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Auteurs M - Page 4

  • JAMES MCBRIDE : DEACON KING KONG. TORD-BOYAU.

    james McBride, Deacon King Kong, éditions gallmeisterA bien y réfléchir, ils ne sont pas si nombreux les auteurs de la communauté afro-américaine qui se sont lancés dans l'écriture de polars ou de romans noirs. On pense avant tout à Chester Himes dont le premier roman, La Reine Des Pommes, mettait en lumière le quartier de Harlem où officient les deux inénarrable flics Ed Cercueil et Fossoyeur Jones que l'on retrouvera dans un cycle comprenant neuf volumes. L'autre grande référence de la littérature noire afro-américaine, c'est Walter Mosley qui acquiert une certaine notoriété avec Le Diable En Robe Bleue (Série Noire 1996) mettant en scène le détective privé Easy Rawlins dont les investigations prennent pour cadre la ville de Los Angeles durant la période des années cinquante, avec un accent particulier sur le quartier de Watts, théâtre d'importantes émeutes raciales. On peut également évoquer Attica Locke qui a publié récemment Bluebird, Bluebird, un roman policier nous permettant de suivre les investigations du Texas Ranger noir Daren Mathews qui travaille dans un état profondément marqué par les discriminations raciales. D'autre romanciers afro-américains ont effleuré le mauvais genre à l'image de Donna Tartt, James Baldwin ou Colson Whitehead. Chez Gallmeister on trouve deux auteurs issus de cette communauté dont une femme Ayana Mathis qui dresse le portrait social d'une nation en devenir avec Les Douze Tribus D'Hattie (Gallmeister 2014). Détenteur de prix prestigieux, dont le National Book Award, James McBride est le second écrivain afro-américain à intégrer la collection Gallmeister avec des ouvrages comme L'Oiseau Du Bon Dieu (Gallmeister 2013), encensé par les critiques et Mets Le Feu Et Tire-Toi (Gallmeister 2017), un témoignage détonant autour de l'univers de James Brown, surnommé à juste titre "parrain de la Soul".  Egalement scénariste et compositeur de jazz, James McBride revient sur le devant de la scène littéraire avec Deacon King Kong, un puissant roman foisonnant de personnages à la fois attachants et profondément humains.

     

    A la fin des années soixante  une certaine effervescence règne dans la cité Causeway, un ensemble de logements sociaux de South Brooklyn principalement occupé par une communauté afro-américaine fortement défavorisée. Le trafic de stupéfiants gangrène le quartier avec la consommation d'héroïne, une nouvelle drogue, qui affecte une jeunesse particulièrement vulnérable. Police impuissante, habitants désemparés, c'est probablement pour ces raisons que le vieux Sportcoat, une figure pittoresque du quartier, a tenté de flinguer Deems Clemens, une jeune espoir du base-ball qu'il entrainait autrefois, mais qui s'est reconverti dans le deal de rue, beaucoup plus rémunérateur. Imbibé de King Kong, un tord-boyau local qu'il affectionne, le vieux Sportcoat poursuit ses déambulations en se moquant bien de l'agitation qui règne autour de lui et des flics qui sont à sa recherche. Mais le geste de ce diacre à la fois attachant et râleur va avoir des conséquences imprévisibles qui vont affecter les paroissiens de l'église des Five End, mais également un flic de quartier désabusé, des mafieux locaux aux orientations divergentes, une tueuse à gage sans pitié et des petits truands désinhibés qui veulent prendre la place de Deems Clemens.

     

    Puisqu'ils ont collaboré ensemble, notamment à l'adaptation de son roman Miracle A Santa Anna (Gallmeister 2015), il n'est pas vain de mentionner une certaine influence de Spike Lee sur l'univers de James McBride et plus particulièrement avec Do The Right Thing se déroulant, tout comme Deacon King Kong, dans l'arrondissement de Brooklyn et présentant toute une galerie de personnages hauts en couleur qui marquent les esprits. En soulevant le couvercle du chaudron social que représente cette cité des Cause Houses, c'est un bouillonnement d'aventures disparates que l'on va découvrir au gré d'intrigues tumultueuses que l'auteur va rassembler avec la maestria d'une écriture généreuse et débridée qui nous entraine dans un enthousiasmant récit chargé d'une certaine dérision imprégnée d'humanisme. Que l'on prend plaisir à croiser toute cette ample galerie de portraits détonants qui gravitent autour de Sportcoat à l'instar de l'Eléphant, ce mafieux au coeur d'artichaut qui se cantonne dans ses activités de contrebande en veillant sur sa vieille mère qu'il affectionne, de Hot Sausage, ami du vieux diacre qui partage ses délires éthyliques à coup de gnôle frelatée ou de soeur Paul, cette vieille femme centenaire détentrice de quelques secrets entourant l'église des Five Ends. Qu'il est plaisant également de s'aventurer dans l'entrelacs d'intrigues qui semblent sans queue ni tête, imprégnant cette tumultueuse communauté jusqu'au terme d'un dénouement poignant et parfaitement orchestré pour nous éclairer d'un vibrant plaidoyer du vivre ensemble, bien au-delà des préjugés. Bien plus que la maitrise de son récit, il faut saluer chez James McBride, cette imagination débridée et cette originalité sans faille à l'image de cette colonie de fourmis en provenance de Colombie et parcourant désormais sans relâche les entrailles des immeubles des Cause Houses en nous permettant ainsi de faire connaissance avec quelques uns des trois mille cinq cents locataires du quartier. 

     

    Tonitruant ouvrage ponctué de règlement de compte âpres, parfois sanglants et même d'une chasse au trésor mystérieuse, Deacon King Kong est une fresque bigarrée nous immergeant au sein du petit peuple de cette cité de misère qui survit tant bien que mal aux milles aléas de la vie et que James McBride dépeint avec un amour immodéré.

     

     

    James McBride : Deacon King Kong (Deacon King Kong). Editions Gallmeister 2021. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par François Happe.

    A lire en écoutant : Fool's Paradise de Sam Cooke. Album : Night Beat. 1963 RCA Records.

  • ADRIAN McKINTY : NE ME CHERCHE PAS DEMAIN. CHAMBRE CLOSE.

    ne me cherche pas demain,adrian mckinty,actes sud,actes noirs,sean duffyAvant qu'il ne connaisse le succès avec La Chaîne et qu'il rencontre enfin son public, Adrian McKinty, auteur natif de l'Irlande du Nord, a galéré pendant de nombreuses années en écrivant un nombre  considérable de romans policiers dont la série mettant en scène le sergent Sean Duffy affecté au sein de la police royal de l'Ulster. L'une des particularités de cette série réside dans le fait qu'elle marie l'enquête policière avec le contexte historique du pays durant la période des Troubles des années 80 où l'IRA luttait farouchement contre la présence des forces britanniques en Irlande du Nord. Premier titre de la série, Une Terre Si Froide nous présente donc cet inspecteur catholique travaillant dans une administration policière à majorité protestante, contraint de vérifier chaque matin s'il n'y a pas un engin explosif installé sous le châssis de sa voiture. Avec une tonalité chargée d'un certain humour noir, au gré de cette atmosphère particulière d'une guerre civile qui lamine le pays, on retrouvait l'inspecteur Sean Duffy dans un second opus intitulé Dans La Rue J'Entends Les Sirènes qui nous permet de saisir les affres de la situation économique d'une Irlande du Nord ravagée par le chômage, les émeutes et les attentats. Bien que de qualité, la série ne semble pas connaître le succès, raison pour laquelle la maison d'éditions Stock renonce à traduire les trois autres opus. Il aura donc fallut attendre près de sept ans pour connaître la suite des investigations du sergent Sean Duffy avec l'initiative d'Actes Sud qui nous propose, avec Ne Me Cherche Pas Demain, de retrouver cet enquêteur atypique qui vient de tomber en disgrâce et semble prêt à être renvoyé de l'institution policière qui l'emploie tandis que la guerre civile sévit de plus belle.

     

    En 1983, le sergent Sean Duffy est renvoyé du CID et patrouille désormais en uniforme dans la petite localité de Carrickfergus, non loin de Belfast. A la tête de son groupe, il doit progresser fusil au poing en évitant d'être la cible des tireurs d'élite de l'IRA. Mais Sean Duffy doit aussi affronter sa hiérarchie qui trouve finalement un prétexte fallacieux pour l'exclure des forces de l'ordre. Au même moment, à la prison de Maze où sont incarcérés les membres de l'IRA, c'est Dermot  McCann, ancien camarade de classe de Sean Duffy, devenu expert artificier pour l'IRA, qui parvient à s'évader et à déjouer les barrages de la police en devenant ainsi la cible prioritaire des services de renseignements britanniques. Afin de retrouver cet individu considéré comme dangereux, le MI5 décide d'extirper Sean Duffy de sa retraite forcée pour mettre tout en oeuvre afin de débusquer le fugitif. Pour cela, il devra résoudre une ancienne affaire de meurtre, classée comme un accident et qui a tous les aspects d'une énigme en chambre close. Une quête insidieuse qui le mènera du côté de Brighton afin de déjouer un attentat à l'encontre du Premier ministre britannique, Margaret Tatcher.

     

    Doté d'un solide sens de la répartie et d'un humour grinçant, on prend un réel plaisir à retrouver le sergent Sean Duffy, ceci d'autant plus qu'il possède également une grande et excellente culture littéraire et musicale qu'il nous fait partager au gré de ses nombreuses introspections. On apprécie d'autant plus la démarche que l'ensemble de la série se déroule durant la période faste des années 80 et qu'elle nous permet de nous remémorer quelques morceaux et albums populaires de l'époque. Homme solitaire, Sean Duffy se caractérise bien évidemment dans son positionnement atypique au cours de cette guerre civile où, bien que catholique, il a choisi de lutter contre l'IRA en s'engageant au sein du RUC (Royal Ulster Constabulary) une force de police à prédominance protestante. Si la démarche n'est pas indispensable, il est tout de même recommandé de lire les deux premiers romans afin de mieux saisir tous les aspects de la personnalité de Sean Duffy et surtout les raisons de sa disgrâce qui ont fait en sorte qu'il soit  renvoyé du service des enquêteurs (CID) pour être affecté aux patrouilles en uniforme, activité extrêmement risquée durant cette période de guerre civile. Ainsi Ne Me Chercher Pas Demain, dont le titre fait référence à une chanson de Tom Waits, comme d'ailleurs tous les romans de la série, débute en nous immergeant dans le nouveau travail de Sean Duffy qui consiste à patrouiller en véhicule blindé et à effectuer des sorties en formation de tirailleur afin de ne pas être pris pour cible par une population hostile et plus particulièrement par les tireurs embusqués de l'IRA. Adrian McKinty nous donne ainsi un impressionnant aperçu du quotidien de cette force de police dont le personnel vit retranché dans des commissariats qui font régulièrement l'objet d'attentats comme on le découvrira d'ailleurs au cours de ce récit.

     

    Ne Me Cherche Pas Demain débute également avec l'évasion de prisonniers de l'IRA de la tristement célèbre prison de Maze et va se focaliser autour de l'attentat de Brighton qui s'est réellement déroulé en 1984 en prenant pour cible Margaret Tatcher qui présidait un rassemblement de son parti politique de l'époque. L'enjeu du récit consiste donc dans une traque que doit effectuer Sean Duffy pour débusquer Dermot McCann, un ancien ami et camarade de classe qu'il appréciait. Sans trop abuser du procédé, Adrian McKinty illustre donc l'aspect tragique de ce conflit fratricide qui opposait les membres d'une communauté catholique qui apparaît plutôt divisée à l'instar de Mary Fitzpatrick qui n'hésite pas à balancer son ex gendre à la condition que l'on fasse l'éclairage sur la mort de sa fille Lizzie. C'est l'autre aspect du récit qui consiste pour Sean Duffy à résoudre une affaire mystérieuse avec un meurtre en chambre close qui va lui donner du fil à retordre. On suit donc ainsi un récit passionnant où investigations et suspense font bon ménage au gré d'une intrigue dont le dénouement va se révéler plutôt explosif avec une confrontation entre deux "frères ennemis" que tout oppose désormais.

     

    Troisième volume de la série, Ne Me Cherche Pas Demain comblera donc toutes les attentes d'un lectorat impatient de découvrir la suite des aventures du sergent Sean Duffy. Une attente de sept ans qui en valait bien la peine. 

     


    Adrian McKinty : Ne Me Cherche Pas Demain (In The Morning, I'll Be Gone). Editions Actes Sud/Actes noirs 2021. Traduit de l'anglais (Irlande du Nord) par Laure Manceau.

    A lire en écoutant : I'll Be Gone de Tom Waits. Album : Frank's Wild Years. 1987 The Islands Def Jam Music Group.

  • Abir Mukherjee : Les Princes De Sambalpur. Les clés du pouvoir.

    Capture.PNG"Lire c'est voyager; voyager c'est lire" jamais la citation de Victor Hugo n'aura été aussi appropriée en ces temps quelque peu troublés où il ne nous reste plus que la lecture pour explorer d'autres horizons. Dans un tel contexte, on peut également profiter du voyage pour remonter dans le temps afin de nous retrouver à l'époque de l'Inde coloniale comme nous y a convié le romancier Abir Mukherjee avec son premier roman L'Attaque du Calcutta-Darjeeling en nous permettant ainsi de découvrir les aventures du capitaine britannique Sam Wyndham et de son acolyte indien, le sergent Satyendra Banerjee, officiant tous deux au sein de la police impériale du Bengale. Un dépaysement garanti que l'on retrouve avec Les Princes De Sampalpur, second opus de la série, qui prend pour cadre l'un des nombreux royaumes de l'Inde régit par les maharadjahs sous la haute autorité du vice-roi des Indes. Oscillant, dans un bel équilibre, entre le récit historique et l'intrigue policière on ne manquera pas d'apprécier cette intrigue nous rappelant les romans d'Arthur Conan Doyle et de son célèbre détective souffrant d'addiction tout comme Sam Wyndham qui fréquente assidument les fumeries d'opium afin de se remettre momentanément de son passé de vétéran de la Première guerre mondiale.

     

    Juin 1920. En visite à Calcutta, le prince de Sambalpur est assassiné alors qu’il était accompagné de son ancien camarade de classe, le sergent Banerjee et du capitaine Wyndham. Le meurtrier, un étrange homme religieux, est parvenu à prendre la fuite une fois son forfait accompli. Affecté par ce meurtre, les deux policiers accompagnent la dépouille du prince en étant persuadé de trouver le commanditaire du meurtre au sein du royaume suscitant bien des convoitises avec ses célèbres mines de diamants. Au terme du voyage, ils sont reçus par le vieux maharadjah de Sampalpur, extrêmement éprouvé par la disparition de son fils, qui décide de leur confier l’enquête concernant les circonstances entourant sa mort. En passant des rituels religieux funéraires à la chasse au tigre à dos d’éléphant, Wyndham et Banerjee vont tenter de démêler les multiples intrigues qui se nouent dans les couloirs du fastueux palais du maharadjah en essayant de découvrir les mobiles du meurtre qui leur permettront de démasquer l’assassin. Mais il leur faudra toute leur volonté, quitte à forcer les portes du zénana, le harem du maharadjah au sein duquel ils trouveront peut-être quelques réponses à leurs risques et périls.

     

    Au niveau de l’intrigue policière, Les Princes De Sambalpur prend l’allure d’un « whodunit » que ne renierait pas les amateurs de Sherlock Holmes, même si le capitaine Wyndham est doté d’un esprit de déduction bien moins alambiqué que son illustre homologue. L’enjeu du récit consiste donc à déterminer qui est le commanditaire du meurtre du prince en découvrant les mobiles de cet acte tout en constatant, au gré des investigations des deux policiers, que les raisons peuvent être multiples au sein d’un petit royaume où les convoitises sont nombreuses à l’instar de cette vente d’une mine de diamants dont le prix semble surévalué. C’est ainsi l’occasion de découvrir les multiples personnages qui composent ce petit microcosme qui a réellement existé au temps de la splendeur des maharadjahs dont la multitude de royaumes composaient avec l’occupant britannique en nous donnant une idée du fonctionnement qui régit ces deux entités dont l’instauration d’une institution telle que la Chambre des princes censée donner l’illusion d’une certaine autonomie desdits royaumes. On découvre ainsi tout l’aspect des enjeux politiques qui vont nous donner une idée des ambitions contradictoires des différentes factions que comptent le royaume de Sambalpur. C’est peut-être là que réside tout le génie de l’auteur qui parvient, au fil d’une intrigue policière bien menée, à intégrer les éléments du contexte historique de l’époque, ceci sans que l’on ne ressente une quelconque lourdeur. Et puis il faut bien avouer que l’on apprécie cette atmosphère exotique qu’Abir Mukherjee restitue avec une belle justesse conjuguée à un humour caustique que l’on ne manquera pas d’apprécier surtout lorsqu’il vient du sergent Banerjee qui porte une regard circonspect sur le monde qui l’entoure. Avec ce décalage entre la vision du capitaine Wyndham et celle du sergent Banerjee, c’est également l’occasion de mettre en lumière les différentes strates sociale qui composent l’Inde de l’époque à l’instar de cette scène où le personnage principal observe, depuis le luxueux compartiment du train du maharadjah qu'il occupe, une famille modeste qui attend sous la pluie battante de la mousson le train qu’ils doivent emprunter et dont l’arrivée semble incertaine. On observera également, au terme d’un récit dont l’épilogue surprendra plus d’un lecteur, la place faite aux femmes au sein d’un royaume de Sambalpur où le harem semble bien éloigné de l’image que l’on pourrait s’en faire avec des épouses et des concubines qui savent parfaitement composer avec leurs conditions pour parvenir à tirer les ficelles du pouvoir.

     

    Brillant second récit d’une série de romans policiers prometteurs, Les Princes De Sambalpur conjugue avec une belle maîtrise le récit historique et l’intrigue policière qui séduiront ainsi les lecteurs les plus exigeants en quête d’évasion. Exotique et caustique.

     

     

    Abir Mukherjee : Les Princes de Sambalpur. Editions Liana Levi 2020. Traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Fanchita Gonzalez Batlle.

     

    A lire en écoutant : Prabhati de Yehudi Menuhin & Ravi Shankar. Album : Menuhin Meets Shankar. 1988 EMI Classic.

  • Abir Mukherjee : L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling. Indian connection.

    Abir Mukherjee, l'attaque du Calcutta Darjeeling, éditions liana leviComme son nom ne l’indique pas, Abir Mukherjee est un romancier britannique qui a vécu une majeure partie de sa vie en Ecosse et plus particulièrement à Glascow, une ville qui a connu gloire et déclin tout comme Calcutta, cité de l’état du Bengale, où se déroule les aventures du capitaine Sam Wyndham, ancien agent de Scotland Yard et vétéran de la première guerre mondiale qui choisit d’intégrer la police impériale du Bengale. Secondé du sergent Satyendra Barnejee, natif de cette Inde colonisée par les britanniques, les deux personnages incarnent finalement les deux facettes d’un auteur qui a baigné entre la culture anglaise et la culture indienne dont ses parents sont originaires. Premier opus d’une série qui compte déjà quatre ouvrages, L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling se présente sous la forme d’un récit policier aux consonances historiques, non dénué d’humour, qui débute en 1919 alors qu’une vague d’agitation secoue l’ensemble du pays déjà en quête de son indépendance qui n’est pas au goût d’un occupant britannique bien décidé à conserver l’un des plus grands joyaux de son empire.

     

    Calcutta, 9 avril 1919. A peine débarqué en Inde et investi de sa fonction de capitaine au sein de la police impériale du Bengale, le capitaine Sam Wyndham doit enquêter sur le meurtre d’un haut fonctionnaire de la colonie dont on a retrouvé le corps dans les bas-fonds de la ville, à proximité d’un bordel offrant ses services aux notables de la cité. Avec l’appui du sergent Satyendra Barnejee, le capitaine Wyndham va mener ses investigations au coeur d’une ville complexe dont la chaleur moite et frelatée semble susciter quelques vocations de révolte à l’encontre des occupants britanniques. Grèves et émeutes secouent la cité ainsi que les régions avoisinantes avant de se propager dans tout le pays, rendant les investigations d’autant plus compliquées que ce sont les services secrets militaires qui s’en mêlent en trouvant au sein des groupuscules terroristes, le coupable idéal. Mais Wyndham est bientôt convaincu que la solution est loin d’être aussi simpliste et va poursuivre ses investigations en dépit des conseils avisés de ses supérieurs.

     

    Tournant autour d’une trame historique qui prend pour cadre l’indépendance de l’Inde, L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling se focalise sur le massacre d’Amritsar où des soldats britanniques tirèrent sur des manifestants indiens qui protestaient contre le Rowlatt Act, un décret autorisant le gouvernement à emprisonner arbitrairement les agitateurs qui avaient des velléités d’indépendance. On croise donc ainsi le brigadier-général Dryer, responsable du massacre qui fit plusieurs centaines de morts et plus d’un millier de blessés. Outre ce sinistre personnage historique, on découvre également tout ce qui se trame autour du vice-gouverneur du Bengale avec l'influence des différents services gouvernementaux et des.notables du pays qui cherchent tous à obtenir ses bonnes grâces afin de mener à bien leurs affaires respectives. C'est dans un tel contexte qu'évolue le capitaine Sam Wyndham, personnage central de la série, au sein d'une ville de Calcutta sous tension que l'auteur décrit avec force de détails afin de nous immerger dans cet environnement exotique plutôt suffoquant. L'esprit ravagé par les souvenirs de la Grande Guerre, accroc aux drogues opiacées, le capitaine Wyndham est un homme de devoir qui sait pourtant se remettre en question en trouvant parfois l'inspiration dans les fumeries d'opium qu'il fréquente assidument en parcourant ainsi les bas-fonds de la ville pour ensuite nous entrainer dans les grands salons que fréquentent le gotha britannique. L'auteur nous permet ainsi d'avoir une vue d'ensemble de cette ville de Calcutta qui oscille entre le charme des quartiers de la bourgeoisie anglaise et le cauchemar des bas quartiers peuplés et miséreux qu'occupent la population indienne dont on perçoit les difficultés par l'entremise du sergent Satyendra Barnejee dont la loyauté vis à vis de l'occupant est mise à mal par les excès que commettent l'armée britannique qui tente de mater la révolte qui gronde dans le pays. Sur fond d'émeutes et de complots pour court-circuiter une enquête aux entournures politiques, l'intrigue qui débute sous la forme d'une enquête policière se poursuit sur le registre d'un récit d'aventure aux contours surprenants qui ne manqueront pas de bousculer le lecteur qui ne découvrira qu'en toute fin de récit le dénouement d'une enquête passionnante. 

     

    Sur fond d'un humour grinçant qui met en exergue la dichotomie entre deux cultures intrinsèquement opposées, L'Attaque Du Calcutta-Darjeeling, nous permet de faire la connaissance de ce duo atypique que forme le capitaine Wyndham et le sergent Barnejee dans le contexte exotique de l'Inde dont on découvre les débuts d'une quête vers l'indépendance qui va durer plusieurs années. Passionnant. 

     

     

    Abir Mukherjee : L’Attaque Du Calcutta-Darjeeling (A Rising Man). Editions Liana Levi 2019. Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle.

     

    A lire en écoutant : Sampooran de Meekal Hasan Band. Album : Sampooran. 2004 MHB Music.

  • FRANCOIS MEDELINE : L’ANGE ROUGE. ORCHIDEE FATALE.

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    Service de presse.

     

    A la lecture des romans de François Médéline on ne peut s’empêcher d’éprouver une espèce de perte de contrôle avec des récits intenses comme La Politique Du Tumulte (La manufacture de livres 2012) parfois étranges comme Les Rêves De Guerre (La manufacture de livres 2014) voire même déjantés à l’instar de Tuer Jupiter (La manufacture de livres 2018) mettant en scène l’assassinat du président Macron. Comme à l’accoutumée, avec une écriture vive et un style tranchant qui donne le vertige, le lecteur, malmené dans la fureur du récit, va retrouver cette sensation de perte de contrôle dans son dernier opus, L’Ange Rouge dont l’action se situe à Lyon en mettant en scène un groupe de la brigade criminelle de Lyon traquant un tueur en série dont la particularité consiste à peindre une orchidée sur le corps de ses victimes. Flics borderlines, serial killer, à l’image des livres d’Ellroy dont il revendique l’influence, François Médéline nous concocte une intrigue aussi trouble qu’insensée dont l’ambition va bien au-delà des standards d’un thriller à la trame usée jusqu’à la corde, pour nous livrer un ouvrage ambitieux qui oscille entre le roman noir et le polar procédural.

     

    Lyon 1998. Alors que la nuit tombe, on distingue un étrange radeau dérivant sur les flots sombre de la Saône. Eclairée de torches enflammées, on peut distinguer sur l’embarcation un corps mutilé sur lequel on a peint une orchidée avant de le placer sur une croix en bois. Elaborée, macabre, la mise en scène marque les esprits pour celui que l’on appelle désormais le crucifié de la Saône  devenant ainsi une affaire spectaculaire qui échoit au commandant Alain Dubak et à son groupe de la brigade criminelle. Pression hiérarchique et médiatique, le groupe livre désormais une course contre la montre en traquant un tueur déterminé et audacieux qui les contraindra à violer les toutes les procédures tout en mettant leur intégrité physique en danger. Ils risquent bien d’y perdre aussi la raison.

     

    Que l'on se le tienne pour dit, L'Ange Rouge va bien au-delà des stéréotypes du thriller avec cette sempiternelle confrontation entre un serial-killer forcément retord et un enquêteur borderline dont le passé tourmenté ressurgit à mesure de l'avancée de ses investigations. François Médéline bouscule donc les codes à la façon d'un James Ellroy en nous offrant un récit extrêmement bien calibré où l'on retrouve, plus que le style syncopé, répétitif qu'il emploie, une intrigue à la fois adroite et profonde avec cette sensation de folie et parfois même de génie qui fait forcément référence au maître du polar américain. Pavé nerveux de près de 500 pages de ce qui s'avère être une série à venir, L'Ange Rouge s'articule autour de l'ensemble d'un groupe de la criminelle dont les protagonistes sont soumis bien évidemment aux aléas des investigations qu'ils doivent mener collectivement mais également aux pressions de la hiérarchie et des instances judiciaires dont on découvre toutes les arcanes et les enjeux que François Médéline décline avec rigueur et précision sans que l'on éprouve cette lourdeur d'une exactitude outrancière des procédures policières avec à la clé un mariage réussi en fiction et réalisme qui comblera les lecteurs les plus exigeants. Même si l'on découvre l'ensemble des membres qui compose ce groupe de la brigade criminelle de Lyon, il va de soi que l'on va se focaliser sur deux enquêteurs atypiques que sont Alain Dubak, commandant dudit groupe secondé de Mamy, son adjointe inamovible de la vieille école qui se gave de sucreries et sait manier le tonfa avec dextérité lui permettant de "dialoguer" avec les prévenus les plus mutiques. Un duo détonant qui compose avec les autres membres du groupe ainsi que les services d'appuis de la police qu'ils soient scientifiques ou psychologiques qui vont intervenir dans cette enquête qui risque à tout moment de s'enliser dans les méandres des fausses pistes. Personnage central du récit, on appréciera ce commandant Dubak, forcément borderline, mais pas trop, qui oscille entre certitudes et doutes en le faisant parfois basculer du côté de "procédures" qui ne sont pas forcément conformes aux directives policières. Issu de la brigade des stupéfiants où il a été affecté trop longtemps en consommant les produits qu'il saisissait, Dubak est un homme blessé, fragile qui tente de se remettre de ses excès, même si la démarche se révèle plutôt difficile tant les tentations sont nombreuses. Mais cette fragilité devient une force avec cette capacité à se retrouver sur le seuil de la folie qui devient un atout dans le cadre de cette traque au tueur en série.

     

    Et puis avec L'Ange Rouge il y a cette ville de Lyon et sa région que l'on découvre au gré d'un récit qui fait la part belle aux particularismes de la cité que ce soit sur le plan géographique bien sûr, mais également avec la dimension sociale et politique nous permettant de nous glisser dans les méandres des milieux extrémistes qu'ils soient de droite ou de gauche mais également dans le monde estudiantin de l'art. Natif de la région, François Médéline nous immerge ainsi avec quelques petites touches bien équilibrées dans le cadre de cette capitale de la Gaule que l'on parcoure dans tous les sens au détour du charme de ses traboules mais également d'endroits plus glauques comme les égouts de la ville abritant quelques sympathisants anarchistes qui vont interférer dans le cours de l'enquête. On le voit, même s'il s'agit bien d'un roman policier on retrouve quelques thématiques politiques, chères à l'auteur, qui donnent encore plus d'ampleur à un récit qui n'en manquait pas.

     

    Cocktail explosif de talent et de folie, L'Ange Rouge, premier opus d'une série à venir, nous réconcilie définitivement avec les histoires de tueur en série au détour d'un récit énergique et fascinant en côtoyant des personnages hauts en couleur que l'on se réjouit déjà de retrouver.

     

    François Médéline : L’Ange rouge. La Manufacture de livres 2020.

     

    A lire en écoutant : People Ain’t No Good de Nick Cave. Album : The Boatman’s Call. 2011 Mute Records Ltd.