Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

- Page 2

  • Le polar est-il à la littérature ce que la comédie est au cinéma ?

    underwood5.jpg

     

    C'est une question que je me suis posée au salon du livre après que mon ami Yves Patrick Delachaux m'ait présenté à l'association des auteurs suisses comme un blogeur spécialiste des romans policiers (Toujours à exagérer, l'ami Delachaux). Je revois le regard indulgent d'un des membres qui me lâche comme ça l'air de rien : Des polars ?! Ah oui ! j'en lis parfois pour me distraire ! ». La remarque en elle-même n'a rien de désobligeant, puisque la fonction première du polar est bien de divertir. Il y a pourtant ce petit air suffisant où l'on devine la question fondamentale sous-jacente : « Quand est-ce que tu passeras à une lecture plus sérieuse, pauvre naze ! ». J'extrapole, un peu mais je suis a peu près certain que je ne suis pas si loin de la vérité. Et puis finalement, n'est-ce pas le propre de la littérature que de distraire le lecteur ? Qu'est-ce que la littérature sérieuse ? Probalement un concept de personnages élitistes qui se complaisent dans des salons dorés ou branchés en dressant le constat de leur savantes expériences culturelles avec un grand C. Une caricature bien sûr, mais en somme, quelque chose dans ce goût là, d'assez morose. Pas de quoi pavoiser !

     

    Pas de quoi pavoiser non plus dans le milieu du polar. Entre ces auteurs assoifés de reconnaissance qui versent dans l'écriture stylico-narcissique pour s'élever dans la hiérarchie des écrivains reconnus et ces éditeurs en constante recherche du coup littéraire, on asphysie le côté undeground du roman noir. Ainsi, on règle le passé de l'Amérique à coup de phrases courtes, ponctuées de point d'exclamation. Quand on est un écrivain de génie ça peut encore passer, même si cela devient parfois épuisant. Car il faut bien l'admettre qui a lu la trilogie Underworld USA de James Ellroy, d'un bout à l'autre, sans sauter une seule page ? Pas grand monde pour lever la main, j'en suis persuadé. Et il y a toute cette cohorte de polardiers qui tentent d'imiter le style et la thématique en pure perte. Du côté des éditeurs, on ne compte plus les bandeaux « nouveau maître du polar nordique. On frise la nausée avec ces démarches commerciales nauséabondes. Mais c'est du côté des critiques que l'on vire vers la tragédie lorsque je lis : « Plus qu'un polar ! Un grand roman ! ». Pour contrer ces slogans ineptes, rien ne vaut cette réflexion de Manchette :

    « Rions encore une fois des feuillistes qui affirment sempiternellement de tel ou tel ouvrage qu'il est d'avantage qu'un « roman policier ». Le roman noir, grandes têtes molles, ne vous a pas attendus pour se faire une stature que la plupart des écoles romanesques de ce siècle ont échoué à atteindre. »

     

    Le polar s'est extrait du sous-sol pour apparaître dans la lumière, espérons qu'il ne flétrira pas sous le dictat de la culture de masse et bien pire encore, sous le joug de la bienséance littéraire. Maigret a quitté son habillage de roman de gare pour revétir l'habit luxueux des Pléaides. Un bon en avant et c'est tant mieux. Mais prenons garde à ce que le polar reste ce qu'il est : l'acide qui défait les chairs pour mettre à nu le squelette que l'on se complait à planquer dans le placard. Pas de Goncourt, ni de Renaudot ou de Pulitzer pour le roman noir. Enfermé dans son ghetto, il est couronné par des Edgards, des 813 ou des Cognacs, comme s'il redoutait de vivre les affres du cinéma comique  qui ne s'est jamais vu récompensé à sa juste valeur par une académie engoncée dans sa suffisance culturelle. Un paradoxe lorsque l'on constate que cette même académie a récompensé deux films noirs que sont « Le Prophète » et « De battre mon cœur s'est arrêté ». Le polar : un monde en soi !

     

  • ZULU : LA DOULEUR TRAGIQUE DES TOWNSHIPS

     

    920779-gf.jpgUne plongée dans les townships d’Afrique du Sud avec ce polar de Caryl Férey où l’ombre sinistre de l’apartheid plane encore dans ses rues poussiéreuses chargées de misère.

     

    Avec Zulu, l’action débute comme une enquête classique où Ali Neumann, flic Zoulou, doit résoudre le meurtre abjecte d’une jeune fille blanche massacrée après qu’elle ait absorbé une drogue de synthèse aux propriétés effrayantes. Pourtant en marge de cette enquête résonne l’histoire de ce pays miné par la violence et le sida. Truffés de références historiques le récit n’en pas moins prenant et même terrifiant lorsque l’auteur évoque les expériences terribles du Dr Wouter Basson !

     

    Wouter Basson est un personnage réel, surnommé « Docteur La Mort ». Durant le régime de l’apartheid, il a été chargé de concevoir un programme d’armement chimique afin de contrer le concept de Mandela : Une voix – un vote. Pour inverser le processus démographique qui leur était défavorable les autorités chargèrent Basson de développer un projet afin d’éliminer les militants anti-apartheid et de réduire l’importance de la populations noire, ayant pour nom de code : Project Coast. Le nombre des victimes de ce personnage, considéré comme le Dr Mengele d'Afrique du Sud, est à ce jour encore inconnu. Avec son équipe composée d’environ 200 chercheurs il a élaboré, entre autre, des études pour stériliser les femmes noires via l’alimentation en eau, pour propager des maladies infectieuses. Arrêté alors qu’il était en possession de grosses quantité d’ecstasy, Wouter Basson sera accusé de meurtres, tentatives de meurtre, trafic et possession de drogue et fraude. Il sera acquitté des tous les chefs d’accusation et vit actuellement à Prétoria.

     

    C’est avec cette triste réalité que le roman de Caryl Férey prend une dimension tragique au travers de laquelle émerge, après la période de transition et de réconciliation, des secrets sinistres que l’on a peut-être voulu enterrer bien trop rapidement.

     

    Ali Neuman le personnage central du récit est un flic torturé au propre comme au figuré qui, dans sa jeunesse a dû fuir les milices de l’Inkatha qui était en guerre contre l’ANC. Avec sa mère, il est le seul survivant des tueries de ces milices. Aujourd’hui, chef de la police criminelle il est accompagné dans son enquête des inspecteurs africaner Brian Epkeen et de Dan Flectcher. Des personnages forts qui ne sortiront pas indemnes de toute cette terrible histoire.

     

    Une écriture et une construction classique (peut-être trop classique) qui contraste avec des descriptions très précises des mœurs et des paysages de ce pays qui, bien plus qu’un guide touristique, nous donne envie de découvrir ces contrées lointaines en toute connaissance de cause. La violence y est omniprésente et parfois un peu trop complaisante, mais elle n’enlève rien à la profondeur de la tragédie sociale que l’auteur a voulu décrire. Une Afrique du Sud qui doit encore relever de très nombreux défis si elle veut être cette nation arc-en-ciel si chère à Nelson Mandela et Desmond Tutu.

     

    Caryl Férey, grand voyageur qui a travaillé pour le guide du Routard, n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il a écrit deux autres polars : Haka et Utu qui se déroulent en Nouvelle-Zélande et en Australie.

     

    Cary Férey : Zulu. Edition Série Noire / Gallimard 2008.