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Auteurs S - Page 3

  • BENOIT SEVERAC : LE TABLEAU DU PEINTRE JUIF. MEMOIRE DES ARCHIVES.

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    Service de presse.

     

    Profondément attaché à sa ville de Toulouse, on découvrait Benoît Séverac avec Le Chien Arabe (Manufacture de livres 2016) dont le titre a suscité un certain émoi ce qui explique que la version poche soit parue en portant la mention Trafics (Pocket 2017) et 115 (Manufacture de livres 2017), deux romans policiers qui mettaient en scène, Sergine Hollard, une vétérinaire engagée et la major Nathalie Decrest, policière de quartier opérant en uniforme dans les quartiers sensibles de la périphérie nord de la cité. Avec des intrigues au caractère sociale affirmé, la particularité de Benoît Séverac réside dans le fait qu'il implique dans ses intrigues des personnages au profil résolument ordinaire à l'instar de cette enquêtrice issue d'un commissariat de quartier et de cette vétérinaire officiant dans le quartier des Izards en mettant en exergue les problèmes auxquels sont confrontés les habitants dans leur quotidien.  Révélé au grand public avec Tuer Le Fils (Manufacture de livres 2020) qui a rencontré un succès considérable, Benoît Séverac revient sur le devant de la scène de cette rentrée littéraire avec Le Tableau Du Peintre Juif en abordant le thème des filières de résistants opérant dans la région du Sud-ouest pour faire passer en Espagne ces femmes et ces hommes qui fuyaient le régime de l'occupant nazi.

     

    Après avoir déposé le bilan de son entreprise de transport, Stéphane Milhas est un cinquantenaire sans emploi qui se morfond dans un quotidien sans avenir tandis que son mariage s'enlise irrémédiablement au grand dam de ses deux filles désormais adultes qui ont quitté le foyer familial. Mais un téléphone de la tante et de l'oncle de Stéphane change soudainement la donne lorsque ceux-ci lui proposent de récupérer le tableau du peintre juif que ses grands parents avaient caché durant la guerre. Il découvre ainsi une toile de grande valeur peinte par Eli Trudel, un peintre célèbre qui aurait bénéficié de la bienveillance de ses grands-parents recevant ainsi le tableau en guise de gratitude et dont il hérite désormais. La vente de l'oeuvre pourrait permettre à Stéphane de prendre un nouveau départ. Il préfère cependant offrir à ses grands-parents la reconnaissance posthume qu'ils sont en droit d'attendre. Mais après avoir présenté le tableau aux experts de Jérusalem ceux-ci dénoncent Stéphane à la police qui est placé en garde à vue avant d'être expulsé du pays tandis que l'oeuvre est confisquée. En effet, le tableau aurait été spolié à son auteur qui trouva la mort avec sa femme dans les camps de concentrations après avoir été capturés par les nazis. Bien persuadé que ses grands-parents n'aient pu participer à une telle ignominie, Stéphane va se mettre en quête de la vérité et découvrir les terribles secrets que recèlent le tableau du peintre juif et les convoitises qu'il a suscité durant cette période trouble de l'hiver 1943.

     

    L'intérêt d'un roman comme Le Tableau Du Peintre Juif réside dans l'aspect ordinaire du profil de Stéphane Milhas se trouvant soudainement confronté aux méandres tortueux de l'Histoire de la Seconde guerre mondiale, et plus particulièrement de la Résistance, dont ses grands-parents plutôt taiseux ont fait partie sans qu'ils ne s'en vantent. Témoignage de cette époque, il y a ce tableau accroché durant des décennies dans une modeste chambre à coucher avant de revenir à Stéphane qui n'a d'autre aspiration que de rendre hommages à ses aïeux pour le courage dont ils ont fait preuve. Sur une alternance entre la période de 1943 où l'on découvre le parcours d'Eli Trudel et de sa femme fuyant la France occupée et l'enquête de Stéphane bien décidé à faire la lumière autour des événements qui ont conduit ses grands-parents à se retrouver en possession d'un tableau d'une grande valeur, Benoît Séverac aborde avec beaucoup d'émotions et de sensibilité tout l'aspect des filières clandestines entre la France et l'Espagne afin de fuir le régime de Vichy collaborant avec l'occupants allemand. Parfois maladroit, parfois désemparé, on suit ainsi la quête incertaine de Stéphane Milhas qui ne peut compter que sur son obstination pour mettre à jour les aspects peu reluisants qui se cachent derrière ce tableau qui devient un véritable fardeau menaçant de briser définitivement son couple ainsi que la réputation de ses grands-parents. De Jerusalem à Madrid en passant bien évidemment par Toulouse, Benoît Severac retrace ainsi, avec beaucoup de réalisme, cette enquête qui nous plonge dans les méandres d'un passé trouble où l'identité reste l'enjeu central d'une intrigue captivante nous entraînant dans les profondeurs des archives de nombreuses institutions dont on découvre des éléments passionnants qui mettent en perspective les aléas de l'Histoire de la Seconde guerre mondiale. L'émotion est d'autant plus latente qu'au terme du récit, Benoît Séverac nous livre une représentation de ce fameux tableau du peintre juif que son oncle et sa tante lui ont confié en lui inspirant ainsi ce roman poignant où le réalisme social de nos jours côtoient les événements méconnus de l'histoire de la Résistance au cours d'une enquête aussi déroutante que passionnante.

     

    Benoît Séverac : Le tableau Du Peintre Juif. Editions La Manufacture de livres 2022.

    A lire en écoutant : Suite espagnole N° 1, Op. 47; V Asturias – Leyenda de Isaac Albéniz. Album : Leyendas – Thibaut Garcia. 2016 Parlophone Records Limited.

  • MARYLA SZYMICZKOWA : MADAME MOHR A DISPARU. GRAND THEATRE.

    agullo éditions, maryla szymiczkowa, madame mohr a disparuService de presse.

     

    Dans le domaine de la littérature noire polonaise, on reste encore marqué par les enquêtes du procureur Teodore Szacki que son auteur, Zygmunt Miloszewski, mettait en scène dans une série composée de trois romans publiés chez Mirobole Editions et Fleuve Noir. Du côté de chez Agullo, on découvrait le pays et plus particulièrement la ville de Varsovie par le biais de Wojciech Chmierlarz et des investigations de son inspecteur Jakub Mokta, surnommé le Kub dont on suivait les péripéties au gré d'une série de cinq romans passionnants mettant en perspective les disfonctionnements de la société polonaise. Avec Maryla Szymiczkowa, nom de plume d'un duo d'auteurs mariés à la ville que sont Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski, c'est du côté de Cracovie, ancienne capitale de la Pologne, que Agullo nous convie avec cette nouvelle série de quatre ouvrages, débutant en 1893 et qui se déroulera sur l'espace de plusieurs décennies pour s'achever en 1946 en présentant ainsi l'évolution du pays mais également de l'Europe centrale, ceci depuis l'empire austro-hongrois jusqu'au basculement du régime communiste peu après la fin de la seconde guerre mondiale. Pour aborder cette époque mouvementée et riche en péripéties, les auteurs ont pris le parti de suivre la destinée de Zofia Turbotynska, bourgeoise conservatrice, mariée à un professeur d'université, qui se découvre une vocation de détective au gré d'intrigues prenant l'allure d'un whodunit à la Agatha Christie nous permettant d'aborder ainsi les grands événements qui constituent cette période de l'Histoire. 

     

    Cracovie 1893. Zofia Turbotynska est une femme débordée devant impérativement renouveler son staff de domestique et plus particulièrement sa femme de chambre qui ne lui convient pas. De plus, elle organise une collecte à l'intention des indigents de la Maison Helcel, institution de soins privée dirigée par des bonnes sœurs charitables. Mais rien ne va plus lorsque l'on découvre dans le grenier de cet établissement le corps sans vie de madame Mohr. Sur place, le médecin conclut rapidement à une crise cardiaque, ceci au grand désarroi de Zofia, grande lectrice de romans policiers, qui y voit plutôt un acte criminel, ce d'autant plus lorsque l'on trouve une seconde résidente morte étranglée. C'est l'occasion pour cette femme désœuvrée de mettre en lumière les petits secrets plus ou moins sordides des résidents et des employés de la maison Helcel et de contrer le juge d'instruction Klossowitz toujours prompt à enfermer le premier suspect venu. Mais bien au-delà des apparences, Zofia va tout mettre en œuvre pour faire jaillir la vérité en se découvrant ainsi un passe-temps bien plus amusant que le point de croix.

     

    On apprécie d'emblée ce récit rédigé à quatre mains où le féru d'Histoire côtoie le passionné de tabloïds criminels pour nous offrir un roman bien équilibré conjuguant bien évidement l'Histoire avec l'intrigue policière mais également la comédie de mœurs nous permettant d'avoir un bon aperçu de la diaspora bigarrée d'une ville de Cracovie et de ses environs qui avait, à l'époque, le statut particulier de république semi-autonome contrôlée par les trois empires qu'étaient la Russie, la Prusse et l'Autriche avant d'être incorporée au sein de l'empire austro-hongrois. Dans un contexte historique assez complexe, il importe donc de lire attentivement l'avant-propos afin d'avoir une vision éclairée d'une période trouble où les soulèvements évoqués vont intervenir dans la destinée de certains protagonistes du récit en nous donnant ainsi davantage de recul quant à leurs motivations. On découvre ainsi une ville d'une belle richesse culturelle que les auteurs mettent en valeur avec deux points d'orgue qui ont marqué l'année 1893 que sont l'inauguration du nouveau théâtre de Cracovie et les funérailles du grand peintre polonais Jan Matejko qui refusa son titre de citoyen honoraire de la ville indigné qu'il était que l'on ait construit le théâtre sur l'emplacement d'un couvent et d'une église en ruines. Loin d'être anecdotiques, ces deux événements s'intègrent parfaitement dans le cours de l'intrigue en suivant les pérégrinations de Zofia Turbotynska évoluant dans toutes les castes qui composent la cité en nous permettant d'avoir une bonne vue d'ensemble des communautés de la ville à l'instar des juifs considérés comme des citoyens de seconde zone. Avec cette enquêtrice atypique, on découvre ainsi le quotidien d'une femme conservatrice aux idées bien arrêtées, un peu pingre, souhaitant assoir son rang avec l'aide de la noblesse qu'elle fréquente notamment par le biais de ses activités bénévoles qui ne sont pas vraiment désintéressées. Cet aspect du quotidien est d'autant plus intéressant qu'il est ponctué d'une pincée d'humour parfois mordant qui donne du relief à l'ensemble du roman. Et puis il y a bien évidement l'intrigue policière habilement construite qui rend hommage à la reine du roman policier britannique tout en s'en affranchissant avec talent au gré d'une enquête assez complexe dont on connaît l'aboutissement qu'en toute fin de récit avec la fameuse réunion théâtrale réunissant tous les suspects fréquentant cette Maison Helcel qui abrite bien des secrets. Tout cela nous donne un roman historique et policier passionnant s'attardant sur les aspects sociaux de l'époque au gré d'un récit plaisant en accompagnant une enquêtrice au charme indéniable que l'on se réjouit déjà de retrouver au cours d'une série qui s'annonce très prometteuse.

     

     

    Maryla Szymickowa : Madame Mohr A Disparu (Tajemnica Domu Helclow). Editions Agullo 2022. Traduit du polonais par Marie Furman-bouvard.

    A lire en écoutant : Joahnnes Brahms – Piano Quintet in F minor Op. 34, String Quartet in a minor Op. 51 No 2. Album : Camerata Quartet. 2022 Camerata Quartet.

  • NATHALIE SAUVAGNAC : ET NOUS, AU BORD DU MONDE. PUISQU'IL FAUT PARTIR.

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    Professeur de théâtre, metteuse en scène, comédienne, et directrice d'une compagnie, Nathalie Sauvagnac incarne la vie d'une baroudeuse en endossant également le rôle d'une romancière débarquant dans le domaine de la littérature noire avec Les Yeux Fumés (Le masque 2019) où elle nous convie dans l'univers d'une cité en prêtant la voix à cette France de la marge que l'on retrouve d'ailleurs dans son dernier roman, Et Nous, Au Bord Du Monde. Avec une unité de lieu nous donnant l'occasion de nous immerger au cœur d'une ferme squattée par trois marginaux, Nathalie Sauvagnac va saisir le lecteur avec ce nouveau récit, au gré d'une lente construction de la tragédie donnant ses lettres de noirceur à une mise en scène d'une belle justesse qui vous coupe le souffle en suivant le parcours de Nadine, cette jeune femme fragile dont on perçoit le désarroi qui semble devenir le moteur de sa destinée.

     

    Depuis qu'elle a été chassée de la maison familiale, Nadine ne trouve plus sa place dans un monde qui n'est pas le sien. Elle loge temporairement chez une amie et travaille pour une boîte d'intérim qui lui fournit un job lui permettant de vivoter tant bien que mal. A l'occasion d'une fête, elle découvre Les Vignes, un ancien corps de ferme squatté par Jean-Mi et Louis, deux marginaux qui en ont fait leur repaire. Sans eau, sans électricité, adossée à une colline boisée où gambadent quelques chèvres hargneuses et quelques poules dédaigneuses, la bâtisse a des airs de paradis pour Nadine qui décide de s'y installer et d'y faire son nid. Une certaine idée du bonheur qui convient à cette jeune femme en quête d'oubli et de quiétude au fil d'une existence toute simple et sans contrainte. Mais les rêves sont toujours de courte durée et le paradis se transforme en enfer lorsque les contraintes du monde bousculent une nouvelle fois son existence. Des désillusions auxquelles Nadine devra faire face. Mais en a-t-elle encore la force ?

     

    Il n'y a pas vraiment de miracle, mais peut-être un peu d'espoir pour Nadine, cette jeune femme qui découvre ce petit bout du monde dans lequel elle pense pouvoir se faire une place entre Louis, cet homme mutique qui vit d'expédients en élevant quelques chèvres et poules tandis que son acolyte Jean-Mi, plus communicatif, cultive quelques plants de cannabis tout en tentant de maîtriser tant bien que mal son addiction à l'héroïne. Tout pour être heureux simplement, pour souffler un peu et poser ses valises au cœur des Vignes, ce domaine agricole qui prend l'allure d'un squat où ces trois personnages attachants vont s'apprivoiser peu à peu. Nathalie Sauvagnac décline ainsi un petit bout de paradis dans lequel évolue ces laissés pour compte qui ne demande t rien d'autre que de vivre ensemble et de trouver un peu de réconfort à la marge de ce monde. Mais il y a évidemment le grain de sable qui va gripper cet équilibre fragile et qui s'incarne en la personne de Nono, un repris de justice dont l'ascendant sur Jean-Mi et Louis va également se répercuter sur Nadine qui bascule peu à peu, l'air de rien dans un univers plus contraignant qu'il n'y paraît. Ainsi, au gré d'une écriture subtile, d'une atmosphère trompeuse admirablement bien élaborée, Nathalie Sauvagnac entraîne le lecteur dans un jeu de faux semblant qui suscite le doute et le malaise, sans que l'on ne sache vraiment trop pourquoi et surtout vers quel destin funeste on s'achemine. C'est bien là que réside le talent de la romancière abordant ainsi tout en nuance les thèmes du contrôle et de la manipulation autour de ces trois marginaux en quête d'une place en bordure d'un monde qui n'est pas fait pour eux. Et puis il y a ces souvenirs prenant forme peu à peu au fil du récit en rappelant à Nadine que rien n'est acquis et dont la finalité va se répercuter sur son devenir avec ses compagnons d'infortune en nous laissant abasourdis et bouleversés au terme d'un récit poignant qui marque les esprits.  

     

    Nathalie Sauvagnac : Et Nous, Au Bord Du Monde. Editions du Masque 2022.

    A lire en écoutant : Message Personnel de Françoise Hardy. Album : Message Personnel. 2013 Warner Music France.

  • MIGUEL SZYMANSKI : CHÂTEAU DE CARTES. MIROIR AUX ALOUETTES.

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    Service de presse.

     

    
Un nom aux consonances des pays de l'Est pour un prénom aux accents lusitaniens, les éditions Agullo nous invite une nouvelle fois à une rencontre particulière avec Miguel Szymanski, un romancier au profil singulier exerçant également la profession de journaliste que ce soit en Allemagne comme correspondant pour plusieurs grands titres de la presse économique ou dans son pays d'origine, le Portugal, où il a notamment dénoncé les affres d'une politique d'austérité qui a conduit la nation au bord de la faillite. Et pour appuyer ses propos sur un monde de la finance corrompu quoi de mieux qu’une série de polars se déroulant à Lisbonne et mettant en scène Marcelo Silva, un personnage présentant quelques similitudes avec son auteur. Ainsi avec Le Château De Cartes, premier opus de la série, nous faisons la connaissance de cet ancien journaliste en Allemagne se reconvertissant en chef d'une brigade financière chargée de dénoncer les incartades d'hommes politiques acoquinés à quelques banquiers véreux tout en découvrant les charmes de la capitale méconnue du Portugal que l'on surnomme "la ville aux moeurs douces". 

     

    Marcelo Silva a démissionné de son poste de journaliste en Allemagne pour retourner à Lisbonne afin d'endosser la fonction de chef d'une brigade chargée de lutter contre la corruption gangrenant toutes les strates des institutions bancaires et politiques en choisissant "le glaive à la lame affutée plutôt que la plume rouillée" qu'il a remisé dans un tiroir de son bureau. Bénéficiant de l'appui d'une justice désireuse d'en finir avec tout un conglomérat d'hommes puissants et dévoyés, Marcelo Silva va s'intéresser à la disparition d'un millionnaire à la tête d'une grande banque privée du pays en pressentant quelques parfums de scandale autour de cet établissement bancaire à la réputation plutôt sulfureuse. Evoluant comme un poisson dans l'eau dans le milieu de la bourgeoisie lisboète, Marcelo Silva va rencontrer quelques hommes d'affaires et politiciens corrompus, ainsi que des hommes de main chargé de l'éliminer tandis qu'il fraie avec une mystérieuse fille de bonne famille qui en sait peut-être plus qu'elle ne veut bien le dire sur les accointances entre les différents acteurs d'un monde économique dévoyé.

     

    Ne connaissant pas la période dans laquelle se situe l'histoire, on ne sait pas vraiment si l'intrigue du Château De Cartes est basée sur des faits réels. Mais il émerge du récit de nombreuses allusions à la crise économique à laquelle le Portugal a dû faire face durant les années 2010 avec cette sensation que de nombreux édiles ont dû faire du profit en dépit de cette période d'austérité où il se sont enrichis sur le dos de la population et des instances étatiques. C'est en tout cas ce sentiment d'injustice qui anime Marcelo Ernesto Silva Consalinsky, personnage central du roman, bien décidé à lutter contre la corruption et à mettre à jour les systèmes opaques qui régulent un monde financier fragilisé par l'aveuglement de magnats et politiciens persistant à maintenir certains établissements bancaires, ceci en dépit d'une situation catastrophique qui risque d'entrainer tout le pays dans un désastre économique sans précédent à l'instar de cette Banco de Valor Global dont le dirigeant, António Carmona, a soudainement disparu. En suivant les investigations de cet ancien journaliste, devenu enquêteur pour le compte de la police, on découvre donc ces collusions entre banquiers et politiciens qui s'emploient à dissimuler les pertes en les compensant avec les deniers publics ceci afin de privilégier notamment quelques businessmen angolais frayant avec leurs anciens colonisateurs. L'intérêt du récit réside autour de l'écriture dynamique de Miguel Szymanski qui bâtit une véritable intrigue policière pleine de suspense sans se perdre dans les méandres d'explications financières arides et fastidieuses afin de se concentrer sur les éléments essentiels d'une intrigue habilement construite. C'est aussi l'occasion pour l'auteur de nous dépeindre Lisbonne et ses environs en vantant les charmes de la capitale, sans pour autant jouer au guide touristique, en arpentant les rues d'une ville semblant également être victime de la gentrification. Dans un tel contexte, on apprécie Marcelo Silva, ce personnage singulier qui nous sert de guide en fréquentant quelques restaurants sélectes de la capitale où il côtoie toute une galerie de protagonistes au profil singulier à l'image de Margarida, une quarantenaire au charme indéniable possédant un impressionnant carnet d'adresse  dans le monde de la bourgeoisie lisboète. Homme de goût, distribuant les billets de 50 euros comme des bonbons, Marcelo Silva, fait sans nul doute partie de cette bourgeoisie dont il connaît bien les contours lui permettant d'évoluer aisément dans cet univers où l'arrogance semble être une règle de bienséance et à laquelle il fait face avec une désinvolture rafraichissante.

     

    Roman policier nous projetant dans le monde de la finance, Miguel Szymanski distille avec Château De Cartes une intrigue au charme indéniable qui nous entraine dans ce pays méconnu du Portugal et plus particulièrement de Lisbonne où l'on découvre par l'entremise de Marcelo Silva quelques contours peu glorieux d'un gouvernement à la solde des financiers ce qui n'a rien d'un particularisme.

     


    Miguel Szymanski : Château De Cartes (Ouro Prata E Silva). Editions Agullo/Noir 2022. Traduit du portugais par Daniel Matias.


    A lire en écoutant : Mona Ki Ngi Xica de Bonga. Album : Angola 72-74. 2011 Lusafrica.

  • Gilles Sebhan : Feu Le Royaume. Le royaume des insensés.

    gilles sebhan,feu le royaume,éditions du rouergueRomans, essais, biographies, après une dizaine d'ouvrages où Gilles Sebhan aborde les thèmes de la transgression, de la marginalité et de la criminalité c'est désormais par le prisme de la littérature noire qu'il évoque ces sujets autour d'une série policière mettant en scène le lieutenant de police Dapper plongé dans l'univers étrange d'un établissement psychiatrique pour enfants. C'est tout d'abord avec Cirque Mort que l'on faisait connaissance avec cet enquêteur désemparé tentant par tous les moyens de retrouver Théo, son fils kidnappé, et qui va recevoir l'aide inattendue d'Ilyas, enfant ambivalent et mutique qui semble doté d'une perception hors norme lui permettant de régner sur les jeunes patients internés au sein de l'unité psychiatrique. Il sera encore une fois question d'enlèvements avec La Folie Tristan, second ouvrage de la série, nous permettant d'en savoir davantage sur les liens qui régissent les petits patients du docteur Tristan, psychiatre controversé, régnant sans partage sur son petit royaume des insensés, expression équivoque qui donne désormais son titre à la série. Comme pour clôturer cet univers oppressant et énigmatique, Feu Le Royaume s'articule autour d'un tueur en série en cavale qui souhaite régler ses comptes avec le lieutenant Dapper, responsable de son incarcération.

     

    Après avoir été séquestrée et violée par ses ravisseurs avant d'être sauvée par le lieutenant Dapper, Marlène tente de se remettre de ces terribles événements lorsqu'elle découvre qu'elle est enceinte. Elle souhaite donc se tourner vers son sauveur pour lui faire part de son désarroi. Mais Dapper lui aussi se remet difficilement de cette éprouvante affaire d'enlèvement et essaie de se rapprocher de sa famille et plus particulièrement de Théo qui adopte un comportement distant. Le policier est d'autant plus désemparé qu'il vient de découvrir l'identité de son père qui s'est donné la mort en faisant de Théo son unique légataire. Chacun essaie donc de panser ses plaies et d'enterrer les morts afin de surmonter l'épreuve du chagrin. Mais de l'autre côté de la frontière toute proche, Marcus Baumann, l'homme des tueries du Brabant, parvient à s'évader de prison au terme d'un terrible massacre. Recherché activement par la police, Marcus Baumann n'a qu'une idée en tête : régler ses comptes avec les responsables de son arrestation dont fait partie le lieutenant Dapper.

     

    L'intérêt d'une série comme celle du lieutenant Dapper réside dans le fait que Gilles Sebhan ne cesse d'explorer les conséquences des événements frappant les différents protagonistes à l'instar du cadre familial de cet enquêteur qui semble toujours remis en question. On découvre ainsi la trajectoire de l'épouse de Dapper tombant amoureuse de la maîtresse d'école de son fils Théo qui lui-même entretient des rapports troublants avec Ilyas, ce jeune garçon autiste dont la sensibilité hors norme lui permet de percevoir des visions prémonitoires. De cette manière, Gilles Sebhan remet en question les normes de ce cadre familial constamment bousculé par les échos des investigations d'un policier distinguant, sans vraiment bien les comprendre, les écueils qui l'affectent ainsi que son fils et sa femme. Pour en saisir toutes les nuances, il importe donc de lire dans l'ordre les deux ouvrages précédents avant d'aborder Feu Le Royaume dont le tire fait référence à l'établissement psychiatrique et à ses patients en plein désarroi suite au décès tragique de son directeur. On retrouve donc ainsi, avec un certain plaisir, Ilyas qui va intervenir une nouvelle fois dans le cadre de l'enquête du lieutenant Dapper, chargé de retrouver un tueur en série qui vient de s'évader. Si l'enquête prend tout d'abord la forme d'une traque assez conventionnelle où l'on découvre un individu sans pitié et particulièrement sadique qui s'est mis en tête d'éliminer tous les responsables de sa détention, la tournure des événements devient de plus en plus étrange avec une confrontation aux connotations fantastiques qui troublera une nouvelle fois les convictions d'un enquêteur dont les certitudes se désagrègent peu à peu. Dans un autre registre, on s'intéressera également au devenir de Marlène, que l'on avait rencontrée dans La Folie Tristan alors qu'elle était au prise d'un sadique et d'un déficient mental qui, après l'avoir enlevée, ont entrepris de la violer tour à tour. Ayant découvert qu'elle est désormais enceinte de ses bourreaux, on prend la pleine mesure de son désarroi et du dilemme qui se pose à elle quant au devenir de cet enfant à naître. Comme toujours, au gré d'une écriture immersive, on apprécie cet univers à la fois troublant et inquiétant que Gilles Sebhan distille avec beaucoup d'intelligence et de pudeur, nous permettant de nous focaliser davantage sur le devenir de ses protagonistes confrontés aux doutes et à la douleur des événements qui bouleversent définitivement leurs destins respectifs.

     

    Avec Feu Le Royaume, on observe cette permanente remise en question des normes permettant à Gilles Sebhan de nous interpeller un nouvelle fois sur le vaste sujet de la transgression au gré d'une succession d'intrigues qui bouleversent la certitude de protagonistes confrontés aux aléas d'événements terrifiants qui affectent leur quotidien. Troublant et dérangeant.

     

     

    Gilles Sebhan : Feu Le Royaume. Editions du Rouergue Noir 2020.

    A lire en écoutant : Sour Times de Portishead. Album : Dummy. 1994 GO! Dics Ltd.