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Auteurs B - Page 3

  • Eric Burnand & Matthieu Berthod : Berne, Nid D'Espions. Fusible.

    Berne nid d’espions, éditions antipodes, Eric burnand, Matthieu berthod

    Avec un titre pareil, on pourrait croire qu'il s'agit d'un roman d'Eric Ambler, mais Eric Burnand au scénario et Matthieu Berthod au dessin ont puisé notamment dans les archives fédérales suisses pour exhumer, avec Berne, Nid D'Espions, les méandres de l'affaire Dubois qui avait défrayé la chronique en 1957 en mettant à mal la neutralité de la Suisse alors que le procureur général de la Confédération, premier magistrat du pays, était accusé d'espionnage. C'est plus particulièrement sur le registre politique de cette neutralité malmenée que le récit s'inscrit dans l'actualité avec le numéro d'équilibriste que les instances politiques doivent entretenir entre la Russie et l'Ukraine dans le cadre du conflit qui les oppose alors que l'exportation d'armement et la confiscation des avoirs russes suscitent bien des débats au sein des hémicycles. Mais en 1957, c'est la guerre d'Algérie qui alimente l'actualité de l'époque et plus particulièrement la Suisse qui devient la base arrière des indépendantistes trouvant notamment un appui au sein de l'ambassade d'Egypte de la capitale helvétique.

     

    Berne, 1957. C'est peu dire qu'on l'attend au tournant, ce socialiste placé à la tête d'une des plus hautes institutions de l'Etat Fédéral au sein d'un gouvernement conservateur. Nommé comme Procureur Général de la Confédération, René Dubois se retrouve donc garant des lois helvétiques mais devient également responsable de la Police Fédéral et plus particulièrement du service de renseignement civil, concurrent direct de celui de l'armée dirigé par des officiers qui n'apprécient guère ses investigations dans le cadre d'une vente d'arme sujette à cautions. Sur fond de contre-espionnage, il croise la route de ce barbouze français sans vergogne, de cette attachée de presse de l'ambassade de France au comportement ambivalent et de ce policier fédéral récalcitrant qui interprète les directives à sa manière. Et puis il y a cette ambassade d'Égypte sur écoute et dont les retranscriptions suscitent toutes les convoitises avec des documents qui fuitent à l'étranger. Evoluant dans ce panier de crabe et naviguant en eau trouble, René Dubois va se retrouver impliqué au cœur d'un scandale retentissant qui va le faire chuter de son piédestal avec toutes les conséquences tragiques qui en découlent. 

     

    Au sein de la littérature noire de Suisse romande, Berne, Nid D'Espions prend, avec assurance, l'allure d'une superproduction d'envergure mettant en lumière les aspects sombres d'un pan méconnu de l'histoire helvétique durant la période trouble de la guerre froide. Il y a tout d'abord cette documentation imposante qu'Eric Burnand, journaliste chevronné ayant travaillé durant de nombreuses années à la RTS, a absorbé et restitué efficacement dans le cadre d'une intrigue savamment travaillée, oscillant entre le roman d'espionnage et le récit historique où la rigueur est de mise. Cette rigueur s'illustre notamment avec les fiches de présentation des différents protagonistes intervenants au cours de ce récit riche en péripétie ainsi qu'avec le reportage faisant office d'épilogue, agrémenté de photos de l'époque, nous permettant de prendre la pleine mesure des enjeux contradictoires animant l'ensemble des acteurs qui ont eu un rôle, de près ou de loin, dans la dramatique trajectoire du Procureur Général René Dubois. Il faut ensuite relever l'admirable travail de Matthieu Berthod qui reconstitue l'atmosphère oppressante de l'époque au gré d'une mise en scène toute en nuance que souligne d'ailleurs ses splendides illustrations à l'encre de Chine. On se faufile ainsi dans les rues tortueuses de la vieille ville de Berne ou dans les bureaux feutrés des services de la Confédération, en appréciant le souci du moindre détail faisant ressortir, dans chacune des cases, l'ambiance propre aux années cinquante. Et puis, au-delà du récit d'espionnage et de la fresque historique, on découvre, sur un fond noir renforçant l'intensité du drame à venir, l'intimité des derniers instants d'un homme acculé qui se morfond dans la solitude de son grenier en se remémorant tous les rouages d'une mécanique infernale qui l'ont poussé dans ses derniers retranchements. Sur l'enchevêtrement subtil de ces différents registres, Berne, Nid D'Espions retranscrit ainsi, avec une redoutable efficacité, l'ambivalence d'une fonction qui a brisé René Dubois pour en faire un martyr sacrifié sur l'autel des intérêts de l'Etat et de ses officines qui se sont empressés d'enterrer cette affaire embarrassante qu'Eric Burnand et Matthieu Berthod ont reconstitué avec un indéniable talent. 

     


    Eric Burnand & Matthieu Berthod : Berne, Nid D'Espions. Editions Antipodes 2023.

    Pavane (Based On A Theme By Gabriel Faure) Bill Evans Trio. Album : Bill Evans Trio with Symphony Orchestra. 1990 The Verve Music Group, a Division of UMG Recording, Inc.

  • Luca Brunoni : Les Silences. Rendez-vous manqué.

    Capture d’écran 2023-05-07 à 21.36.06.pngC'est au début des années 2000 que la voix d'anciens enfants placés se fait entendre en levant la chape de silence qui prévalait en Suisse sur ce qui apparaît comme l'un des plus grands scandales sociaux du pays. Aujourd'hui encore, on ignore le nombre de ces orphelins, enfants de mères célibataires, de parents pauvres ou dans la détresse se retrouvant placés de force, entre 1870 et 1980, dans des institutions aux allures carcérales ou dans des domaines agricoles et artisanaux qui trouvaient là une main-d'oeuvre gratuite sous l'appellation de familles d'accueil. On parle de sévices, de malnutritions, d'abus sexuels, d'expérimentations médicamenteuses et même d'homicides. Si l'on trouve quelques récits et ouvrages d'histoire traitant le sujet, rares sont les romans abordant ces drames humains qui ont marqué toute une population précaire. Publié initialement en italien, puis traduit en français par Joseph Incardona pour les éditions Finitude, Les Silences, premier roman du tessinois Luca Brunoni, évoque ce thème délicat autour du dur quotidien d'une jeune enfant que l'on intègre de force au sein d'un couple de paysans vivant dans un village de montagne du canton de Berne, durant la périodes des années 1950.

     

    Elevée seule par sa mère qui vient de trouver la mort dans un accident de vélo, Ida Bühler, âgée de treize ans, est désormais placée à la ferme de la famille Hauser qui n'a jamais eu d'enfant. Entre une femme qui la déteste et un homme qui pose sur elle un regard lubrique, elle doit assumer le pénible labeur qu'on lui impose au quotidien tout en faisant face aux remords qui la ronge tandis que les habitants de cette agglomération alpine observe son arrivée d'un oeil circonspect. Une lueur d'espoir se dessine avec Noah, jeune fils du maire, qui aspire à une autre vie bien éloignée de ces montagnes qui l'étouffent. Au gré de cette amitié qui se construit dans la clandestinité, Noah parvient à convaincre Ida de l'accompagner dans son projet de départ. Mais au sein de ce village miné par les secrets et les non-dits, les malheurs et les tourments vont s'enchaîner en bouleversant leur destin respectif jusqu'au drame inéluctable.

     

    Il faut avant tout souligner le caractère sobre, voire même épuré, d'une écriture un brin austère se concentrant sur l'essentiel en évitant ainsi l'écueil de la surenchère qui nous plongerait immanquablement dans un registre larmoyant, ou pire, dans les contours d'une violence exacerbée qui flirterait avec un voyeurisme malsain. Il n'en est rien avec Les Silences dont il faut relever, avant tout, le bel équilibre qui met en lumière, avec une rigueur salutaire, toute la situation dramatique que vit Ida Bühler dans son quotidien de jeune fille placée auprès d'une famille de paysans de montagne faisant preuve d'une sévérité extrême. Il y a les coups et les brimades bien sûr, mais également la privation de nourriture si le travail n'a pas été correctement accompli et même les œillades salaces lorsque la jeune fille procède à ses ablutions, ceci dans une déclinaison de scènes prégnantes que l'on découvre dans une première partie adoptant le point de vue d'Ida Bühler, dès son arrivée au village. Au-delà de leur caractère odieux, sans pour autant les exonérer, Luca Brunoni dresse un portrait nuancé de Greta et d'Arthur Hauser, les bourreaux d'Ida, dont on perçoit toute la misère et les difficultés auxquelles ils doivent faire face, au gré de conversations lourdes de sens. Bien évidemment, il se dégage de l'ensemble une ambiance pesante, parfois sombre qui confère au récit des allures de roman noir en abordant des tabous sociaux tels que l'homosexualité, le malaise des jeunes et la crainte du regard des autres au sein d'un village où tout le monde s'observe. Mais Les Silences ce sont également des instants lumineux comme ces escapades poétiques avec Noah, aux alentours d'un lac de montagne reflétant les lueurs de la voute étoilée, en permettant à Ida d'échapper à ses tourments et de conserver quelques espoirs quant à son avenir. Pourtant le drame se construit de manière insidieuse dans une seconde partie où l'on revient sur l'arrivée d'Ida en adoptant, cette fois-ci, le point de vue des villageois afin de découvrir la face cachée de certain de ses habitants. Dès lors, l'intrigue prend l'allure d'une étude de moeurs aux contours sombres et incertains tant les relations se révèlent bien plus complexes qu'il n'y paraît, pour révéler les manigances des uns et des autres. Autour de cette ingénieuse construction narrative, Luca Brunoni met en lumière les non-dits, les rancoeurs et les regrets de ces femmes et de ces hommes dont l'agrégat constitue Les Silences qui entourent Ida jusqu'au terme d'un épilogue déchirant mettant en perspective le secret du drame qui s'est joué, tout en se conjuguant aux désillusions de cette jeune fille incarnant le destin tragique de ces milliers d'enfants placés sans aucune autre perspective qu'une vie brisée à tout jamais. Un premier roman qui vous sidère jusque dans sa justesse de ton.

     

     

    Luca Brunoni : Les Silences (Silenzi). Editions Finitude 2023. Traduit de l'italien (Suisse) par Joseph Incardona.

    A lire en écoutant : J't'emmène au vent de Louise Attaque. Album : Louise Attaque. 2002 Barclay.

  • WILLIAM BOYLE : ETEINDRE LA LUNE. LA COMEDIE HUMAINE.

    Capture d’écran 2023-03-19 à 19.05.50.pngC'est l'attachement au quartier et la tragédie frappant ses femmes et ses hommes de peu qui caractérisent l'oeuvre de William Boyle se déroulant à Gravesend, ce quartier du sud de Brooklyn qui donne d'ailleurs son nom à son premier roman portant le numéro 1000 de l'emblématique collection Rivages/Noir. Sur la couverture de Gravesend (Rivages/Noir 2016) s'affiche l'enseigne du Wrong Number, bar décati du quartier, servant de décor à bon nombre de récits de l'auteur dont La Cité Des Marges (Gallmeister 2021) où l'on décèle cette atmosphère de douce nostalgie qui imprègne les lieux, ceci quelles que soient les époques dans lesquelles se déroulent les intrigues oscillant entre les années 80 et le début des années 2000 comme c'est le cas pour Eteindre La Lune, dernier roman de l'auteur qui revient sur les thèmes de la vengeance et de la résilience avec une galaxie de personnages pittoresques dont les destins se percutent parfois brutalement au coeur de ce petit microcosme qui devient le théâtre de cette comédie humaine, portrait d'une Amérique désenchantée.

     

    Du haut de leurs quatorze ans, Bobby et Zeke se postent au-dessus de la Belt Parkway en balançant des projectiles sur les automobilistes. En enchainant les défis, Bobby atteint une conductrice qui perd la maîtrise de son véhicule pour trouver la mort dans l'accident qui s'ensuit. Les gamins prennent la fuite et jurent de garder le silence sur ce drame qui demeure impuni. Amelia avait dix-huit ans et faisait la fierté de son père Jack Cornacchia, une figure du quartier jouant les redresseurs de torts auprès des petites gens victimes des escrocs et autres truands de tous poils. Les années passant, Jack peine toujours à se remettre de son chagrin et s'inscrit à un atelier d'écriture avec la secrète volonté d'exorciser sa douleur en posant des mots sur son désespoir. Développant un certain talent, Jack noue une amitié quasi filiale avec Lilly, la jeune animatrice de l'atelier, une romancière en devenir qui n'est autre que l'ex belle-soeur de Bobby dont les frasques prennent de plus en plus dampleur avec toutes les conséquences dramatiques qui en découlent.

     

    On est toujours fasciné par cette congruence entre les personnages de William Boyle et le visage du quartier de Gravesend dans lequel ils se débattent, à l'image de cette maison de Jack Cornacchia tout aussi abimée que son propriétaire dont l'âme s'étiole dans une infinie tristesse au gré des souvenirs de sa fille disparue. Il en va de même pour l'ambiance qui émane de ces nombreux diner's un peu miteux, mais pourtant plein de charme, théâtre des rencontres douces amères entre toute cette galerie de protagonistes évoluant dans ce cadre imprégné d'une nostalgie aux accents poétiques comme cette inoubliable et lumineuse rencontre entre Bobby et Francesca dont la relation amoureuse se construit autour de leurs escapades sur l'île de Manhattan, une véritable bouffée d'oxygène qui va pourtant tourner court. Et comme toujours, il y a le drame qui s'inscrit en toile de fond autour d'individus aussi patibulaires que maladroits, parfois même paumés qui vont perturber le quotidien de ces habitants fragilisés par les aléas d'une vie qui ne leur fait pas de cadeau. Avec Eteindre La Lune, on découvrira donc le destin funeste de Bobby, bien évidemment, qui ne se remet pas du geste fatal qu'il a commis lorsqu'il était adolescent et qui va croiser la route de Charlie French, un truand impitoyable qui sévit de manière brutale dans le quartier. Mais l'enjeu principal du récit se construit autour du parcours de Jack Cornacchia, de la perte de sa fille et de ce qu'il va faire pour surmonter ce deuil avec cet atelier d'écriture lui permettant de coucher sur le papier toute sa colère mais également tout son désarroi qui rejaillissent au gré de textes inspirés qui vont fasciner la jeune Lilly Murphy, personnage éclatant qui va illuminer la vie de Jack au gré d'une relation père-fille de substitution que William Boyle dépeint avec toute la délicatesse d'une écriture inspirée. On prend ainsi la mesure de ces petits instants de la vie quotidienne, de ces éclats de violence abrupte et de cette succession de rencontres désarmantes de sincérité autour desquels William Boyle bâti une intrigue d'une fascinante beauté qui nous empoigne le cœur au gré d'un texte au charme indéniable.

     

    William Boyle : Eteindre La Lune (Shoot The Moonlight Out). Editions Gallmeister 2023. Traduit de l'américain par Simon Baril.

    A lire en écoutant : No Ordinary Love de Sade. Album : Love Deluxe. 1992 Sony Music Entertainment (UK) Ltd.

  • SIMONE BUCHHOLZ - RUE MEXICO. AMOUR INCANDESCENT.

    Capture d’écran 2023-02-24 à 18.24.12.png

    Service de presse.

     

    Ce n'est pas tant une histoire de parité, ce n'est pas tant une logique de quantité, mais bien une question d'attitude qui font que bon nombre d'héroïnes de la littérature noire occupent désormais une place à part en projetant un regard bien particulier sur le monde qui nous entoure à l'instar de Chastity Riley, cette procureure allemande, officiant à Hambourg et dont l'apparition sous la plume de Simone Buchholz coïncidait avec la création de la collection Fusion nous proposant le fameux Nuit Bleue (Atalante/Fusion 2021), texte d'une audace et d'une originalité narrative peu commune nous entraînant dans le monde interlope des nuits hambourgeoises sur fond de trafic de stupéfiants provenant des cités de l'ancienne Allemagne de L'Est. Avec Béton Rouge (Atalante/Fusion 2022), second roman de la série de celle que l'on surnomme désormais "Chas", Simone Buchholz abordait le thème de la maltraitance d'enfants en nous emmenant notamment du côté de la Bavière tout en évoquant les dérives des grandes entreprises allemandes et plus particulièrement celles des grands groupes médiatiques. C'est peu dire que l'on apprécie de retrouver cette femme au profil peu commun oscillant entre force et détermination dans le cadre de son travail et une certaine fragilité qui transparait notamment dans la contexte de sa vie sentimentale qui va connaître quelques aléas dans Rue Mexico, troisième roman de la série que Claudine Layre traduit toujours aussi brillamment.

     

    Les voitures brûlent dans toutes les villes du monde et Hambourg ne déroge pas à la tradition. Pourtant dans l'une d'entre elles, on extirpe le cadavre d'un jeune homme que l'on identifie rapidement comme étant le fils du clan Saroukhan, une communauté de l'ancien empire ottoman qui trempe désormais dans le trafic de drogue du côté de Brême. Chargée de l'enquête, Chastity Riley va devoir dresser le profil de la victime pour tenter de retrouver l'auteur du meurtre. Peut-être obtiendra-t-elle de l'aide de la mystérieuse jeune femme qu'elle a aperçu sur le toit d'un immeuble et qui a probablement assisté à toute la scène ? Parviendra-t-elle à extirper quelques éléments de cette communauté soudée qui ne souhaite pas frayer avec les autorités ? Et qu'en est-il de cette compagnie d'assurance pour laquelle travaillait la victime en lui offrant de confortables rémunérations ? Et puis comme pour interférer dans une enquête déjà difficile, il y a le retour de Inceman, un ancien amant qui va bousculer la vie sentimentale de Chastity Riley.

     

    On remarque un certain dépouillement qui caractérise l'ensemble des intrigues narratives de la série Chastity Riley permettant à Simone Buchholz d'aborder de manière assez directe les thèmes sociaux qu'elle souhaite mettre en exergue. Pour ce qui est de Rue Mexico, la romancière aborde donc le sujet de la migration et de l'intégration et de toutes les difficultés qui en découlent, ceci pus particulièrement au travers de cette communauté Mahallami issue des tribus ottomanes d'autrefois et qui est désormais apatride. Pour en découvrir certains contours, on adoptera les points de vue de Nouri et d'Aliza défiant leurs familles respectives pour vivre leur histoire d'amour remontant à l'enfance, en refusant de suivre les préceptes et les traditions quitte à subir la violence et le rejet. Comme à l'accoutumée, Simone Buchholz nous offre avec Aliza, le portrait d'une jeune femme au caractère bien affirmé nous évitant ainsi l'écueil de l'émotion facile et larmoyante pour s'intéresser à cette détermination qui anime ce personnage d'un force peu commune qui nous renvoie évidemment vers Chastity Riley confrontée une nouvelle fois aux aléas de sa vie privée. Mais il faut également s'intéresser à la trajectoire de Nouri Saroukhan qui, en quittant une famille aux comportements tribaux, voire mafieux, en intègre une autre, ceci sur le plan professionnel en refusant d'intégrer les codes de conduite d'une compagnie d'assurance et plus particulièrement de ses collègues en quête de performances à tout prix. Avec des comportements similaires tout aussi douteux les uns que les autres, on observe ainsi l'impasse dans laquelle s'engouffre ce jeune homme rejetant les règles familiales et professionnelles le conduisant à finir dans une voiture enflammée. Tout l'enjeu réside donc à déterminer qui a pu attenter à la vie de Nouri au détour d'une enquête aux contours incertains en s'achevant sur une scène abrupte et détonante qui désarçonnera une nouvelle fois le lecteur. 

     

    Encore davantage de poésie et de spleen émergent de Rue Mexico où Simone Buchholz décline au détour de ces voitures s'embrasant dans les villes du monde, d'une phrase brève, voire même d'un unique mot qui sonne toujours juste, la fragilité des pensées incertaines d'une femme étonnante trouvant le réconfort autour d'un verre qu'elle partage avec ses amis et collègues policiers que l'on retrouve avec un même plaisir dans cette atmosphère chaleureuse du Blau Nacht, bar attitré d'une procureure au charme indéniable.

     

    Simone Buchholz : Rue Mexico (Mexikoring). Editions de l'Atalante, collection Fusion 2023. Traduit de l'allemand par Claudine Layre.

    A lire en écoutant : Hotel Bar de Tindersticks. Album : Stars at Noon (Original Soundtrack). 2022 Lucky Dog / City Slang.

  • Alain Bagnoud : De La Part Du Vengeur Occulte. L'art de la politique.

    alain bagnoud,de la part du vengeur occulte,bsn pressA la lecture du trio final de la sélection du prix du Polar romand 2022, certains membres du milieu littéraire ont probablement dû s'étrangler en apprenant qu'il s'agissait de trois romans issus de la maison d'éditions BSN Press avec Dans L'Etang De Souffre Et De Feu de Marie-Christine Horn, Les Inexistants de Catherine Rolland et De La Part Du Vengeur Occulte d'Alain Bagnoud qui débarque ainsi dans le monde de la littérature noire en emportant l'adhésion du jury décidant de récompenser ce premier roman policier de l'auteur. Mais certains esprits chagrins, dont je fais partie, ont pu se dire que le jury célèbre une nouvelle fois un primo-romancier du polar au détriment de ceux qui naviguent dans le milieu depuis de nombreuses années sans obtenir de reconnaissance puisque le prix du Polar romand est l'une des rares récompenses célébrant la littérature noire romande. Mais il faut bien admettre qu'à la lecture de ce roman policier se déroulant dans le milieu de l'art à Genève on comprend très rapidement l'adhésion d'un jury probablement séduit par la qualité d'écriture exceptionnelle d'Alain Bagnoud qui fait partie des grandes figures de la littératures romandes et dont on espère qu'il réitérera son incursion dans le milieu du polar. Quoiqu'il en soit, la sélection célèbre également le travail de l'éditeur charismatique de BSN Press, Giuseppe Merrone dont j’imagine la mine réjouie à l’annonce d’un tel résultat. 

     

    A Genève, Jean-Phillipe Meilat est un homme politique d'envergure qui aspire à écrire son autobiographie en vue des prochaines élections. C'est Alexandre, jeune gosthwriter ambitieux,  qui se charge de rédiger l'ouvrage lors d'entretiens réguliers avec le politicien. Mais celui-ci reçoit depuis quelques jours des photos expédiées par un individu mystérieux qui signe ses envois avec la mention : De la part du vengeur occulte. Ne comprenant pas le sens de la démarche, Jean-Philippe Meilat demande à Alexandre de découvrir l'identité de cet étrange expéditeur. L'enquête va entrainer le jeune homme dans le milieu élitiste de l'art contemporain avec sa cohorte d'artistes, collectionneurs et galeristes qui naviguent également dans le monde opaque des affaires et de la politique. Un univers aux codes bien établis sur lequel plane l'ombre de Massimov, un oligarque russe bien établi sur la place de Genève et qui peut se révéler plus dangereux qu'il n'y paraît. De fait, Alexandre ne va pas tarder à se retrouver mêler à deux assassinats qui vont bouleverser son existence bien tranquille.

     

    Outre son activité de romancier et d'enseignant, Alain Bagnoud à créé Blogre, un blog littéraire, tenu par un collectif d'écrivains romands, hébergé sur la même plateforme de la Tribune de Genève que Mon Roman ? Noir et Bien Serré ! Mais c'est sur le site à son nom que l'on trouvera quelques recensions sur les polars où figurent des auteurs tels que Thierry Jonquet, John R. Lansdale, Ed McBain et Ted Lewis pour n'en citer que quelques uns. Ainsi, l'on ne s'étonne plus guère qu'Alain Bagnoud se soit essayé au polar qu'il semble apprécier. Pourtant dans De La Part Du Vengeur Occulte, il faut bien reconnaître qu'Alexandre, personnage central du récit, présente toutes les caractéristiques du héros balzacien, autre passion de l'auteur, en évoluant dans ce microcosme genevois qu'il observe avec une certaine morgue ironique qui se traduit notamment dans les questions savoureuses ponctuant les chapitres du récit en lui conférant ainsi un certain humour acide extrêmement plaisant. Il faut admettre qu'Alain Bagnoud n'a pas son pareil pour saisir en quelques phrases bien senties les différents protagonistes fréquentant ce milieu de l'art contemporain qui a pris ses aises dans le quartier populaire de Plainpalais qui subit cette embourgeoisement avec une floraison de galeries improbables s'agglutinant autour du musée d'art moderne et contemporain. Et puisque l'on se situe à Genève, le récit va immanquablement prendre un tournure financière avec en toile de fond tout le business qui alimente ce marché de l'art plutôt lucratif dont une partie est gérée par quelques oligarques russes qui n'ont rien de fictionnels. On le voit ainsi, Alain Bagnoud restitue avec un regard acéré et extrêmement caustique tout le landerneau genevois dans un récit où l'enjeu se situe à définir qui se cache derrière ce vengeur occulte dont les actions vont également conduire notre jeune enquêteur du côté de la population précaire qui hante les rues genevoises en quête d'abris de fortune. Et puis il y a les crimes qu'il va falloir résoudre et dont on trouvera les réponses en toute fin de récit, au terme d'une enquête qui dépossédera le lecteur de toutes ses illusions quant au milieu politique côtoyant le monde impitoyable des affaires. Des personnages ambivalents à l'instar du magnifique Me Dumont, une intrigue bien orchestrée, pas de doute Alain Bagnoud est un grand auteur de polar.

     

     

    Alain Bagnoud : De La Part Du Vengeur Occulte. Editions BSN Press 2022.

    A lire en écoutant : Star Treatment d'Artic Monkeys. Album : Tranquility Base Hotel & Casino. 2018 Domino Recording Company Ltd.