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Auteurs S - Page 4

  • ANDREA MARIA SCHENKEL : LA FERME DU CRIME. CHRONIQUE VILLAGEOISE D’UNE MORT ANNONCEE.

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    C’est avec un fait divers se déroulant dans l’Allemagne rurale des années 50 que j’achèverai cette année 2014. Certes, la Ferme du Crime d’Andréa Maria Schenkel a été publié en 2008, mais ne suivant pas toujours l’actualité littéraire et ne subissant pas les contraintes des services de presse, je peux me permettre de farfouiller dans les rayonnages des librairies pour extraire quelques petites pépites qui sortent un peu de l’ordinaire. A bien des égards, l’ouvrage est emblématique des objectifs de ce blog qui tente, avec un succès relatif, de s’extraire des productions scandinaves ou américaines sur lesquels se concentrent les maisons d’éditions francophones. Pourtant, à l’instar des pays asiatiques ou hispaniques, l’Allemagne nous offre une palette d’auteurs de polars encore bien trop méconnus qui mériteraient d’avantage d’attention.

     

    La ferme isolée des Danner est le théâtre d’une tragédie qui secoue ce petit village d’Allemagne. Sous le choc, ce sont les voix des voisins, du curé, de l’instituteur et du maire qui témoigneront pour tenter de comprendre les raisons de l’horreur qui s’est déroulée au sein de leur communauté pourtant si dévote, marquée par les stigmates d’une guerre qui laisse encore la place à de coupables rancœurs.

     

    La Ferme du Crime est un roman très court qui alterne, au fil des pages, la narration d’un crime odieux et la dissection sociale d’un village allemand encore figé par les certitudes dogmatiques de la religion, de l’instruction et de l’autorité politique. Dans une ambiance oppressante, mais avec beaucoup de retenue Maria Andrea Schenkel nous décrit par bribe, le déroulement du drame en instaurant un certain suspense pour savoir qui seront les membres de la famille victimes de la tragédie. A mesure que l’on avance dans le récit, on décèle un malaise ambiant qui règne autour de ces protagonistes. Les non-dits inquiétants soulèvent des interrogations auprès de cette jeune fille de ferme qui vient de s’installer au cœur de cette famille taciturne. En contrepoint, l’auteur nous présente les différents témoignages des habitants du village qui tentent de dresser les circonstances du drame qui a frappé ce village d’apparence si tranquille. C’est par ce biais que Maria Andréa Schenkel nous brosse le portrait d’une Allemagne renaissante, mais encore fragilisée par les affres d’une guerre dont elle peine à se remettre. Par petites touches on découvrira cette industrialisation balbutiante qui dégarnit la campagne de sa jeunesse ainsi que les stigmates encore très présents laissés par les occupants. Les affects sentimentaux, sont également un des ressorts principaux qui alimente le roman notamment par le biais de la présence de ces travailleurs obligatoires français et des liaisons qui en ont découlées alors que les maris étaient partis au front.

     

    Comparé à De Sang Froid de Truman Capote, la Ferme du Crime ne s’intéresse que très peu à l’auteur du crime pour se focaliser, avec maestria, sur le tissu social qui compose ce village d’Allemagne qui, derrière un aspect communautaire très soudé, recèle son lot d’amertumes que le silence ne fait que renforcer au fil du temps qui passe en distillant ainsi tout une vague de frustration qui se transforme en haine.

     

    La Ferme du Crime est le premier ouvrage, que l’on peut considérer comme un coup de maître, d’Andréa Maria Schenkel qui a écrit trois autres romans, tous parus chez Babel Noir, que je vous ferai découvrir durant l’année 2015.

     

    Andrea Maria Schenkel : La Ferme du Crime. Editions Babel Noir 2008. Traduit de l’allemand par Stéphanie Lux.

    A lire en écoutant : Brahms. Piano Quartet Movement In a Minor. Album : The Villiers Piano Quartet. Etcetera 1989.

     

  • Glendon Swarthout : Homesman. Vers un monde meilleur.

    Capture d’écran 2014-11-26 à 00.10.29.pngSurprenant et poignant, ce sont les deux qualificatifs qui me viennent à l’esprit pour dépeindre Homesman, ultime roman de Glendon Swarthout qui s’est éteint en 1992, soit quatre ans après la publication de l’ouvrage. Après avoir publié le Tireur dans une nouvelle traduction intégrale, les éditions Gallmeister font à nouveau appel à Laura Derajinski, traductrice émérite, pour nous livrer ce roman en français, ceci pour notre plus grand plaisir.

     

    Beaucoup de lâcheté et un coup du sort désigne Mary Bee Cuddy, un ancienne institutrice esseulée, pour rapatrier les quatre femmes qui, au sortir d’un impitoyable hiver qui a ravagé les Grandes Plaines, ont perdu la raison. Il faut dire qu’au milieu du XIXème siècle, la vie des colons est extrêmement dure sur cette partie de la Frontière qui n’épargnent ni les bêtes ni les hommes. La seule solution consiste donc à ramener ces femmes vers l’est afin que leur famille puisse les prendre en charge. Avec un étrange chariot aménagé pour transporter ces âmes meurtries, Marie Bee Cuddy va traverser le Territoire pour rallier le fleuve Missouri qui borde la partie civilisée des USA. Pour échapper à la pendaison, Briggs, odieux personnage voleur de concession, sera contraint, bon gré mal gré, d’escorter cet étrange convoi.

     

    Il est probable que les lecteurs resteront très longtemps marqués par le souvenir de ces quelques pages où l’auteur décrit le tragique quotidien de ces quatre familles de colons qui tentent d’exploiter une terre vierge que l’on morcelle en concession sans nom. Ce sont les loups affamés qui rôdent autour des frêles maisons de terre, la maladie qui ravage les troupeaux, les enfants qui meurent et des grossesses non désirées qui laminent le cœur de ces femmes courageuses qui ne peuvent en supporter d’avantage. Isolées, repliées sur elles-mêmes, Line, Hedda, Arabella et Gro perdent peu à peu la raison pour sombrer dans une folie muette, entrecoupée parfois de violents éclats meurtriers. Dépassés, démunis, leurs veules maris n’hésiteront pas bien longtemps à se séparer de leurs conjointes devenues désormais bien trop encombrantes.

     

    Le reste du roman tourne bien évidemment autour des deux protagonistes principaux que sont Mary Bee Cuddy et Briggs qui vont tout au long du voyage, tenter de s’apprivoiser tout en contenant les débordements de leurs quatre passagères. Mais l’on aurait tord de s’attendre à un récit convenu où deux personnages antinomiques trouvent enfin le moyen de s’entendre pour faire face aux défis qui se présentent à eux. Glendon Swarthout n’hésite pas à briser les règles pour mieux surprendre le lecteur et l’entraîner dans les tourments d’une histoire qui n’a rien de conventionnelle.

     

    De longues scènes contemplatives très visuelles sont entrecoupées de rebondissements dynamiques qui en font un roman à l’équilibre presque parfait, hormis quelques longueurs que l’on peut déplorer en fin de récit. Dans une contrée sauvage, les protagonistes du convoi maudit trouvent leur place dans une nature hostile mais respectueuse. Mais plus ils se rapprochent de la civilisation, plus ils se heurtent à l’hostilité des hommes qui ne trouvent rien d’autre à faire que de les repousser et les rejeter. En finalité le monde civilisé s’avérera bien plus cruel que le monde du Territoire et c’est peut-être l’un des grands messages que l’auteur tente de faire passer au travers des pages de ce roman.

     

    Parce qu’il fait la part belle aux femmes, on a qualifié Homesman de western féministe ce qui n’est pas vraiment adéquat car bien trop souvent le personnage de Mary Bee Cuddy se fait rabaisser par l’odieux Brigg auquel l’auteur semble vouloir lui accorder le dernier mot. Mais bien évidemment, dans un genre littéraire machiste à l’extrême, Homesman peut apparaître comme le roman qui tente de promouvoir, parfois de manière maladroite, le rôle essentiel des femmes dans la conquête de l’Ouest.

     

    Homesman a été récemment adapté au cinéma. Le film réalisé par Tommy Lee Jones qui interprète le rôle de Brigg, suit très (peut-être trop) fidèlement la trame du récit. C’est Hillary Swank qui lui donne la réplique en endossant le rôle de Mary Bee Cuddy dans une brillante interprétation pleine de sensibilité. Mais on appréciera surtout la sobriété du jeu des trois actrices qui campent les trois femmes de colon gagnées par la folie. Elles donnent ainsi toute l'intensité à ce film bien maîtrisé qui fait honneur au très bon roman de Glendon Swarthout.

     

    Glendon Swarthout : Homesman. Editions Gallmeister 2014. Traduit de l’anglais (USA) par Laura Derajinski.

    A lire en écoutant : Into the Unknown de Blackhord.  Album : A Thin Line. ABC Music/Universal 2013.

  • GLENDON SWARTHOUT : LE TIREUR. LA DERNIERE DANSE.

    glendon swarthout, le tireur, gallmeister, totem, westernOn ne peut que saluer une maison d'édition qui ose sortir des sentiers battus en publiant des romans d'un genre particulièrement déconsidéré dans les milieux littéraires tel que le western ou le roman de guerre. Avec la collection Totem, la maison Gallmeister a osé miser sur des écrivains américains méconnus qui mériteraient pourtant d'avantage de visibilité que la pâle actualité que nous infligent les chroniqueurs avec ce "coup d'édition" narrant les secrets d'alcôve élyséens qui n'est finalement que le triste reflet d'une rentrée littéraire toujours plus inconséquente quant au rythme des parutions qui s'annihilent les unes les autres dans une cavalcade toujours plus frénétique et  trépidante.

     

    Pour fuir ce diktat culturel, je vous propose de découvrir cette nouvelle traduction intégrale d'un ouvrage de Glendon Swarthout publié en 1975, intitulé Le Tireur que le réalisateur Don Siegel porta à l'écran en 1976 sous le titre Le Dernier des Géant  avec John Wayne dans sa dernière apparition au cinéma. Autant le dire tout de suite le film, bien qu'excellent, ne parvient pas à restituer toute la noirceur et le cynisme émanant de ce récit funèbre.

     

    En 1901, John Bernard Books, vacillant sur son cheval, débarque à El Paso avec une réputation de tueur légendaire. Seul survivant d'une lignée de pistoleros redoutables, Books va découvrir qu'il est atteint d'un cancer incurable et qu'il ne lui reste que quelques semaines à vivre. En apprenant cela, une cohorte de vautours va se rassembler afin de profiter des ultimes instants de ce dernier monument de l'Ouest sauvage. Et au milieu de cette danse crépusculaire de charognards avides,  John Bernard Books va organiser le dernier coup d'éclat qui clôturera son parcours légendaire.

     

    On a souvent qualifié Impitoyable, le chef d'œuvre de Clint Eastwood, comme étant un western crépusculaire. Ce qualificatif conviendrait pourtant davantage au roman de Glendon Swarthout qui nous relate l'agonie d'une époque révolue au travers des derniers soubresauts  d'un homme en fin de parcours. Considéré comme un spécialiste du genre, l'auteur parvient, de manière originale, à nous restituer cette période charnière par le biais de quelques articles  que le personnage principal découvre dans son journal. Nouvelles internationales, faits divers et encarts publicitaires, c’est toute cette série d’articles ponctuant le récit qui restituent la perspective des changements sociétaux qui s’amorcent désormais à travers tout le pays. Et puis il y a ce compte-rendu du décès de la Reine Victoria qui deviendra le moteur du récit car c’est par le biais de cet article que John Bernard Book trouvera l’inspiration nécessaire afin  de prendre toutes les dispositions pour mettre en scène sa disparition prochaine.

     

    Comme les barillets des Remington 44 qu’utilise John Bernard Book, Le Tireur se subdivise en six chapitres très courts qui permettent de faire ressortir toute la quintessence d’un texte qui va vraiment vers l’essentiel et qui entraine rapidement le lecteur dans cette abîme mortelle qui se concluera de manière abrupte par un duel dantesque qui restera un modèle du genre avec la violence des scènes d’action, la pertinence des dialogues et l’introspection du personnage principal qui se marient dans un équilibre parfait.

     

    C’est également par l’entremise de la série de portraits que dresse l’auteur tout au long du roman que le lecteur peut se demander ce qui change vraiment d’une époque à l’autre car si le progrès apporte son lot de confort  et de commodité, la sauvagerie des personnages aux caractères veules et cyniques semble demeurer immuable. Avec ces hommes et ces femmes qui se pressent autour du personnage principal, on assiste donc au dépeçage d’un homme agonisant qui n’est que l’illustration d’un capitalisme forcené où tout s’achète et tout se vend en allant même jusqu’à brader la réputation d’une légende.

     

    Une légende qui meurt, un jeune homme qui renaît, c’est sur le dur constat impitoyable d’un héritage tragique que se concluera le roman au travers d’une passation dévoyée qui ne laissera aucun espoir quant à l’avenir de l’homme.

     

    L’alchimie d’un rayon de soleil de faux printemps changea le nickel des Remingtons en argent. Gillom Rogers avançait la tête haute, les épaules droites, bien plus grand à ses yeux, en proie à des sensations jusqu’alors inconnues. Il tenait un revolver encore chaud dans la main, sentait la morsure de la fumée dans ses narines et le goût de la mort sur sa langue. Le cœur haut dans sa gorge, le danger derrière lui – et puis la sueur soudaine et le néant, et la sensation douce et fraîche d’être né.

     

    Le Tireur

    Glendon Swarthout

     

    Glendon Swarthout : Le Tireur. Editions Gallmeister, collection Totem 2012. Traduit de l'anglais (USA) par Laura Derajinski.

    A lire en écoutant : Wild Horses des Rolling Stones. Album : Sticky Finger. Virgins Record – Rolling Stones 1971.

  • MAJ SJOWALL & PER WAHLOO : ROSEANNA. RETOUR AUX SOURCES.

    sjowall,wahloo,roseanna,rivagesAprès une série de déconvenues littéraires, il est parfois nécessaire de retourner vers les fondamentaux pour se ressourcer et trouver à nouveau du plaisir dans la lecture. Il n'en va pas autrement dans le domaine du polar et du roman noir. Cela faisait déjà quelques temps que je lorgnais du côté de Rivages, la salutaire réédition de la série des enquêtes de Martin Beck. Tout comme Giorgio Scerbanenco, j'avais découvert cette série dans la collection 10/18 à la fin des années 80 alors que la déferlante de polars nordiques n'en était qu'à un stade de douce utopie. A cette époque on lisait du polar made in USA, du néo polar français et du thriller britannique, car les auteurs des autres pays étaient essentiellement édités dans des collections de poches aux tirages des plus confidentielles.

     

    Le couple que formaient à la vie Per Wahloo et Maj Sjowall s’est employé durant une décennie à dénoncer le modèle idyllique de cet état providence qu’était la Suède. C’est derrière ce vernis que l’on découvre les revers d’un modèle social qui s’apprête déjà à voler en éclat sous la pression d’un libéralisme économique  en devenir. La série de Martin Beck comporte dix volumes qui ont été écrits entre 1965 et 1975 et qui s’arrête avec le décès de Per Wahloo. La plupart des critiques et bloggeurs s’accordent pour dire que le Roman d’un Crime (c’est ainsi que l’on dénomme la série Martin Beck) est une série qui frise la perfection et c’est sur le fait de savoir parmi les 10 ouvrages lequel est le meilleur que vous trouverez de nombreuses dissensions.

     

    En ce qui me concerne, j’ai une préférence particulière pour Roseanna,  premier roman de la série, parce que leurs auteurs ont su mettre en relief la lenteur d’une enquête policière et son côté parfois fastidieux sans que l’on en éprouve le moindre ennui, ce qui est une gageure qu’ils sont parvenus à relever avec un talent qui frise le génie. Martin Beck, enquêteur de la police criminelle de Stockholm est appelé à renforcer les policiers de la ville de Motola qui ont découvert le corps dénudé d’une jeune femme dans un canal tout proche. Il faudra toute la détermination et la patience d’un enquêteur entêté pour parvenir à identifier la jeune femme décédée ainsi que son bourreau.

     

    Vous l’aurez compris Roseanna ne s’appréhende pas comme un thriller trépident. C’est un ouvrage qui prend son temps et qui s’installe doucement pour dérouler son intrigue. Vous découvrirez les différents personnages qui résonneront de manière plus ou moins importante au fil des dix enquêtes auquel Martin Beck devra faire face. Le personnage principal est un homme somme toute ordinaire doté d’une conscience professionnelle qui en fait quelqu’un  d’un peu à part. Cet acharnement au travail lui coutera très probablement son mariage qui s’étiole au fil des enquêtes qu’il mènera durant toute la décennie.

     

    De par son côté ordinaire, Martin Beck n’est pas sans rappeler le commissaire Maigret par son côté fermé et bougon, même si on lui découvre beaucoup plus de vulnérabilité que chez son illustre prédécesseur. Chacun des ouvrages édités chez Rivages est préfacé d’un grand nom du polar, car Martin Beck et son équipe sont les précurseurs du police procédural qui a inspiré entre autre Henning Mankell qui préface d’ailleurs Roseanna, Ed Mac Bain et John Harvey pour ne citer que les meilleurs.

     

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    Ces hommages appuyés ne font que renforcer la certitude que les années n’ont en rien altéré la qualité de ces superbes polars qui parviennent encore à refléter les affres d’une époque qui ne saurait être révolue parce que le roman policier tout comme le roman noir sont, comme je le martèle depuis toujours, le reflet de notre espace et de notre temps.

     

     

     

    Maj Sjowall & Per Wahloo : Roseanna. Rivages/noir 2008. Traduit du suédois par Michel Deutsch.

    A lire en écoutant : Vinegar & Salt de Hooverphonic. Album : Hooverphonic with orchestra. Columbia 2012.

  • Giorgio Scerbanenco, Les Enfants du Massacre, tragique jeunesse

    9782743622831FS.gifLorsque j'avais lu la première version des Enfants du Massacre de Giorgio Scerbanenco, édité dans la collection 10/18 Grands Détectives, j'avais été frappé par l'actualité du sujet et par la modernité du texte, car il faut savoir que ce roman avait été écrit en 1968. Il s'agissait de l'avant-dernier opus de la série mettant en scène Duca Lamberti.

    Drôle de parcours pour ce personnage radié de l'Ordre des médecins et condamné à trois ans de prison pour euthanasie après avoir cédé à la demande d'une patiente souffrant d'un cancer en phase terminale. Au fil des récits, Duca Lamberti passera par le statut d'enquêteur privé,  avant d'intégrer la Questure de Milan avec l'appui du Commandant Carrua. Malgré son statut de policier, ses collaborateurs persisteront à l'appeler Dottore faisant preuve d'un immense respect pour cet homme atypique.

    Beaucoup considèrent les Enfants du Massacre comme étant le meilleur roman de la série et je ne peux que confirmer ce choix. L'histoire débute dans une salle de classe déserte devenue la scène d'un crime abominable et abjecte après qu'une enseignante aient été violée et massacrée par ses 11 élèves du cours du soir. Bouleversé, Duca Lamberti va procéder à l'interrogatoire de ces jeunes adolescents en rupture sociale pour établir la responsabilité de chacun. La loi du silence va rendre son travail difficile et il devra faire preuve de tout son talent d'enquêteur pour établir la vérité qui n'est pas forcément celle que l'on croit. Enquête d'autant plus difficile pour Duca Lamberti qui sera confronté à la douleur de la perte de sa nièce âgée de 2 ans.

     

    Bonne idée pour Rivage/Noir d'avoir réédité la série Duca Lamberti qui bénéficie d'une nouvelle traduction. La trame sociale reste toujours le moteur principal des récits avec en toile de fond cette violence terrifiante au cœur d'une Italie en pleine expansion. La modernité du texte provient également de sujets très forts, comme la délinquance juvénile, que Scerbanenco dénonçait déjà dans les années 60 et qui reste toujours un des sujets principales de l'actualité.

     

    Il y a aussi cette grande ville de Milan, monstre tentaculaire, que Scerbanenco s'attache à nous décrire au fil de ses romans. La cité, personnage à part entière, tantôt attachante, tantôt repoussante, mais toujours pleine d'un certain charme mélancolique devient le théâtre tragique des enquêtes de Duca Lamberti.

     

    Dans la foulée, Rivage/Noir a également édité le dernier récit des enquêtes de Duca Lamberti, les Milanais Tuent le Samedi qui, sans être du même calibre que les Enfants du Massacre, reste un roman extrêmement sombre qui traite de la problématique de la prostitution avec la disparition et la mort d'une jeune femme souffrant d'une déficience mentale.

     

    Venus Privée et Ils Nous Trahirons Tous, sont les deux premiers romans de la série Duca Lamberti et ont également été réédité aux éditions Rivages/Noir. Sombres intrigues, société en pleine mutation, crimes sordides, ce sont les principaux éléments des récits de Giorgio Scerbanenco qui font que cet auteur est devenu l'un des grands maîtres du polar italien.

     

    Planqués au fond des rayonnages les plus élevé de ma bibliothèque j'ai eu tout de même du plaisir à retrouver les éditions 10/18 de ces 4 romans dont la typographie surannée rend le texte peu lisible. Souvenir de lecture de jeunesse, on ne peut que saluer l'initiative des éditions Rivages/Noir d'avoir remis au goût du jour ce magnifique auteur de polar.

     

    Bonne année et bonnes lectures

     

    Giorgio Scerbanenco : Les Enfants du Massacre. Editions Rivages/Noir 2011. Traduit de l'italien par Gérard Lecas.

    A lire en écoutant : Madre Terra, Madre Perla de Ricardo del Fra. Album : Roses an Roots/MFA 2004.

     

     

  • James Sallis : Drive, le western urbain

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    Le Chauffeur, personnage principal du roman Drive de James Sallis, est pareil à cet homme sans nom, taciturne dont on ne connaissait absolument rien que campait Clint Eastwood dans la trilogie « Dollars » de Sergio Leone.  On change pourtant de décor en sillonnant le méandre urbain des routes poussiéreuses de Los Angeles avec cet homme taciturne qui carbure à l'adrénaline et vit au rythme des cylindres de ses voitures trafiquées. Cascadeur de jour, le Chauffeur prête ses talents pour diverses équipes de braqueurs tout en restant en retrait. La règle est simple, il se contente de conduire, mais il le fait avec un talent inouï qui lui permet de semer toutes les patrouilles de police. Le roman démarre brutalement dans la chambre d'un motel où le Chauffeur, entouré de plusieurs cadavres, rumine sa vengeance pour sanctionner les hommes qui ont tenté de le doubler. Une route froide et sanglante, comme ce bolide qui traverse Pico Blvd à toute allure, c'est ainsi que l'on peut décrire ce roman très court de James Sallis. Une écriture  sèche, dépourvue de toutes fioritures psychologiques et divisée en chapitres très courts, non linéaires qui font que ce récit se lit comme un boulet de canon et nous laissant sonné sur le bord de la route.

     

    Un roman noir et bien serré, c'est vraiment comme cela que l'on peut définir cet ouvrage de James Sallis écrit en hommage au grand maître du roman de casse, Donald Westlake. 170 pages que l'on tourne au rythme trépidant de cet homme sans foi ni loi qui gravite dans un monde underground, composé de motels pourris, de meublés sordides et de rades crados, le tout ponctué de montées au braquage, poursuites palpitantes et exécutions sommaires. Un western urbain donc, où les chevaux apparaissent désormais sur les radiateurs fumants des bolides made in USA.

     

    Souvent c'est à partir de roman très bref que l'on bâtit des chefs-d'œuvre cinématographiques et Drive en est l'exemple parfait. De ce roman, Nicolas Winding Refn a réalisé un film absolument éblouissant qui s'inscrit dans la même lignée que des  Police Fédérale Los Angeles de William Friedkin ou Heat et Collatéral de Michael Mann. Après avoir lu le roman, faites comme moi, courrez voir le film qui dégage une violence animale sans concession et sans fioriture au cœur d'une ville presque irréelle qui sert de terrain de jeu pour ce héro sans nom. On avait déjà eu la vision âpre et abrupte de ce cinéaste danois lorsqu'il avait réalisé Pusher I, II et III, une trilogie hallucinante qui traitait du milieu du crime au Danemark et reléguait la série des Parrains au conte de bluette pour jeunes filles romantiques.

     

    James Sallis : Drive. Editions Rivages/Noir 2005. Traduit de l'anglais (USA) par Isabelle Maillet.

    A lire en écoutant : Play Your Cards Right. Common feat. Bilal. Smocking Aces (Original Motion Picture Soundtrack).

     

     

     

  • Shane Stevens : Au-delà du Mal, l’ère vivifiante et sanglante des seventies !

     

    Au-delà du Mal fait partie de ces éditions maudites qui font en sorte que ce roman de serial killer, écrit en 1979 a finalement été traduit et édité aux éditions Sonatine en 2009. Ce récit, peut-être trop en avance pour son époque, souffre désormais de la comparaison

     

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    avec des auteurs comme James Ellroy ou Thomas Harris. Martin Plunkett (tueur baroque et excessif d’Un Tueur sur la Route) et Hannibal Lecter (tueur raffiné et cultivé du Silence des Agneaux) sont passés par là et ont gravé en lettre de sang leurs dérives meurtrières laissant loin derrière eux la cohorte de tueurs parfois pathétiques et guignolesques qui ont fleuri après eux, provoquant finalement une espèce de lassitude pour ce genre.

     

    Il faudra pourtant faire fi de cette lassitude et se plonger dans l’histoire tourmentée de Thomas Bishop qui fait figure de père spirituel pour les tueurs que j’ai cité précédemment. L’histoire au souffle épique se situe durant les années 70, "époque bénie" où sévissaient des monstres comme le Zodiac, Ted Bundy et où le sentiment d’insécurité était supplanté par la lutte contre le communisme, atteignant son paroxysme avec la guerre du Vietnam.

     

    Le récit débute en narrant l’histoire véridique de Caryl Chessman, violeur en série, condamné à mort. A 10 ans, Thomas Bishop, interné dans un institut psychiatrique de Californie, après avoir tué sa mère dans des conditions atroces, est persuadé d’être le fils de ce personnage charismatique. Bien des années plus tard, après un subterfuge diabolique, il parviendra à s’évader pour semer la mort à travers tout le pays, achevant son parcours à New-York où il sévira avec force et conviction à l’image de son pseudo père, provoquant une chasse à l’homme qui prendra une dimension nationale. Nous suivrons donc le parcours d’un journaliste, de plusieurs policiers et hommes politiques embarqués dans cette course terrifiante qui suscitera bien des débats comme celui sur la peine de mort.

     

    Outre la fraicheur du récit qui prend son temps pour s’installer, on appréciera les sujets de société que l’auteur évoque au travers de ces personnages (débat sur la peine de mort, les prisons, les instituts psychiatriques, la coordination entre les divers services de police et les médias) ce qui en fait plus qu’une histoire de serial killer. Pas de fioriture, pas d’exercice de style et point de rebondissement tonitruant, juste une histoire suffisamment terrifiante en elle-même pour nous faire dresser les cheveux sur la tête.

     

    Du fait des années 70, on appréciera également le réalisme du parcours de ce criminel qui n’utilise que les outils de son époque pour échafauder ses plans diaboliques. Point de téléphones portables, d’informatiques ou autres stratagèmes sophistiqués pour ce tueur qui opère « artisanalement » avec son couteau en égorgeant, éventrant et découpant ses victimes sans aucun état d’âme.

     

    On sait peut de chose sur Shane Stevens qui est probablement un pseudo derrière lequel se cache l’auteur de 5 romans écrits entre 1966 et 1981. Gageons que l’auteur se soit retiré dans les hauteurs de l’Himalaya en psalmodiant des prières inintelligibles pour se faire pardonner d’avoir terroriser ses lecteurs avec des récits bien trop en avance pour leur époque et traduits malheureusement avec bien trop de retard.

     

    Shane Stevens : Au-delà du Mal. Editions Sonatine 2009. Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Clément Claude.

     

    A lire en écoutant : Fortunate Son - Creedeance Clearwater Revival – Chronicle – The 20 greatest hits