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Auteurs N - Page 3

  • OLIVIER NOREK : ENTRE DEUX MONDES. REFUS D’ORDRE.

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    "J'ai toujours eu l’impression que les polars et les romans noirs étaient un peu des livres d’Histoire en avance."

    Olivier Norek

     

    Ayant entamé une carrière d’écrivain dans le domaine du polar, Olivier Norek est un lieutenant de police en disponibilité depuis quelques années et l’on peut parier qu’au vu du succès qu’il rencontre, il le restera probablement encore très longtemps. Nul doute d’ailleurs qu’il figurera parmi les célèbres auteurs populaires du roman policier ou du thriller, comme Thilliez, Chattam ou Minier auxquels il emprunte la même écriture convenue que j’ai pu parcourir avec Code 93, premier roman de la série du capitaine Victor Coste, dont j’ai abandonné la lecture après deux chapitres évoquant pour le premier, la sempiternelle scène gore d’examen médico-légal et pour le second, l’habituel réveil du flic buvant son café avant de se rendre sur les lieux d’un crime. Je suis donc passé à côté des aventures du capitaine Coste et de son équipe officiant dans le département de Seine-Saint-Denis et dont les enquêtes ont fait l’objet de trois romans assurant une notoriété grandissante pour un auteur faisant valoir des récits réalistes basés sur son expérience de policier. Néanmoins avec la parution de son dernier ouvrage intitulé Entre Deux Mondes, Olivier Norek a laissé de côté les protagonistes de la série Coste pour dépeindre la bouleversante destinée de migrants échouant dans la tristement célèbre Jungle de Calais.

     

    Ex flic, fuyant le régime syrien, Adam doit retrouver sa femme Nora et leur petite fille Maya qui ont emprunté la longue et périlleuse trajectoire méditerranéenne des migrants leur permettant d’atteindre Calais. Ainsi tous réunis, ils effectueront ensemble une ultime traversée pour rejoindre l’Angleterre. Mais une fois arrivé dans la Jungle, Adam découvre, sur cette terre dite civilisée, un univers sans foi ni loi. Et surtout nulle trace de Nora et de Maya. En quête des siens, Adam pourra-t-il compter sur l’aide de Bastien, ce jeune lieutenant de police nouvellement affecté au commissariat de Calais qui découvre cet endroit ahurissant où l’on peut tuer sans que des investigations sérieuses ne soient entreprises ? Pourra-t-il compter sur Kilani, ce jeune garçon muet qui a échoué, comme lui, dans cet enfer en faisant l’objet de la concupiscence abjecte de certains occupants du camp ?

     

    En abordant un sujet aussi sensible que la jungle de Calais, on décèle dès les premières pages de l’ouvrage, un manque d’ampleur avec cette écriture standard très visuelle se dispensant de toute forme d’analyse pour surfer sur une vague émotionnelle qui ne manquera pas de saisir les lecteurs, ceci d’autant plus qu’Olivier Norek a une certaine tendance à vouloir forcer le trait en dupliquant, par exemple, quelques scènes clés de l’intrigue comme c’est le cas pour l’introduction que l’on retrouve quelques chapitres plus loin à l’identique mais désormais chargée de son contexte tragique. Une démarche narrative d’autant plus maladroite que la scène, qui se suffisait à elle-même, prend soudainement une forme racoleuse quelque peu dérangeante. Mais au-delà de ces quelques travers, le lecteur sera bien évidemment bouleversé par le sort de ces migrants sortant de cet anonymat glaçant où ces silhouettes errantes, que l’on entrevoit au gré des images de l’actualité, prennent les traits d’Adam, l’ex-flic syrien, de Kilani, le gamin muet et d’Ousmane, pilier du camp, bénéficiant d’un portrait plus nuancé suscitant un intérêt qui ne sera pourtant guère satisfait. Il en va d’ailleurs de même pour Thomas Lizion, ce journaliste calaisien par l’entremise duquel on appréhende tout le contexte du camp sans pour autant aborder les questions sensibles. Malheureusement, une fois son rôle de « présentateur » achevé, cet échotier local disparaîtra du champ de l’intrigue tout comme les thèmes délicats qui feront l’objet de quelques petites allusions sibyllines extrêmement vagues tout en se gardant bien d’offusquer qui que ce soit. Documenté et emprunt des observations qu’il a faites en se rendant sur les lieux, comme il se plait à le souligner dans ses interviews, Olivier Norek s’est attaché à dépeindre une situation dramatique sur le registre d’une intrigue policière presque ordinaire se déroulant dans un environnement extraordinaire sans vouloir se lancer dans un examen poussé du processus ou des responsabilités ayant conduit à une telle tragédie humaine, ce qui est plutôt regrettable.

     

    En parcourant les nombreux retours enthousiastes des chroniqueurs, Entre Deux Mondes devient un document pour les uns, un thriller pétri d’humanité pour les autres tout en abordant les thèmes de l’intrigue policière agrémentée de quelques péripéties propres aux romans d’espionnage. A n’en pas douter, le roman emprunte chacun de ses éléments sans pour autant aller au fond des choses en conférant à l’ensemble un sentiment d’inachevé, voire même de superficialité avec un récit partant dans tous les sens. Ainsi les investigations criminelles vont se révéler très succinctes tout en faisant l’objet de quelques manipulations narratives, parfois extrêmement artificielles, particulièrement lorsque l’auteur dissimule des éléments du parcours d’un des protagonistes, ceci dans le but de ne pas dévoiler trop tôt les indices et les mobiles des deux meurtres perpétrés dans la Jungle qui se fondent sur un somme de hasards douteux frisant l’invraisemblance. Il en va de même pour tout ce qui concerne l’infiltration du noyau islamiste, flirtant avec l’amateurisme et dont on se demande encore sa raison d’être dans le cours de ce roman à moins que l’auteur ait souhaité mettre en évidence un panel représentatif des individus fréquentant la Jungle de Calais. On aurait voulu percevoir cette même représentativité au sein des forces de l’ordre qui apparaissent sous un jour extrêmement favorable, bien éloigné des visions plus nuancées et plus critiques que nous ont proposé certains auteurs policiers comme Hugues Pagan, Joseph Wambaugh ou Kent Anderson lorsqu’ils évoquaient les aspects peu reluisants de leur profession. A l’instar du lieutenant Bastien Miller, personnage central du récit, ou du chef de groupe de la BAC Ludovic Passaro, Olivier Norek décline toute une série de flics attachants, pétris d’humanité, capables de remettre en cause les missions qu’on leur a confiées. Nous avons ainsi une bonne perception de ces flics en souffrance, ne supportant que très difficilement une situation dont il ne peuvent s'échapper puisque toutes les demandes de mutation sont systématiquement refusées. Mais qu’en est-il de ceux qui estiment leurs actions légitimes ou de ceux pour qui leur travail ne pose aucun problème de conscience ? Nous n’en saurons pas grand-chose tout comme du positionnement d’une hiérarchie policière qui demeure très en retrait. Paradoxalement, Max, ce maître-chien complètement cinglé, l’un des rares flics extrémistes, pour ne pas dire le seul, apparaît, dans ce climat de bienveillance et d’humanisme, comme une espèce de caricature dénaturant ainsi une vision de l’institution policière qui se voulait réaliste et exhaustive.

     

    Témoignage poignant d’un univers improbable, Entre Deux Mondes dépeint avec beaucoup d’émotions cette jungle de Calais aujourd’hui disparue sans que l’on ait la moindre idée des disfonctionnements qui ont conduit à de telles dérives institutionnelles. Ce n’était sans doute pas l’intention d’Olivier Norek qui parviendra à bouleverser le lecteur sans qu’il ne se pose trop de questions. Triste et émouvant. C’est déjà ça.

     

    Oliver Norek : Entre Deux Mondes. Editions Michel Lafon 2017.

    A lire en écoutant : C’est Déjà Ca d’Alain Souchon. Album : C’est Déjà Ca. Virgin 1993.

  • Kris Nelscott : A Couper Au Couteau. Etat de siège.

    Capture d’écran 2016-05-08 à 21.38.34.pngEn librairie, lorsque vous ferez l’acquisition d’un roman de la série Smokey Dalton, vous aurez sans doute droit à un regard complice de la part du libraire qui vous classera immanquablement dans la catégorie des initiés. Il faut dire que cette série méconnue n’a pas connu le succès qu’elle serait pourtant en droit de mériter et que son auteur Kris Nelscott, pseudo de l’écrivaine Kristine Kathryn Rusch, semble avoir mis un terme aux aventures de son détective privé afro-américain évoluant dans le climat malsain des émeutes sociales qui secouaient les USA durant les années soixante.

     

    Après l’assassinat de Martin Luther King, Smokey Dalton a quitté précipitamment Memphis en compagnie du jeune Jimmy, témoin gênant du meurtre du charismatique révérend. Pourchassé par la police de Memphis et le FBI, Smokey Dalton et son petit protégé se sont installés, sous une fausse identité, dans la ville de Chicago où le détective a trouvé un emploi comme agent de sécurité au sein de l’hôtel Hilton. Mais avec la tenue de la convention des Démocrates et les rassemblements de mouvements contestataires menés par les Yippies, la ville sous pression, est truffée de policiers et d’agents gouvernementaux en tout genre. Une ville assiégée sous tension. Mais au cœur du ghetto, ce sont les petits garçons noirs qui meurent dans l’indifférence générale. Il ne reste alors que Smokey Dalton pour mener l’enquête, d’autant plus que ces enfants ont le même âge que Jimmy.

     

    Avant d’entamer ce second opus des enquêtes de Smokey Dalton, il est recommandé de lire le premier ouvrage, La Route de Tous les Dangers, tant les intrigues y sont étroitement liées. En installant son détective dans la ville de Chicago, l’auteure prend à nouveau le temps de nous immerger dans une ville des sixties qu’elle parvient à nous restituer d’une façon bluffante, au travers du quotidien des personnages qui traversent le récit. A la fois concise et précise, Kris Nelscott pose la trame historique d’une ville sous tension avec la convention des Démocrates et les rassemblements contestataires qui tournent finalement à l’émeute. Dans ce contexte où la nervosité est extrêmement palpable, l’auteure met en avant l’indifférence des autorités face aux disparitions et aux meurtres d’enfants issus des communautés afro-américaines.

     

    Des ghettos aux quartiers chics de Chicago, du Hilton où séjournent les Démocrates au parc Lincoln dans lequel se rassemblent les manifestants, Smokey Dalton arpente les rues de la ville en nous permettant de découvrir cette escalade infernale historique où la révolte et la contestation se heurtent aux enjeux sécuritaires d’un maire intransigeant. A la poursuite d’un tueur d’enfant, Smokey Dalton croise tout au long de son enquête les événements qui trouvent leur apogée au cœur des violentes confrontations entre les manifestants et les forces de l’ordre qui dégénèrent en émeutes. C’est dans ce contexte chaotique que son enquête trouvera son dénouement tragique dans un final dantesque et percutant.

     

    A Couper au Couteau, est un ouvrage charnière de la série Smokey Dalton car il prend pour cadre une nouvelle ville dans laquelle va évoluer notre héros en nous permettant de faire la connaissance de nouveaux personnages à l’instar de l’inspecteur Johnson, flic bourru mais intègre, que l’on va très certainement retrouver dans les prochaines enquêtes du détective Smokey Dalton.

     

    Tension narrative sur fond de tensions historiques, A Couper au Couteau est un récit explosif mené avec beaucoup de finesse et de sensibilité.

     

    Kris Nelscott : A Couper Au Couteau. Editions Points 2010. Traduit de l’anglais (USA) par Luc Baranger.

    A lire en écoutant : Sweet Home Chicago interprété par Eric Clapton. Album : Me and Mr. Johnson. WEA Internationale inc. 2004.

     

     

  • KRIS NELSCOTT : LA ROUTE DE TOUS LES DANGERS. DE MEMPHIS A FERGUSON.

     

    Capture d’écran 2015-10-21 à 10.47.16.pngLes émeutes qui se sont déroulées à Ferguson et à Saint-Louis dans le Missouri sont le reflet des profonds clivages qui imprègnent ces communautés afro-américaines continuellement stigmatisées. Elles remettent également en question des forces de police dépassées qui doivent impérativement revoir leurs techniques d’intervention afin de faire face aux défis auxquels elles sont confrontées. Il ne s’agit en rien d’une faillite de la police qui demeure l’ultime représentant de l’état pour ces populations ostracisées, mais est-elle en mesure de développer des liens avec les habitants de ces quartiers défavorisés qui n’ont plus guère d’attente vis-à-vis d’un système social qui les rejette. Il importe pourtant que les services de police parviennent à se ressaisir afin de maîtriser la situation pour éviter de céder la place à ces groupuscules armés tels les Oath Keepers qui patrouillent dans les rues de la ville. Pour tenter de comprendre la crise qui secoue le pays, la violence des discriminations, le glissement de membres de la communauté afro-américaine vers la révolte et la violence, les problématiques de drogue et de gang, il est parfois nécessaire de revenir sur ces moments de l’histoire qui ont fait que tout a basculé. Outre les manuels d'histoire, on peut se plonger dans la série des enquêtes du détective Smokey Dalton qui débutent en 1968 avec la mort du pasteur Martin Luther King et qui immerge le lecteur dans les affres des discriminations raciales auxquelles les USA sont, aujourd’hui encore, toujours confrontés.

     

    En 1968, la ville de Memphis est sous tension depuis que les éboueurs, tous issus de la communauté afro-américaine, ont fait grève suite à un accident de travail qui tua deux d’entre eux. Des revendications sur fond de misère sociale, des manifestations raciales qui tournent aux émeutes, c’est dans ce contexte de tension qu’évolue le détective noir Smokey Dalton qui se distancie de ces événements pour se consacrer à ses dossiers. Il sent pourtant que tout cela va mal tourner d’autant plus que l’on a annoncé la venue prochaine du pasteur Martin Luther King appelé à soutenir les revendications des éboueurs. Mais il faut dire que la venue de Laura Hathaway a de quoi perturber le détective. Cette jeune femme blanche, issue de la bonne société de Chicago, voudrait comprendre la raison pour laquelle sa mère a légué une partie de son héritage à un « nègre ». Smokey Dalton voudrait également comprendre, d’autant plus que le « nègre » en question c’est lui. En marge des incidents qui secouent  son quartier, Smokey Dalton va devoir explorer les tragiques souvenirs de son enfance pour découvrir les raisons de cette générosité inexpliquée.

     

    L’air de rien, La Route de Tous les Dangers s’appuie sur un grand nombre d’événements historiques que Kris Nelscott injecte dans son récit sans que l’on ne s’en rende vraiment compte. On est loin du verbiage pompeux de certains auteurs qui se croient obligés d’alourdir leurs textes avec des données parfois inutiles. Les faits réels de l’époque sont d’ailleurs au service du récit à l’instar de cette scène d’ouverture décrivant cette avant-première d’Autant en Emporte le Vent se déroulant à Atlanta en 1939. Elle devient l’un des ressorts essentiels du roman, tout en mettant en exergue l’indicible discrimination dont sont victimes les personnages principaux ainsi que leur entourage.

     

     La situation sociale de Memphis dans laquelle évoluent les personnages est décrite de manière subtile sans céder aux clichés ou à un quelconque misérabilisme outrancier. Sans être répétitives, les scènes du quotidien de Smokey Dalton apportent un éclairage aiguisé sur l’ambiance et la tension qui règnent dans le quartier. C’est d’ailleurs par les biais des dialogues entre les différents protagonistes que l’on perçoit les enjeux des nombreux groupuscules qui tentent de prendre le contrôle des manifestations.

     

    L’intrigue à proprement parler permet de poser les fondements du personnage principal en explorant son parcours au travers de ses souvenirs et de ses réflexions, tout en côtoyant les membres de sa famille adoptive. Elle met également en évidence le côté fastidieux du travail d’un détective d’avantage plongé dans ses dossiers, qu’entraîné au cœur de l’action. La Route de Tous les Dangers se démarque par son rythme lent quasiment dépourvu de scènes d’action. La violence, elle, s’inscrit de manière permanente en toile de fond dans un contexte dramatique à mesure que l’on découvre les circonstances qui relient le détective à sa jeune cliente. C’est l’enjeu majeur de cet ouvrage brillamment construit. En outre Smokey Dalton est un détective qui se dépare de ces clichés propre à ce type de personnage. Il ne boit pas et s’implique de manière active dans les activités de sa communauté tout en menant ses activités professionnelles sans émettre le moindre jugement cynique.

     

    La Route de Tous les Dangers entame donc une série composée de six ouvrages où l’on retrouvera le détective privé Smokey Dalton confronté aux contestations sociales de l’époque qui s’inscriront parfois de manière sanglante dans la destinée d’un pays qui n’a pas encore résolu ses contentieux liés à la discrimination.

     

    Kris Nelscott : La Route de Tous les Dangers. Editions Points 2005. Traduit de l’anglais (USA) par Luc Baranger.

    A lire en écoutant : Home Is Where The Hatred Is de Gil Scott-Heron. Album : The Revolution Begins - The Flying Dutchman Masters. Ace Records 2012

  • NURY/BRÜNO : ANGOLA. DANS LA CAGE A SUEE.

    Capture d’écran 2015-09-14 à 23.04.28.pngAngola c’est un nom aux consonances inquiétantes qui désigne la prison d’état de la Louisiane et qui demeure l’un des établissements les plus emblématiques de l’univers carcéral tout comme les sinistres pénitenciers d’Alcatraz ou de Sing Sing. Ancienne plantation de canne à sucre, située au bord du Mississipi elle est rapidement devenue une ferme pénitentiaire qui continue aujourd’hui encore à accueillir des prisonniers condamnés aux travaux forcés. C’est dans ce cadre hors du commun que l’on retrouve Tyler Cross personnage désormais culte du 9ème art  qui s’impose avec deux albums seulement, comme l’une des nouvelles  grandes séries de la bande dessinée.

     

    C’est à l’isolement, plus communément appelé cage à suée, que Tyler Cross prend la peine de revenir sur le braquage foireux qui l’a conduit à purger une peine de 20 ans à la ferme pénitentiaire d’Angola. Il a eu plus de chance que son complice Neville descendu par les flics. Mais c’est à la belle et sulfureuse  Iris qu’il pense alors qu’elle s’est enfuie sans l’attendre avec le butin qu’elle doit remettre au bijoutier aussi foireux qu’endetté qui a organisé le braquage. S’échapper d’une prison où toutes les tentatives d’évasions ont échouées c’est aussi à cela que songe Tyler Cross afin de récupérer le butin. Mais avant toute chose il devra s’employer à déjouer les combines du gros Carmine, mafieux obèse qui a mis un contrat sur sa tête. Angola c’est loin d’être un camps de vacances et Tyler Cross n’a pas l’intention de s’y attarder plus que de raison.

     

    Dans ce second opus des aventures de Tyler Cross, Nury et Brüno puisent, avec une véritable jubilation, dans le vivier de références lié au monde pénitentiaire. Luke la Main Froide, Brubacker et Les Evadés, ce sont quelques un des films auxquels on pense lorsque l’on s’immerge dans ce magnifique second album qui rend également un hommage appuyé à l’univers de James Lee Burke. Le scénario est solide et n’évite aucun cliché, bien au contraire. C’est ce qui fait le charme de cette bande dessinée où l’on retrouve avec un certain plaisir tous les archétypes des intrigues carcérales à l’exemple du gardien chef sadique et de sa femme frivole, des rivalités sanglantes entre détenus, des sévices infligés aux détenus et bien évidemment de l’évasion dans les bayous qui reste l’un des plus beaux passages au niveau graphique. Il faut avouer que l’on est complètement séduit par le dessin de Brüno et le découpage de scènes extrêmement bien élaborées qui mettent en exergue des actions saisissantes. Le succès de la série réside dans cette alliance du trait « naïf » de Brüno conjuguée à la violence crue de l’histoire élaborée par Nury avec une mise en couleur tout simplement somptueuse.

     

    Avec Angola, c’est également de manière très subtile que Nury met en lumière tout le système de « management » d’une prison avec une déclinaison comptable qui fait froid dans le dos. On découvre ainsi tout un système d’exploitation des prisonniers, de corruptions et de détournements en tout genre au profit de la mafia locale de la Nouvelle-Orléans.

     

    En deux épisodes Tyler Cross, personnage amoral par excellence, devient l’une des séries les plus emblématiques de la BD faisant honneur à l’univers du polar et du roman noir.  

     

    Tyler Cross – Angola. Dessin Brüno /Scénario Fabien Nury / Couleurs Laurence Croix. Editions Dargaud 2015. 

    A lire en écoutant : Cross Road Blues de Robert Johnson. Album : Robert Johnson The Complete Recordings. Sony Music Entertainment 1990.

  • Jo Nesbo : Police. La fuite en avant !

    Jo Nesbo, harry hole, police, serie noire, gallimardLa mondialisation et la surenchère sont les deux phénomènes qui desservent bien trop souvent le thriller qui devient un genre de plus en plus dévoyé par les impératifs commerciaux du nombre d’exemplaires vendus. On ne se préoccupe plus de la qualité de l’histoire ou de l’écriture qui devient d’ailleurs de plus en plus standardisée pour le confort du lecteur qui n’aura plus d’effort à faire pour intégrer le style particulier des auteurs. On lit le même livre … encore et encore … Bien souvent, l’auteur piégé dans la spirale du volume de tirages de son œuvre, se croit contraint d’inventer des histoires de plus en plus ahurissantes pour continuer à capter son lectorat. C’est encore pire avec le techno-thriller où certains écrivains (Thilliez – Crichton) vont même jusqu’à prétendre que leurs élucubrations sont tirées de faits réels ou d’observations scientifiques avérées.

     

    J’avais soulevé cette problématique du thriller avec Kaïken de Jean-Christophe Grangé que vous retrouverez ici. Mais il est bien évidemment loin d’être le seul. L’exemple le plus dramatique on le constate avec l’œuvre de Thomas Harris qui avait tout d’abord publié l’excellent Dragon Rouge où l’on découvrait dans un rôle secondaire le fameux Dr Hannibal Lecter suivit du très convaincant Silence des Agneaux. Mais il faudra bien admettre que Hannibal et Hannibal, les Origines du mal malgré leurs records de vente se sont révélés être des livres absolument grotesques  nous révélant un Hannibal Lecter en couple avec Clarice Sterling où avoir été, dans sa jeunesse, un « gentil » serial killer. Soyons sérieux !

     

    Avec Police, dernier opus de la série Harry Hole, nous sommes confrontés au même problème. Nous retrouvons notre héros bien en vie alors qu’il avait été laissé pour mort à la fin du très médiocre Fantôme qui résonne comme un artifice plus que douteux pour maintenir un lectorat en haleine. Parce que quand même, de vous à moi, on pouvait bien se douter que l’auteur n’allait pas laisser périr ainsi son personnage fétiche.

     

    Un cadavre est découvert dans une forêt en bordure d’Oslo. Il s’agit d’un policier assassiné sur les lieux d’un crime qui n’a jamais été résolu. Une série de crimes similaires décimant les forces de police va contraindre Harry Hole, retiré comme enseignant à l’école de police, à reprendre du service pour traquer ce tueur mystérieux.

     

    Dans ce récit, Jo Nesbo usera et abusera des artifices narratifs pour que le lecteur puisse tourner les pages en se demandant par exemple qui est le mystérieux personnage plongé dans un coma artificiel et maintenu sous surveillance policière. Mais si l’on a, tant soit peu, une étincelle de lucidité on pourra bien deviner qu’il ne s’agit pas du personnage principal tout comme l’on se doutera bien que la cérémonie finale n’est pas celle que l’auteur entend nous faire croire, ceci sur plusieurs dizaines de pages. Hormis cela, il y a cette manie abbérante qui consiste à équiper un serial killer particulièrement retord avec un matériel que l’on peinerait à faire entrer dans un semi-remorque mais que le type trimbale d’un bout à l’autre de la ville sans que cela pose le moindre problème. J’exagère un peu, mais à peine. Par contre je n’exagère pas en évoquant cet épisode plus que douteux (voir sexiste) où une inspectrice doit se triturer les seins, ceci sans contrainte, pour que le pervers qu’elle interroge lui livre des informations ! Rien que ça ! Ces mêmes informations virent à la farce en expliquant ainsi l’évasion rocambolesque d’un prisonnier qui en tue un autre et le planque durant trois jours dans une malle sans que personne dans la prison ne se rende compte de rien. Franchement !

     

    Ce ne sont là que quelques exemples et la liste est loin d’être exhaustive. Je passe sur le tueur qui n'est pas celui que l'on croit mais qui reste quand même un tueur, le conflit entre le personnage principal et le chef de la police qui commandite des meurtres avec l'appui d'une conseillère administrative perverse, le flic homophobe amoureux de son chef et le final rocambolesque qui nous contraindra tout de même à nous demander si l'auteur ne nous prend pas pour des abrutis.

     

    On aurait pu au moins s’attendre à une description particulièrement intéressante de l’institution policière comme le promettait le titre du roman, mais toute la thématique est galvaudée par des poncifs et des raccourcis qui frisent la caricature. Schémas simplistes, flics stéréotypés c’est tout ce que vous trouverez dans ce roman.

    Il nous reste à analyser les relations qu’entretiennent Harry Hole, Rakel, (la femme qu’il aime) et Oleg, (le fils de cette dernière) qui virent à la farce.  On va nous faire croire que Harry Hole a pardonné son beau-fils d’avoir tenté de l’abattre de trois balles sans d’ailleurs que Rakel ne soit au courant. Une bonne petite cure de désintoxication pour le gamin et c’est reparti pour Oleg et Harry Hole qui s’adorent à nouveau comme si rien ne s’était passé. Un petit mariage pour conclure ce récit et on oubliera rapidement ce piètre épisode de la série. Mais tout cela n’est pas possible puisque plusieurs aspects de l’histoire restent encore en suspens et trouveront  leurs conclusions dans un prochain épisode (il faut bien entretenir la poule aux oeufs d'or) ce qui contraindra les pauvres lecteurs que nous sommes à se remémorer les divagations d’un auteur qui se révèle de plus en plus décevant au fur et à mesure de sa notoriété grandissante.

     

     

    Jo Nesbo : Police. Editions Gallimard/Série Noire 2014. Traduit du norvégien par Alain Gnaedig.

    A lire en écoutant : Whispering d’Alex Clare. Album : The Lateness of the Hour. Universal Island Records 2011.