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04. Roman noir - Page 63

  • URBAN WAITE : LA TERREUR DE VIVRE. RIEN QU'UNE AFFAIRE DE TRAQUE !

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    - Comment s'appelle le cheval brun avec une tache blanche sur le museau ?

    - Hermès.

    - Malin, dit Grady.

    On entendit le bruit de la mitraillette, une salve rapide de trois coups. Hunt n'entendit rien d'autre. Il n'entendit pas le cheval ni les impacts des balles. Le téléphone à la main, il se contentait d'écouter, sans trop savoir quoi dire.

    - Tu as combien de chevaux dans ton écurie ? demanda Grady.

    Hunt ne répondit pas.

    - Pour moi, c'est seulement des animaux, mais je parie qu'ils représentent beaucoup plus à tes yeux.

    - Pourquoi est-ce que tu ferais ça ?

    - Tu sais que je vais retrouver ta femme. Je vais la trouver et on pourra rejouer à ça. Tu veux que je te rappelle à ce moment-là ?

    - Si tu avais dû la trouver ce serait déjà fait. Tu espérais seulement qu'elle soit là.

    - Non c'est toi que j'espérais trouver ici.

    Hunt entendit l'arme tirer à nouveau. Cette fois-ci, il entendit le cheval hennir une fois. Puis une deuxième.

    - Je vais prendre mon temps avec celui-là, dit Grady.

    - Je vais te tuer, menaça Hunt en se disant qu'il était sérieux. Pour la première fois de sa vie, il le pensait sérieusement. Nouveau tir de l'arme automatique.

    - Il ira jamais au champs de courses.

    - T'es cinglé

    - Tu pourrais empêcher ça.

    - T'as rien et t'es désespéré.

    - Je pourrais commencer par ta femme, et puis je prendrais la fille, de toute façon, je serai sans doute obligé de la tuer pour lui sortir la drogue du bide. Je pourrais faire tout ça devant toi. Je t'obligerais sûrement à regarder. Tu veux sauver quelqu'un, tu veux sauver ce dernier cheval ? Tu devrais venir me retrouver ici. Je te promets que ça sera rapide. Tu es déjà mort de toute façon.

     

    Dans le roman noir et le roman policier, il est un moteur, une dynamique commune qui n'est autre que la traque. Le détective ou le policier cherchent à appréhender le criminel, tout comme le looser cherche à fuir un destin qui le rattrape obstinément pour le plonger dans la plus sombre des déchéances. Dans le polar tout comme dans le roman noir, on cherche, on fuit, on découvre, on dissimule...rien qu'une affaire de traque.

    Dernièrement, ce sont les experts, analystes ou légistes qui pistent meurtriers en tout genre avec tout un bagage technologique et scientifique. Peu à peu ils ont remplacé les profilers torturés qui se plongeaient dans l'esprit des sérials killer. Parfois c'est l'inverse qui se produit, lorsque le tueur psychopathe se lance à la poursuite du héro. Dans ce domaine, la meilleure des traques n'est pas littéraire mais cinématographique, avec « La Nuit du Chasseur » où Robert Mitchum incarne le terrifiant révérend Harry Powell, poursuivant deux jeunes enfants qui seraient les seuls à détenir le secret de leur défunt père qui a dissimulé le butin d'un hold up. On se souvient tous de cette silhouette à la fois élégante et inquiétante, ainsi que des mots HATE et LOVE tatoués sur les doigts du prêcheur. Un film terrifiant donc réalisé en 1955 d'après l'excellent roman de David Grubb.

     

    Dans le même esprit, je parlais dans un précédent billet du roman de Cormac McCarthy, « No Contry for the Hold Man » où le terrifiant Chigurh exerçait ses « talents » avec une froideur toute méthodique.

     

    Et puis il y a cet ouvrage de Urban Waite, « La Terreur de Vivre ». A la frontière entre le Canada et les USA, Phil Hunt, éleveur de chevaux, arrondi ses fins de mois en faisant passer des cargaisons de drogue par des chemins de montagne. Il croisera le chemin du shérif  adjoint Bobby Drake qui après une traque épique contraindra Phil Hunt à prendre la fuite avec la drogue. Mais les commanditaires  dépêchent Grady Fisher afin de récupérer leur marchandise. Celui-ci est un adepte du découpage qu'il pratique aussi bien sur des animaux que sur des êtres humains. Il possède un étui à couteau qu'il emporte partout où il se rend et sème terreur et destruction sur son chemin. Une machine de guerre chaotique, insensible à la douleur et aux suppliques. On va  donc suivre le parcours haletant de ces trois personnages à travers tout l'état de Washington et l'on appréciera tout autant les passages où l'action fleure bon le testostérone, l'odeur cuivrée du sang mélangée à celle de la cordite que les moments plus calme où Hunt et Drake se questionnent sur le sens de leur vie respective tout en se demandant s'ils pourront échapper à leur destinée qui semble imprimée à l'encre indélébile.

     

    « La Terreur de Vivre » est le premier roman de Urban Waite. Il s'agit d'un thriller hallucinant et prenant qui se lit d'un coup, emporté que l'on est dans l'immensité de cette nature qui annihile toute l'humanité des protagonistes pour ne faire rejaillir que leur instinct primaire : vivre.  Un texte puissant résonnant comme le chien d'un flingue qui percute la balle s'apprêtant à jaillir du canon.

     

    Urban Waite : La Terreur de vivre. ACTES SUD /actes noirs 2010. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Céline Schwaller.

    A lire en écoutant : Titre : Gunfight. Album : Un Prophète (Bande originale du film). Compositeur : Alexandre Desplat

     

  • PASCAL DESSAINT : CRUELLES NATURES !

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    Déclassement de zone agricole, mobilité douce. A Genève, ce wek-end c'est la conscience verte des électeurs qui va être mise à l'épreuve. Pour rester dans le ton, on peut lire « Cruelles Natures » de Pascal Dessaint. « Cruelles Natures » au pluriel c'est la flore, la faune et bien sûr la nature humaine qui à force de ne plus se comprendre finissent par disjoncter. De Dunkerque à la Brenne, l'auteur nous invite à suivre le point de vue de trois personnages à la dérive qui se perdent sous  le ciel plombé du Nord et dans les brumes de la région brennoise. Il y a Antoine, l'écologue qui vit reclus au cœur d'un parc naturel en parcourant les routes de la région pour un décompte macabre des animaux écrasés. Constat d'une civilisation qui empiète sur la vie sauvage contraignant des sangliers à se comporter comme des loups, des geais comme des faucons, des hiboux comme des hérons et forçant ainsi cette tortue à traverser une route pour rejoindre l'étang propice à la ponte de ses œufs. Myriam la compagne d'Antoine a quitté mari et fille pour suivre cet homme autrefois reconnu dans son domaine. Déceptions et regrets pour ce couple qui sombre dans la rancœur et la dépression d'un mal être que l'isolement des lieux n'arrange guère.  Pour sortir de cette spirale infernale, Myriam écrit à sa fille, Mauricette qui ne lui répond pas. Et pour cause, à Dunkerque, Mauricette veille son père hospitalisé suite à un accident et désormais dans le coma. Pour tromper sa solitude, elle fréquente Régis et  Thierry, deux jeunes garçons un peu paumés qui l'entrainent dans le braquage foireux d'un bar-tabac. Leur fuite éperdue ponctuée d'épisodes sordides, les conduiront dans la Brenne où se jouera leur destin.

     

    Pascal Dessaint, c'est un peu la conscience verte du roman noir français. Dans ses récits on trouve toujours une référence à la faune ou à la flore, sans pour autant tomber dans les clichés moralisateurs. « Cruelles Natures » c'est tout simplement le constat et les conséquences tragiques d'une nature perturbée par la civilisation et c'est par petites touches subtiles qu'on en prend la pleine mesure. Rien de cataclysmique, rien de grandiloquent avec Pascal Dessaint, tout est dans le quotidien et presque dans la banalité qui vire au tragique. Durant tout le récit l'auteur a pris soin de nous décrire minutieusement les décors dans lesquelles évoluent ses personnages. Il a délaissé la région toulousaine où il situe habituellement la plupart de ses histoires pour nous entrainer dans la région du Nord d'où il est originaire, en s'excusant de la vision sombre qu'il en a donné. Mais comme il le dit : il est un fait que les gens y sont chaleureux, que la lumière est très belle, mais qu'on y rigole pas tous les jours.

     

    Pas de promoteurs-bétonneurs véreux ou d'écolos fanatiques avec « Cruelles Natures », mais un message aussi simple qu'évident : la nature est fragile. Un message qui, à l'heure de ces votations du week-end, doit résonner dans nos esprits. Pour ou contre les Cherpines, pour ou contre la mobilité douce ce qui importe c'est d'aller voter !

     

    Pour ma part je n'ai qu'un seul mot d'ordre pour ce week-end pluvieux : Lisez du polar ou du roman noir ! 

     

    Pascal Dessaint : Cruelles Natures. Edition Rivages thriller 2007.

     

  • Jean-Hugues Oppel : French Tabloïds. Elections : vous en rependrez bien encore un peu ?

    FRENCH TABLOÏDS

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    Après des élections municipales bien trempées et pour ceux qui ne seraient pas saturés de slogans ravageurs sur l'insécurité, cap sur la France avec un polar où vous pourrez passer en revue les gros titres des médias français auxquels nous avons eu droit entre mars 2001 et avril 2002, année où un certain Jacques C. a obtenu un score stalinien de 82 % des suffrages contre un certain Jean-Marie Le P.

     

    Dans ce contexte voici le point de vue d'un auteur pour expliquer comment les électeurs ont été contraint à un tel choix : « French Tabloïds » de Jean-Hugues Oppel.

     

    Avec ce roman, Jean-Hugues Oppel nous entraine dans les arcanes des agences de communication, des services secret et de la police qui œuvrent toutes pour que le grand raout des élections présidentielles ne soient plus qu'une formalité. On y suit également le parcours d'un homme solitaire qui glisse doucement dans une paranoïa démente.

     

    L'auteur parvient à mêler habilement  fiction et faits d'actualité en s'inspirant du style de James Ellroy. En fait, il s'agit, ni plus ni moins, d'un hommage réussi à l'un des maîtres du polar. Outre le titre qui fait évidemment référence à American Tabloïds, on trouve le même rythme dans l'écriture et chaque chapitre est précédé d'une série de gros titres extraite des divers médias qui ont ponctué la vie des français durant cette période.

     

    Sans être aussi dense et aussi détaillé que l'œuvre à laquelle elle fait référence, cette histoire bien menée et bien rythmée se lit d'une traite. Jean-Hughes Oppel décrit sans concession la grande manipulation des masses et les magouilles étatiques pour y parvenir et que l'on y adhère ou pas, on se laisse emporter pour suivre les tribulations de l'infâme commissaire Jacques Lerois, du lieutenant de police Hélène Carvelle, du machiavélique Piers Goodwhille, de la mystérieuse agence PML Consulting et surtout du banal mais très inquiétant Victor Courcaillet. Une histoire qui n'a presque aucun rapport avec notre actualité politique locale !

     

    A l'exception des aficionados du roman noir, Jean-Hugues Oppel n'a pas la reconnaissance qu'il mérite alors que c'est un auteur majeur du polar français. Six Pack (dont on a tiré une médiocre adaptation au cinéma), Brocéliande-sur-Marne, Chaton : Trilogie et Cartago sont quelques un de ses romans dans lesquels gravitent fréquemment héros dépassés et sinistres criminels diaboliques. Mais pas de détective, flic ou méchants récurrents au gré de histoires. Un pari courageux lorsque l'on voit les succès commerciaux de certains auteurs qui usent parfois leurs personnages principaux jusqu'à la corde (non je ne donnerai pas de noms).

     

    Avec Jean-Hugues Oppel vous vous plongerez dans des récits engagés, tous plus originaux les un que les autres où l'auteur marie très fréquemment politique et polar qui ne font jamais très bon ménage.

     

    Jean-Hugues Oppel : French Tabloïds. Edition Rivages/Thriller 2005.

     

     

  • CORMAC McCARTHY : NON, CE PAYS N'EST PAS POUR LE VIEIL HOMME. ANNONCEZ !

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    Annoncez ! C'est l'injonction funeste de Chigurh, tueur à gage psychopathe, froid comme l'acier d'une lame, qui joue la vie des gens à pile ou face.

     

    Et n'espérez aucune miséricorde dans cette terre aride qui se situe à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique car « Non ce pays n'est pas pour le vieil homme » est un roman cinglant de Cormac McCarthy qui nous plonge dans la noirceur absolue du genre humain.

     

    Dans un coin de désert, Llewelyn Moss découvre les reliquats d'un règlement de compte entre trafiquants de drogues : Cadavres, armes automatiques, drogue et une valise bourrée d'argent. En s'emparant de l'argent, Moss sait qu'il risque gros mais ne se doute pas de la sauvagerie de la horde qui va se mettre à le traquer impitoyablement.

     

    Pour arbitrer cette traque sanglante il y a ce sheriff vieillissant qui ne peut que compter les morts qui s'accumulent. Ed Tom Bell est ce vieil homme, dépassé par les évènements mais également par ce monde qu'il ne comprend plus.

     

    Cormac McCarthy c'est une écriture sèche et sans fioriture tout comme les paysages désertiques que parcourent ses personnages. Des dialogues percutants qui résonnent comme des rafales de pistolet-mitrailleur. Il y décrit une société en mouvement qui ne sait plus trop bien où elle va avec ces hommes qui vivent dans des caravanes, qui dorment dans des motels et qui se croisent dans des stations services. Ils tournent autour de cette frontière qui est devenue le terrain de jeu des trafiquants. Tout cela préfigure déjà de ce que sera son dernier roman « La Route ». Un voyage sans retour.

     

    En se contentant de regarder l'excellente adaptation qu'en ont tirée les frères Cohen, outre le fait de se priver de la qualité d'écriture de l'auteur, c'est passer à côté des réflexions de Ed Tom Bell qui ponctuent chaque chapitre. Ce vieux flic fatigué, un peu réac,  pose les questions sur la place du policier dans une société en pleine mutation. Humble et terriblement humain il admet que ces questions peuvent rester sans réponses. Ed Tom Bell fait également le bilan de la violence auquel il a dû faire face, des évènements majeurs qui ont jalonné son parcours de flic. Un constat sans haine et sans rancœur dans lequel un bon nombre de policiers pourra se retrouver.

     

    « Non , ce pays n'est pas pour le vieil homme » est bien plus qu'un roman noir. C'est un chef-d'œuvre crépusculaire. A lire et à relire !

     

    Dans ce livre, la vie et la mort dansent une gigue endiablée dans des contrées désertiques du sud des Etats-Unis. On les trouve sur les deux faces d'une pièce de monnaie. Annoncez !

     

     

    Cormac McCarthy : Non, ce pays n'est pas pour le vieil homme. Edition de l'Olivier 2006. Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par François Hirsch