POLARS : REVUE DE PRESSE PRINTANIERE OU LA DEMISSION DES JOURNALISTES LITTERAIRES
Il faut vous rendre sur la page culturelle de la Tribune de Genève. Cliquez sur l’onglet « culture » puis sous la rubrique « livre » où vous ne trouverez aucune critique d’ouvrage. C’est symptomatique. Quant au cahier culturel du samedi, n’espérez pas trouver beaucoup de polars. Les chroniques sur ce genre littéraire sont de l’ordre de l’anecdotique. Ce n'est, de loin pas, un particularisme de ce quotidien. Alors quand un bloggeur invité au Quai du Polar à Lyon déclare que les blogs littéraires sont un complément de la presse traditionnelle, je me dis que le consensus n’a plus de limite. Que ne ferait-on pas pour obtenir une photo de Ellory !? Mais pour être totalement clair, il faut clamer haut et fort que les blogs littéraires et particulièrement ceux qui s’intéressent aux romans noirs et policiers se substituent aux journalistes qui ne font plus leur boulot. Le danger réside dans le fait que bon nombre de ces blogs reprennent les travers des critiques littéraires en effectuant un service de presse dégoulinant de mièvrerie, que l’on devine à la solde de certaines maisons d’édition.
Une chose est certaine, le Quai du Polar à Lyon est désormais une institution sur laquelle se cale toute cette presse littéraire pour proclamer à l'unisson son amour du roman policier. A l’image d’un renouveau printanier, les hors-séries et éditions spéciales bourgeonnent dans vos kiosques à journaux faisant ainsi écho au tapage médiatique, parfois insupportable, d’un festival qui prend une tournure de plus en plus commerciale. Mais qu’apprend-t-on de nouveau dans ce déluge de médias saisonniers ? Pour le dire tout net pas grand chose. La même célébration d’auteurs connus, reconnus ou « surconnus ». La même considération d’un genre autrefois méprisé qui deviendrait l’égal des autres. Et surtout la certitude que la presse littéraire ne fait pas son boulot tout le restant de l’année en consacrant à peine quelques pages, et c’est déjà énorme, à ce genre qu’elle découvrirait tout d’un coup au printemps. Allez examiner les pages culturelles des hebdomadaires ou des quotidiens pour vous rendre compte que le polar n’est pratiquement jamais exposé sur le devant de la scène, ce qui est plutôt un paradoxe au regard de l’intérêt affiché des lecteurs.
Le magazine Lire du mois d’avril en est le parfait exemple. Cette revue nous livre, au mois de mars, les 10 meilleurs polars de l’année 2015 ! Pour le reste vous découvrirez une série de clichés sur Los Angeles au travers d’un reportage consacré à Michael Connelly qui vous expliquera qu’il peut demander à ses assistants les précisions ou détails techniques nécessaires à l’élaboration de son livre, ceci à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. Vous passerez par un article sur le renouveau du polar espagnol où l’on « découvre » des auteurs comme Victor de Arbol ou Carlos Salem. Pour achever ce tour d’horizon consternant il faudra lire l’édito de François Busnel qui décrète que « le polar est un roman comme les autres », affirmation à laquelle on a envie de répliquer : fort heureusement non, le polar n'est pas un roman comme les autres !
L’hebdomadaire Books relève un peu le niveau en effectuant un tour du monde du polar. Malheureusement, les traductions d’articles de journalistes étrangers n’amènent que très peu d’éléments nouveaux ou originaux en mettant en lumière des auteurs qui sont, pour la plupart, bien trop connus à l’exemple de Nesbo, Peace, James Lee Burke. On appréciera tout de même le détour en Pologne pour faire la connaissance de Zygmunt Miloszewski qui nous livre un portrait sans fioriture de son pays.
C’est avec le hors série polar de Marianne que l’on aura d’avantage de satisfaction, même si le magazine n’évite pas l’écueil du « déjà lu » en présentant par exemple pour les USA des auteurs comme Ellroy, Pelecanos, Burke ou Lehane. On s’attardera donc plutôt sur les articles consacrés à l’Amérique du Sud, notamment avec un éclairage sur les auteurs des Caraïbes et de l’Argentine et un trop court sujet sur la jeune garde des maisons noires comme les Furieux Sauvages, jeune maison d’édition suisse de Valérie Solano.
C’est donc avec des revues comme 813 ou l’Indic que vous découvrirez tout au long de l'année, de manière plus sérieuse, l’univers du polar et du roman noir. Des revues bien trop confidentielles, mais qui n’en demeurent pas moins des références dans le paysage de la presse littéraire sinistrée.
A lire en écoutant : Comme à Ostende interprété par Arno. Album : Cover Cocktail. Virgin 2008.