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  • Yan Lespoux : Pour Mourir, Le Monde. Naufrage.

    IMG_0917.jpegAprès plus d’une décennie à décortiquer la littérature noire au sein des pages du blog Encore du Noir qui fait référence dans le domaine, une multitude d’articles pour diverses revues telles que 813, Marianne, Alibi et Sang Froid ainsi que plusieurs animations pour des festivals dédiés au genre, il n’était pas étonnant que Yan Lespoux se lance dans l’écriture en nous proposant tout d’abord Presqu’îles (Agullo 2021), recueil de nouvelles autour d’une partie plus méconnue de la région du Médoc avec quelques récits imprégnés d’une certaine noirceur, propre au genre qu’il affectionne. Plus surprenant, son premier roman Pour Mourir, Le Monde s’inscrit dans le registre de l’aventure avec un récit historique passionnant se déroulant au début du XVIIème siècle où l’on traverse les océans à bord de gigantesques nefs pour se rendre à Bahia et à Goa avant d’échouer sur les plages sauvages du Médoc. On pouvait pourtant déjà trouver quelques indices dans Presqu’îles avec notamment cette citation de Claude Masse, un ingénieur géographe au service du
    yan lespoux,éditions agullo,pour mourir le monderoi Louis XIV qui dépeint les médocains en disant d’eux « qu’ils étoient plus barbares et inhumains que les plus grands barbares » et qui figurera parmi les personnages historiques jalonnant l’intrigue de Pour Mourir, Le Monde. Et puis, toujours dans Presqu’îles, il y a cette nouvelle où un vieillard arpente la plage pour contempler l’épave du navire échoué qui l’a conduit en France pour fuir l’Espagne fasciste de l’époque. Déjà une histoire de naufrage. Avec Pour Mourir, Le Monde, il en est justement question car Yan Lespoux s’est librement inspiré du récit de l’écrivain dom Francisco Manuel de Melo, publié en 1660 et de celui du capitaine des galions,
    dom Manuel de Meneses, paru en 1627 et dont on peut découvrir les péripéties dans
    Le Grand Naufrage de l'Armada des Indes yan lespoux,éditions agullo,pour mourir le mondesur les côtes d'Arcachon et de Saint-Jean-de-Luz (1627) publié aux éditions Chandeigne. C’est donc autour de cet événement historique et du parcours de ces nobles portugais que Yan Lespoux décline, avec un indéniable talent, la destinée de deux hommes et d’une femme de peu dont on suit les pérégrinations que ce soit sur les océans bien sûr, mais également en Inde et en Amérique du Sud pour converger, dans un final époustouflant, sur les plages désolées d’un Médoc éblouissant que l’auteur dépeint avec l’affection qui le caractérise. Roman épique et tonitruant, Pour Mourir, Le Monde nous rappelle des récits d’aventure tels que Trois Mille Chevaux Vapeur (Albin Michel 2014) d’Antonin Varenne et pour l’aspect maritime, des séries telles que les Aubreyades (J’ai Lu) de Patrick O’Brian ou Les Passagers du Vent (Glenat) de François Bourgeon nous permettant de ressentir notamment cette promiscuité étouffante au sein de ces formidables vaisseaux de bois bravant les tempêtes pour conquérir le monde tout en livrant des combats d'une intensité extrême.

     

    En 1616, Fernando Texeira quitte Lisbonne en embarquant à bord du São Julião pour incorporer la garnison de Goa en tant que soldat au service du roi. C'est l'esprit d'aventure qui l'anime avec cette envie tenace de s'extraire de sa condition, tout en ayant la sensation de n'être jamais présent au bon endroit au bon moment.
    En 1623, Marie fuit Bordeaux, où elle travaillait dans une taverne, après frappé un homme qui tentait de s'en prendre à elle. Certaine de l'avoir tué, elle se place sous la protection de son oncle Louis qui est à la tête de toute une bande de pilleurs d'épave écumant les plages désolées et inaccessibles de la région du Médoc.
    En mai 1624, Diogo Silva voit ses parents disparaitre sous le bombardements des navires hollandais s'emparant de la ville de Saõ Salvador de Bahia. Fuyant le fracas d'un combat perdu d'avance, il trouve refuge dans la forêt environnante et se lie d'amitié avec Ignacio, un indien mutique, se joignant à ces soldats de fortune pour se lancer dans une guérilla sans relâche, tout en comptant sur les renforts d'une armada de caraques portugaises prête à tout pour reprendre la cité perdue. 
    Trois destins disparates, évoluant dans un monde de fureur en plein bouleversement, qu'une tempête dantesque et qu'un naufrage dramatique vont réunir pour les projeter dans les dédales infernaux de marais et de dunes sauvages où ils seront contraints de se livrer à des combats sans merci afin de survivre dans un environnement cruel et sans pitié. 

     

    Sans nul doute, livre de la rentrée, on pourra aisément estimer, sans exagération, que Pour Mourir, Le Monde figurera parmi les romans marquants de l'année 2023 pour finalement intégrer la courte liste des ouvrages imprégnant durablement l'esprit des lecteurs les plus assidus et les plus exigeants. On saluera tout d'abord l'extraordinaire travail des éditions Agullo nous proposant un ouvrage d'une beauté décoiffante avec cette impressionnante carte de la ville de Goa datant de 1526 qui orne la jaquette tandis que l'on découvre sur la couverture et le quatrième de couverture, deux gravures illustrant l'histoire de la colonisation portugaise au Brésil, permettant ainsi de mettre en valeur un texte d'une intensité peu commune. Un écrin somptueux nous donnant l’occasion de nous immerger encore plus aisément dans l’atmosphère foisonnante d’une intrigue conciliant, dans un équilibre remarquable, les hauts faits de l’histoire de ce début du XVIIème siècle, tels que la succession de conquêtes de comptoir, de combats navals et de naufrages, avec le parcours de Fernando, de Diogo et de Marie nous conduisant à percevoir, à la hauteur de ces deux hommes et de cette femme du peuple, tous les aspects d’une succession d'aventures époustouflantes se déclinant sur un rythme étourdissant. On appréciera d'ailleurs le caractère nuancé de ces personnages au comportement parfois ambivalent qui tentent de trouver leur place au sein d'un monde en plein bouleversement avec le déclin des colonies lusophones tandis qu'émerge, de manière sous-jacente, la puissance des anglais et des hollandais. Et c'est plus particulièrement avec Fernando que l'on ressent cette volonté de s'approprier quelques ersatz de cette richesse convoitée avec tout l'épuisement qui en résulte en s'achevant sur les côtes désolées du Médoc dont on perçoit toute la beauté mais également toute la dureté par le prisme du regard de Marie parcourant ces territoires sauvages en compagnie des vagants et des costejaires dépouillant naufragés et pèlerins égarés tout en récupérant les reliquats d'épaves échouées. Sur un registre à la fois dynamique et érudit, sans être ostentatoire d'ailleurs, empruntant parfois quelques codes propre à la littérature noire, on chemine ainsi dans les rues de Goa et de Bahia de l'époque, on partage le terrible quotidien de ces marins et passagers parcourant les océans et l'on découvre bien évidemment les turpitudes de ces pilleurs d'épaves dans un foisonnement de détails passionnants mettant en exergue toute une succession de confrontations fracassantes s'achevant sur les rivages de cette rude région du Médoc et dont on découvrira l'épilogue au terme d'une scène à la fois grandiose et surprenante. Et puis, au-delà de l'aventure et de l'histoire, il faut prendre en considération tout l'aspect de cette lutte des classes émergeant dans le basculement d'un monde dont la cruauté et la dureté nous ramène à la mondialisation de notre époque qui sacrifie sur l'autel du profit celles et ceux qui n'ont rien. Outre la richesse d’une aventure aux contours historiques, c'est peut-être cette mise en abîme vertigineuse qui fait de Pour Mourir, Le Monde un roman époustouflant qui vous foudroie sur place. 

     

     

    Yan Lespoux : Pour Mourir, Le Monde. Éditions Agullo 2023.

    A lire en écoutant : I Don’t Belong de Fontaines D.C. Album : A Hero’s Death. 2020 Partisan Records.

  • Yan Lespoux : Presqu'îles. Médoc noir.

    Capture d’écran 2021-01-24 à 18.38.22.pngPour débuter l'année, les éditions Agullo ont décidé de varier leur catalogue en intégrant une nouvelle collection au format court où ils  accueillent Yan Lespoux, un nouveau romancier qui inaugure cette collection en nous proposant avec Presqu'îles un recueil de nouvelles tournant autour d'une région du Médoc bien éloignée des châteaux prestigieux et des chais opulents entourés de vignobles plusieurs fois centenaires pour nous entrainer du côté d'une terre plutôt pauvre, composée de forêts de pins, de marécages et bordée de dunes se désagrégeant dans l'écume des vagues de l'océan. Pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu à la littérature noire, Yan Lespoux n'a rien d'un inconnu puisqu'il anime avec Encore Du  Noir, un blog de référence dont les brillantes chroniques vous invitent à découvrir polars et romans noirs qu'il commente depuis plus de dix ans et dont certains articles sont publiés dans des revues telles que Marianne, Alibi et 813. Et lorsqu'il n'écrit pas, Yan Lespoux trouve le temps pour animer des rencontres d'auteurs dans des librairies ou des salons dédiés au genre ce qui fait que l'on ne s'étonnera pas de trouver au gré de la trentaine de nouvelles composant Presqu'îles toute une variation d'histoires aux nuances plus ou moins sombres dans lesquelles évoluent des individus qui façonnent ce territoire au gré de leurs péripéties insolites.

     

    Dans ce coin du Médoc, même le Bordelais est un étranger qui doit fermer sa gueule. On ne parle même pas du Charentais. Quant aux parisiens on les croise parfois en lisière de forêt à la recherche de leur chien tout aussi paumé que leur maître. Dans ce coin du Médoc on garde jalousement secret ses coins à ceps et tout le monde semble affubler d'un surnom. Dans ce coin du Médoc on fait de drôles de rencontres la nuit lorsque l'on va pêcher clandestinement ou que l'on part en expédition pour piquer la marijuana d'un cultivateur. Gare aux coups de fusil. Sur les plages de ce coin du Médoc on contemple à marée basse l'épave du navire échoué qui vous a amené dans la région pour fuir la guerre civile en Espagne et on attend le premier noyé qui marque le début de la saison comme l'ouverture des cabanes à chichis. Dans ce coin du Médoc on désaile les canards et les mecs qui en veulent à vos économies. On règle les problèmes de cambriolage à sa manière. Gare aux crises cardiaques. Dans ce coin du Médoc on drague les filles, on va à un concert improbable des Pogues et on se balade dans la région en enjambeur. Dans ce coin du Médoc, on boit plus de Ricard que de pinard et on se raconte des histoires qui s'estompent dans la fumée du grill et le murmure sourd des hommes qui se rassemblent.

     

    On le dira avec d'autant plus d'assurance et de fierté qu'il s'agit d'un ami, Presqu'îles est un formidable recueil de nouvelles qui célèbre la terre d'enfance d'un auteur possédant un indéniable talent de conteur qu'il restitue par le biais d'une écriture à la fois sobre et pudique. Avec plus d'une trentaine d'intrigues, Yan Lespoux nous invite donc à découvrir ce Médoc méconnu qu'il affectionne par le prisme d'une galerie de personnages hauts en couleur qui vous feront tantôt sourire, parfois frémir et souvent grincer des dents avec cette propension à la chute caustique qui caractérise bon nombre de ses récits. Immanquablement on retrouvera une forme de noirceur dans la plupart de ces nouvelles qui se manifeste plus particulièrement dans Moisson où l'on suit les péripéties de deux voleurs de plants de marijuana poursuivis par un cultivateur particulièrement psychotique ou dans Cambriolage avec un quincailler qui fait sa propre justice et surtout dans Sécurité Routière où deux autonomistes basques font preuve d'un excès de prudence qui se révélera particulièrement dramatique. Outre la noirceur, on appréciera le mordant d'une ironie grinçante qui saisit immanquablement le lecteur touché par la fine mécanique subtile de récits extrêmement concis et par l'atmosphère remarquable émanant d'un territoire à la saisissante beauté que Yan Lespoux sait dépeindre à la perfection à l'instar de cette introduction figurant dans Rencontre  : "Les pins ont été éclaircis et la lumière du fin croissant de lune suffit à faire ressortir les deux lignes de sable blanc qui traversent les dunes en direction de l'océan dont on entend le grondement au loin." Mais outre la noirceur, outre les rires grinçants, il transparait également une certaine émotion que l'on perçoit dans Une Vie où l'on suit ce vieillard qui va sur la plage pour voir une dernière fois l'épave du navire échoué qui l'a conduit dans la région alors qu'il fuyait la guerre civile en Espagne. Et puis ce sont ces souvenirs d'enfance chargés d'émotion tels que Concert Fantôme évoquant ce groupe de copains qui vont voir un concert des Pogues se déroulant dans un patelin perdu de la région ou Le Couteau avec un récit tout en pudeur où l'on perçoit, au lendemain du jour de l'an, l'affection entre un grand-père et son petit-fils s'apprêtant  à quitter tout prochainement le monde de l'enfance et qui reste pour moi la plus belle des nouvelles du recueil. 

    Avec une magnifique préface d'Hervé Le Corre, Presqu'îles nous invite donc à découvrir toute une mosaïque de personnages atypiques et attachants évoluant sur un territoire à la fois sauvage et mystérieux que Yan Lespoux décrit avec la saisissante beauté du mot juste qui touche parfois au sublime. Un romancier est né.

     

    Yan Lespoux : Presqu'îles. Editions Agullo Court 2021. 

     

    A lire en écoutant : Dirty Old Town de The Pogues. Album : Rum Sodomy & Lash. 2006 Warner Music UK Ltd.