Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

goncourt

  • Pierre Lemaitre : Au Revoir Là-Haut. Pour un Goncourt, arrange toi avec ça !

    La musique se vend comme le savon à barbe. Pour que le désespoir même se vende, il ne reste qu'à en trouver la formule.
 Tout est prêt : les capitaux, la publicité, la clientèle.
 Qui donc inventera le désespoir ?

    Préface

    Léo Ferré

     

    Capture d’écran 2014-06-01 à 20.58.53.pngT’es pas vraiment un écrivain. Tu n’as écrit que des polars. Qu’à cela ne tienne  on va te sortir du ghetto. On va t’extraire, t’extirper de la fange. Tu vas paraître enfin dans la lumière. T’es dans le trend mon ami. Un récit qui se déroule peu après la première guerre mondiale. T’as même pas idée. En plein Centenaire tu vas passer sans problème. T’es dans l’actualité coco ! Même Céline avec son voyage s'inclinerait  pour te céder la place. C'est couru d'avance !

     

    Arrange toi avec ça !

     

    Tu vas changer de nom ? Non ! Alors faudra changer de maison d'édition. Y a des convenances à respecter. Bien sûr faudra créer une bonne couverture. Quelque chose de sobre, de digne, de bien chiant. Ca fera sérieux tu verras. On s’abstiendra de tout sous-titre infamant. Policier, thriller, roman noir. Faut pas déconner avec ça. Les étiquettes c’est important. On laissera une place pour le bandeau rouge et blanc. Un label à trois millions d'euros ! Un concept Galligrasseuil sur lequel s’aligne les autres maisons d’édition. A chialer tellement c’est beau.

     

    Arrange toi avec ça !

     

    Le contenu du livre ! Pas important. Un concept ça s’achète. Ca ne se lit pas ou si peu.

    - T'as acheté le dernier Goncourt ?
    - Ouais !
    - Ca parle de quoi ?
    - Heu ... j'l'ai pas encore lu.
     

    Mais t’as du style. Vraiment. Et puis qu’à cela ne tienne on va les embrouiller, les enfumer. Dans des interviews tu les éblouiras. Ce qui au début t'es apparu comme un polar est devenu un roman classique. Invente des trucs de ce genre. Dis leur que tu t'es débarrassé des codes. Tu veux leur expliquer que t'as écrit un roman picaresque ? Ouais picaresque ! Ca sonne vraiment bien. Ca fait vraiment érudit. Tu te réclameras d’auteurs classiques. Maurice Genevoix, Jules Romain et Dostoïevski, c’est la grande classe !

     

    Arrange toi avec ça !

     

    pierre lemaitre,au revoir là-haut,albin michel,goncourt

    En pleine lumière tu te dévoileras. On parlera de roman populaire. T'auras la larme reconnaissante. Tu citeras tes références. James Ellroy, David Peace, Bret Easton Ellis et William McIlvanney. Tu rendras hommage à la famille à laquelle tu as appartenu. De laquelle tu t’es émancipé. Tu leur dois bien ça. Tu remercieras ces dix vieillards pour leur geste de mansuétude. Accueillir le roman populaire dans le sérail littéraire. On s’incline. Le bon peuple s’agenouille devant tant de bienveillance.  Mais évite de définir ton roman comme un polar ou un roman noir. Ce serait trop ! La sollicitude c'est bien mais faut pas en abuser. Bien sûr tu ne pourras pas faire comme ce jeune écrivain genevois. Déclarer ne pas avoir écrit un polar. Prétendre même n'en avoir jamais lu. Ce serait exagéré. Surtout pour un type comme toi qui en a écrit sept. Mais ça aurait été pas mal de dire un truc brillant comme ça. 

     

    Arrange toi avec ça !

     

    Après bien sûr t'auras le triomphe emprunté. Mais tu posséderas enfin une stature. Tu feras partie de l'élite, des grands. Un vrai écrivain quoi ! Point de polémique. Tu te placeras au-dessus de la mêlée. A ton âge y a plus de pression. T'es libre, débarassé de tout préjugé. Tu parleras de tes projets. Une fresque. Ouais ! C'est bon ça, une fresque du style Balzac ou Zola. Merde mon gars ! Tu tiens vraiment quelque chose. Une fresque pour oublier tes frasques littéraires. Parce que désormais t'es dans la cour des grands. Tu vas pas renier ton passé, mais quand même. Bienvenue au Paradis. Dans les sphères supérieures des sociétés littéraires. Quelques regrets ? C'est pas grave. Tu feras une déclaration émouvante. Tu diras, à qui veut l'entendre que le polar par ton entremise a presque acquis ses lettres de noblesse. Presque !

     

    Arrange toi avec ça !

     

    Pierre Lemaitre : Au Revoir Là-Haut. Edition Albin Michel 2013.

    A lire en écoutant : Préface de Léo Ferré. Album : Il n’y a plus rien ! Barclay 1973.

  • Le polar est-il à la littérature ce que la comédie est au cinéma ?

    underwood5.jpg

     

    C'est une question que je me suis posée au salon du livre après que mon ami Yves Patrick Delachaux m'ait présenté à l'association des auteurs suisses comme un blogeur spécialiste des romans policiers (Toujours à exagérer, l'ami Delachaux). Je revois le regard indulgent d'un des membres qui me lâche comme ça l'air de rien : Des polars ?! Ah oui ! j'en lis parfois pour me distraire ! ». La remarque en elle-même n'a rien de désobligeant, puisque la fonction première du polar est bien de divertir. Il y a pourtant ce petit air suffisant où l'on devine la question fondamentale sous-jacente : « Quand est-ce que tu passeras à une lecture plus sérieuse, pauvre naze ! ». J'extrapole, un peu mais je suis a peu près certain que je ne suis pas si loin de la vérité. Et puis finalement, n'est-ce pas le propre de la littérature que de distraire le lecteur ? Qu'est-ce que la littérature sérieuse ? Probalement un concept de personnages élitistes qui se complaisent dans des salons dorés ou branchés en dressant le constat de leur savantes expériences culturelles avec un grand C. Une caricature bien sûr, mais en somme, quelque chose dans ce goût là, d'assez morose. Pas de quoi pavoiser !

     

    Pas de quoi pavoiser non plus dans le milieu du polar. Entre ces auteurs assoifés de reconnaissance qui versent dans l'écriture stylico-narcissique pour s'élever dans la hiérarchie des écrivains reconnus et ces éditeurs en constante recherche du coup littéraire, on asphysie le côté undeground du roman noir. Ainsi, on règle le passé de l'Amérique à coup de phrases courtes, ponctuées de point d'exclamation. Quand on est un écrivain de génie ça peut encore passer, même si cela devient parfois épuisant. Car il faut bien l'admettre qui a lu la trilogie Underworld USA de James Ellroy, d'un bout à l'autre, sans sauter une seule page ? Pas grand monde pour lever la main, j'en suis persuadé. Et il y a toute cette cohorte de polardiers qui tentent d'imiter le style et la thématique en pure perte. Du côté des éditeurs, on ne compte plus les bandeaux « nouveau maître du polar nordique. On frise la nausée avec ces démarches commerciales nauséabondes. Mais c'est du côté des critiques que l'on vire vers la tragédie lorsque je lis : « Plus qu'un polar ! Un grand roman ! ». Pour contrer ces slogans ineptes, rien ne vaut cette réflexion de Manchette :

    « Rions encore une fois des feuillistes qui affirment sempiternellement de tel ou tel ouvrage qu'il est d'avantage qu'un « roman policier ». Le roman noir, grandes têtes molles, ne vous a pas attendus pour se faire une stature que la plupart des écoles romanesques de ce siècle ont échoué à atteindre. »

     

    Le polar s'est extrait du sous-sol pour apparaître dans la lumière, espérons qu'il ne flétrira pas sous le dictat de la culture de masse et bien pire encore, sous le joug de la bienséance littéraire. Maigret a quitté son habillage de roman de gare pour revétir l'habit luxueux des Pléaides. Un bon en avant et c'est tant mieux. Mais prenons garde à ce que le polar reste ce qu'il est : l'acide qui défait les chairs pour mettre à nu le squelette que l'on se complait à planquer dans le placard. Pas de Goncourt, ni de Renaudot ou de Pulitzer pour le roman noir. Enfermé dans son ghetto, il est couronné par des Edgards, des 813 ou des Cognacs, comme s'il redoutait de vivre les affres du cinéma comique  qui ne s'est jamais vu récompensé à sa juste valeur par une académie engoncée dans sa suffisance culturelle. Un paradoxe lorsque l'on constate que cette même académie a récompensé deux films noirs que sont « Le Prophète » et « De battre mon cœur s'est arrêté ». Le polar : un monde en soi !