit et publié chez Quidam Editeur avec pour cadre commun entre les deux ouvrages, l’ambiance oppressantes d'un univers post-apocalyptique.

     

    Un réveil brutal après une gestation de plusieurs dizaines d'années, il ignore qui il est et d'où il vient. Il évolue dans un environnement ravagé par une catastrophe qui a détruit le monde d'autrefois. Paraplégique, il lui faut accomplir une mission : rechercher un boitier au contenu mystérieux. Le voici donc projeté dans un univers en ruine où l'air vicié annihile tous les organismes, en progressant sur le dos de deux hommes en combinaison qui semblent avoir été destinés à cette unique fonction. Il lui faut comprendre la raison de cette démarche étrange et plus particulièrement sa résistance à cette pollution mortelle alors que ses deux compagnons de voyage dépérissent peu à peu, en dépit de leurs protections, à mesure qu'ils progressent vers cette montagne abritant un bunker renfermant cet objet tant convoité qui semble être en mesure de faire basculer le destin de ce qu'il reste de l'humanité. Mais peut-il y avoir un avenir dans ce monde dévasté ? Il ne s'agit pas de la seule interrogation de Josef Horkaï. Obtiendra-t-il les réponses ?

     

    Qui sommes-nous ? Vers quel destin aspirons-nous ? Les questions existentialistes traversent ainsi ce récit d'anticipation apocalyptique où Brian Evenson posent ces interrogations par le prisme des aspects triviaux de l'amnésie de Josef Horkaï, personnage central du récit, et de sa quête mystérieuse le conduisant à traverser cette région de Salt Lake City dévastée par un cataclysme, tout comme le reste de la terre, et dont on ignore l'origine. C'est l'occasion pour Brian Evenson, prêtre mormon défroqué, de fustiger son ancienne congrégation en mettant par exemple en perspective les ruines du temple de Salt Lake City puis en déclinant le côté mystique de ces communautés survivalistes, que l'on désigne sous l'appellation de ruches, s'entredéchirant pour évoluer dans le déclin de cet univers dévasté. Autant dire que Brian Evenson ne se fait guère d'illusion quant au devenir de l'humanité qui s'ingénie à s'entretuer autour des reliquats d'un monde déclinant en projetant Josef Horkaï sur une route qui rappelle celle de Cormac McCarthy ou celles que parcourt Mad Max. Mais avec Brian Evenson tout est plus dérangeant et plus étrange, à l'instar de ce titre Immobilité qui fait référence au handicap de Josef Horkaï ce qui le contraint à évoluer sur le dos de deux compères qui ont été programmés, et le mot n'est pas galvaudé, pour cette unique fonction. Ainsi pour l'auteur, le monde n'a donc pas fondamentalement changé, malgré le cataclysme et l'on découvre qu'iI existe plusieurs castes d'humains plus ou moins taillés pour résister à cette pollution suffocante et meurtrière qui enveloppe l'atmosphère en détruisant toutes formes de vie à l'exception de Josef Horkaï semblant bien plus solide qu'il n'y paraît. Allégorie ou conte cruel, on appréciera la sobriété d'une écriture au service de scènes effroyables et douloureuses qui font d'Immobilité un texte puissant et perturbant ne nous laissant guère d'espoir quant à l'avenir de l'homme.

     

    Brian Evenson : Immobilité (Immobility). Rivages/Imaginaire 2023. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) parJonathan Baillehache.

    A lire en écoutant : Blackstar de David Bowie. Album : Blackstar. 2016 ISO Records.

  • COLIN NIEL : DARWYNE. SORTILEGES DE LA FORET.

    colin niel, darwyne, éditions du rouergueOn connaît Colin Niel avec sa série de romans policiers se déroulant dans le département de la Guyane française en mettant en scène les enquêtes du capitaine Anato et dont le dernier récit, Sur Le Ciel Effondré (Rouergue Noir 2018) avait marqué critiques et lecteurs conquis par ce personnage central aux origines Noirs Marrons sortant de l'ordinaire. Mais Colin Niel s'est également distingué avec des romans noirs à l'instar de Seules Les Bêtes (Rouergue Noir 2017) superbement adapté au cinéma par Dominik Moll et Entre Fauves (Rouergue Noir 2020) dont l'intrigue se déroulait entre les Pyrénées et la Namibie. Outre le télescopage des destins qui anime ses intrigues, l'auteur prend soin d'évoquer, sans jamais être pesant, l'aspect de la thématique de l'écologie émergeant de textes nous entraînant dans des contrées méconnues. De retour en Guyane française, Colin Niel délaissera pourtant le capitane Anato pour nous inviter à découvrir Darwyne, un petit garçon à la personnalité ensorcelante qui semble faire communion avec la forêt environnante qui prend, un nouvelle fois, une place centrale dans ce récit aux accents fantastiques. 

     

    En Guyane française, le bidonville de Bois Sec gagne toujours un peu plus de terrain sur la forêt environnante. C'est donc à l'orée de cette jungle que vit Darwyne Massily, un jeune garçon de dix ans qui doit composer avec un handicap au niveau des pieds suscitant les moqueries de ses camarades qu'il évite soigneusement. Ainsi isolé, il se tourne vers sa mère Yolanda, une femme au caractère fort et d'une beauté à nulle autre pareille qui subjugue les hommes composant la longue liste de beaux-pères perturbant l'existence du jeune garçon en s'installant dans leur petit carbet. Le dernier en date est un colosse se prénommant Johnson qui n'hésite pas à malmener Darwyne. C'est ainsi que surgit Mathurine, une assistante sociale de la protection de l'enfance  à qui l'on a confié un signalement concernant le garçon. Elle succède à une collègue qui a définitivement quitté la région après une première évaluation dont les conclusions apportent davantage de questions que de réponses. 

     

    L'histoire s'articule autour de deux personnages que sont bien évidemment Darwyne qui recherche obstinément l'affection de sa mère Yolanda aussi belle que forte de caractère, mais paraissant éprouver quelques révulsions à l'égard de son fils. L'autre aspect de l'intrigue s'intéresse au parcours de Mathurine, cette femme célibataire qui souhaite avoir un enfant à tout prix en tentant des démarches auprès de médecins spécialisés dans le domaine de procréation assistée. Avec Mathurine c'est l'occasion de voir les difficultés des service sociaux en Guyane et plus particulièrement de la protection de l'enfance mise à mal par la multitude de dossiers en cours, ceci plus particulièrement dans les bidonvilles où la vie est particulièrement difficile comme le dépeint Colin Niel avec beaucoup de justesse par l'entremise de la relation ambivalente entre Yolanda et Darwyne qui survivent tant bien que mal dans leur petit carbet à proximité de la forêt. On apprécie cette écriture expressive mettant en relief le quotidien d'une population précaire en s'intéressant plus particulièrement à ce petit garçon attachant qui semble nouer un rapport complexe avec la forêt. Un endroit prenant, nous permettant de percevoir sa dimension toute particulière à mesure que l'on progresse dans un récit à la fois envoûtant et fantastique où l'auteur exploite d'une manière très mesurée l'aspect des contes et des traditions qui émane de la densité de cette forêt guyanaise devenant l’enjeu principal du roman. L'ensemble nous offre ainsi une intrigue intelligemment construite autour de personnages très réalistes qui vont évoluer dans un registre surprenant qui fonctionne pourtant parfaitement au terme d'un récit trop bref pouvant susciter quelques frustrations tant l'on a apprécié ce roman confirmant tout le talent de Colin Niel pour nous immerger dans des lieux à la beauté improbable qui nous font parfois frémir.

     

    Colin Niel : Darwyne. Editions du Rouergue/Noir 2022.

     

    A lire en écoutant : Démons de Angèle et Damso. Album : Nonante-Cinq La Suite. 2022 Angèle Vl Records.