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LES AUTEURS - Page 60

  • CYRIL HERRY : SCALP. TU SERAS UN HOMME, MON FILS.

    cyril herry, scalp, cadre noir, éditions du Seuil

    Pour les personnes qui prennent le temps de suivre ce blog, ce dont je les remercie au passage, vous aurez remarqué qu’il y a quelques personnalités du monde de l’édition qui reviennent régulièrement sur les devants de la scène à l’instar de Cyril Herry qui créa la maison d’éditions Ecorce, puis fut directeur de la collection Territori à la Manufacture des Livres, en relayant ainsi quelques textes magnifiques comme ceux d’Antonin Varenne, de Patrick K Dewdney ou de Séverine Chevalier pour ne citer que quelques uns de ces auteurs qui ont inititié un courant au sein de la littérature noire francophone en délaissant les paysages urbains pour s’implanter sur d’autres territoires plus reculés. Avec une exigence du texte et un sens de l’intrigue, Cyril Herry a sans nul doute distillé, au travers du récit des autres, quelques éléments de son univers que ce photographe émérite nous livre également au gré des clichés qu’il publie sur les réseaux sociaux. Cabanes et bivouacs élaborés, paysages forestiers, carcasses de voitures échouées on ne sait trop comment dans la nature, après l’édition et la photographie, c’est désormais par le prisme de sa propre écriture que Cyril Herry nous invite à retrouver cet environnement insolite, qu’il parcourt quotidiennement, avec un roman intitulé Scalp, narrant le parcours initiatique d’un jeune garçon en quête de son père.

     

    Depuis un satellite, l’Etang des Froids à Layenne n’est qu’une infime pièce cadastrale d’un immense puzzle terrestre. Pour Teresa, il s'agit de l’endroit où Alex s’est retiré du monde afin de vivre en pleine forêt en installant une yourte au bord de l’étang. Pour Hans, leur fils de neuf ans, c’est un lieu étrange et mystérieux où vit ce père qu’il n’a jamais connu. Ces retrouvailles sont l’occasion pour la mère et le fils de laisser derrière eux cette communauté disloquée où les pères de substitution ont joué leur rôle un temps seulement et où la mort et la trahison ont eu raison du fragile équilibre qui y régnait. Mais une fois arrivé au campement, nulle trace d’Alex. Teresa veut repartir mais Hans est bien décidé à rencontrer son père en dépit des ombres qui se dissimulent derrière les frondaisons et des coups de fusil qui résonnent dans les alentours. Parce que pour les autochtones, l’Etang des Froids, est un lieu où les étrangers quels qu’ils soient, n’ont pas leur place, particulièrement lorsqu’il s’agit d’originaux comme Alex.

     

    Scalp s’inspire d’une chronique judiciaire opposant les habitants d’un hameau composé de yourtes, au maire d’une commune de Haute Vienne mettant ainsi en exergue un mode de vie singulier qui ne souffrirait aucune tolérance de la part des autorités. Il y est donc question de liberté à hauteur d’homme se heurtant à cette vision cadastrale régissant et réglementant chaque parcelle de terrain que l’auteur nous permet d’appréhender, dès le premier chapitre, avec cette image satellite sur laquelle Teresa superpose le plan du cadastre en gomment ainsi toutes notions d’espace et de liberté. Sur la base de cette dichotomie, Cyril Herry nous livre un roman noir emprunt d’une tension permanente qui augmente graduellement au gré d’une intrigue distillant une climat à la fois étrange et inquiétant à l’image de cet enchevêtrement de troncs et d’épaves de voiture, décor hors norme, servant de terrain de jeu mais également de refuge pour un jeune garçon entraîné, bien malgré lui, dans un rude parcours initiatique, ponctué de violences, où la forêt, mais plus particulièrement la fureur des hommes, le transformera à tout jamais sans que l’auteur ne se détermine sur sa destinée qui demeurera à tout jamais incertaine.

     

    Comme un matrice, la forêt que dépeint Cyril Herry, devient un lieu de transition, un terrain d’aventure guère éloigné des romans de Jack London, de Mark Twain ou de James Fénimore Cooper dont les récits doivent probablement imprégner l’esprit d’un jeune garçon tel que Hans qui, par étape, mais également au gré des circonstances et des confrontations parfois violentes avec des enfants de son âge, s’émancipe peu à peu de l’emprise de sa mère qui reste le seul lien qu’il lui reste avec le monde adulte et dont il se distancie comme par défiance. Dans une alternance de points de vue, Cyril Herry décrit ainsi, avec l’efficacité d’un texte précis au travers duquel ressort la force des émotions des protagonistes, toute la complexité des rapports entre une mère et son fils qui se dissolvent peu à peu au profit de cette quête du père inconnu, mais également au gré de cette volonté d’émancipation qui se dégage de cet environnement sauvage faisant, paradoxalement, l’objet d’une convoitise insensée qui contribuera à cette perte  d’innocence d’un enfant égaré, non pas dans cette forêt symbole de liberté, mais au beau milieu de la folie d’autochtones obsédés par la propriété.

     

    Manifeste des rêves perdus d’adultes et d’enfants en quête de liberté, Scalp est un roman noir atypique et envoûtant, aux tonalités parfois poétiques, qui entraînera le lecteur dans l’environnement mystérieux de ces grandes forêts sauvages où l’indépendance des uns s’oppose à la convoitise des autres dans un déluge de violence à la fois brutale et surprenante. Tout simplement superbe.

     

    Cyril Herry : Scalp. Editions du Seuil/Cadre noir 2018.

    A lire en écoutant : North, South, East and West de The Church. Album : Starfish. 1988 Arista Records, Inc.

  • Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Dernier retranchement.

    jean-bernard pour, Ma Zad, gallimard, série noireRien ne saurait empêcher la venue de ce phénomène saisonnier, pas même les dérèglements climatiques, où l’on observe durant cette période printanière l’apparition des magazines hors-série consacrés à la littérature noire. On saluera l’effort même si l’actualité du polar ne s’arrête pas à cette période de l’année dont on pourra évaluer toute son ampleur annuelle avec des revues spécialisées dans le domaine, comme l’Indic ou 813 qui vous épargneront les sempiternelles réflexions sur un genre qu’il faudrait considérer à part entière dans le monde littéraire. C’est par le biais de ces publications que vous découvrirez tout au long de l’année des nouveautés qui ne bénéficient pas toujours d’un éclairage médiatique aussi important qu’elles seraient en droit de mériter, mais également des personnalités qui ont contribuées, bien avant son avènement, au rayonnement du roman policier à l’instar d’une figure comme Jean-Bernard Pouy créateur, avec Serge Quadrupanni et Patrick Raynal, de la série Le Poulpe qui a la particularité d’être rédigée pour chaque épisode par un auteur différent. Mais outre ce personnage emblématique du polar français, Jean-Bernard Pouy, conteur hors-pair, est l’auteur d’une cinquantaine de romans et d’un nombre incalculable de nouvelles et d’essais qui revient sur le devant de la scène avec Ma ZAD, un roman noir qui colle à l’actualité du moment dans le contexte de l’abandon du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes et des évacuations qui s’ensuivent.

     

    Ca ne va pas fort pour Camille Destroit, responsable des achats du rayon frais d’un grand supermarché, qui a trop fricoté avec les zadistes occupant le site de Zavenghem où se situe la ferme héritée de ses parents. Lors de l’évacuation de la ZAD, ce quadragénaire, plutôt rangé, est interpellé par les forces de l’ordre pour être placé en garde à vue. Et comme si cela ne suffisait, pas, Camille constate, à sa sortie de détention, que sa grange où il sotckait du matériel, destiné aux activistes a été incendiée, que son employeur l’a licencié et que sa copine l’a quitté. Pour couronner le tout, il est agressé par une équipe de crânes rasés n’appréciant guère son engagement. Blessé, le moral en berne, Camille peut compter sur les sympathisants qui logent chez lui. Parmi eux, Claire, une fille superbe qui le persuade peu à peu de reprendre la lutte et de faire face aux Valter, initiateurs du projet industriel de Zavenghem. Mais les intérêts de Claire sont-ils bien similaires aux convictions de Camille ?

     

    Roman libertaire à l’image de son auteur, Ma ZAD prend l’apparence d’un récit foutraque, émaillé de traits d’humour, où les digressions en tout genre côtoient quelques répliques saillantes et jeux de mots plus ou moins foireux, finissant même par devenir parfois un peu agaçants. Emprunt d’une grande culture au sens populaire du terme, Jean-Bernard Pouy peut intégrer dans son texte des références telles que Philipe K Dick, Manet, les Rolling Stone, et même de Daniel de Roulet, puisqu'une partie l’intrigue, dont quelques péripéties se déroulent d’ailleurs en Suisse, s’inspire du parcours de l’écrivain genevois, responsable de l’incendie d’un chalet inhabité, appartenant à un magnat de la presse allemand, et dont il a révélé les circonstances dans un roman intitulé Un Dimanche A La Montagne (Buchet-Castel 2006). Voici donc un bel inventaire à la Prévert auquel l’auteur rend également hommage.  Mais il ne faut pas s’y tromper, car au-delà de cette apparence chaotique, Jean-Bernard Pouy possède un solide sens de la narration nous permettant de suivre, au gré d’un texte vif et acéré, la fuite en avant de Camille, un homme aveuglé par une sourde colère qu’alimente une femme qui va se révéler fatale, mais également un environnement qui se disloque peu à peu sous les coups de boutoir d’une société de plus en plus avide. Mais loin d’être pompeux ou moraliste, Ma ZAD se révèle être un pur roman noir qui emprunte les codes classiques du genre pour le transposer à la périphérie du thème qu’il aborde, car acculé, dans ses derniers retranchements, la ZAD de Camille Destroit va s’incarner dans sa personnalité et ses convictions qu’il tente de préserver à tout prix.

     

    Magnifique roman déjanté et fulgurant, à la fois grave et joyeux, Ma ZAD nous offre, sans jamais se prendre trop au sérieux, une vision aiguisée et pertinente d’une société alternative que les gaz lacrymogènes ne sauraient faire disparaître.

     

    Jean-Bernard Pouy : Ma ZAD. Editions Galimard/Serie Noire 2018.

    A lire en écoutant : One Way Or Another de Blondie. Album : Parallel Lines. Capitol Records 1978.

  • VALERIO VARESI : LES OMBRES DE MONTELUPO. REVES DECHUS.

    valerio varesi, les ombres de montelupo, agullo éditionsAprès avoir arpenté les rives du Pô dans Le Fleuve Des Brumes, s’être égaré dans les rues de Parme au détour de La Pension De La Via Saffi, nous retrouvons le commissaire Soneri pour la troisième fois dans une intrigue plus intimiste puisqu’elle prend pour cadre le village natal de cet enquêteur emblématique du roman policier italien. Avec Les Ombres De Montelupo ce sont les réminiscences d’un père trop tôt disparu qui planent sur cette vallée perdue des Apennins où la brume s’invite une nouvelle fois pour diffuser cette atmosphère mélancolique enveloppant l’œuvre remarquable de Valerio Varesi.

     

    Désireux de s’éloigner des tumultes de la ville de Parme, le commissaire Soneri s’octroie quelques jours de vacances bien méritées pour se ressourcer dans son village natal au gré de longues promenades sur les sentiers escarpés de Montelupo, en quête de quelques champignons qui accommoderont les petits plats mitonnés que lui préparent l’aubergiste de la pension où il séjourne. Mais la quiétude sera de courte durée. Les rumeurs bruissent dans le village. On évoque une éventuelle faillite de l’usine de charcuterie Rodolfi, unique source de revenu des habitants. Rumeurs d’autant plus inquiétantes que les Rodolfi père et fils disparaissent dans d’étranges circonstances qui suscitent l’émoi de toute une communauté. On parle d’emprunts frauduleux, d’escroqueries et d’économies de toute une vie parties en fumée. Et les détonations résonnant dans les châtaigneraies des environs ne font qu’amplifier la tension qui règne dans la bourgade, car à Montelupo les comptes se règlent parfois à coup de fusil de chasse.

     

    Élément récurrent de la série mettant en scène les enquêtes du commissaire Soneri, l’évocation des partisans luttant contre les factions fascistes devient l’enjeu sous-jacent de cette nouvelle enquête où les souvenirs résonnent comme un écho sur les flancs de cette région montagneuse nimbée de brumes et de troubles compromissions. Bien plus que le devenir de Palmiro et de son fils Paride, deux entrepreneurs peu scrupuleux, il importe pour le commissaire Soneri de découvrir si son père s’est compromis avec le patriarche qui a fait prospérer la région avant que l’entreprise ne périclite en entraînant tout le village dans le chaos des désillusions desquelles émergeront tout un cortège de représailles. Une enquête qu’il mène presque contre son gré, sur les chemins sinueux de ces contrées boisées où les rencontres et les événements se succèdent dans les contreforts abrupts de cet environnement sauvage que parcourent braconniers et contrebandiers en tout genre.

     

    Gestions déloyales, investissements hasardeux, même dans cette région reculée de l’Italie, les désillusions financières toucheront l’ensemble d’une communauté secouée par la brutalité des conséquences d’une entreprise en faillite. On décèle, notamment au travers de Sante, l’aubergiste grugé, tout le désarroi mais également toute la concupiscence de villageois appâtés par les gains faciles découvrant la tragique réalité de prêts téméraires qu’ils ont octroyé sans aucune garantie. Emprunt d’une certaine forme de mélancolie, il émane du récit tout un climat de suspicion qui pèse sur l’ensemble des villageois au gré d’une enquête qui trouvera son aboutissement dans une traque absurde ne faisant qu’exacerber ce sentiment d’injustice et de désillusion planant sur un monde qui semble désormais révolu et qu’incarne Le Maquisard, personnage emblématique du roman, qui va à la rencontre de son destin en fuyant les carabiniers qui le pourchassent. Sauvage, encore épris de liberté, le vieil homme parcourant les bois au crépuscule de sa vie, incarne le souvenir de cette figure paternelle dont Soneri tente de faire rejaillir quelques bribes au détour de ces paysages embrumés dans lesquels il puise une certaine forme de vérité. Mais bien plus que la brume, c’est cette neige ultime qui va recouvrir, tel un linceul, l’ensemble d’un passé amer dont il va pouvoir se détacher pour toujours.

     

    Avec Les Ombres De Montelupo, Valerio Varesi décline dans l’équilibre d’un texte somptueux, où la nostalgie d’une époque révolue côtoie ce présent âpre et inquiétant, tout le savoir-faire d’un auteur accompli, capable de conjuguer émotions et tensions narratives émergeant des contreforts boisés de ces montagnes embrumées qui distillent un puissant parfum, mélange de liberté et d’humanité.

     

    Valerio Varesi : Les Ombres De Montelupo (Le Ombre Di Montelupo) Editions Agullo/Noir 2018. Traduit de l’italien par Sarah Amrani.

    A lire en écoutant : Après un rêve de Gabriel Fauré. Album : Fauré Requiem. Jules Esckin, Boston Symphony Orchestra & Seiji Ozawa. 2003 Deutsche Grammophon GmbH, Berlin.

  • Joël Dicker : La Disparition De Stéphanie Mailer. J’suis snob.

    joël dicker,la disparition de stéphanie mailer, éditions de falloisDepuis l’immense succès de son second livre, La Vérité Sur L’Affaire Harry Québert que j’avais bien apprécié, Joël Dicker a toujours eu un rapport conflictuel avec le polar pour lequel il réfute toute appartenance, ce qui se révèle, avec un roman comme Le Livre Des Baltimore, plutôt salutaire pour la réputation d’un genre déjà bien malmené par une cohorte d’ouvrages ineptes. Et aujourd’hui encore, à l’occasion de la parution de son nouvel opus, intitulé La Disparition De Stéphanie Mailer, l’auteur affirme, dans une longue interview de trois pages dans le Matin Dimanche, qu’il ne s’agit pas d’un polar qui en aurait les apparences et les habits, mais qui ne répondrait pas particulièrement à ses codes. Et de rajouter, certainement avec le sourire charmeur qui fait vaciller tous ses interlocuteurs, qu’il n’aime pas particulièrement le genre qu’il ne lit d’ailleurs pas. Il faut dire que Joël Dicker peut débiter, sans ciller, n’importe quelles fadaises face à une journaliste conquise par l’œuvre de ce jeune écrivain absolument adorable qui a eu l’élégance de lui préfacer son recueil des cent meilleures chroniques. Alors bien évidemment, dans de telles circonstances, il ne viendrait à l’esprit de personne de demander comment l’on peut aimer ou ne pas aimer un genre qu’on ne lit pas et plus encore, d’affirmer que son texte ne respecterait pas les codes dont on ignore, semblerait-il, absolument tout ? Mais tout cela importe peu puisque l’auteur n’en est pas à une contradiction ou à une élucubration près, lui permettant de décréter, dans la même interview, avoir construit avec La Disparition De Stéphanie Mailer « une sorte de roman russe » tout en se gardant bien de citer une quelconque référence en lien avec ce vaste pan de la littérature. Tolstoï, Dotoïevski, Soljenitsyne ou même l’œuvre fantastique de Sergueï Loukianenko, à la lecture du roman il sera bien plus facile d’identifier le responsable de La Disparition De Stéphanie Mailer que de percevoir cette fameuse influence russe imprégnant le texte. Parce qu’il est comme ça Joël Dicker à balancer tout azimut ses effets d’annonce évoquant les prestigieux romanciers qui planeraient sur l’ensemble de ses romans. Philip Roth pour Le Livre Des Baltimore et bien évidemment Norman Mailer pour son dernier opus, la manœuvre se révèle pourtant à double tranchant puisqu’au souvenir de romans tels que Pastorale Américaine ou La Nuit Des Bourreaux, on peut mesurer toute la faiblesse de l’œuvre insipide que produit laborieusement un Joël Dicker peinant à se positionner dans le milieu littéraire. Mais quitte à citer des auteurs américains, autant mentionner ceux qui ont obtenu le prix Pulitzer, afin d’éblouir journalistes, chroniqueurs et lecteurs conquis d’avance par le charisme d’un jeune écrivain au sourire ravageur qui devrait sérieusement songer à tourner une publicité pour une marque de dentifrice après avoir vanté les mérites d’une compagnie aérienne et d’un modèle de voiture.

     

    En 1994, Orphéa, charmante petite ville côtière des Hamptons, a défrayé la chronique avec les meurtres du maire, de son épouse, de leur fils et d’une passante probablement témoin encombrant de cette terrifiante tragédie.

    Jesse Rosenberg et Derek Scott, deux jeunes flics ambitieux de la police d’Etat, sont chargés de l’enquête qu’il vont mener jusqu'à son terme en constituant un dossier solide permettant l’appréhension du meurtrier. Auréolés de gloire, encensés par leur hiérarchie, les deux enquêteurs sont désormais respectés par leurs pairs.

    Mais l’affaire comporte quelques zones d’ombre et vingt ans plus tard, Stéphanie Mailer, une brillante journaliste locale, prétend que la police s’est trompée de coupable et qu’il faut reprendre toute l’enquête. Des propos d’autant plus troublants que la jeune femme disparaît peu après avoir contacté Jesse Rosenberg qui n’a plus d’autre choix que de se replonger dans des investigations se révélant bien plus complexes qu’il n’y paraît.

    Parviendra-t-il à retrouver Stéphanie Mailer ?

    Et surtout pourra-t-il faire toute la lumière sur cette tragédie vieille de 20 ans qui n’a pas fini de secouer toute la petite communauté d’Orphéa ?

     

    Ceci n’est pas un livre mais un produit destiné à conquérir le marché avec une maquette familière permettant aux consommateurs d’avoir la certitude de s’y retrouver en restant dans le même registre que l’ouvrage qui avait assuré la notoriété de l’auteur. Après Edward Hooper, Joël Dicker himself nous propose, en guise de couverture, une photo d’un amateur où l’on découvre une rue typique des USA investie par les forces de l’ordre. Pâle resucée de l’œuvre du photographe Gregory Crewdson, grand admirateur du peintre américain, l’image, reprend, avec beaucoup de lourdeur, tout le climat, parfois anxiogène, de ce décor de rêve américain qui émerge, presque insidieusement, de l’œuvre des deux artistes. Une illustration à l’image du contenu où l’absence de subtilité des personnages se conjugue avec la lourdeur d’une intrigue se déclinant sur le modèle fastidieux d’un calendrier que l’auteur égrène jusqu'à la nausée. « 33 jours avant la première du 21ème festival de théâtre d’Orphéa » ; « Mi-septembre 1994. Un mois et demi après le quadruple meurtre et un mois avant le drame qui allait nous frapper Jesse et moi. » Joël Dicker abuse de cette mécanique éculée du décompte, propre aux « page-turner », pour inciter le lecteur à poursuivre sa lecture jusqu’à la survenue des drames ou des coups d’éclat à venir, ce qui n’apparaît pas comme une évidence tant cette intrigue poussive, truffée d’invraisemblances, d’incohérences et ponctuée de dialogues mièvres, confine à la niaiserie voire même à la bêtise.

    "- Merci mon amour, d’être un mari et un père aussi génial.

    - Merci à toi d’être une femme extraordinaire.

    - Je n’aurai jamais pu imaginer être aussi heureuse, lui dit Cynthia les yeux brillants d’amour.

    - Moi non plus. Nous avons tellement de chance, repartit Jerry."

    Avec une syntaxe approximative et cette pauvreté de la langue où des qualificatifs tels que extraordinaire, merveilleux et magnifique reviennent à tout bout de champ, on comprend, dès lors, le fait que Joël Dicker renonce à s’attarder sur la description des lieux et des personnages, préférant ainsi tabler sur l’imagination du lecteur, ce qui explique peut-être cette absence d’atmosphère qui émane d’un texte aseptisé où l’ensemble des personnages, caricaturaux à l’extrême, apparaissent complètement dénués de caractère. Les flics détenteurs de lourds secrets, l’amant benêt martyrisé par son odieuse maîtresse, l’adolescente dépressive haïssant ses parents, le metteur en scène déjanté et le critique odieux détestant tous les auteurs à succès, l’auteur prend soin de décliner tous les poncifs du genre. Mais au fait de quel genre s’agit-il ? Assurément pas un polar comme nous l’affirme l’auteur lui-même en tablant sur l’absence de scènes sanguinolentes ou sur le fait que son tueur exécute les gens par nécessité et non pas par plaisir comme un vulgaire serial killer. Il serait vain d’énumérer les romans policiers ou les romans noirs qui contrediraient les assertions de Joël Dicker pour s’attarder sur l’avis de quelques chroniqueurs avisés, reprenant ses propos afin de l’exonérer des invraisemblances et des situations absurdes qui jalonnent ce texte bancal car justement il ne s’agit pas d’un polar et que l’auteur tend vers autre chose. Satyre, vaudeville, conte absurde, allégorie d’une farce sociale tragique, célébration de la culture et plus particulièrement du théâtre, ou même hommage à ce fameux roman russe, La Disparition De Stéphanie Mailer ne s’orientera vers aucune de ces éventualités parce qu’il ne suffit pas de citer le titre d’une pièce de théâtre ou d’employer quelques didascalies pour rendre hommage à Tchekhov. Parce qu’il ne suffit pas d’une enseigne d’un bar portant le nom de Beluga, d’un restaurant baptisé La Petite Russie, d’une petite amie prénommée Natasha, de grands-parents grotesques natifs du pays ou de l’imbrication d’une pléthore de personnages pour en faire un roman russe. Parce qu’il ne suffit pas d’inscrire l’intrigue au cœur d’un festival de théâtre pour prétendre avoir abordé les thèmes de la dramaturgie et de la mise en scène. Et l’on pourra bien citer une multitude d’auteurs et de dramaturges comme Don Delillo, Philip Roth, John Irving, Patricia Highsmith (quand je repense au Journal d’Edith), Anton Tchekhov et bien d’autres qui entrent dans une vaine litanie suffisante. Mais rien n’y fera, car derrière l’emballage rutilant nous ne trouverons qu’une coquille vide dans laquelle résonnent les prétentions de l’auteur.

     

    Prisonnier des enjeux de ventes phénoménales, de ses schémas éculés, de son écriture simpliste et de ses propos mièvres et convenus, Joël Dicker nous livre avec La Disparition De Stéphanie Mailer une triste et longue sentence du succès qui se fera au détriment des lecteurs de moins en moins crédules quant à la qualité du produit prétentieux qu’on leur propose.

     

    Joël Dicker : La Disparition De Stéphanie Mailer. Editions De Fallois 2018.

    A lire en écoutant : J’suis snob de Boris Vian. Album : Le Déserteur. 1997 Mecury Music Group.

  • ERIC PLAMONDON : TAQAWAN. DANS LES MAILLES DU FILET.

    Capture d’écran 2018-03-13 à 01.20.05.pngLivre destiné pour la jeunesse, Un Os Au Bout De L’Autoroute (Grand Angle 1978) de William Camus, un canadien aux origines iroquois, reste, aujourd’hui encore, un ouvrage qui m’a fortement marqué en découvrant le parcours d’un jeune indien tentant vainement de s’extirper des effroyables conditions sociales d’une réserve indienne de l’Etat d’Arizona où la jeune génération ne trouve d’issues que dans l’alcool et le suicide. J’avais à peine onze et je me souviens encore de la tragique destinée de Petit-Cheval. Quarante ans plus tard, c’est un roman comme Taqawan d’Eric Plamondon, également d’origine canadienne, qui marquera indéniablement l’esprit des lecteurs avec le récit noir d’une adolescente indienne, victime d’une viol et dont l’intrigue est fortement imprégnée du contexte social d’une réserve mig’maq située à la frontières des provinces du Québec et du New-Brunswick.

     

    En 1981, sur la réserve de Restigouche, 300 agents de la Sûreté du Québec débarquent pour confisquer les filets des pêcheurs mig’maq. Dans un contexte d’émeutes et de répressions violentes, échapper à la police pour défendre les siens pourrait presque apparaître comme un jeu pour Océane, une jeune adolescente indienne en pleine révolte. Mais la tournure des événements vire au drame lorsque la jeune fille disparaît. Écœuré par les exactions dont il a été témoin, Yves Leclerc, un agent de la faune, démissionne de ses fonctions et trouve refuge dans sa cabane nichée au cœur de la forêt où il découvre Océane, bien mal en point. Afin de faire la lumière sur le déroulement des événement, il pourra compter sur Caroline, un jeune enseignante française en stage, et surtout sur William, un indien solitaire qui sait faire parler la poudre quand il le faut.

     

    Désignation mig’maq du saumon, Taqawan n’a rien d’un titre anodin puisque ce fameux poisson devient l’enjeu d’un conflit historique qui a opposé, en juin 1981, les autochtones de la réserve de Restigouche aux autorités québécoises voulant imposer des quotas de pêche en bafouant ainsi les traditions ancestrales d’un peuple millénaire. Durant une période de crise constitutionnelle où la province du Québec entend affirmer sa position au sein de la nation, Eric Plamondon met en exergue tout le paradoxe d’un gouvernement québécois prônant des velléités d’indépendance tout voulant assujettir la population mig’maq afin de défier les autorités fédérales du pays.

     

    Roman noir aux courts chapitres rythmés et percutants, entrecoupés de contes et de légendes, d’événements historiques romancés, de recettes de cuisine traditionnelles et autres aspects sociaux et culturels, Eric Plamondon dresse avec Taqawan une superbe carte anthropologique du peuple mig’maq permettant de mettre en lumière tous les éléments qui nourrissent une sombre intrigue se mariant parfaitement au contexte des événements. Avec cette structure narrative quelque peu atypique mais extrêmement bien équilibrée, ne cédant d’ailleurs jamais à un quelconque misérabilisme, l’auteur construit un récit solide, emprunt de quelques scènes d’actions trépidantes, oscillant sur les registres du polar et du roman historique. Apparaissant comme fragile et vulnérable, Océane va peu à peu se construire autour des terribles épreuves qu’elle subit et des rencontres qu’elle fera au cours d’un parcours éprouvant pour devenir la jeune femme déterminée que l’on découvre au terme d’un roman bouleversant qui aborde également la thématique des abus sexuels liés au trafic d’êtres humains. A l’instar d’une population québécoise davantage concernée par les victoires de Gilles Villeneuve en F1 ou les débuts de Céline Dion, Yves Leclerc, le garde-faune ulcéré par les événements dont il a été témoin, cherche tout d’abord refuge dans la solitude de sa cabane nichée au fond des bois avant de s’impliquer pour venir au secours d’Océane tout en pouvant compter sur l’aide de Caroline, une institutrice française qui le contraindra , à son corps défendant, à percevoir toute l’ambivalence du gouvernement québécois vis à vis de la population mig’maq. Autre personnage emblématique du roman, il y a William, vieil autochtone solitaire, mi-chasseur, mi-sorcier, incarnation de cet homme mutique préférant agir, quitte à employer la force quand cela s’avère nécessaire et dont les ressources vont s’avérer indispensables pour déjouer les pièges des individus traquant la jeune indienne.

     

    Belle surprise de ce début d’année 2018, Taqawan est un roman à la fois social et politique absolument saisissant qui parvient en moins de 200 pages à nous immerger dans le contexte historique de cette « guerre du saumon », sur fond de polar nerveux, tout en appréhendant les aspects ethnographiques d’une population amérindienne révoltée tentant de se soustraire, parfois en vain, à toutes formes de vexations et d’humiliations que veut lui imposer une nation conquérante, refusant de se pencher sur son passé. Un livre prodigieux.

     

    Eric Plamondon : Taqawan. Quidam éditeur 2018.

    A lire en écoutant : The Pusher de Steppenwolf. Album : Steppenwolf. Geffen Records 1968.