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France - Page 16

  • FRANCOIS MEDELINE : L’ANGE ROUGE. ORCHIDEE FATALE.

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    Service de presse.

     

    A la lecture des romans de François Médéline on ne peut s’empêcher d’éprouver une espèce de perte de contrôle avec des récits intenses comme La Politique Du Tumulte (La manufacture de livres 2012) parfois étranges comme Les Rêves De Guerre (La manufacture de livres 2014) voire même déjantés à l’instar de Tuer Jupiter (La manufacture de livres 2018) mettant en scène l’assassinat du président Macron. Comme à l’accoutumée, avec une écriture vive et un style tranchant qui donne le vertige, le lecteur, malmené dans la fureur du récit, va retrouver cette sensation de perte de contrôle dans son dernier opus, L’Ange Rouge dont l’action se situe à Lyon en mettant en scène un groupe de la brigade criminelle de Lyon traquant un tueur en série dont la particularité consiste à peindre une orchidée sur le corps de ses victimes. Flics borderlines, serial killer, à l’image des livres d’Ellroy dont il revendique l’influence, François Médéline nous concocte une intrigue aussi trouble qu’insensée dont l’ambition va bien au-delà des standards d’un thriller à la trame usée jusqu’à la corde, pour nous livrer un ouvrage ambitieux qui oscille entre le roman noir et le polar procédural.

     

    Lyon 1998. Alors que la nuit tombe, on distingue un étrange radeau dérivant sur les flots sombre de la Saône. Eclairée de torches enflammées, on peut distinguer sur l’embarcation un corps mutilé sur lequel on a peint une orchidée avant de le placer sur une croix en bois. Elaborée, macabre, la mise en scène marque les esprits pour celui que l’on appelle désormais le crucifié de la Saône  devenant ainsi une affaire spectaculaire qui échoit au commandant Alain Dubak et à son groupe de la brigade criminelle. Pression hiérarchique et médiatique, le groupe livre désormais une course contre la montre en traquant un tueur déterminé et audacieux qui les contraindra à violer les toutes les procédures tout en mettant leur intégrité physique en danger. Ils risquent bien d’y perdre aussi la raison.

     

    Que l'on se le tienne pour dit, L'Ange Rouge va bien au-delà des stéréotypes du thriller avec cette sempiternelle confrontation entre un serial-killer forcément retord et un enquêteur borderline dont le passé tourmenté ressurgit à mesure de l'avancée de ses investigations. François Médéline bouscule donc les codes à la façon d'un James Ellroy en nous offrant un récit extrêmement bien calibré où l'on retrouve, plus que le style syncopé, répétitif qu'il emploie, une intrigue à la fois adroite et profonde avec cette sensation de folie et parfois même de génie qui fait forcément référence au maître du polar américain. Pavé nerveux de près de 500 pages de ce qui s'avère être une série à venir, L'Ange Rouge s'articule autour de l'ensemble d'un groupe de la criminelle dont les protagonistes sont soumis bien évidemment aux aléas des investigations qu'ils doivent mener collectivement mais également aux pressions de la hiérarchie et des instances judiciaires dont on découvre toutes les arcanes et les enjeux que François Médéline décline avec rigueur et précision sans que l'on éprouve cette lourdeur d'une exactitude outrancière des procédures policières avec à la clé un mariage réussi en fiction et réalisme qui comblera les lecteurs les plus exigeants. Même si l'on découvre l'ensemble des membres qui compose ce groupe de la brigade criminelle de Lyon, il va de soi que l'on va se focaliser sur deux enquêteurs atypiques que sont Alain Dubak, commandant dudit groupe secondé de Mamy, son adjointe inamovible de la vieille école qui se gave de sucreries et sait manier le tonfa avec dextérité lui permettant de "dialoguer" avec les prévenus les plus mutiques. Un duo détonant qui compose avec les autres membres du groupe ainsi que les services d'appuis de la police qu'ils soient scientifiques ou psychologiques qui vont intervenir dans cette enquête qui risque à tout moment de s'enliser dans les méandres des fausses pistes. Personnage central du récit, on appréciera ce commandant Dubak, forcément borderline, mais pas trop, qui oscille entre certitudes et doutes en le faisant parfois basculer du côté de "procédures" qui ne sont pas forcément conformes aux directives policières. Issu de la brigade des stupéfiants où il a été affecté trop longtemps en consommant les produits qu'il saisissait, Dubak est un homme blessé, fragile qui tente de se remettre de ses excès, même si la démarche se révèle plutôt difficile tant les tentations sont nombreuses. Mais cette fragilité devient une force avec cette capacité à se retrouver sur le seuil de la folie qui devient un atout dans le cadre de cette traque au tueur en série.

     

    Et puis avec L'Ange Rouge il y a cette ville de Lyon et sa région que l'on découvre au gré d'un récit qui fait la part belle aux particularismes de la cité que ce soit sur le plan géographique bien sûr, mais également avec la dimension sociale et politique nous permettant de nous glisser dans les méandres des milieux extrémistes qu'ils soient de droite ou de gauche mais également dans le monde estudiantin de l'art. Natif de la région, François Médéline nous immerge ainsi avec quelques petites touches bien équilibrées dans le cadre de cette capitale de la Gaule que l'on parcoure dans tous les sens au détour du charme de ses traboules mais également d'endroits plus glauques comme les égouts de la ville abritant quelques sympathisants anarchistes qui vont interférer dans le cours de l'enquête. On le voit, même s'il s'agit bien d'un roman policier on retrouve quelques thématiques politiques, chères à l'auteur, qui donnent encore plus d'ampleur à un récit qui n'en manquait pas.

     

    Cocktail explosif de talent et de folie, L'Ange Rouge, premier opus d'une série à venir, nous réconcilie définitivement avec les histoires de tueur en série au détour d'un récit énergique et fascinant en côtoyant des personnages hauts en couleur que l'on se réjouit déjà de retrouver.

     

    François Médéline : L’Ange rouge. La Manufacture de livres 2020.

     

    A lire en écoutant : People Ain’t No Good de Nick Cave. Album : The Boatman’s Call. 2011 Mute Records Ltd.

  • COLIN NIEL : ENTRE FAUVES. TABLEAU DE CHASSE.

    Capture d’écran 2020-10-14 à 18.50.17.pngOutre La Série Guyanaise qui a fait sa renommée avec les enquêtes passionnantes du capitaine de gendarmerie André Anato se déroulant dans le contexte lointain de ce département d’outre-mer, Colin Niel, loin de surfer sur le succès de cette série, trouve encore le moyen de nous séduire avec des romans noirs comme Seules Les Bêtes (Rouergue Noir 2017) dont l’adaptation au cinéma par Dominik Moll a connu un très grand succès. Jalonnant toute l’oeuvre du romancier, la nature et la faune, sont des thématiques omniprésentes qui prennent davantage de place dans un roman tel que Ce Qui Reste En Forêt (Rouergue Noir 2018) où l’on découvrait les enjeux des recherches scientifiques dans une station scientifique de la Guyane française. Avec Entre Fauves, Colin Niel reprend ces thèmes en abordant notamment tout l’aspect lié à la chasse et à ses abus, ainsi que les dérèglements climatiques qui bouleversent les habitudes d’une faune locale que ce soit dans les Pyrénées ou du côté de la Namibie, deux régions fascinantes où l’auteur nous entraîne dans un véritable chassé-croisé bourré de suspense.

     

    Garde au parc national des Pyrénées, Martin s’inquiète du devenir de Cannellito, le dernier ours de la région dont on n’a plus repéré de traces depuis de nombreux mois. Il est donc persuadé qu’un chasseur a abattu le plantigrade avant de camoufler la dépouille de l’animal afin de dissimuler son forfait. Mais outre ses activités professionnelles, Martin livre à la vindicte populaire les chasseurs d’animaux sauvages qui ont l’outrecuidance d’exposer leurs trophées sur les réseaux sociaux. C’est ainsi qu’il découvre cette jeune femme blonde qui s’exhibe, arc de chasse en main, aux cotés d’un lion qu’elle a abattu lors d’une battue en Namibie. Martin découvre rapidement l’identité de la jeune chasseuse, mais conserve curieusement ces données pour lui en ayant la ferme intention de châtier lui-même cette odieuse criminelle. Mais ce garde faune à l’assurance inamovible sait-il vraiment ce qu’il s’est produit lors de cette chasse en Namibie ?

     

    A l’instar de Martin, le garde faune, et Apolline, la chasseuse de lion, séjournant tous deux comme par hasard dans la même région des Pyrénées, il faudra avant tout faire fi des nombreuses congruences qui jalonnent un récit au rythme palpitant s’articulant autour de deux traques, dont l’une se déroule dans les Pyrénées tandis que l’autre prend pour cadre, une région sauvage de la Namibie, A partir de cette technique narrative, Colin Niel met en place deux intrigues parallèles implacables qui vont trouver leur aboutissement lors d’une confrontation palpitante se déroulant dans la nature sauvage d’un parc des Pyrénées alors que partisans et opposants à la chasse vont se retrouver dans des situations paradoxales assez tragiques faisant ainsi en sorte de s’éloigner du simple plaidoyer anti-chasse dans lequel l’auteur aurait pu se fourvoyer. Autour de ces paradoxes, que ce soit celui de Martin l’opposant à la chasse qui se met à traquer un gibier bien particulier ou Kondjima, le jeune namibien, qui veut abattre un lion pour protéger les habitants du village et séduire la belle Karieterwa dont il est amoureux et qui va payer chèrement son audace, Colin Niel fait en sorte que le thème de la chasse qu’il aborde avec intelligence se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît. Autour de ces trois personnages centraux dont on aborde tour à tour les points de vue, on découvre ainsi les motivations qui les poussent à agir en les menant invariablement vers un point du rupture tragique qui ne manquera pas de secouer les lecteurs. Avec une succession d’événements se révélant bien plus surprenants que ce à quoi on pouvait s’attendre  l’auteur aborde également avec une belle maîtrise toutes les conséquences des dérèglements climatiques qui sont l’autre thème majeur du récit. Il en résulte ainsi un récit sous tension permanente qui décline subtilement les enjeux parfois contradictoires opposant autochtones et faunes locales dont on mesure toute la difficulté à cohabiter ensemble, ceci aussi bien dans les Pyrénées que dans les lointaines contrées d'Afrique.

     

    Au détour d’une double intrigue captivante, Colin Niel nous offre avec Entre Fauves un roman maîtrisé évoquant avec une belle intelligence toutes les conséquences d’une cohabitation difficile avec une nature dont on ne respecte plus les aléas qui nous dépassent tout en impactant la faune qui nous entoure. Un récit pertinent et efficace.

     

    Colin Niel : Entre Fauves. Editions du Rouergue Noir 2020.

     

    A lire en écoutant : Tableau de Chasse de Claire Diterzi. Album : Tableau de Chasse. 2008 Naïve.

  • COLIN NIEL : SUR LE CIEL EFFONDRE. LEGENDES PERDUES.

    sur le ciel effondré, Colin Niel, éditions du rouergue, série guyanaiseAu-delà du recueil composé de trois romans, La Série Guyanaise de Colin Niel poursuit son cours avec un quatrième volume nous permettant de retrouver le capitaine de gendarmerie André Anato en nous immergeant dans les profondeurs de la forêt guyanaise pour découvrir le territoire des Wayanas, peuple amérindien se détachant peu à peu de ses traditions au contact des garimperos et des évangélistes qui prolifèrent dans la région. Il faut noter que chacun des titres de cette série emblématique se rattache au thème abordé comme c’était le cas avec Les Hamacs De Carton qui faisait allusion à ces dossiers suspendus contenant les dossiers de centaines de citoyens guyanais souhaitant obtenir une naturalisation devenant de plus en plus hypothétique à mesure des aléas et exigences de l’administration française. Second volume de la série, Ce Qui Reste En Forêt  provenait de l’expression « ce qui se passe en forêt, reste en forêt » en se focalisant sur une petite communauté de scientifiques stationnée au coeur de la jungle guyanaise. Obia faisait tout simplement référence aux traditions du chamanisme du peuple Noir-Marron qui affectait particulièrement le capitaine Anato. Dernier roman de la série, Sur Le Ciel Effondré s’inscrit dans la légende poétique désignant le peuple Wayanas désormais démuni de toute magie et n’ayant plus d’accès aux cieux après avoir offensé leur dieu Kuyuli.

     

    L’adjudante Angélique Blakaman fait la fierté du corps de gendarmerie après sa conduite héroïque lors d’un attentat en métropole qui lui a laissé des stigmates sur son visage. Ces hauts faits lui ont permis de revenir au Haut-Maroni en Guyane, en obtenant un poste à Maripasoula, ville de son enfance. Mais le retour au pays est difficile avec le regard de sa mère qui ne la comprend plus et son frère paraissant refuser tout contact. Et il faut bien l’avouer, la ville a drastiquement changé en subissant l’influence du voisinage des villes sauvages du Suriname où pullule commerce chinois, bordels et dancings pour assouvir les besoins des garimperos revenant de leurs exploitations aurifères. Mais au-delà de ces derniers sursauts urbains s’ouvre l’immensité de la forêt et de la région de Tumuc-Humac où vivent les Wayanas, peuple amérindien subissant l’arrivée de cette civilisation débridée. Blakaman côtoie bon nombre de ces Wayanas dont Tapwili Maloko, une des figures du village qui sollicite son aide afin de retrouver son fils disparu. Faisant fi des restrictions de sa hiérarchie, l’adjudante Blakaman va demander l’appui du capitaine Anato, un Noir-Marron tout comme elle qui a fort à faire avec une bande de cambrioleurs écumant la région de Cayenne.

     

    Après avoir cherché les fondements de ses origines, le personnage du captaine André Anato évolue en intégrant désormais la culture Ndjuka et tout ce qui a trait à l’obia afin de lutter contre l’ensorcellement dont il a été victime. Paradoxalement, il faut bien admettre que ce protagoniste central de la série, semble plus en retrait dans cette intrigue qui se braque davantage sur l’adjudante Angélique Blakaman dont le profil se révèle extrêmement détonant avec notamment ses liens qu’elle entretient avec le peuple Wayanas dont on découvre par son entremise tout l’aspect culturel qui semble sur le déclin en dépit de tous les efforts de Tapwili Maloko, un amérindien qui s’ingénie à entretenir les traditions de son peuple dont certains membres se convertissent pourtant à la religion des évangélistes qui écument la région en quête de nouveaux fidèles. L’autre aspect du contexte social du peuple Wayanas se focalise autour du mal-être des jeunes avec une propension au suicide qui devient l’unique perspective face à un avenir incertain. Autour de ces malaises, Colin Niel, bâtit comme à l’accoutumée une intrigue à tiroir assez complexe qui tourne autour d’un trafic d’influence sur les mines d’or, une série de cambriolages qu’un trio de délinquants violents commet en séquestrant leurs propriétaires et la disparition du jeune Tipoy, le fils de Tapwili, que l’adjudant Blakaman s’est mise en tête de retrouver, même si son pères n'a plus aucun espoir de le revoir vivant.

     

    Sur Le Ciel Effondré a la particularité d’être un polar qui se déroule au rythme lent d’une intrigue qui prend l’allure des légendes Wayanas ponctuant les trois parties du roman. Au-delà des éclats de violence qui marquent le récit, iI émane de l’ensemble une sensation poétique assez sombre se déclinant sur le fond du décor évocateur de cette épaisse forêt équatoriale et de la langueur de ce fleuve boueux chargé d’or et d’alluvions transperçant cette région boisée de part en part. L’autre aspect du décor ce sont les sites urbains, tels que les cités dans les environs de Cayenne où l’on prend la mesure de la misère qui y règne, sans pourtant que Colin Niel ne cède au misérabilisme. C’est toute cette déclinaison de problèmes sociaux qui frappent cette région de la Guyane que l’auteur dépeint autour d’une intrigue policière à la fois réaliste et exotique qui prenant son temps pour s’installer afin d’en livrer tous ses ressorts qui se révéleront plutôt surprenants.

     

    Alliant les différentes cultures de ce département d’outre-mer, Sur Le Ciel Effondré confirme le talent de Colin Niel qui réussit à concilier l’exotisme d’une région envoûtante à la complexité d’une enquête intense révélant les maux mais également l’espoir que recèlent ce territoire guyanais à nul autre pareil.

     

    Colin Niel : Sur Le Ciel Effondré. Editions du Rouergue Noir 2018.

    A lire en écoutant : Minha Selva de Bernard Lavilliers. Album : Champs du possible. 1994 Barclay.

  • Cabanes/Manchette : Nada. Révolution manquée.

    Capture d’écran 2020-08-31 à 20.35.43.pngEntre les éditions originales, les réimpressions, les rééditions dans d'autres collections, les recueils et les adaptations BD, on ne compte plus le nombre d'illustrations ou photos qui ont orné les romans de Jean-Patrick Manchette. Il faut bien l'avouer beaucoup d'entre elles sont assez médiocres à l'exception des adaptations BD et plus particulièrement la couverture du dessinateur Max Cabanes pour Nada qu'il a adapté avec Doug Headline qui n'est autre que le fils de Jean-Patrick Manchette. On y voit cette femme, les yeux fermés, exhalant la fumée de la cigarette qu'elle tient entre ses doigts. Il s'agit de Veronique Cash l'une des membres d'un groupuscule d'extrême-gauche composé d'amateurs qui s'est mis en tête de kidnapper l'ambassadeur des Etats-Unis, stationné à Paris. On y perçoit ce qui fait la quintessence de l'œuvre de Manchette que sont l'élégance, la désinvolture, la séduction et le danger omniprésent qui précède les éclats de violence marquant ce récit politique d'un auteur résolument engagé à une époque où les groupuscules révolutionnaires sévissaient dans le contexte des années de plomb.

     

    On ne s'est pas encore vraiment remis des lendemains désenchantés de mai 68 et l'heure est à la lutte armée comme le décrète ces six paumés composant le groupe Nada qui ne trouvent rien de mieux que d'enlever l'ambassadeur des Etats-Unis en goguette dans une maison close de Paris. Contre toute attente, les révolutionnaires amateurs parviennent à leur fin, même si l'opération tourne au vinaigre avec une fusillade laissant plusieurs membres des forces de l'ordre sur le carreau. Désormais sur la sellette, le ministre de l'intérieur est bien décidé à neutraliser les membres du groupuscule et laisse donc carte blanche au commissaire Goémond pour faire le ménage. Un nettoyage définitif qui va virer au carnage au bout duquel il ne restera "nada".

     

    Publié en 1972, Nada s'inscrit dans le contexte particulier de la stratégie de la tension qui sévissait dans toute l'Europe et plus particulièrement en Italie et en Allemagne avec des mouvements d'extrême gauche entrés dans la clandestinité afin d'entamer une lutte armée à l'instar de la Fraction armée rouge ou des Brigade rouges. "Le terrorisme gauchiste et le terrorisme étatique, quoique que leurs mobiles soient incomparables, sont les deux mâchoires du même piège à con.» fait partie de ces phrases cinglantes qui caractérisent le style de Manchette en résumant parfaitement le thème abordé dans un roman qui met en scène un groupe d’amateurs se lançant dans un projet d’enlèvement d’un diplomate américain sans que l’on ne connaisse la raison de leurs actes. On découvre ainsi six individus aux profils différents, plutôt pathétiques qui s’engouffrent dans un cycle de violence qui prend de plus en plus d’ampleur à la mesure de la réponse des institutions étatiques et des forces de police qui répliquent dans un déferlement de violence qui dépasse l’ensemble des protagonistes.

     

    Dans cette excellente adaptation du roman, il faut saluer l'énergie du trait de Cabanes qui restitue parfaitement cette période dynamique des années 70  et plus particulièrement les fusillades qui jalonnent le récit. On reste particulièrement fasciné par la prise d'assaut des forces de l'ordre qui encerclent le corps de ferme dans lequel s'est réfugié le groupe Nada. Une mise en image sublime de cette escalade de la violence qui devient incontrôlable avec la confrontation entre Véronique Cash et le commissaire Goémond qui vire à l'exécution pure et simple en nous donnant une idée de cette raison d'état qui autoriserait les pires exactions. Trench coat pour André Epaulard, gilet de berger pour Buenaventura Diaz, pantalon "patte d'éph" pour Véronique Cash, on apprécie le look des séventies des personnages ainsi que les voitures de l'époque que Cabanes restitue avec cette précision qui rend hommage aux descriptions très méticuleuses sur lesquels s'attardaient Manchette, notamment pour ce qui à trait aux véhicules et aux armes utilisés par les protagonistes du récit.

     

    Incarnation du schéma béhavioriste, cher à l'auteur, Nada est une superbe adaptation d'un récit cinglant qui s'inscrit dans l'air du temps d'une époque tragique où la violence devient l'unique échappatoire d'un groupuscule qui n'est plus en mesure de contrôler les conséquences des actes qu'ils ont déclenchés. Un album somptueux.

     

    Max Cabanes/Jean-Patrick Manchette : Nada. Dupuis/Aire Libre 2018.

    A lire en écoutant : Route 66 : Chuck Berry. Album : Blues. 2003 Geffen Records.

  • LAURENT PETITMANGIN : CE QU’IL FAUT DE NUIT. PERE ET FILS.

    Capture d’écran 2020-08-27 à 21.06.47.pngImmuable, la rentrée littéraire demeure toujours aussi impressionnante avec sa cohorte d’ouvrages déferlant sur les étals des librairies, avec des romanciers qui se détachent déjà du lot et sur lesquels on a tout misé afin de s’assurer le succès et s’extraire de la masse de livres qui peineront à trouver une petite place dans les rayonnages ou dans l’espace médiatique. Une nuée de romans qui sortent en même temps et des choix cornéliens pour une espèce de vente à la criée, le monde littéraire entre ainsi en pleine effervescence, en pleine hystérie à laquelle  tout le monde participent, auteurs, lecteurs, éditeurs, libraires et médias qui entament une sorte de sarabande déchaînée devenant assourdissante. On peut tout de même se réjouir de cette frénésie avec des lecteurs qui semblent avoir retrouvé le chemin des librairies pour se réapprovisionner en lecture au grand soulagement de toute la chaîne du livre qui respire enfin un peu. Et puisqu’il faut faire des choix pour amorcer cette rentrée littéraire autant sélectionner une maison d’éditions indépendante comme La Manufacture de Livres qui publie Ce Qu’il Faut De Nuit, un premier roman de Laurent Petitmangin évoquant sur moins de 200 pages la relation d’un père et de ses fils sur fond de désenchantement social, de montée de l’extrémisme et de déceptions diffuses qui laminent les coeurs. 

     

    Il est monteur de câbles à la SNCF et milite toujours au sein de sa section socialiste. Il élève seul ses deux enfant depuis que la Moman est décédée d’un cancer, après une longue agonie de trois ans. Il a encaissé le choc du mieux qu’il a pu. Mais il faut bien admettre que c’est Fus, son fils aîné qui a comblé le manque en s’occupant du Gillou, le cadet. Il observe ses enfants grandir, les rêves qui se dissolvent ou qui se concrétisent. Le football pour Fus ? les études pour Gillou ? Il voit ses deux fils devenir des hommes mais qui restent ses enfants. Une histoire d’amour qui se désagrègent avec les déceptions d’un père qui ne comprend pas. La rancoeur et le silence, un peu de lâcheté. Il voit le drame qui se dessine et les convictions qui s’effritent. Désemparé, il témoigne en parlant surtout d’amour et de ses petits riens qui changent toute une vie.

     

    Dans la brièveté du roman, on est avant tout fasciné par la capacité de Laurent Petitmangin à dresser un état des lieux complet du pays à travers la voix d’un père racontant à la première personne toute l’histoire d’un drame qui prend racine au sein de la cellule familiale qu’il forme avec ses deux fils qu’il doit élever seul. Tout en retenue, tout en pudeur, ce père nous raconte le quotidien d’une vie du côté de la Lorraine en évoquant la maladie de sa femme, le foot bien sûr, mais également la déliquescence du parti Socialiste et la séduction du Front, les écueils pour trouver un emploi dans la région, l’avenir dans les études et les formations, mais surtout l’amour qu’il porte pour ses deux enfants. Parce qu’il y a cette retenue, parce qu’il y a cette pudeur, le texte n’en est que plus poignant et regorge d’une émotion contenue que l’on appréciera jusqu’à l’épilogue bouleversant qui marquera le lecteur. C’est à partir du choix que va faire l’un de se fils que se dessine le drame sur font d’appartenance au Front et de rejet d’un père militant à gauche qui ne pourrait tolérer ce qui lui apparaît comme un affront. Et bien au-delà du conflit qui s’amorce il y a le silence et les petites lâchetés d’un homme qui ne s’épargne pas lorsqu’il évoque son comportement. On apprécie donc cette espèce de retrospective pleine d’honnêteté qui transparaît à chaque étape des circonstances de ce petit rien qui va faire basculer le destin de toute une famille et puis en écho, cette lettre d’un fils s’adressant à son père en lui témoignant tout l’amour qu’il porte en lui.

     

    Sans grandiloquence, sans scène larmoyante, Ce Qu’il Faut De Nuit est un roman qui vous foudroie dans la sobriété de mots simples qui parlent d’amour. Un récit lumineux dans la noirceur d’un fait divers qu'il faut lire impérativement.

     

    Laurent Petitmangin : Ce Qu’il Faut De Nuit. Editions La Manufacture de Livres 2020.

    A lire en écoutant : Le Faquir d’Abu Al Malik. Album : Dante. 2008 Barclay.