Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

LES AUTEURS PAR PAYS - Page 33

  • SANDRINE COHEN : ROSINE UNE CRIMINELLE ORDINAIRE. AU-DELA DES APPARENCES.

    Sandrine cohen, rosine une criminelle ordinaire, éditions du caïmanChroniqueur spécialiste du roman noir et policier, traducteur et écrivain, Maurice-Bernard Endrèbe a fondé en 1948 le Grand Prix de Littérature Policière qu'il a présidé jusqu'à sa mort en 2005. Dans le domaine, il s'agit de l'une des grandes références célébrant le genre qui se distingue par l'impressionnante liste des récipiendaires à l'instar de Manchette, Frédéric Dard, Léo Malet, Tito Topin, Patricia Highsmith, Giorgio Sabernenco, Elmore Leonard, Hervé Le Corre, James Sallis et Ron Rash pour n'en citer que quelques uns. Mais loin d'enfoncer des portes ouvertes, le Grand Prix de Littérature Policière célèbre des auteurs méconnus en contribuant ainsi à une reconnaissance du public comme il le démontre pour l'édition 2021 où il distingue pour la catégorie étrangère, L'Eau Rouge, premier roman policier croate traduit en français de Jurica Pavičić et pour la catégorie française, Rosine Une Criminelle Ordinaire de la primo-romancière Sandrine Cohen qui connaît un succès impressionnant avec des ruptures de stock régulières lors des dédicaces dans les différents salons du polar où elle est présente, à l'exemple de Toulouse Polars du Sud.

     

    Il y a la routine, le quotidien d'une femme ordinaire qui bascule soudainement sans que l'on ne comprenne ce qui a poussé Rosine Delsaux, mère aimante et amie admirable, à noyer ses deux petites filles lors du bain. La dynamique du fait divers se met alors en place avec une femme meurtrie ne contestant pas le double homicide qu'elle a commis. En prison, elle se mure dans le silence et la culpabilité en laissant un mari désemparé et un père rongé par la colère. Mais après l'enquête de police établissant sans aucun doute la culpabilité de la mère de famille, c'est au tour de la justice d'entrer en action avec Clélia Rivoire, enquêtrice de personnalité auprès des tribunaux qui doit déterminer les raisons pour lesquelles Rosine a commis un tel acte. Investigatrice sensible, à fleur de peau, Clélia va s'immiscer dans l'intimité de la famille afin de déterrer les traumatismes et les secrets d'hommes et de femmes accablés par les événements et qui peinent à se confier.

     

    Avec l'obtention d'un tel prix, c'est également l'occasion de mettre en lumière les éditions du Caïman, une petite maison stéphanoise indépendante qui publie de la littérature noire depuis plus de dix ans en se consacrant exclusivement aux auteurs francophones. Mais pour en revenir à l'ouvrage de Sandrine Cohen, on saluera tout d'abord le fait que le récit soit résolument orienté sur les codes du roman noir en se concentrant sur les raisons qui ont poussé une mère de famille ordinaire à commettre un double infanticide. Le crime se suffisant à lui-même dans le domaine du sordide, on appréciera également le fait que la romancière ne s'étale pas trop sur le déroulement des événements aussi terribles soient-ils et préfère jeter un voile de pudeur sur l'atrocité du crime pour se concentrer sur la personnalité des personnages et plus particulièrement de Rosine, bien évidemment, mais également de Clélia Rivoire qui va tenter de décortiquer les aspects sous-jacents de ce fait divers, ceci pour le compte de la justice qui doit juger cette meurtrière. A certains égards, les deux femmes présentent quelques similarités dont des secrets enfouis qui ont altéré leur trajectoire respective. Pour Rosine, on devine quelques secrets de famille que Clélia Rivoire va devoir déterrer envers et contre tout avec l'aide du juge d'instruction Isaac Delcourt qui apparaît comme son mentor, protecteur et père de substitution, mais également avec l'appui de l'inspecteur Samuel Varda chargé de l'enquête policière et dont l'interaction parfois acide avec la jeune enquêtrice auprès des tribunaux apporte un certain dynamisme au récit. Pour ce qui est de Clélia, le lecteur devra patienter pour entrevoir les failles qui entourent ce personnage à fleur de peau, ce qui est regrettable. On aurait aimé mettre en perspective le drame qui a touché cette femme à la fois forte et sensible avec les éléments qu'elle met à jour au gré de ses investigations dans l'entourage de Rosine. Néanmoins, Sandrine Cohen, comme bon nombre d'auteurs, a choisi d'opter pour une arche narrative entourant son personnage central que l'on retrouvera sans nul doute dans un prochain roman et dont on découvrira quelques éléments saillants de sa trajectoire auquel la romancière fait allusion.

     

    La particularité de Rosine Une Criminelle Ordinaire est de se concentrer sur l'aspect judiciaire du crime avec un enjeu central qui tourne autour du jugement et de la sanction en fonction des circonstances que l'on va découvrir peu à peu au cours du récit. Ainsi, la dernière partie de l'intrigue se focalise sur la joute oratoire entre la plaidoirie de l'avocate de Rosine et le réquisitoire du procureur chargé de l'accusation avec une atmosphère chargée de suspense qui relègue malheureusement Clélia Rivoire au second plan ce qui déséquilibre quelque peu la dynamique du récit sans pour autant gâcher l'ensemble d'un roman explorant avec sensibilité les contours d'un fait divers terrible qui va bouleverser l'ensemble d'une famille moins ordinaire qu'elle ne le laisse paraître.

     

    Sandrine Cohen : Rosine Une Criminelle Ordinaire. Editions du Caïman 2021

    A lire en écoutant : If de Bernard Lavilliers. Album : If. 1988 Barclay.

  • KATE REED PETTY : TRUE STORY. OBJET DU DESIR.


    Capture d’écran 2021-11-21 à 17.36.22.png"Faits alternatifs", c'est dès l'investiture du président Trump que l'on a commencé à entrevoir les étranges rapports que l'on pouvait avoir avec la vérité qui se sont concrétisés avec le fameux "fake news", injonctions tonitruantes pour imposer son propre point du vue imprégné d'une certaine forme de déni pathologique. C'est également sous cette législature qu'a émergé cette terrifiante culture du viol sévissant notamment sur les campus universitaires, ceci d'ailleurs bien avant l'avénement trumpien. Muri durant une décennie et rédigé sur l'espace de cinq ans, on ne s'étonnera donc pas, dans un tel contexte, que True Story, premier roman de Kate Reed Petty, empoigne de manière assez magistrale ces deux sujets délicats où la vérité se dilue dans les méandres tumultueux de la rumeur d'un viol lors d'une soirée de lycéens qui embrase finalement l'ensemble de la communauté d'une petite ville typique des Etats-Unis. Vivant à Baltimore dans le Maryland et diplômée de l'université de Saint Andrew en Ecosse, on ne sait pas grand chose de Kate Reed Petty qui livre sur son site l'intégralité de ses nouvelles ainsi que les références d'une bande dessinée dont elle est la scénariste. Mais on s'intéressera davantage aux trois vidéos qu'elle a réalisées où l'on découvre sur l'écran d'un ordinateur l'élaboration de mails et des échanges ou commentaires qui s'ensuivent en nous donnant ainsi quelques clés quant à la mise en oeuvre d'un roman tel que True Story avec son style protéiforme si particulier.

     

    Du côté de Barcelone, où Alice Lovett s'est retirée, l'histoire débute par ce rendez-vous manqué avec sa meilleure amie Haley Moreland qu'elle ne peut se résoudre à revoir. Il y a cette résurgence du passé qui la hante, cette soirée de l'été 1989 qui a dérapé avec deux adolescents ivres balançant cette terrible rumeur gangrenant toute la localité. Que s'est-il passé sur la banquette arrière de la voiture, alors qu'ils ramenaient Alice à la maison ? Elle n'en garde aucun souvenir. Pourtant, de la rumeur jaillissent accusations, dénis et faux-semblants s'enchaînant dans un tourbillon incontrôlable qui va marquer la jeune fille à tout jamais. Par le prisme de son point de vue, chacun façonne ses propres certitudes qui rejaillissent dans le présent. Mais qui détient la vérité et existe-t-il un moyen de réparer les erreurs du passé ? C'est autour du parcours des différents protagonistes que l'on pourra peut-être extraire de la rumeur l'indicible réalité qui se dilue dans le jugement des autres. De confrontations tendues en épreuves angoissantes, tous vont apporter leur pièce du puzzle que forme l'ensemble de cette histoire vraie. 

     

    True Story se présente sous la forme d'un impressionnant kaléidoscope narratif qui met en exergue la confusion émanant des rumeurs d'un viol dont la victime, Alice Lowett, ne conserve aucun souvenir, tandis que les auteurs, Richard Roth et Max Platt, nient toute implication dans une agression sexuelle à l'encontre de celle qu'ils prétendent avoir tout simplement ramené à la maison. Dénis, confusions, doutes, l'ensemble de l'intrigue se focalise donc sur les incertitudes d'un tel événement qui va bouleverser la destinée d'un quatuor de personnages impliqués de près ou de loin dans cette tragédie d'adolescents qui vont apporter chacun à leur manière un éclairage plus ou moins biaisé des événements. Ainsi, au gré des récits à la première, deuxième et troisième personne, des échanges de mails, des brouillons d'une lettre de motivation, des extraits des enregistrements d'un dictaphone et des scénarios ponctuant le roman, on saluera l'impressionnant travail de traduction de Jacques Mailhos qui parvient à restituer le cadre et l'atmosphère confusionnel se dégageant des différentes trajectoires des protagonistes du roman. Plus que des effets de style, ces formes de narrations multiples soulignent les points de vue des individus cantonnant dans leurs certitudes respectives à l'instar de Nick Brothers qui dépeint, l'air de rien, tout les mécanismes de la culture du viol et du déni qui en résulte par le prisme des soirées qu'il organise avec son équipe de champions, sur la base de thèmes graveleux qui ramènent les filles au rang d'objets, ceci sous le regard complaisant de leur coach qui n'a rien contre les bizutages dont les membres de l'équipe sont tous victimes. A l'opposé, on découvrira le militantisme de Haley Moreland, amie de la victime, qui aspire à dénoncer les faits à tout prix par le biais d'un documentaire, ceci afin de lutter contre cet état d'esprit dont elle est témoin et qui la révolte. Mais au delà du doute qui émane en permanence de l'intrigue, Kate Reed Petty souligne également le déni, ou plutôt la culture du silence du corps enseignant dont on prend la pleine mesure avec les différentes versions de la lettre de motivation d'Alice Lowett pour l'université, ponctuées des corrections de sa professeure l'invitant, de manière sous-jacente, à taire son expérience du viol dont elle a été victime, avec une version définitive expurgée qui ne fait qu'accentuer l'aspect poignant du récit.

     

    Sans jamais forcer la dose, les différents aspects narratifs originaux de True Story soulignent ainsi l'incertitude de la vérité au gré d'un récit abordant à la fois avec intelligence et subtilité les aspects troubles des rapports entre adolescents, du drame qui en découle et de l'impact sur le cours de leurs existences respectives que Kate Reed Petty décline avec force de maîtrise et de virtuosité.

     

    Kate Reed Petty : True Story (True Story). Editions Gallmeister 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jacques Mailhos.

    A lire en écoutant : This Mess, We're In de PJ Harvey (feat. Thom Yorke). Album : Stories from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.  

  • Michèle Pedinielli : Boccanera. Salade niçoise.

    Capture.PNGOn ne peut pas tout lire. Un fait indéniable qui prend parfois la forme d'une frustration avec cette sensation détestable de passer à côté d'ouvrages formidables à l'instar des romans policiers de Michèle Pedinielli qui met en scène, depuis trois ans, la détective privée Ghjulia (il faut prononcer Dioulia) Boccanera officiant dans la région de la Côte d'Azur et plus particulièrement à Nice que la romancière célèbre avec la poésie du mot juste comme Nougaro savait chanter Toulouse. Journaliste de formation, Michèle Pedinielli a exercé le métier durant une quinzaine d'années à Paris avant de retourner à Nice, sa ville natale, afin de se consacrer à l'écriture. Récipiendaire en 2015 du troisième prix du concours de nouvelles Thierry Jonquet, l'une des récompenses du festival Toulouse Polar du Sud, Michèle Pedinielli publie en 2018 Boccanera pour les éditions de l'Aube, collection Aube Noire, premier opus d'une série comptant désormais trois romans engagés qui mettent en exergue les turpitudes des puissants à l'égard des personnes défavorisées ou discriminées quand ce ne sont pas tout simplement les deux. Quinquagénaire à la forte personnalité, mélange savant d'origines corses et italiennes, toute vêtue de noire, Ghjulia Boccanera emprunte beaucoup de traits de caractère à la romancière en évoluant dans le dédale des ruelles du vieux Nice, recelant toute une mosaïque de personnages à la fois attachants et hauts en couleur et qu'elle dépeint avec une affection assaisonnée d'une pointe d'humour corsé comme le café noir que son héroïne ingurgite à longueur de journée afin d'entretenir ses insomnies.

     

    Ghjulia Boccanera tout le monde la surnomme Diou dans le vieux Nice où elle vit en travaillant comme détective privée. Un métier qui convient parfaitement à cette cinquantenaire insomniaque, indépendante et forte en gueule qui a décidé de ne pas avoir d'enfant par conviction. C'est Dan, son colocataire qui lui fournit parfois des clients, comme Dorian Lasalle qui veut que l'on fasse la lumière sur la mort de son compagnon Mauro Giannini, que l'on a retrouvé étranglé dans son appartement. Pour la police, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un jeu érotique qui a mal tourné. Affaire classée, circulez, il n'y a rien à voir. Mais Dorian est persuadé que son compagnon ne l'aurait jamais trompé et qu'il ne se serait jamais adonné à de telles pratiques. Désormais mandatée par le jeune homme, Diou va tenter d'éclaircir les circonstances de ce crime qui prend une toute autre tournure, lorsqu'elle apprend le décès de son commanditaire qui a également été étranglé après avoir été torturé. Sillonnant une ville en chantier, la détective privée, chaussée de ses Doc Martens, va donner un grand coup de pieds dans la fourmilière pour bousculer l'ordre établi afin de résoudre ces deux meurtres. Ce d'autant plus que le tueur a décidé de s'en prendre à elle.

     

    Sans jamais rien céder au cliché bon marché ou au folklore de pacotille, Michèle Pedinielli restitue l'atmosphère pittoresque de cette belle ville de Nice autour du microcosme composant l'entourage de Ghjiulia "Diou" Boccanera, cette détective mémorable et captivante qui balance son ironie saignante comme Philip Marlowe enquillait les verres de Four Roses. On retrouve d'ailleurs chez Diou cette indépendance et cette décontraction qui caractérisait la personnalité du célèbre détective de Raymond Chandler. Mais loin d'être solitaire, on apprécie la belle déclinaison de personnages qui gravitent autour de cette enquêtrice à l'instar de son colocataire Dan, qui semble tout connaître de l'activité nocturne de la cité, de son ex compagnon Joseph "Jo" Santucci, flic de son état, auquel elle est toujours attachée, de Monsieur Amédée Bertolino, son voisin gâteux qui va se révéler d'un grand secours ou de tout le staff qui compose le café Aux Travailleurs où Diou a ses habitudes. Au niveau de l'enquête on part sur un schéma à la fois classique et solide autour d'une succession de meurtres et autres tentatives qui conduisent notre détective à investiguer auprès des entreprises de construction qui s'attellent à la mise en oeuvre du tramway, du percement d'un tunnel et de l'effondrement d'un mur de soutènement un soir d'orage. Un prétexte efficace pour mettre à jour les dérives dans ce milieu et dont on prend la pleine mesure par l'entremise de Shérif, un syndicaliste bedonnant mais perspicace qui va servir de guide pour notre détective privée. Une partie tellement réaliste que l'on se demande si Michèle Pedinielli ne s'est pas inspirée de faits réels qui auraient défrayé la chronique. On trouve d'ailleurs un article évoquant un effondrement du tunnel qui s'est produit au mois de juillet 2017. Quoi qu'il en soit on ne peut qu'apprécier ce polar dynamique et efficace qui nous entraine dans les différents quartiers de la ville à la rencontre de tout un panel de protagonistes détonants qui mettent en valeur, au gré d'échanges tonitruants, cette détective privée atypique que l'on se réjouit de retrouver dans Après Les Chiens (Aube noire 2019) et La Patience de L'Immortelle (Aube noire 2021), qui font suite ce premier opus très réussi.  

     

     

    Michèle Pedinielli : Boccanera. Editions de l'Aube. Collection Aube Noire 2021.

    A lire en écoutant : Good Fortune de PJ Harvey. Album : Storie from the City, Stories from the Sea. 2000 Universal Island Records Ltd.

     

  • MARIE-CHRISTINE HORN : DANS L'ETANG DE FEU ET DE SOUFFRE. RETOUR DE FLAMME.

    Capture.PNGApparaissant en 1936, par l'entremise de la plume de Friedrich Glauser, l'inspecteur Studer devient l'ancêtre des enquêteurs de la littérature noire helvétique et obtient un succès retentissant avec des investigations criminelles qui mettent en exergue les défaillances d'une société opulente. Il faudra attendre un certain temps pour qu'apparaisse en Suisse romande un personnage similaire. C'est en 1995 que Michel Bory publie Le Barbare Et Les Jonquilles mettant en scène la première enquête de l'inspecteur Perrin qui officie dans le canton de Vaud, du côté de Lausanne et dont les investigations se déclineront sur une série de 13 romans que BSN Press a eu la bonne idée de rassembler en un seul volume. Du côté de Genève, Corinne Jaquet publie en 1997 Le Pendu De La Treille (La collection du chien jaune 2017), début d'une déclinaison de huit romans mettant en valeur les différents quartiers de la cité de Calvin avec un duo d'enquêteur atypique que sont la journaliste Alix Beauchamps et le commissaire Simon. Dans un registre similaire, l'inspecteur Charles Rouzier, travaillant à la sûreté de Lausanne, apparaît en 2006 dans La Piqûre (L'Age d'Homme 2017), premier roman policier de Marie-Christine Horn, en endossant un rôle plutôt secondaire dans une affaire mettant en lumière les affres de la migration et l'intégration au sein de la société helvétique. Son rôle prend plus d'importance avec Tout Ce Qui Est Rouge (L'Age d'Homme 2015), second opus de la série, dont l'intrigue se déroule au sein d'une unité carcérale psychiatrique où les patients s'adonnent à l'art brut à des fins thérapeutiques. Dans L'Etang De Feu Et De Souffre, on retrouve donc l'inspecteur Rouzier qui va mener une enquête dans le canton de Fribourg, en dehors de son cadre de juridiction, sur une étrange affaire de meurtre, mettant en cause le fiancé de sa fille Valérie.

     

    Tout le monde est bouleversé au village depuis que l'on a appris la mort de Marcel Tinguely dans d'étranges circonstances. On raconte qu'à l'exception des mains, des pieds et de la tête, son corps a complètement disparu. Pour le Dr Laurence Kleber, médecin légiste à Fribourg, il peut s'agir d'un phénomène très rare de combustion humaine. Mais pour l'inspecteur Georges Dubas, de la police de sûreté de Fribourg, il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'un meurtre. Il tient même un suspect en la personne de Fabien, fils de la victime, ceci au grand désarroi de sa compagne, Valérie qui n'a pas d'autre choix que de faire appel à son père Charles Rouzier, inspecteur de police à Lausanne. Une occasion pour ce père, qui a davantage privilégié sa carrière que sa famille, de renouer avec sa fille, qu'il n'a plus revue depuis bien longtemps, au risque de provoquer une guéguerre de juridictions entre la police lausannoise et fribourgeoise. Rumeurs de village, secrets de famille bien gardés, l'inspecteur Rouzier se rend bien compte qu'il marche sur des braises en enquêtant sur ces terres fribourgeoises qui vont l'amener à faire face à ses propres démons.

     

    Avec Marie-Christine Horn, il suffit d'un bref chapitre pour poser le contexte en captant l'atmosphère d'un café de village autour des conversations de comptoir et des échanges lors d'une partie de cartes nous permettant ainsi de saisir les particularismes et l'ambiance d'une localité de l'arrière-pays fribourgeois, soudainement ébranlée par l'annonce du décès à la fois étrange et suspect d'un de ses habitants. Une plume limpide, incisive teintée parfois d'une ironie mordante, ce sont les caractéristiques de l'écriture d'une romancière qui maîtrise parfaitement les rouages du roman policier pour nous livrer une intrigue rythmée tournant autour de l'enjeu du phénomène singulier de la combustion humaine qu'elle dépeint avec force de précisions par le biais du personnage fort de la médecin légiste Laurence Kleber qui va investiguer aux côtés de l'inspecteur Charles Rouzier dont on découvre les aspects de sa vie familiale quelque peu bancale, ce qui lui donne davantage d'envergure. Un victime consumée de l'intérieur, un incendie criminel, le feu est omniprésent Dans L'Etang De Feu Et De Souffre tandis que le souffre réside dans les aspects sulfureux que l'enquête parallèle du policier lausannois va mettre à jour au détour des révélations de quelques habitants bien informés qui vont faire ressurgir quelques affaires du passé que l'on croyait enterrées à tout jamais. C'est toute l'habilité de Marie-Christine Horn de dresser des portraits caustiques de villageois auxquels on s'attache et dont on regrette même qu'il n'ait pas pris plus d'importance au cours du récit à l'instar de nos joueurs de carte, employés dans une scierie. Une scierie ? un protagoniste surnommé Kéké ? Il n'en faut pas plus pour imaginer que la romancière s'est inspirée du sulfureux promoteur immobilier Jean-Marie Clerc, justement surnommé Kéké, accusé d'escroquerie et d'avoir commandité l'incendie de sa scierie, à La Roche, dans le canton de Fribourg. Quoiqu'il en soit, le lecteur se retrouve littéralement immergé au coeur de ce petit village recelant des secrets de famille peu avouables mettant en exergue les tabous autour de l'homosexualité qui devient l'un des thèmes du récit avec cette difficulté pesant sur les épaules de celles et ceux qui ne correspondraient pas aux critères moraux imposés par des dogmes dépassés dont le titre aux connotations apocalyptiques fait écho.

     

    Regard acide et lucide d'une communauté villageoise, Dans L'Etang De Feu Et De Souffre nous offre, par le prisme d'une enquête policière parfaitement maîtrisée, un beau panorama d'une région typique du canton de Fribourg, pleine de caractère, dont les thèmes abordent des enjeux universels que Marie-Christine Horn décline avec une belle humanité. 

     

    Marie-Christine Horn : Dans L'Etang De Feu Et De Souffre. Editions BSN Press 2021.

    A lire en écoutant Downstream de Supertramp. Album : Even In the Quietest Moments. 1977 UMG Recording Inc.

  • Anouk Langaney : Clark. Supermother.

    Capture.PNGLe personnage du super-héros est étroitement associé à l'image, raison pour laquelle on le retrouve au sein des comics, mais également des films et des séries qui prennent de plus en plus d'importance. Sa présence dans les romans est beaucoup plus anecdotique et l'on compte une poignée d'ouvrages qui, bien souvent, mettent à mal la mythologie de tels individus, ceci dans une mise en scène quelque peu décalée à l'instar de Héros Secondaires (Agullo 2017) de S. G. Browne ou Supernormal (Aux Forges de Vulcain 2017) de Robert Meyer. Filiale de la maison d'éditions de l'Atalante orientée vers l'anticipation et la science-fiction, il était normal qu'une collection comme Fusion s'empare du sujet dans le cadre d'un roman noir et publie donc Clark d'Anouk Langaney qui dépeint, sous forme épistolaire, la naissance ou plutôt la création d'un super-héros au prénom prédestiné.  

     

    "Mais à quoi tu joues avec Clark ?". C'est à cette question, que sa fille lui a posé à l'âge de 15 ans, qu'Olympe-Louise va répondre dans une longue lettre destinée à renouer des liens avec celle qu'elle n'a plus revu depuis 10 ans. Consciente du monde qu'elle va laisser à ses enfants, Olympe-Louise va enfin dévoiler le projet qu'elle a concrétisé avec son fils Clark, ceci depuis sa conception jusqu'à l'âge adulte. Une vérité qui pourrait prêter à sourire tant le projet paraît farfelu mais qui glace le sang à la découverte d'un "essai raté" et à la prise de conscience de cette folie qui anime une mère prête à tout sacrifier pour la sauvegarde d'un monde voué à la destruction. Une lettre dévoilant l'amour immodéré qu'éprouve cette femme à l'égard de son fils, avec ses certitudes, ses joies, ses colères et ses déceptions mais qui révélera également la finalité de l'œuvre de toute une vie dont on ne peut plus se défaire. Clark incarne ainsi une logique implacable qui confine à la démence.

     

    On saluera tout d'abord la superbe illustration, dans le plus pur style des comics strip des années 40-50, ornant la couverture et résumant à elle seule l'ensemble d'un texte fourmillant de références à la pop culture en lien avec l'univers des super-héros. Clark se présente donc sous l'aspect d'une longue lettre de 160 pages, qu'une mère adresse à sa fille pour décrire tout le processus de réflexion qui l'a conduite à façonner (le terme n'est pas galvaudé) son fils pour en faire un super-héros. Il s'agit là d'un procédé narratif qui peut se révéler assez délicat avec, bien souvent, un texte dont le profil correspond davantage à l'auteur qu'à la personnalité du personnage. Autant vous dire qu'il n'en est rien avec Anouk Langaney qui s'efface derrière l'épaisseur du portrait de cette mère déjantée qu'elle a créée de toute pièce afin de nous livrer un sublime récit détonant, parfois teinté d'un humour au vitriol, qui vire à la tragédie au rythme d'une descente aux plus profonds des méandres de cette folie furieuse s'inscrivant dans le cadre d'une logique implacable. Cette logique pourra parfois prêter à sourire, mais le plus souvent, elle glacera d'effroi le lecteur qui prend peu à peu conscience des sacrifices consentis par cette mère obstinée déclinant avec application tous les aspects de son projet insensé. Dès le début de l'intrigue, on savoure notamment les comparatifs entre les différents super-héros qui vont lui servir de modèle mais dont les parcours prendront une toute autre dimension au terme du récit avec ce lien commun qui réunit l'ensemble de ces personnages emblématiques. Avec un titre pareil qui claque comme l'onomatopée d'une bulle de strip, on se doute bien de la référence du modèle que va choisir cette mère indigne en se demandant comment elle va parvenir à ses fins. Ainsi, de manière très habile, Anouk Langaney aborde de nombreux thèmes à l'instar de réflexions sur l'éco-terrorisme, du féminisme et de la violence faite aux femmes, mais également de tout ce qui a trait à la transmission entre parents et enfants avec les dérives qui s'ensuivent parfois. Mais au-delà des thèmes évoqués, on appréciera également avec Clark toute la qualité d'une écriture savamment maitrisée qui recèle même quelques alexandrins cachés donnant du rythme à un récit entraînant dont on se demande toujours jusqu'à quel degré de folie va-t-il nous emmener, sans jamais se douter de la finalité qui prend finalement tout son sens au terme d'un roman à la fois brillant et décalé.

     

    Stupéfiant roman noir, Clark nous invite donc à nous immerger dans les nébuleuses réflexions d'une mère névrosée mais bien déterminée à ne pas laisser tomber cette société qui se désagrège. Un brillante réflexion originale du monde qui nous entoure. 

     

    Anouk Langaney : Clark. Editions de l'Atalante/collection Fusion 2021.

    A lire en écoutant : Champagne de Jacques Higelin. Album : Champagne pour les uns, caviar pour les autres. 1979 Believe.