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04. Roman noir - Page 2

  • Jim Thompson : Pottsville, 1280 Habitants. Noir c'est noir.

    Capture d’écran 2025-10-26 à 13.19.37.pngToutes les occasions sont bonnes pour parler de ce roman noir légendaire, ce d’autant plus lorsque le romancier Jean-Jacques Busino vous offre l’ouvrage dans sa version originale, publié en 1964 et affichant un prix de vente de l’époque s’élevant à 40 cents. Pop. 1280 de Jim Thompson figurera dans la mythique Série Noire en 1966, en endossant le prestigieux numéro 1000 de la collection, avec une traduction quelque peu tronquée du directeur de la maison d’éditions, Marcel Duhamel himself, ainsi qu’une soustraction de cinq habitants puisque l’on passe à 1275 Âmes (Série Noire 1969). On s’écharpera sans doute à définir qu’elle est le meilleurs roman de l’oeuvre magistrale de ce romancier iconique dont les textes figurent, aujourd’hui encore, au Panthéon de la littérature noire, avec cette saisissante capacité à capter les sombres tréfonds de l’âme humaine dont il nous dévoile les tourments obscurs et abjects avec des personnages emblématiques telles que le shérif Nick Corey, incarnation du nihilisme extrême. Le paradoxe de ce talent fou, c’est que Jim Thompson n’a jamais véritablement connu la consécration de son vivant et qu’il a effectué une kyrielle de jobs alimentaires afin de subvenir à ses besoins, en passant de groom dans un hôtel où il fournit la clientèle en drogue et en alcool, pour ensuite travailler avec son père dans les champs de pétrole du Texas, puis rédiger des articles pour de la presse à scandale ainsi que des textes pour les pulps avant de se lancer finalement dans l’écriture de romans suscitant l’intérêt de Stanley Kubrick avec qui il collaborera en tant que scénariste sur L’Ultime Razzia et Les Sentiers De La Gloire, même si sa carrière au sein de l’industrie hollywoodienne se révélera peu fructueuse. C’est donc tout le chaos de ce parcours de vie que l’on retrouve dans l’oeuvre de Jim Thompson suscitant un regain d’intérêt, avec la publication de l’ensemble de ses textes dans une autre collection prestigieuse, Rivages/Noir sous la houlette de Capture d’écran 2025-10-26 à 22.00.55.pngFrançois Guérif qui fait en sorte de retraduire ses romans dans leurs versions intégrales. Dès lors, on bénéficiera en 2016 d’une excellente traduction de Jean-Paul Gratias restituant l’intégralité de l’atmosphère âpre de Pop. 1280 dont le titre en français retrouve ses cinq habitants disparus avec Pottsville, 1280 Habitants (Rivages/Noir 2016) où figure sur la couverture granuleuse de l'ouvrage, la silhouette de cet homme endormi sur une chaise, posté devant le bureau du shérif. On ne compte plus vraiment toutes les réimpressions en français de ce chef-d'oeuvre qui sera adapté à une seule reprise au cinéma en 1981 par Bertrand Tavernier qui transposera l'action dans l'Afrique coloniale française avec Capture d’écran 2025-10-26 à 22.07.42.pngCoup De Torchon en restituant avec beaucoup de justesse tout l'aspect du racisme ambiant que Jim Thompson dénonçait sous la forme de cette ironie grinçante qui imprègne son texte. Ainsi, pour cette année 2025, on notera une nouvelle édition avec une superbe illustration de Miles Hyman ornant la couverture du livre et d'où émerge la tension latente de cette somptueuse incarnation du mal dans un dépouillement de moyen absolument magistral et qui demeure ce qui se fait encore de mieux dans le genre du roman noir. Un véritable classique, bien au-delà des genres d'ailleurs. 

     

    IMG_2618.jpegEn 1917, Nick Corey officie comme shérif du comté de Pottsville, petite bourgade du Texas, comptant à peine 1280 administrés qu’il fait en sorte de laisser tranquille au grand dam de certains d’entre eux qui envisagent de voter pour le candidat rival qui semble beaucoup plus impliqué que celui qu’ils jugent comme un véritable fainéant, peu impliqué dans son travail. Il faut dire qu’il apparait plutôt placide, un brin stupide ce d’autant plus qu’il se fait humilier par deux souteneurs qui tiennent le bordel de l’agglomération ainsi que son homologue de la ville voisine qui n’hésite pas à lui botter le cul. Et pour couronner le tout, Nick Corey doit composer avec sa femme Myra qui lui mène la vie dure et son beau-frère Lennie, véritable voyeur, qui entretient une relation trouble avec sa « soeur » au vu et au su de toute la communauté qui se moque de ce mari cocu. Mais plus malin qu’il ne laisse paraître, Nick Corey est bien décidé à faire le ménage dans sa vie. Et tant pis s’il y a de la casse avec une succession de morts qui s’accumulent.

     

    Capture d'écran 2025-10-27 104454.pngSi Nick Corey est la figure emblématique de la noirceur humaine, il incarne sans nul doute certains aspects de la figure tutélaire paternelle, puisque le père de Jim Thompson officia comme shérif à la même époque où se déroule l’intrigue. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que l’auteur emprunte cette double personnalité du sociopathe  officiant au sein des forces de l’ordre, en se référant notamment à Lou Ford, adjoint du shérif tourmenté dans L’Assassin Qui Est En Moi (Rivages/Noir 2025), autre chef-d'œuvre du roman noir qui contribua à assoir la réputation du romancier. Mais Pottsville, 1280 Habitants se distingue de par sa tonalité grinçante et mordante qui imprègne l’ensemble de l’intrigue, véritable réquisitoire féroce, prenant l’allure d’une étude de mœurs de la société de ces petites localités du sud des Etats-Unis de l’époque, mais dont certains aspects restent d’actualité. S’il apparait complètement stupide, parfois dépassé, c’est pourtant avec la terrible acuité du discernement de Nick Corey que l’on perçoit, sous la forme d’une ironie tragique, les dysfonctionnements de la communauté qu’il administre et plus particulièrement la discrimination raciale et les discordances de caste qui prévalent dans tout le pays. Mais que l'on ne s'y trompe pas, derrière cette naïveté et cette bêtise de façade, le shérif n'a rien du défenseur des faibles et des opprimés qu'il exploite sans vergogne tout comme les notables et les membres de son entourage qu'il manipule pour parvenir à ses fins quitte à les éliminer en faisant endosser la faute sur d'autres personnes. Et à mesure que progresse le récit, on pénètre véritablement dans la psyché de cet individu redoutable dont la monstruosité confine à la folie tandis qu'il joue sur le registre de la séduction, mais également de la menace à peine voilée pour composer avec Rose Hauck sa maîtresse ainsi qu'Amy Mason, une femme charmante qu'il souhaitait épouser avant de tomber dans les griffes de l'odieuse Myra avec qui il s'est finalement marié, ce qui ne va pas l'empêcher de la séduire à nouveau. Les rapport sont également biaisés avec Ken Lacey, officiant comme shérif du comté voisin qui se montre odieux envers lui, tout comme les deux proxénètes qui ne se gênent pas pour l'humilier en public, tout en lui remettant son enveloppe afin qu'il ferme les yeux sur leurs activités. Il en découle une atmosphère fiévreuse, voire poisseuse que Jim Thompson décline sur un registre licencieux renforçant le malaise qui émane d'un texte sobre et percutant à l'équilibre redoutable où les crimes de Nick Corey s'enchaînent de manière abrupte, souvent très surprenante, sur une déclinaison de plans machiavéliques d'une efficacité à toute épreuve qui font de Pottsville, 1280 Habitants, un modèle du genre.

     

     

    Jim Thompson : Pottsville, 1280 Habitants (Pop. 1280). Editions Rivages/Noir 2025. Traduit de l'anglais (USA) par Jean-Paul Gratias.

    A lire en écoutant : Little Red Rooster de The Rolling Stones. Album : Flashpoint. 2012 Promotion B.V.

  • Piergiorgio Pulixi : Stella / La Librairie Des Chats Noirs / Si Les Chats Pouvaient Parler. Vent de soleil, vent de vérité.

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    Services de presse.

    Pour le prix d’une chronique vous aurez un retour sur trois ouvrages d’un des auteurs italiens dont la notoriété grandissante n’est pas usurpée tout en suscitant un engouement notable autour de deux séries prenant pour cadre l’île de la Sardaigne dont il est originaire. On découvrait Piergiorgio Pulixi avec L’Île Des Âmes que les éditions Gallmeister publiait en 2021 en opérant un virage éditorial assez marquant puisque la maison à la « patte de loup » faisait une infidélité à la littérature de ces contrées des Etats-Unis à laquelle elle était entièrement dédiée depuis 15 ans, en s’ouvrant ainsi au reste du monde. S’il s’agissait de son premier roman traduit en français, Piergiorgio Pulixi n’avait rien d’un débutant puisque ce libraire qui a également travaillé dans le monde de l’édition, débutait sa carrière d’écrivain en publiant des ouvrages sous l’égide du collectif Mama Sabot, un groupe d’auteurs de romans policiers et de thrillers créé par le romancier italien Massimo Carlotto, qui reste encore méconnu au-delà des régions de la Péninsule, avant de s’émanciper avec une série de romans policiers mettant en scène l'inspecteur supérieur corrompu Biagio Mazzeo dont les récits n’ont pas encore  franchi nos frontières francophones. Mais c’est avec la série Les Chansons Du Mal que l’auteur rencontre une certaine notoriété en mettant en scène un groupe d’enquêteurs composés du vice-questeur Vito Strega de Milan, de l’inspectrice-cheffe sarde Mara Reis et de l’inspectrice Eva Croce, une policière milanaise mutée en Sardaigne. Couronné du prix Scerbanenco, prestigieuse récompense de la littérature noire italienne, pour L’Île Des Âmes, la série comptant désormais sept ouvrages (deux d’entre eux n’ont pas été traduits en français), s’inscrit dans un registre où le suspense s'agrège à l'aspect culturelle de l'île, dont on s’échappe parfois pour découvrir d’autres régions de l’Italie, et d'où émerge également une dimension sociale extrêmement prégnante qui deviendra la marque de fabrique du romancier sarde et que l’on perçoit plus particulièrement dans Stella, dernier opus en date qui vient de paraître. On retrouve d’ailleurs tous ces aspects, dans la série de La Librairie Des Chats Noirs, véritable hommage au whodunit, qui se déroule à Cagliari, chef-lieu de la Sardaigne en suivant les enquêtes de Marzio Montecristo l’irascible libraire au grand cœur, spécialisé dans le polar, et dont le second volume, Si Les Chats Pouvaient Parler vient également de paraître en français.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaRésumé : Stella

    « Vent de soleil, vent de vérité »

                              Proverbe sarde

     

    Du côté de Sant’Elia, banlieue déshéritée de Cagliari où elle vit, Maristella Coga, tout le monde l’appelle Stella. Jeune adolescente de dix-sept, elle apparaît comme une femme libre et farouche dont on admire la beauté qui rayonne sur l’ensemble de son entourage. Mais si elle s’affiche au bras du jeune caïd du quartier, Stella aspire à une autre destinée que celle de rester dans ce quartier où l’avenir demeure incertain. Mais Stella aura-t-elle la possibilité  de quitter cette famille dysfonctionnelle ainsi que ce conjoint encombrant, alors qu’elle ne trouve du réconfort qu’auprès de sa grand-mère qui l’a élevée tant bien que mal dans cet environnement délétère ? Une question qui demeurera sans réponse, puisqu’un beau matin où le mistral se lève, on retrouve le corps sans vie de la jeune femme, abandonné sur une plage, le visage mutilé. C’est Eva Croce, Mara Reis et Clara Pontecorvo, secondées du criminologue tourmenté Vito Strega,  qui héritent de cette affaire sensible à plus d’un titre car la mort de Stella ne va pas rester sans conséquence au sein de ce quartier où la police n’est guère la bienvenue et où l’on préfère régler les comptes soi-même.

     

    Avant d’entamer la lecture, on s’attardera quelques instants sur cette superbe couverture de Stella, toute en suggestion, signée Aurélie Bert qui s’occupe, avec un certain talent, du graphisme de la collection Fiction des éditions Gallmeister en suscitant d'ailleurs bien des émules auprès d'autres éditeurs. Mais pour en revenir au texte, il sera recommandé de lire les opus précédents afin de comprendre les liens et surtout les interférences entre les différents enquêteurs de cette section des crimes violents avec une dimension sérielle qui se penchent donc sur les profils de tueurs en série qui vont hanter les pages de romans tels que Le Chant Des Innocents (Gallmeister 2023) où l’on découvre la personnalité tourmentée du vice-questeur Vito Strega tandis qu’avec L’Îles Des Ames (Gallmeister 2021) on rencontrait donc les inspectrices Mara Reis et Eva Croce formant un duo sur le registre de leurs personnalités dissemblables. C’est avec L’Illusion Du Mal (Gallmeister 2022) que le criminologue milanais va se joindre aux deux enquêtrices basées à Cagliari dans le cadre d’une collaboration qui va se poursuivre avec La Septième Lune (Gallmeister 2024) où le trio est aux prises avec un tueur inquiétant. On comprend donc bien que Piergiorgio Pulixi s’est inscrit dans le registre du thriller qu’il décline en adoptant les codes du genre, mais en faisant en sorte de s’en distancer quelque peu pour s'intéresser davantage  à l’environnement social qui imprègne l’ensemble de ses textes oscillant parfois sur les gammes du roman noir. Et c’est dans ce genre du roman noir que s’oriente un texte comme Stella où l’auteur délaisse l’archétype de la narration autour du sérial killer pour s’intéresser à tout l’aspect de Sant’Elia, une banlieue de Cagliari marquée par la pauvreté, qui nous rappelle sur certains points l’urbanisme du tristement célèbre quartier de Scampia à Naples. Au sein de cette cité, dont on va connaître tout le contexte historique, émerge de fortes personnalités telles que Rosaria Nemus, la grand-mère de Stella qui va marquer les esprits tout comme Stella cette victime tragique dont on découvre les nombreuses facettes au gré de la progression des enquêteurs chargés de faire la lumière sur les circonstances du crime. Si l’enjeu de l’identification du coupable est bien palpable, c’est toute la tragédie découlant de ce crime qui devient le véritable moteur de l’intrigue à mesure que l’on prend la mesure des démarches vengeresses du frère ou du petit ami de Stella tandis que les enquêteurs de la police mobile de Sardaigne se confrontent à leurs homologues des Carabiniers et plus particulièrement au lieutenant-colonel Mirko Capasso qui semble vouloir faire cavalier seul. On saluera donc le fait que Piergiorgio Pulixi ait fait en sorte de sortir du confort de narration qui a fait son succès pour se lancer dans une enquête aux connotations bien différentes mettant en relief un environnement plutôt méconnu de la Sardaigne qu’il dépeint avec un regard affuté tandis que les personnages principaux, que ce soit Vito Strega, Eva Croce et Mara Reis, vont faire face à certaines déconvenues qui vont pimenter l’intrigue ainsi que l’arche narrative régissant l’ensemble de la série.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaRésumé : La Librairie Des Chats Noirs

    Entre deux êtres chers, il faut choisir celui qui vivra et celui qui mourra en disposant d’une minute avant que l’assassin sadique n’exécute le proche sacrifié. Après plusieurs crimes du même acabit sans que l’on ne comprenne les motivations du tueur, la police va faire appel à Marzio Montecristo, le patron colérique d’une librairie de Cagliari spécialisée dans le polar où évolue ses deux chats noirs, Poirot et Miss Marple. Il faut dire que cet ancien enseignant de mathématique passionné de littérature noire s’est distingué avec son étonnant club de lecture, « les enquêteurs du mardi », en aidant la police à résoudre, il y a de cela un an, une affaire extrêmement complexe. Outre Marzio, on trouve parmi les membres du club une dame à la retraite, une veuve de trois maris successifs, un moine capucin, une jeune gothique ainsi qu’un vieux dandy tout en élégance. Cette poignée d’experts amateurs sera-t-elle donc capable d’identifier celui que tout le monde surnomme désormais « le tueur au sablier » ?

     

    De par sa légèreté, son habile mélange des genres, que ce soit le thriller, le fameux cosy mystery et le classique roman policier à la Agatha Christie à laquelle Piergiorgio Pulixi rend d’ailleurs hommage, ainsi que par le biais de son humour caustique, la série de La Libraire Des Chats Noirs tranche radicalement avec la série Les Chansons Du Mal à l’atmosphère sombre mais où l’on retrouve l’éclat méridionale de la Sardaigne qui convient parfaitement à cette intrigue pleine de charme. Il va de soi que l'histoire s’articule autour de la personnalité de Marzio Montecristo, ce libraire bourru qui est parvenu, en dépit de sa propension à envoyer balader une clientèle qu’il juge indigne, à s’entourer d’amateurs du genre policier aux profils atypiques qui vont résoudre des crimes sous l’égide de la police et plus particulièrement de l’inspecteur Flavio Caruso et de son adjointe la brigadière Angela Dimase pour laquelle Marzio semble éprouver quelques sentiments. L’autre aspect du récit tourne bien évidemment autour de l’enjeu quant à la découverte du meurtrier dont on se doute bien, sur un genre tel que le crime mystery, qu’il fera partie de l’entourage plus ou moins proche du personnage central, ce qui pimente le suspense. Mais avec Piergiorgio Pulixi, on ne s’éloigne jamais vraiment de la dimension sociale qui s’insère dans le texte en abordant différents thèmes dont les maladies dégénératives telles qu’Alzheimer ou les agression sexuelles qui vont alimenter la part sombre de ce roman qui fait référence à une multitude d’auteurs et de romancières de la littérature noire. Il n’en demeure pas moins que l’ensemble du récit se déroule dans une atmosphère à la fois caustique et chaleureuse où l’on se plaît à parcourir ce chef-lieu de la Sardaigne, en compagnie de ces enquêteurs du mardi et plus particulièrement de ce libraire qui se révèle extrêmement attachant tout comme ses chats qui l’accompagnent.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaRésumé : Si Les Chats Pouvaient Parler

    A force de rembarrer la clientèle qui lui déplait, Marzio Montecristo doit bien admettre que les affaires de sa librairie des Chats Noirs sont au plus mal et qu'il doit se résoudre à accepter la proposition de sa jeune employée Patricia qui a fait en sorte qu'il participe à l'opération marketing du célèbre auteur de romans policier Aristide Galezzao qui va écrire les derniers chapitres de son nouveau roman à bord d'un navire de croisière qui va voguer autour de la Sardaigne. Il s'agira pour Marzio de tenir la librairie flottante en compagnie de ses deux chats Poirots et Miss Marple ce qui lui permettra de renflouer les caisses de son commerce, même s'il doit frayer avec ce romancier à succès prétentieux qui se prend pour Simenon, mais dont l'oeuvre se résume à une série d'ouvrages médiocres dont il peine à comprendre qu'elle suscite un tel engouement. Accompagné de son ami l'inspecteur Flavio Caruso qui s’apprête ä intégrer le fameux club de lecture des « enquêteurs du mardi", les festivités battent leur plein sur le bateau et Marzio Montecristo doit bien admettre que les ventes se révèlent mirobolantes tandis qu'il fraye avec ce petit monde du livre en pleine effervescence. Mais la croisière prend une tournure dramatique lorsque l'on trouve le corps sans vie d'un des passagers dont il ne fait aucun doute qu'il a été assassiné alors qu'une tempête se lève, ce qui empêche toute intervention immédiate des autorités. En attendant, c'est l'inspecteur Caruso qui va procéder aux premières investigations tout en comptant sur les compétences sans faille de Marzio qui va lever le voile sur le milieu trouble de l’édition.

     

    piergiorgio pulixi,éditions gallmeister,la libraire des chats noirs,si les chats pouvaient parler,stellaD’entrée de jeu on décèle l’immense plaisir de Piergiorgio Pulixi à partager avec nous cette nouvelle enquête de Marzio Montecristo dont il décrit une  nouvelle fois le caractère irrascible, pour notre plus grand bohneur, notamment durant ces instants de colères mémorables où il fustige la rare clientèle qui ose encore s’aventurer dans sa librairie des Chats Noirs au charme indéniable. On perçoit derrière ces échanges féroces, l’expérience de l’ancien libraire, sans pour autant avoir agi de la même manière pour faire face aux exigences de clients aux comportements déroutants dont il critique, à certains égards, la propension à se tourner vers une littérature commerciale dans ce qui apparaît parfois comme une véritable mise en abîme, à l’instar de ce moment  extraordinaire où son personnage central exprime tout le désarroi qu’il ressent sur cette propension à exploiter, de manière outrancière, l’image des chats dans les genres littéraires afin d’attirer grossièrement le lectorat. Une sorte de défouloir jouissif en quelque sorte dans ce qui s’apparente à une intrigue similaire à celle de Mort Sur Le Nil d’Agatha Christie à laquelle il rend encore une fois hommage au cours de ce récit prenant pour cadre le Mise en Abyme, un petit navire de luxe au charme rétro. Si l’enjeu de l’intrigue se décline autour des investigations pour identifier l’auteur du crime, il s’agit pour Piergiorgio Pulixi de dresser un portrait au vitriol, du monde de l’édition dont il décline toute une galerie de portraits féroces lui permettant d’évoquer, sans fard, toute une multitude de dérives en lien avec l’exploitation d’un auteur à succès grotesque se prenant pour Georges Simenon dont il mentionne la journée brumeuse qu’il a passée en arpentant les rues de Milan à l’occasion d’un reportage photo de l’époque. Parce que derrière cette critique implacable du monde du livre, on distingue cette admiration pour les auteurs qu’il affectionne à l’instar de Benjamin Whitmer, de Jean-Claude Izzo, de Pierre Lemaître et de William McIlvanney pourtant bien éloignés du genre crime mystery, ce qui constitue là, une nouvelle fois, un paradoxe savoureux dans ce qui peut se révéler comme un excellent guide de la littérature noire. Et c’est bien dans ce domaine de la dérision que réside la réussite de ce second volet de la série  La Librairie Des Chats Noirs dont on savoure chacune des pages d’un récit plein d’attraits mettant également en exergue l’atmosphère attrayante de cette île de la Sardaigne dont on ne se lasse jamais.

     

    Piergiorgio Pulixi : Stella (Stella di mare). Editions Gallmeister 2025. Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux.


    Piergiorgio Pulixi : La librairie Des Chats Noirs (La libreria Dei Gatti Neri). Editions Gallmeister 2024 (collection Totem 2025). Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux.


    Piergiorgio Pulixi : Si Les Chats Pouvaient Parler (Se I Gatti Potessero Parlare). Editions Gallmeister 2025. Traduit de l’italien par Anatole Pons-Reumaux.


    A lire en écoutant : Monterey de Nick Waterhouse. Single : Monterey. 2022 Innovative Leisure.

  • MICHELE PEDINIELLI / VALERIO VARESI : CONTREBANDIERS. POUR UNE POIGNEE DE CIGARETTES.

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsIl est paru au début de l'année, à l'occasion du festival des Quais du Polar à Lyon où les organisateurs, en collaboration avec les éditions Points, mettent en place, depuis plusieurs années, des projets d'écriture à quatre mains entre deux auteurs de deux pays différents afin de mettre en exergue les différences culturelles dont on découvre certains aspects dans une alternance de chapitres qui s'inscrivent dans un genre policier bien évidemment. Pour les éditions précédentes on s'aventurait entre Lyon et Manchester avec Le Steve McQuenn (Points 2024) de Tim Willocks et Cary Ferey, entre la France et l'Allemagne avec Terminus Leipzig (Points 2022) de Jérôme Leroy et Max Annas,  entre la Roumanie et la France avec Le Coffre (Points 2019) de Jacky Schwartmann et Luician-Dragos Bogdan et pour finir entre Barcelone et Lyon avec L'Inconnue Du Port (Points 2023) d'Olivier Truc et Rosa Montero. Pour cette année, ce sont deux grandes figures de la littérature noire, à savoir Michèle Pedinielli et Valério Varesi qui nous ont concocté avec Contrebandiers, une intrigue prenant pour cadre cette région frontalière des Alpes entre la France et l’Italie. La nouvelle est d’autant plus réjouissante qu’à la lecture de leurs œuvres respectives que ce soit la série Boccanera Pour Michèle Pedinielli ou la série Soneri pour Valério Varesi, on perçoit une affinité évidente entre ces deux écrivains engagés, rejaillissant dans cette admiration réciproque qui était manifeste durant le festival Toulouse Polar du Sud où ils étaient tous deux présents en tant que marraine et le parrain de cette édition 2025.

     

    michèle pedinielli,valério varesi,contrebandiers,éditions pointsC'est un peu l'effervescence sur le versant italien des Alpes, avec la découverte du corps sans vie d'un individu que la police identifie rapidement comme étant le nommé Léonardo Morandi, malgré le fait qu'il a été sauvagement défiguré. On signale également dans plusieurs bergeries des environs, des stocks importants de cigarettes de contrebande. Au même moment, du côté français, Suzanne Valadon, une accompagnatrice de montagne chevronnée, retrouve un jeune ressortissant du Burkina Faso complètement frigorifié qui tentait étrangement de retourner en Italie. Tant bien que mal, elle parvient à porter sur son dos le jeune réfugié, à moitié inconscient, pour se rendre au refuge tenu par Fabien. Le garçon aurait-il quelque chose à voir avec le meurtre qui vient de se produire ? De part et d'autre de la frontière, chacun s'évertue à faire la lumière sur ces événements le plus rapidement possible car les premières neiges s'abattent sur la montagne ce qui rend les investigations bien plus périlleuses dans un environnement où les contrebandiers croisent la route des réfugiés ce qui suscite bien des tensions.

     

    Que ce soit dans La Main De Dieu (Agullo 2022) de Valério Varesi ou Après Les Chiens  (Aube noire 2021) de Michèle Pedinielli, il était déjà question de cet environnement montagnard que l'on retrouve donc dans Contrebandiers où apparaissent les thèmes sociaux de la migration ainsi que les aspects peu reluisant de la contrebande, bien éloignée de l'image folklorique que l'on a pu s'en faire avec un personnage comme Farinet que Ramuz a mis en scène dans son roman éponyme. Ce qu'il émane donc d'un récit comme Contrebandiers c'est cette avidité du gain illicite permettant d'améliorer l'ordinaire de certains montagnards d'une région où l'on perçoit quelques aspects du désarroi économique, plus particulièrement en ce qui les exploitations agricoles qui deviennent le paravent d'un trafic international, mondialisation oblige. Et puis il est également question de ces migrants contraints, avec le verrouillage des postes de la frontière, de franchir les cols escarpés de ces montagnes hostiles en affrontant les intempéries pour y laisser parfois la vie tant ils ne sont pas équipés pour y faire face. Là également, on distingue le comportement odieux des passeurs qui n'hésitent pas à exploiter cette détresse humaine pour optimiser le passage périlleux de la marchandise illicite qu'ils font également transiter dans le même temps. Tout cela se décline donc sur cette alternance de chapitres entre deux auteurs que l'on sent véritablement inspirés au gré de cette brève intrigue ponctuée de nombreux personnages qui gravitent dans cette contrée alpestre et d'où émerge des personnalités attachantes comme Suzanne Valadon, une femme de caractère nous rappelant des traits de caractère de Ghjulia Boccanera avec cette humour mordant qui imprègne le texte tandis qu'avec l’adjudant Rapetti et le tenancier du refuge Remo Brusotti on retrouve cette mélancolie propre au commissaire Soneri. Ainsi, si l’enjeu de l’identification du meurtrier demeure primordial avec une enquête compacte et riche en rebondissements, Contrebandiers nous laisse à voir ce caractère engagé de deux romanciers qui s’emploient à mettre en lumière l’âpreté de cet environnement alpin d’où émerge pourtant quelques notes d’espoir et de solidarité au gré d’un texte cohérent et d’excellente facture. 

    Michèle Pedinielli/Valério Varesi : Contrebandiers. Editions Points 2025. Traduit pour la partie italienne par Serge Quadrupanni.

    A lire en écoutant : Torn Inside de Gary Moore. Album : The Power of the Blues. 2004 Orionstar Ltd.

  • LAURENT MAUVIGNIER : HISTOIRE DE LA NUIT. L'EFFACEMENT.

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitCe qui est amusant avec ces auteurs et ces romancières qui s’aventurent dans les lisières du mauvais genre, ce sont les gesticulations de certains intellectuels du microcosme de la littérature blanche parisienne et des autres régions d’ailleurs, qui vont vous expliquer que celle ou celui qu’ils adulent s’inscrit dans la « grande tradition romanesque » en soulignant le caractère social du texte qui va bien au-delà du "simple" roman policier ou encore pire, du "vulgaire" thriller. Laurent Mauvignier n’échappe pas à ces effets de manche quand bien même l’auteur assume pleinement le registre dans lequel il s’inscrit puisqu’à l’occasion de la sortie de son roman Histoire De La Nuit, on remarquait sa présence en 2021 au festival Toulouse Polar du Sud où il débattait justement sur le thème de la frontière poreuse entre les différents genres littéraires en compagnie de Tiffany Tavernier qui s’est également distinguée dans un registre similaire avec L’Ami (Sabine Wespieser Editeur 2021) dont il faudra également évoquer cette intrigue singulière qui s’articule autour de la personnalité d’un tueur en série en adoptant le point de vue de son voisin qui s’est lié d’amitié avec celui qu’il côtoyait quotidiennement. Et si l'on observe une porosité dans le clivage des genres, il faut souligner que la présence de l'ancien pensionnaire de la Villa Médicis, publié au sein d'une des grandes maisons de l'édition française, n'a rien d'anodin alors que bon nombre d'attachés de presse et d'éditeurs des collections blanches rechignent encore à ce que leurs auteurs fréquentent des festivals dédiés à la littérature noire qui pourraient ternir leur réputation. On en est encore là dans un milieu littéraire qui, paradoxalement, est assez prompt à fustiger les discriminations régissant notre monde. Romancier reconnu, multi récompensé et promis à d'autres nouvelles distinctions à l'occasion de la sortie de son treizième roman, La Maison Vide (Les Editions de Minuit 2025), où l'on retrouve la richesse d'une écriture qui s'étire d'une manière singulière, Laurent Mauvignier semble se passionner pour le théâtre et le mouvement de la mise en scène qui en découle et dont on retrouve toute la quintessence dans Histoires De La Nuit au gré d'une intrigue s'étalant sur un jour et une nuit en prenant pour cadre le hameau perdu d'une région sans nom. Et si d'aventure vous prenez le temps de consulter le site de l'auteur, vous trouverez cette citation de Kafka : « Si un livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? » nous renvoyant à ce thriller magistral où l'on en prend plein la gueule.

     

    histoires de la nuit,laurent mauvignier,les éditions de minuitDu côté de La Bassée, il y a le hameau "des trois filles seules" où vit depuis toujours Bergogne, un éleveur qui a repris le domaine familial tandis que sa femme Marion travaille au sein d'une imprimerie et qu'ils élèvent leur fille Ida fréquentant le lycée de la région. Dans la maison voisine, on trouve Christine, une artiste peinte vieillissante qui a quitté Paris il y a de cela des années pour fuir l'agitation citadine en privilégiant la quiétude que lui offre cette contrée rurale. Mais il y a ces lettres anonymes que l'on dépose désormais devant sa porte, ceci depuis plusieurs semaines et qui l'incite à se rendre à la gendarmerie, accompagnée de Bergogne qui, en bon voisin, lui sert de chauffeur, pour savoir ce qu'il convient de faire. Ce n'est pourtant pas ces événements qui assombriront cette journée davantage dédiée aux préparatifs de l'anniversaire de Marion qui fête ses quarante ans. Et tandis que chacun vaque à ses occupations, il y a ces inconnus qui rôdent autour du hameau. Que peuvent-ils bien vouloir ?

     

    A une époque normée, calibrée, où la phrase doit être aussi brève que le chapitre, il convient de souligner que Laurent Mauvignier détonne radicalement dans ce marasme littéraire où l'escroquerie des grands groupes éditoriaux consiste à parier sur un pseudo manque d'intelligence des lecteurs tout en se réclamant d'un courant populaire destiné au plus grand nombre. Alors oui, il faut dompter la langue de Laurent Mauvignier, se l'accaparer et se laisser entraîner dans la sinuosité d'une longue scansion magistrale où chaque mot compte pour décortiquer par le menu détail cette journée et cette soirée sous haute tension s'étalant sur plus de 600 pages que l'on se prend à faire défiler à une allure vertigineuse, pour découvrir ce qu'il va advenir de Bergogne, Marion, Ida et Christine confrontés à la venue d'individus inquiétants qui semblent vouloir que l'on leur rendent compte de  certains événements du passé. Si la phrase s'étire dans une sorte d'outrance savoureuse, il faut bien prendre conscience qu'elle n'est pas faite pour faire joli mais qu'elle se met au service du récit avec cette sensation d'examiner la pellicule d'un long plan séquence qui survole chacun des protagonistes en captant certains aspects les plus intimes de leur vie dont les révélations vont alimenter une intrigue prenant effectivement l'allure d'un thriller se révélant paradoxalement à l'antithèse des codes d'écriture propre au genre. A partir de là, on parlera bien d'une mise en scène extrêmement travaillée qui s'articule autour de cette confrontation dont l'enjeu consiste à savoir auprès de qui elle s'adresse véritablement et qu'elles en sont les raisons qui vont nous être révélées au gré de scènes d'une impressionnante intensité qui s'inscrivent pourtant dans toute leur simplicité et, ce qui importe le plus, dans tout le réalisme de parcours de vies ordinaires qui se fissurent peu à peu à mesure que l'on progresse dans cette journée basculant dans la noirceur de la nuit pour s'achever sur une scène remarquable oscillant dans cet équilibre subtil de violence et de tragédie. Mais Histoires De La Nuit, c'est également une étude de caractère extrêmement fouillée où émerge, en côtoyant chacun des personnages, des thèmes comme la précarité des conditions rurales dans le domaine de l'agriculture avec Bergogne, le harcèlement au travail avec Marion, tandis qu'avec Christine il s'agira de prendre la mesure du rapport à l'art et de son aspect trépident auquel on peut vouloir se soustraire alors qu'avec Ida on explorera cette peur primaire qui nous habite en se diluant sur l'ensemble des protagonistes pour alimenter cette oppression qui imprègne ce roman d'une intensité remarquable dont on se réjouit de découvrir l'adaptation au cinéma pour une sortie prévue en 2026 avec Léa Mysius à la réalisation et Hafsia Herzi, Bastien Bouillon, Monica Bellucci ainsi que Benoît Magimel au casting. Ainsi, Histoires De La Nuit se révèle donc être une véritable  démonstration époustouflante de ce qui peut se faire de mieux dans le domaine du thriller où se conjugue la grâce d'une écriture onduleuse qui nous ensorcelle afin de nous entraîner dans le coeur et la beauté d'un récit d'une noirceur à la fois troublante et époustouflante qui nous laisse sans voix.


     

    Laurent Mauvignier : Histoires De La Nuit. Les Editions de Minuit 2020.

    A lire en écoutant : Suites pour violoncelle de Jean-Sébastien Bach interprétées par Anne Gastinel. Album : 6 Suites Pour Violoncelle. 2008 naïve.

     

  • Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Faut qu'ça saigne.

    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarion

    Service de presse.

    Même si l'équipe marketing de la maison d'éditions hurlera de désespoir, il ne faut pas compter pouvoir entamer ce pavé de plus de 900 pages sans avoir digéré les 763 feuillets de l'ouvrage précédent, composant ce qui apparaît comme une trilogie à venir de cette fresque dantesque du déclin du règne de Giscard de la fin des années 70 à l'avènement de l'ère de Mitterand des années 80 et de l’ensemble des affaires troubles qui jalonnent cette période. Mais que l'on ne s'inquiète pas trop car avec Benjamin Dierstein, la lecture file à une allure proche de la vitesse de la lumière lorsque l'on se plonge dans Bleus, Blancs, Rouges (Flammarion 2025) paru au début de l'année 2025, en allant à la rencontre de Jackie Lienard et de Marco Paolini, deux flics novices que tout oppose, tout en croisant également la route du brigadier Jean-Louis Gouvernnec, infiltré dans les groupuscules gauchistes proches d'Action directe et du mercenaire Robert Vauthier qui fraye avec les officines de droite en montant des coups tant en Afrique que dans le milieu des nuits parisiennes. Et c'est autour de ces quatre destins que la fiction s'agrège à la succession d'événements historiques ponctuant cette époque chaotique dans un jeu habile de fiction et de réalité prenant l'allure d'une intrigue policière survoltée s'entremêlant à ce qui se révèle être une espèce de jeu de pouvoir politique cruelle où la raison d'état légitime les actions les plus infâmes. Avec une aisance assez déconcertante, le lecteur va donc retrouver tout cela dans L'Etendard Sanglant Est Levé qui, après une brève incursion en 1965, nous embarque dans ce moment de bascule entre 1980 et 1982, de la campagne présidentielle à la prise de pouvoir des socialistes en bousculant la destinée de ce quatuor de flics et de barbouze toujours en quête de ce trafiquant d'arme qui alimente tous les réseaux des groupuscules révolutionnaire qui sévissent tant en France que dans le reste du monde. 

     


    benjamin dierstein,l’étendard sanglant est levé,éditions flammarionEn janvier 1980, c'est le marasme en France qui s'enfonce dans la crise économique en disant adieu aux trente glorieuses tandis que tous les services de police sont focalisés sur la traque des membres des groupuscules révolutionnaires qui sévissent dans le pays. Désormais infiltré dans le noyau dure d'Action Directe, le brigadier Jean-Louis Gouvernnec tente d'approcher Geronimo, ce marchand d'arme formé par les libyens et qui alimente tous les réseaux terroristes d'extrême gauche. C'est Jacquie Lienard, son officier traitant au RG qui est à la manoeuvre tandis que Marco Paolini, jeune flic intrépide de la BRI, tente également de soustraire tous les renseignements possibles pour localiser et identifier le mystérieux trafiquant d'arme. Mais tandis que la campagne présidentiel bat son plein, les deux inspecteurs vont devoir également compter avec Robert Vauthier, mercenaire de son état reconverti dans le milieu de proxénétisme et qui enflamme le monde de la nuit parisienne et de la jet set avec son dancing ultra sélect servant de couverture pour ses trafics destinés à alimenter l'armée de barbouzes sévissant au Tchad afin de traquer Geronimo qui a ses entrées auprès de la dictature de Kadhafi en pleine ébullition. Mais les événements vont prendre une autre tournure lorsque le terroriste Carlos débarque en France bien décider à imposer sa loi par tous les moyens en entraînant Jacquie Lienard, Jean-Louis Gourvennec, Marco Paolini et Roger Vauthier dans un univers impitoyable de violence et de corruption qui sévit jusqu'au plus haute instance d'un état de droit qui n'en a plus que le nom. 

     

    On retourne donc au charbon avec ce quatuor d'individus écorchés vifs que l'on accompagne avec une certaine fébrilité dans cet amoncellement d'affaires troubles qui marquent cette période à la fois explosive et porteuse d'espoir, mais dont on connaît déjà l'immense déception qu'elle va engendrer par la suite avec l'avènement d'un président Mitterand à la personnalité complexe qui s'ingénie dans les manoeuvres machiavéliques accompagné en cela de son bras droit, François de Grossouvre qui apparaît tout au long de cette intrigue se révélant encore plus dantesque que la précédente. C'est dans cette atmosphère fiévreuse que Benjamin Dierstein nous entraîne au gré d'un récit d'une grande tenue qui transcende ce schéma narratif si cher à James Ellroy avec ces encarts de titres de la presse de l'époque, ces extraits d'écoutes téléphoniques et ces retranscriptions de procès-verbaux, prémisses des intrigues dans lesquelles il va mettre en scène les quatre personnages fictifs qui vont alimenter la perspective des événements historiques de cette époque foisonnante où l'on croise, outre les politiques et autres hauts fonctionnaires de police, toute une galerie de personnalité de la jet set que ce soit Alain Delon, Thierry Ardisson, Jean-Paul Belmondo, Mireille Dara, Serge Gainsbourg et Jane Birkin pour n'en citer que quelques unes. Mais avec la tuerie d'Auriol ou l'attentat de la rue Marbeuf, ce sont également des individus inquiétants qui apparaissent dans les dédales de cette fresque historique, tels que Carlos, Jean-Marc Rouillan et Nathalie Mérnigon, Pierre Debizet et Jacques Massié ainsi que la cohorte de d'individus de la pègre qui vont s'entredéchirer dans des règlements de compte explosifs donnant tout son sens à ce titre du roman, L'Etendard Sanglant Est Levé. Tout cela, Benjamin Dierstein le décline avec cette habilité qui le caractérise désormais, au rythme d'une écriture serrée d'où émerge toute cette tension permanente alimentant un texte de haute tenue que l'on s'accaparera littéralement avec une certaine fébrilité à mesure que l'on progresse dans cet ensemble d'intrigues parallèles toutes aussi passionnantes les unes que les autres tout en guettant ces instants explosifs où le récit va basculer dans un déchainement d'une violence sans égale. Et puis, il faut bien admettre que l'on demeure assez impressionné par cette capacité de l'auteur à digérer une documentation conséquente qu'il restitue avec cette aisance saisissante, dans le cours d'une fiction qui se conjugue parfaitement avec les événements historiques qui prennent un tout autre éclairage, ce d'autant plus avec l'actualité du présent où un ancien président de la République vient d'être condamné pour des faits d'association de malfaiteur en lien avec des financements libyens. Autant dire que L'Etendard Sanglant Est Levé tient donc toutes ses promesses amorcées avec le premier volume et que l'on attend avec une impatience fiévreuse, le troisième ouvrage, dont on sait déjà qu'il s'intitulera 14 Juillet et qu'il paraîtra au mois de janvier 2026. 

     

     

    Benjamin Dierstein : L'Etendard Sanglant Est Levé. Editions Flammarion 2025.

    A lire en écoutant : Traffic de Bernard Lavilliers. Album : Métamorphose. 2023 Barclay.